S'il existe une fonction mal définie et qui n'est pas sans en intriguer plus d'un, c'est bien celle de négociateur! Alors que la littérature populaire et le cinéma nous projettent parfois l'image d'un personnage plus grand que nature qui, grâce à son contrôle de soi, à son regard perçant et à ses arguments percutants, réussit à dénouer les impasses les plus difficiles, on constate plutôt, dans la vraie vie, que le négociateur n'est pas nécessairement un personnage flamboyant, mais que sa tâche n'en est pas moins complexe.
Il est vrai que chacun est appelé à négocier, à un moment ou à un autre de son existence, et ce, sans pour autant avoir reçu une formation de négociateur. Que ce soit pour l'achat d'un bien, la planification d'une activité professionnelle, la détermination du contenu d'un contrat de travail ou même le règlement d'un conflit avec une personne de son entourage, on arrive la plupart du temps à mener la négociation à terme, mais avec souvent… un succès mitigé! Si d'aucuns peuvent de façon intuitive entreprendre une négociation, il appert que la conduite d'une négociation structurée (comme la négociation collective par exemple) demande plus que de simples aptitudes innées. À cet égard, la négociation renvoie à des connaissances et à des techniques précises, mais dont la maîtrise peut varier d'une personne à l'autre. En relations du travail, le négociateur joue un rôle clé dans les processus de discussion qui visent à déterminer et à réguler les conditions de travail. C'est pourquoi nous tenterons dans cet article d'expliciter les éléments fondamentaux qui caractérisent l'œuvre du négociateur.
Qu'est-ce qu'un négociateur ?
Bien qu'il n'existe pas de définition qui fasse consensus, on associe généralement la fonction de négociateur à celle d'une personne dont le rôle est de tenir des discussions avec une ou plusieurs parties dans le but de parvenir à un accord, de conclure une affaire. Qui plus est, l'accord qui découle de la négociation doit être à la hauteur des attentes des mandants et leur apporter satisfaction. En relations du travail, ce sont les dirigeants d'entreprise ou les salariés qui confient au négociateur un mandat comportant habituellement une série d'objectifs à atteindre. Dès lors, le rôle du négociateur consiste à établir un plan d'action, à trouver des arguments et à déterminer les meilleures façons de faire afin d'atteindre les objectifs du mandat.
Le négociateur n'est donc généralement pas celui qui détermine les fins de la négociation, mais plutôt les moyens à utiliser. Il peut toutefois être appelé à jouer un rôle conseil auprès de ses mandants. En effet, il est de pratique courante que le négociateur syndical guide la réflexion des salariés qu'il défend sur le choix des enjeux qui devront être revendiqués à la table de négociation, de la même façon que le négociateur patronal peut également porter le chapeau de consultant en relations du travail et, ainsi, conseiller l'employeur sur ses choix.
Le négociateur en relations du travail : un cas particulier ?
Lorsqu'on se penche sur les particularités du négociateur en relations du travail, on constate qu'il se distingue du négociateur commercial ou de celui qui est impliqué dans une intervention policière, dans la mesure où il doit non seulement tenter d'atteindre les résultats qui lui sont demandés, mais également s'assurer qu'au terme de la négociation, l'autre partie ressente également une certaine forme de satisfaction. Le caractère intense et continu propre aux relations du travail proscrit une approche où le négociateur ne chercherait qu'à remplir son mandat sans se soucier des besoins de l'autre partie. Une telle approche pourrait avoir comme conséquence fâcheuse de rendre le résultat de la négociation inacceptable pour l'autre partie, entraînant par le fait même une sévère détérioration du climat de travail dans l'organisation. Il doit donc chercher à atteindre ses objectifs tout en s'assurant que ses gains n'auront pas pour effet de rendre l'autre partie… complètement perdante! Le négociateur en relations du travail doit donc se soucier du résultat de la négociation non seulement en regard des futures dispositions de la convention collective, mais également sur la nature de la relation entre les parties, au terme du processus.
Qui peut être négociateur ?
Bien que cette fonction soit souvent confiée à des juristes en raison de la nature même de la convention collective (qui est un contrat au sens civiliste du terme) et de l'importance du cadre légal qui balise l'institution de la négociation collective, on constate que le rôle de négociateur peut être dévolu à des personnes dont le champ d'expertise varie sensiblement. Beaucoup de négociateurs syndicaux sont en fait d'anciens salariés non spécialistes du domaine des relations du travail ou encore des diplômés en relations industrielles. De la même façon, certains négociateurs patronaux sont en fait des gestionnaires provenant de divers départements (production, ressources humaines, finances, etc.) qui deviennent négociateurs au cours de leur carrière. Qui plus est, ils peuvent également être des consultants externes qui ont soit une formation de base comme généralistes des relations du travail, soit une expertise dans un secteur d'activité donné.
Peu importe la qualification de base du négociateur, il n'en demeure pas moins qu'il devra acquérir une expertise «globale» quant à trois dimensions importantes: la connaissance du cadre légal balisant l'exercice de la négociation collective de même que celle des règles juridiques régissant la convention collective; le processus de la négociation en lui-même (l'analyse contextuelle, l'évaluation du rapport de force, la détermination des stratégies, l'établissement des moyens tactiques appropriés et la mise en œuvre de ces éléments); la connaissance des problématiques du milieu de travail visé par la négociation collective et l'effet des dispositions de la convention collective sur ce même milieu de travail. On comprend donc aisément que, selon sa qualification première, la maîtrise des enjeux associés à ces trois dimensions sera, selon les différents cas de figure, plus ou moins facile pour chaque négociateur. Ne pouvant toutefois devenir omniscient, le négociateur devra s'assurer d'avoir avec lui des personnes qui pourront le soutenir dans les aspects qui lui sont moins familiers.
Quelles sont les compétences de base du négociateur ?
Outre ses connaissances juridiques et sa compréhension du milieu de travail, un négociateur efficace doit également avoir dans ses bagages une panoplie de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être lui permettant d'actualiser pleinement sa fonction. Mais encore, notons qu'il doit, nonobstant ses grandes compétences, être quand même très bien préparé avant d'entreprendre la négociation!
Le négociateur doit être en mesure d'adopter des comportements qui traduisent, dans certains cas, ses intentions réelles ou, dans d'autres, ses bluffs. Sa maîtrise comportementale lui permet également d'entraîner l'autre partie à adopter des attitudes favorables à la résolution des enjeux de négociation. Selon la stratégie retenue, le négociateur doit être capable de susciter autant le respect et l'empathie que la crainte et la frustration, d'inspirer l'ouverture ou la fermeté. L'adoption de l'une ou l'autre des attitudes est donc appelée à varier selon le contexte stratégique de la négociation.
Sa capacité à s'exprimer clairement permet au négociateur d'atteindre l'efficacité à la table de négociation. S'il est vrai que l'étape de la préparation à la négociation est assurément la plus importante du processus afin d'avoir en mains toutes les informations pertinentes pour étayer l'argumentaire, il importe aussi d'être en mesure de l'articuler de façon convenable à la table de négociation. Une phrase résume bien cette observation: «Celui qui sait mais ne sait dire n'est guère plus avantagé que celui qui ne sait pas»!
Un négociateur efficace possède également des habiletés politiques lui permettant de résoudre les conflits entre les différentes factions qu'il représente (par exemple, pour réguler les divergences d'intérêts entre les cadres supérieurs et les cadres de premier niveau ou encore entre les travailleurs qualifiés et les travailleurs non qualifiés). Qui plus est, alors qu'il est souvent appelé à jouer le rôle de «l'avocat du diable» auprès de ses mandants et à se livrer à des jeux de coulisses avec son vis-à-vis, il lui faut trouver le moyen de s'assurer d'être toujours perçu comme loyal et compétent par les personnes qu'il représente.
Le négociateur doit aussi être à la fois un stratège et un tacticien. Il est habituellement appelé à déterminer le plan général de la négociation et le ton à donner à cette dernière tout en effectuant le choix des gestes concrets à poser et le moment opportun pour le faire. Il doit également connaître les divers moyens tactiques de réaliser une négociation où il lui faut obtenir le plus de gains possible (ou a contrario, concéder le moins possible) ou encore trouver des solutions «gagnant-gagnant» permettant aux deux parties de maximiser leurs intérêts.
Des savoirs en comptabilité financière et sur les stratégies d'affaires permettent au négociateur d'augmenter son efficacité à la table de négociation. La connaissance des principes comptables permet souvent de faciliter et d'accélérer le règlement à la table de négociation lorsque l'employeur fait preuve de transparence concernant les données financières, évitant ainsi toute confusion dans la transmission et l'interprétation de l'information.
Finalement, le négociateur se doit également d'être animé par des préoccupations d'ordre éthique, notamment en regard des moyens tactiques qu'il utilise pour atteindre ses objectifs et sur l'appréciation du mandat qui lui est confié. Alors qu'en négociation collective, la fin justifie rarement les moyens, le négociateur se doit d'être une référence sur ce qui peut, légalement et éthiquement, être fait dans le cadre de la négociation. Il doit aussi sensibiliser ses mandants sur les conséquences des gestes qui seront posés.
Négociateur : un emploi de rêve?
Même si l'exercice de la fonction de négociateur peut certes avoir de multiples avantages quant au statut professionnel, aux possibilités d'accomplissement au travail et aux avantages pécuniaires, il n'en demeure pas moins que les personnes qui exercent cette fonction sont souvent appelées à travailler dans un contexte de travail comportant un niveau de stress fort élevé, où la conflictualité est omniprésente. De plus, les horaires de travail aléatoires impliquant bien souvent de devoir travailler durant le week-end, le soir et même la nuit dans certains cas (notamment lors du «sprint» final de la négociation), font en sorte que la qualité de vie du négociateur est souvent réduite. La nécessaire disponibilité du négociateur envers ses mandants rend donc difficiles les compromis où ses intérêts propres primeraient sur ceux des personnes qu'il représente. Néanmoins, avec un bon sens de l'organisation et de l'ouverture de la part de ses mandants, le négociateur peut s'épanouir dans ce rôle et y trouver une grande source de satisfaction professionnelle. Le métier de négociateur serait toutefois à déconseiller aux gens qui recherchent stabilité et prévisibilité dans leur travail!
Jean-François Tremblay, CRIA est professeur en négociation collective au département de relations industrielles, Université du Québec en Outaouais et négociateur patronal.
Source : Effectif, volume 6, numéro 5, novembre / décembre 2003