Vous lisez : Quand les assureurs s’en mêlent…

Épuisement professionnel, dépression, stress… Jamais auparavant les problèmes de santé mentale n'ont été aussi nombreux dans les entreprises. Résultat : le taux d'absentéisme monte en flèche et, avec lui, les dépenses reliées à l'invalidité et aux avantages sociaux. Inquiets de cette flambée des coûts, les assureurs ont resserré leur contrôle et ont conçu toutes sortes de services à l'intention des entreprises, espérant ainsi réduire la facture. Une décision qui n'est pas sans entraîner certains remous. Faisons un tour d'horizon de ce phénomène en pleine expansion…

En dix ans, soit de 1990 à 2000, le nombre de réclamations liées au stress, à l'épuisement professionnel et à d'autres facteurs d'ordre psychologique a doublé au Québec, passant de cinq cent trente à mille cinquante-neuf. Une augmentation qui a entraîné des déboursés de l'ordre de trois cents millions de dollars pour les assureurs, en 2001 seulement. Selon l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes (ACCAP), la situation est telle qu'environ 40% des prestations d'assurance invalidité s'expliquent par des problèmes de nature psychologique.

Dans les entreprises, l'augmentation des cas de problèmes de santé mentale s'est également soldée par un taux d'absentéisme record. Un phénomène qui coûte lui aussi très cher. Selon la Chaire de gestion en santé et sécurité du travail de l'Université Laval, le poids financier des problèmes de santé mentale atteignait, en 2002, environ quatre milliards de dollars.

Devant de tels déboursés, plusieurs employeurs ont choisi d'aborder le problème de front. Dans le réseau de la santé et des services sociaux par exemple, le Ministère orchestre depuis 2001 un plan anti-absentéisme. Même chose du côté du réseau des universités du Québec où, depuis 1999, on a mis en place une nouvelle approche de gestion de l'invalidité intégrant la réadaptation au travail. Aux prises avec un taux important d'absentéisme en lien avec des problèmes de santé mentale, Hydro-Québec s'est également penchée sur la question. En 2000, la société d'État interrogeait tous ses travailleurs sur les difficultés éprouvées au travail et mettait en place les moyens pour protéger, améliorer et optimiser leur santé mentale.

Suivi et contrôle serré

Excédées par la hausse constante des coûts en matière d'invalidité, les compagnies d'assurances se sont, elles aussi, questionnées sur leur façon de gérer les réclamations en lien avec les problèmes de santé mentale. Résultat, plusieurs font maintenant un suivi beaucoup plus étroit de ce genre de dossiers. Associé chez Lafond & Associés et consultant en assurances collectives depuis de nombreuses années, Gilles Cartier a été témoin de ce changement d'attitude de la part des assureurs. « Au cours des sept ou huit dernières années, j'ai vu les assureurs suivre de beaucoup plus près qu'auparavant les dossiers de réclamation pour troubles de santé mentale. Si un assuré manque un rendez-vous avec son médecin, néglige de prendre sa médication, oublie de fournir un rapport sur sa situation, il est rapidement ramené à l'ordre et, dans certains cas, on coupe même les prestations. »

Président du cabinet Conseillers en avantages sociaux SAGE, Denis Plante confirme lui aussi avoir senti un resserrement du marché en ce qui a trait aux réclamations d'assurance salaire. « Auparavant, les assureurs intervenaient surtout en invalidité de longue durée, c'est-à-dire après les dix-sept premières semaines de prestations. Aujourd'hui, ils interviennent beaucoup plus rapidement dans le processus. »

Pour Yves Therrien, conseiller en assurance collective et président du conseil d'administration du Regroupement des conseillers en avantages sociaux du Québec, l'affirmation ne se limite pas aux seuls cas de santé mentale. « L'augmentation majeure des coûts et du nombre de réclamations au cours des dernières années a rendu les assureurs plus prudents en ce qui a trait à l'ensemble des réclamations pour invalidité. Ils scrutent tout à la loupe. La contre-expertise est très présente. Évidemment, comme conseillers, nous avons la satisfaction de nos clients à cœur et nous ne sommes pas toujours d'accord avec l'assureur. Souvent nous devons jouer aux médiateurs. »

Les relations sont particulièrement tendues lorsqu'il s'agit d'invalidité de longue durée. Comme l'explique Gilles Cartier, la majorité des assureurs se battent fort pour ne pas franchir la ligne menant à l'arrêt prolongé de travail. « En invalidité de courte durée, il extrêmement difficile de contester l'avis d'un médecin qui juge qu'un patient est au bout du rouleau. Après dix-sept semaines, c'est une autre affaire. Nous faisons face de plus en plus à un refus de la part des assureurs. En fait, je dirais même que, très souvent, les assureurs vont commencer par refuser de payer et dire aux assurés : “Démontre-moi que ta situation justifie bel et bien un arrêt prolongé”. C'est un changement complet d'attitude. »

De telles situations pourraient, à terme, engendrer certains problèmes dans les entreprises. « Quand quelqu'un qui paie des primes depuis plusieurs années se voit refuser des prestations ou doit remplir plein de formalités pour pouvoir bénéficier de l'assurance salaire, ça soulève beaucoup d'interrogations, concède Denis Plante. Le danger, c'est que même ceux qui n'ont pas fait de réclamation commencent à douter de la bonne foi de l'assureur. Ce serait catastrophique. »

L'augmentation constante des primes connue par les entreprises au cours des dernières années n'aide absolument pas la cause. Du côté de Lafond & Associés, on affirme déjà discerner une insatisfaction grandissante parmi les employés de certains clients. « Quand quelqu'un voit augmenter, année après année, le montant qui lui est demandé et qu'il voit en même temps son collègue avoir de la difficulté à obtenir une compensation, il se demande s'il paie pour rien. C'est humain. »

Prévenir plutôt que guérir

Selon la directrice générale de l'information à l'ACCAP, Claude Distasio, l'attitude des assureurs demeure cependant justifiée. « En sept ans, soit de 1996 à 2003 seulement, le taux d'invalidité en lien avec des problèmes de santé mentale a grimpé de 10%. Les coûts sont énormes. Les employeurs sont inquiets. On se devait de mettre en place des mécanismes. »

La difficulté, explique Denis Plante, « c'est que, pendant des années, on a beaucoup laissé aller les choses et que certaines personnes mal intentionnées en ont profité. Heureusement, ajoute-t-il cependant, beaucoup d'assureurs ont choisi d'agir positivement plutôt que de simplement exercer un contrôle. Ils ont choisi de prévenir plutôt que de guérir et même d'avoir recours à des spécialistes pour y arriver lorsque c'est nécessaire. »

Gestion de l'invalidité, de l'absentéisme, du retour au travail… Bien que se présentant sous diverses appellations, les services offerts par les assureurs, après un rapide tour d'horizon, font constater que rares sont les compagnies d'assurances qui n'ont pas pris un nouveau virage en matière d'assurance salaire. Chez Standard Life par exemple, on offre une formation en matière de gestion de l'absentéisme à tous les preneurs de régime. D'autres, comme SSQ ou Desjardins Sécurité financière organisent des sessions d'information sur les maladies les plus courantes, rappellent les bienfaits de l'exercice physique, etc.

Les programmes d'aide aux employés n'ont jamais non plus été aussi nombreux dans les entreprises selon Yves Therrien. « De plus en plus, on mise sur la prévention, la prise de conscience. On essaie de faire en sorte que les gens aient accès facilement à des ressources qui pourront les aider. On cherche à éviter l'invalidité à tout prix. »

Le retour progressif au travail et l'accompagnement des travailleurs, que ce soit par des psychologues, des conseillers en emploi ou des ergothérapeutes, sont aussi de plus en plus répandus. Dans certains cas, précise Claude Distasio, « les assureurs se sont construit de véritables réseaux parallèles de soins pour permettre que les dossiers progressent et que les personnes qui sont en arrêt de travail puissent réintégrer leur travail le plus rapidement possible. »

Des choix payants? L'efficacité et les économies engendrées par de telles mesures ne font pas l'unanimité. Plusieurs les voient cependant d'un bon œil. À l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, on estime par exemple que l'affectation temporaire à elle seule permet de sauver deux à trois fois ce qu'un arrêt de travail normal en coûterait à un employeur. Dans un même ordre d'idées, le chiffre le plus connu veut que, pour 1$ d'investissement dans un programme d'aide aux employés, une entreprise économise entre 5 $ et 15 $, que ce soit en médicaments, invalidité ou autres.

Chez Solareh, une firme spécialisée en gestion de l'invalidité, on affirme aussi que les résultats obtenus sont probants. « Nous n'avons pas de chiffres exacts, mais le simple fait que l'intervention sur la courte durée et la prévention permettent d'éviter l'invalidité de longue durée permet de croire que les économies sont réelles », précise le président de l'entreprise Bernard Dalbec.

Guylaine Boucher est journaliste indépendante.

Source : Effectif, volume 6, numéro 4, septembre / octobre 2003

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