Vous lisez : La gestion informatisée et décentralisée des ressources humaines

Le mythe des ERP
Le progiciel de gestion intégré (ERP pour Enterprise Resource Planning), dont l'utilisation est prônée ces dernières années par les services de l'informatique, n'a pas livré la marchandise en ce qui concerne la gestion des ressources humaines. Cette idée de regrouper tous les systèmes de l'entreprise en une seule base de données tient du rêve. Il vaut mieux compter sur des systèmes séparés qui peuvent se parler.

La paie décentralisée
La paie commence à être décentralisée lorsque le chef de service peut inscrire les heures à payer à ses employés directement dans le système de paie. On estime au Québec que 50 % des entreprises de taille moyenne (entre quarante et trois cents employés) sont équipées d'un tel système, que ce soit par l'intégration d'un poinçon électronique ou par une feuille de présence informatisée. Malheureusement pour le gestionnaire des ressources humaines, ce système est irréversible. Aussitôt que l'entreprise a réalisé cet investissement, le gestionnaire doit compter sur le système de paie pour obtenir les données de base utiles à la gestion des ressources humaines.

L'autre moitié des entreprises de taille moyenne continue de livrer les cartes de présence en vrac au responsable de la paie. Plus étrange encore, certaines des entreprises les plus riches de ce groupe ont la chance d'avoir un système de poinçons électroniques. Elles livrent un rapport informatique au responsable de la paie, mais ce dernier ne dispose pas de l'outil approprié pour traiter ce rapport et l'importer dans le système de paie. Il préfère alors refaire la saisie des données. 

Par ailleurs, la paie est dite fortement décentralisée lorsque les communications avec le responsable de la paie se font via le système de paie:

  • inscription d'un nouvel employé;
  • départ d'un employé;
  • changement de statut ou de salaire d'un employé.

Ce degré de décentralisation de la paie n'est pas aussi répandu qu'on serait porté à le croire. Les communications avec responsable de la paie se font généralement en remplissant un formulaire papier. Les informations sont saisies dans le système de paie par ce dernier. Il y a de toute évidence dédoublement en la matière.

Dans l'orientation présente, la lourdeur des informations requises par le gestionnaire des ressources humaines a souvent fait l'objet de discussions inutiles. Par exemple, le responsable de la paie a-t-il besoin de connaître le brevet de l'employé et la date d'obtention dudit brevet? Non! Par ailleurs, cette information doit être contenue dans le formulaire d'embauche pour assurer une saine gestion des ressources humaines. Combien de comptables sont prêts à alourdir le système de paie avec l'information essentielle à la gestion des ressources humaines?

Il y a aussi une autre forme de système de pseudo-paie décentralisé: celle que les défenseurs des ERP appellent à tort leur meilleur module RH. Il s'agit du module «historique d'emploi». Le système de paie analyse toutes les inscriptions et les regroupe dans un rapport par employé. Ce rapport est intéressant pour les entreprises où les mouvements de main-d'œuvre sont nombreux, entre autres les entreprises qui embauchent beaucoup de personnel à temps partiel à faible salaire. Par ailleurs, il s'agit souvent d'une longue nomenclature difficile à lire. La décentralisation se limite généralement au gestionnaire des ressources humaines, le seul qui est habilité à lire ce rapport, car il faut faire le tri entre les changements de statut, les départs, les retours et les changements de classification concernant ledit employé.

Comment faire pour décentraliser davantage paie et ressources humaines?
Il y a deux raisons majeures pour lesquelles la décentralisation n'est pas plus répandue:

  • les entreprises s'empêchent d'adopter la paie dite «par exception»;
  • les entreprises hésitent à se procurer un véritable système de gestion des ressources humaines.

La paie par exception part du principe que l'employé actif recevra une paye fixe, par exemple 40 heures semaine à 15 $ l'heure, à moins d'indications contraires. Cette façon de faire est facile à mettre en place dans les entreprises qui ont des horaires assez stables, soit la majorité.

Quant aux véritables systèmes de gestion des ressources humaines, ils commencent à apparaître sur le marché. Ces systèmes intègrent les formulaires de communication avec le responsable de la paie. En eux, se trouve la clé d'une véritable décentralisation. Un système de gestion des ressources humaines peut être identifié comme tel lorsqu'il comprend au moins un module généralement absent des systèmes de paie traditionnels:

  • réclamations CSST;
  • recrutement et sélection;
  • appréciation du rendement;
  • formation du personnel;
  • etc.

Les avantages d'un système RH qui devance la paie
Un premier avantage vient du fait que le gestionnaire des ressources humaines travaille main dans la main avec le responsable de la paie pour accélérer l'arrivée des données en temps réel, et ce, pour produire la paie.
Le système de gestion des ressources humaines peut communiquer avec le responsable de la paie. Les nouveaux arrivés ainsi que leur salaire et les départs sont exportés du système RH à l'heure de tombée de la paie. Un appariement des champs pour les rendre identiques au système de paie est facile à réaliser par une requête-ajout quel que soit le système de paie. De cette façon, on fournit des données au système de la paie tout en alimentant le système de gestion décentralisée des ressources humaines.

Il existe plusieurs autres avantages qui militent en faveur de l'information du système de paie via le système de gestion des ressources humaines. La décentralisation en soi est un avantage et elle est plus facile en matière de gestion des ressources humaines qu'en production de la paie.

Une véritable décentralisation passe par la gestion des ressources humaines
Qu'est-ce qui peut être décentralisé en gestion des ressources humaines outre les feuilles de présence et les communications nécessaires à la production de la paie, qui sont traditionnellement confiées aux chefs de service par le responsable de la paie des grandes entreprises?

Pour répondre à cette question, il suffit de faire l'inventaire des questions qui sont fréquemment posées au gestionnaire des ressources humaines par les chefs de service. En fait, le chef de service pourrait s'informer lui-même si ce renseignement était mis à sa disposition dans le réseau intranet de l'entreprise.

Commençons par un outil simple utilisé par le chef de service: le formulaire d'assignation temporaire. Lorsqu'un employé se blesse au travail, ce n'est pas le temps de chercher son formulaire et d'accabler l'employé blessé. Pourtant, par expérience, les gestionnaires des ressources humaines savent que, si l'employé quitte le travail sans son formulaire, la probabilité d'ouvrir un dossier de réclamation à la CSST est très élevée. Le lendemain, on risque fort en effet de ne pas joindre son médecin qui est le seul à pouvoir autoriser un travail adapté. L'informatisation en cette matière est très efficace.

Voyons un deuxième processus simple à décentraliser: l'appréciation du rendement pour les employés temporaires et pour les employés permanents. Non seulement la méthode est à l'écran, mais les propriétés des bases de données font aussi en sorte que toutes les informations de base (nom de l'employé, fonction, critères d'appréciation, etc.) s'inscrivent automatiquement sur le formulaire.

Un troisième outil simple à décentraliser est la boîte aux suggestions. Presque tous les patrons souhaitent écouter les suggestions des employés. Pourquoi ne pas utiliser l'ordinateur et traiter statistiquement le suivi de ces suggestions si précieuses?

Solution de rechange aux ERP
Il vaut mieux compter sur des systèmes séparés qui peuvent se parler. De cette façon, les gestionnaires des ressources humaines peuvent se procurer des systèmes simples, peu coûteux et proposer au comptable de communiquer avec la paie par mode d'exportation.

Trois choix difficiles:

  • acheter un système RH flexible;
  • décentraliser;
  • utiliser le système RH pour informer le système de la paie.

Quelqu'un pourrait-il réussir à concevoir un système de paie-ERP acceptable quant au nombre de méga-octets pour décentraliser les communications avec le responsable de la paie, voire pour y insérer de véritables modules de gestion des ressources humaines? Certaines grandes entreprises ont réussi cette opération en utilisant un ERP de Poeplesoft ou d'un autre gros fournisseur. Par ailleurs, nous n'y croyons plus pour l'entreprise de taille moyenne. Nous conseillons l'achat d'un système de gestion des ressources humaines flexible qui parle au système de paie, à cause des coûts de développement et du manque de flexibilité des systèmes ERP actuels.

Nous proposons de «faire d'une pierre trois coups»:

  • décentraliser l'entrée de données à la fois pour le responsable de la paie et pour le gestionnaire des ressources humaines;
  • intensifier la collaboration entre le service des ressources humaines et la comptabilité;
  • impliquer les chefs de service.

Pour décentraliser, il faut élaborer les formulaires à l'écran dans l'un ou l'autre des deux systèmes. Comme le système de paie est probablement déjà trop lourd pour y intégrer toutes les données dont le gestionnaire des ressources humaines a besoin, nous choisissons de concevoir les formulaires dans le système de gestion des ressources humaines tout en s'assurant que les systèmes vont pouvoir se parler.

Le système de paie procède par «importation» seulement pour les informations dont il a fréquemment besoin (arrivées et salaires, départs d'employés). La question n'est pas de savoir qui du responsable de la paie ou du gestionnaire des ressources humaines va réaliser l'importation. L'exportateur prépare la requête contenant les données requises et informe le récepteur de sa présence, alors que l'importateur vérifie l'information et réalise l'importation. L'effort est minime et partagé équitablement.

Pour les autres informations dont le responsable de la paie a besoin, c'est le poinçon électronique qui entre en jeu où le chef de service envoie par courriel le formulaire qu'il a rempli à l'écran dans le système de gestion des ressources humaines.

Une collaboration étroite entre PAIE et RH
Une des difficultés d'un tel changement d'approche provient du fait que le responsable de la paie a déjà l'habitude d'utiliser les numéros d'employés. Nous suggérons de les conserver. Le système de gestion des ressources humaines peut donner un numéro automatique «NO» à chacune de ses entrées (employé ou candidat). La flexibilité du système permettra des requêtes avec l'un ou l'autre (numéro d'employé ou NO).
La gestion des ressources humaines n'étant pas une science exacte, il importe de libérer le gestionnaire pour qu'il puisse se consacrer à son rôle de coach. Dans un système de paie déjà trop lourd, le gestionnaire des ressources humaines ne trouve jamais la flexibilité dont il a besoin pour opérer. Dans une optique de décentralisation RH, le rôle du gestionnaire devient :

  • un rôle de suivi des dates à retenir;
  • un rôle de coach.

Les dates à retenir sont aussi nombreuses dans un système de gestion des ressources humaines que dans un système de paie: date de probation, date d'arbitrage, date de consolidation, date de pré-retraite possible, date d'engagement à compléter une formation, etc. L'avantage de faire passer les ressources humaines avant la paie, c'est que le gestionnaire des ressources humaines va s'assurer d'obtenir l'information nécessaire au fur et à mesure de sa pertinence. La paie étant une science exacte, les dates de suivi de la paye seront à 95% incorporées dans la première ébauche des formulaires existants; c'est le gestionnaire des ressources humaines qui doit travailler avec un système flexible.

Un rôle de coach n'est possible que si le gestionnaire des ressources humaines peut se soustraire à la tâche d'entrée de données qui lui est trop souvent confiée de par la conception des ERP. La gestion RH stratégique n'est possible que si les chefs de service se partagent l'entrée de données. Si trop d'entrées de données sont confiées au gestionnaire des ressources humaines, celui-ci devient un bureaucrate.

Conclusion
Dans les entreprises de taille moyenne et petite, il faut arrêter de bâtir les modules de ressources humaines autour de la paie.

En effet, la décentralisation est plus facile en ressources humaines que dans la paie. L'ajout d'information requise par le système de gestion des ressources humaines pourrait théoriquement ralentir la production des données de la paie, mais la réalité est tout autre. L'entreprise accélère ainsi la production des données par la décentralisation et elle rapproche les comptables et le gestionnaire des ressources humaines.

Ressources humaines et comptabilité ont intérêt à travailler main dans la main. Ce n'est pas une question de savoir qui du gestionnaire des ressources humaines ou du comptable est le plus important, mais plutôt d'éviter d'alourdir encore davantage le système de paie et de laisser le gestionnaire des ressources humaines bénéficier du caractère impératif de la paie.

Robert Beaudoin, CRIA

Source : Effectif, volume 6, numéro 5, novembre / décembre 2003

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