Vous lisez : La gestion de soi

Il y a plusieurs tendances actuellement en gestion du personnel: certains préconisent la décentralisation tous azimuts, d'autres prônent le retour en force de l'autorité suprême et on parle aussi de plus en plus de nouvelles stratégies de coaching. Que faire? Essayer de suivre les tendances juste pour être dans le vent peut s'avérer suicidaire pour une société de services ou pour une entreprise manufacturière.

Avant de choisir une approche définitive dans le domaine de la gestion des ressources humaines, il est bon de se rappeler que ce sont avant tout les employés qui sont responsables de leur propre motivation et qu'ils doivent se suffire eux-mêmes. Ce constat est dur mais nécessaire! En effet, la motivation est personnelle, car elle relève d'une certaine maturité et de la discipline que l'on met dans sa vie.

Par ailleurs, une fois ce constat établi, il est nécessaire de comprendre que la structure organisationnelle a une influence majeure sur le comportement des employés. En effet, si un employé est motivé, mais ne peut se réaliser à cause de contraintes organisationnelles, il deviendra démotivé et, malgré toute la bonne volonté du monde, il ne parviendra pas à atteindre les objectifs qu'il s'est fixés.

Jan Carlzon explique dans son livre intitulé Renversons la pyramide que « le leader contemporain délègue ses responsabilités et son autonomie de chef traditionnel à ceux qui sont en contact permanent avec les réalités du terrain ». Il préconise que le « leader doit être un visionnaire, un stratège, un informateur, un pédagogue; en d'autres termes, l'inspirateur de son organisation ». À partir de ce modèle, on en conclut que, pour qu'une entreprise devienne optimale, elle doit laisser la place à ses acteurs principaux : ses employés…

Par contre, Judith Mair, une femme d'affaires allemande, affirme que « le travail n'est pas une partie de plaisir ». Elle préconise le retour en force de l'autorité suprême : le patron doit toujours avoir le dernier mot dans toutes les décisions de l'entreprise. Dans ce modèle, les qualités et les défauts du décideur auront tendance à faire croître ou à affaiblir l'entreprise. Toutefois, le peu de place laissé aux employés pourra accentuer le départ d'acteurs utiles, voire indispensables à l'évolution de l'entreprise.

Que faire?
Il faut donc revenir à la base: responsabiliser l'employé afin qu'il fasse le maximum d'effort; en retour, il sentira qu'il a son mot à dire et qu'il peut contribuer au succès de l'entreprise et en recevoir le crédit.

Comment faire pour atteindre cette plénitude dans la gestion courante des employés? En étant tout simplement le plus transparent possible! En effet, les employés privilégient les gestionnaires qui respirent la sincérité et qui transmettent de vraies valeurs.

Dans ce modèle simpliste, nous en convenons, il manque cependant une donnée : comment s'assurer que tous les employés partagent ces valeurs? Il est certain que la pression des pairs aura tôt fait d'avoir raison de l'individu qui veut faire cavalier seul. En effet, selon la théorie du voisin gonflable (qui s'explique par le fait que tous sont influençables et veulent imiter les autres), tout individualiste va vouloir imiter les plus performants et rejoindre de ce fait les rangs des initiés. C'est comme dans une équipe de hockey : le coach explique le système et tous doivent s'y engager sous peine de ne plus faire partie de l'équipe.

Alors, si c'est si simple, pourquoi les employés ne mettent-ils pas cette technique en pratique? Sans doute à cause d'un manque de discipline personnelle. Ainsi, tout le monde sait que le tabagisme et l'obésité sont néfastes pour la santé. Pourtant combien ont le courage de tenir le régime santé et d'écraser? On est pour la vertu, mais on manque de discipline personnelle pour atteindre les buts fixés.

Prenons l'exemple de la qualité totale: le principe consiste à bien faire du premier coup, en tout temps. Alors, pourquoi y a-t-il tant de différences dans la qualité? C'est que plusieurs impondérables humains interviennent dans le processus. Si une machine bien programmée donne toujours le même résultat, un être humain produit par contre des résultats en accord avec son état d'esprit du moment.

Donc, ce qu'il faut faire pour que tous atteignent les objectifs fixés, c'est être sûr de la compréhension des objectifs à atteindre. Et que faire si quelqu'un ne répond pas aux attentes? Il appartient alors au leader de revoir la situation avec la personne concernée, de la faire travailler, de la former et de l'informer, d'essayer encore une fois de la mettre sur la bonne voie. Si rien ne bouge, il faudra s'en séparer.

Toutefois, il revient aux gestionnaires de mettre en place un système qui permet la responsabilisation des employés. Analysons le modèle préconisé par Jan Carlzon en le complétant de divers témoignages d'acteurs qui ont mis en branle un système décentralisé.

Dans un premier temps, pour rassurer ceux qui doivent agir, il faut les convaincre que toute erreur donnera lieu à des conseils et non à une punition. Les mauvais choix doivent servir de point de départ à un enseignement de ce qu'il aurait fallu faire. Les bonnes décisions doivent être encouragées et citées en exemple.

En second lieu, pour que les décisions soient vraiment prises à la base même de l'entreprise, il faut créer un climat de confiance. Il faut donc revoir les politiques et la structure organisationnelle afin qu'elles s'adaptent à cette nouvelle réalité : les acteurs de premier plan ne sont plus dans le haut, mais bien au bas de la pyramide… C'est un changement de culture qui heurte les hauts dirigeants, mais qui a fait ses preuves. Les temps changent. « L'autorité n'est plus associée au poste mais au talent, et je n'ai pas tous les talents!, affirme Rémy Tremblay d'Adecco Canada, dans le numéro d'octobre 2003 de L'Actualité. Notre entreprise semble décentralisée… nous n'avons pas balancé l'autorité par-dessus bord; nous l'avons simplement partagée. »

Finalement il faut compter sur l'effet d'entraînement pour que ce système fasse boule de neige. « Beaucoup de gens ont parfaitement compris ce qu'on attend d'eux dans le système décentralisé. Ils sont devenus des entraîneurs d'équipe, qui traduisent les stratégies générales en conseils pratiques pour guider l'action individuelle de chacun, poursuit monsieur Tremblay. Ils créent les conditions nécessaires à la réalisation des nouvelles ambitions de l'entreprise. Ils apportent leur soutien, leurs encouragements et leurs critiques. »

En conclusion, le système décentralisé repose sur trois principes selon Jan Carlzon dans Renversons la pyramide.

Le premier est que « la direction générale définit une vision d'ensemble, des objectifs et l'orientation stratégique de l'entreprise. Ces décisions deviennent de ce fait des directives, mais elles ne préconisent aucune mesure particulière de mise en œuvre ».

Le second stipule que « les cadres gèrent la planification et allouent les ressources. Ils définissent tout ce dont l'entreprise a besoin pour réaliser la stratégie conçue par la direction générale ».

Le troisième concerne « le niveau actif de l'entreprise, i.e. le personnel sur le terrain. C'est à ce niveau que toutes les décisions nécessaires à l'activité individuelle doivent être prises. Ces décisions reflètent les objectifs et stratégies définis par la direction, seront conformes aux plans formulés et s'appuieront sur les ressources alloués.

La fonction de chef est ainsi transférée des sphères supérieures jusqu'au niveau actif de l'entreprise, où chacun sans exception est désormais son propre maître pour tout ce qui a trait à l'activité qui lui revient : lorsque des opportunités ou des problèmes se présentent, on dispose de l'autorité et des moyens nécessaires pour analyser la situation, prendre des mesures et veiller à leur exécution avec ou sans l'aide d'autres personnes. »
En somme, la gestion de soi est une question d'attitude et d'aptitudes, en ce sens que l'employé doit veiller à mettre en pratique les méthodes de travail décidées par le groupe de collègues de travail et les gestionnaires. Encore faut-il que chacun ait la latitude pour les mettre en pratique.

Il faut donc que l'employé se mobilise et détermine lui-même ses objectifs lors de la phase de la planification (le premier principe du PODC : planification, organisation, direction et contrôle). Par la suite, il devra organiser son travail. La direction et le contrôle de son travail lui incombent aussi puisque, dans une entreprise décentralisée, cette tâche lui appartient et que le gestionnaire n'a qu'a confirmer ou infirmer son jugement!

Comme on peut le constater, cette gestion de soi est influencée par l'environnement et l'organisation du travail qui appartient à la direction de l'entreprise. Mais elle part de soi. C'est une question d'éthique personnelle du travail. Comme l'a dit le dalaï-lama dans Sagesse ancienne, monde moderne : « Une conduite éthique positive découlant des qualités spirituelles favorables à la compassion, la première chose à faire est de cultiver une certaine discipline intérieure. Il s'agit là bien sur d'une entreprise majeure, mais du moins le principe nous en est-il familier. »

En résumé, mentionnons que, peu importe la structure organisationnelle mise en place par l'entreprise, il appartient à l'employé de se motiver convenablement afin d'être en mesure de répondre aux attentes de l'employeur. Si ce dernier facilite l'engagement des employés par sa gestion décentralisée, ceux-ci pourront s'épanouir davantage et devenir de plus en plus performants.

Le bonheur assuré pour tous…

Pier J. Sauriol, CRIA est président de Groupe Conseils CGW Inc.

Source : Effectif, volume 6, numéro 5, novembre / décembre 2003

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie