Vous lisez : Les recours judiciaires en matière de harcèlement psychologique

Les problèmes de santé mentale au travail et la détresse associée au harcèlement psychologique constituent une problématique extrêmement complexe dont on commence à peine à constater l'ampleur. Il est encore à ce jour difficile de déterminer avec précision l'étendue de ces problèmes et leurs répercussions sur le marché du travail et sur les entreprises québécoises. Toutefois, il est à prévoir que le harcèlement psychologique au travail demeurera un sujet d'actualité qui sera au cœur des débats sociaux et la source de plusieurs recours juridiques dans les années à venir.

Certaines recherches, entre autres Le rapport du comité interministériel sur le harcèlement psychologique au travail (mai 2001) et Une stratégie de prévention du harcèlement psychologique au travail et de soutien aux victimes présentée au Ministre d'état, aux ressources humaines et au travail et Ministre du travail, M. Jean Rochon, par le comité interministériel sur la prévention du harcèlement psychologique et le soutien aux victimes (février 2003), ont en effet souligné la hausse importante des problèmes de santé mentale tant au niveau des gestionnaires que des employés dans les entreprises québécoises. Selon ces études, cette hausse alarmante de détresse psychologique chez les travailleurs pourrait être attribuable entre autres à l'augmentation des critères de performance, d'efficacité et de compétition qui prévalent désormais sur le marché du travail. Selon certains experts, l'environnement de travail ainsi que les conditions dans lesquelles le travail est exécuté sont souvent à l'origine d'une augmentation des problèmes de santé mentale et du stress.

Les conséquences sur les entreprises ainsi que le coût engendré par cette augmentation de problèmes liés au stress et au harcèlement psychologique au travail sont alarmantes. En effet, la hausse des problèmes de santé mentale entraînera inévitablement une augmentation entre autres de l'absentéisme, une baisse de productivité, des départs à la retraite prématurés ainsi que des cotisations accrues à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

Plus spécifiquement, soulignons que les réclamations et indemnisations faites à la CSST pour des lésions psychiques ont considérablement augmenté. Le nombre de lésions indemnisées est passé de 530 à 994 entre 1990 et 1997. Les déboursés annuels en indemnité de remplacement du revenu ont augmenté de 1,5 à 5,1 millions de dollars, alors que le nombre de lésions professionnelles a pourtant diminué au cours de cette période de 207 127 à 119 994. Mentionnons que le harcèlement psychologique ne représente qu'une des causes possibles de lésions psychologiques.

Les recours disponibles

Même si, de l'avis de tous, la prévention du harcèlement est nettement préférable à la réparation, il est essentiel d'analyser les mécanismes de réparation dans l'éventualité où le système de prévention du harcèlement psychologique d'une entreprise ferait défaut.

De façon générale, l'entreprise a l'obligation, en vertu du contrat de travail, de protéger la santé, la sécurité et la dignité de ses salariés. Ce devoir général est d'ailleurs codifié à l'article 2087 du Code civil du Québec, à l'article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne de même qu'à l'article 12 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.

Un travailleur qui se croit victime de harcèlement psychologique dans son milieu de travail bénéficie de plusieurs recours statutaires.

D'une part, il peut, tout d'abord, s'adresser à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. En effet, l'article 10 de la Charte prohibe tout harcèlement dans la mesure où celui-ci est associé à l'un des motifs suivants: la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale ou le handicap.

Il est important de noter que ce recours est uniquement réservé aux travailleurs victimes de harcèlement psychologique fondé sur l'un de ces motifs. À défaut, il ne peut être question de harcèlement discriminatoire au sens de la Charte et la Commission des droits de la personne ne peut enquêter sur une telle plainte.

D'autre part, le travailleur peut déposer une plainte auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. En effet, la détresse psychologique causée par le harcèlement psychologique peut, dans certains cas, entraîner un diagnostic d'accident du travail ou de maladie professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Le travailleur a cependant le fardeau de convaincre la CSST que son état de santé psychologique est relié directement à son travail et à des événements précis. En effet, il ne bénéficie d'aucune présomption, puisque le harcèlement psychologique ne constitue pas une blessure ou une maladie professionnelle au sens de la LATMP.

Enfin, le travailleur victime de harcèlement psychologique, mais qui n'est pas admissible aux recours en vertu de la Charte ou de la LATMP, peut toujours intenter une action civile contre son employeur. Cependant, ce recours est coûteux et long et, par conséquent, rarement utilisé par les travailleurs.

Les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail

En décembre 2000, l'assemblée nationale sanctionnait la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d'autres dispositions législatives, qui a eu notamment pour effet d'incorporer la notion de harcèlement psychologique à la Loi sur les normes du travail. Il ressort de ces nouvelles dispositions qu'à compter du 1er juin 2004, les travailleurs qui se croient victimes de harcèlement psychologique bénéficieront d'un tout nouveau recours prévu dans les articles 123.6 à 123.16. Pour la première fois, une définition du harcèlement psychologique a été donnée par le législateur. Le harcèlement psychologique se définit comme une conduite vexatoire qui se manifeste par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, et qui portent atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié entraînant pour celui-ci un milieu de travail néfaste (article 81.18).

Les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail prévoient le droit de tout salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. En contrepartie, elle prévoit l'obligation pour l'entreprise de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, de la faire cesser.

Une des particularités de ce nouveau recours est que les dispositions concernant le harcèlement psychologique sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective. Pour les travailleurs couverts par une convention collective, l'arbitre de grief aura donc juridiction pour interpréter les dispositions prévues à la Loi sur les normes du travail dans le cadre d'une mésentente reliée au harcèlement psychologique en milieu de travail. En l'absence d'une convention collective, le même recours s'exercera par l'intermédiaire d'une plainte contre l'employeur à la Commission des normes du travail.

Sur réception d'une telle plainte, la Commission devra enquêter avec diligence. Elle pourra, en tout temps au cours de l'enquête, et ce, avec l'accord des parties, demander au ministre du Travail de nommer un médiateur. Dans l'éventualité où la Commission déciderait de donner suite à la plainte pour harcèlement psychologique, elle la soumettra directement et sans délai à la Commission des relations du travail pour audition.

Lors d'une audition, le travailleur qui se croit victime de harcèlement psychologique devra assumer le fardeau de cette preuve, selon la balance des probabilités. Cependant, il sera très important pour l'employeur de faire une enquête minutieuse afin de connaître tous les éléments inhérents au prétendu harcèlement psychologique.

La Commission des relations du travail et l'arbitre disposeront de pouvoirs discrétionnaires très étendus dans le cadre d'une plainte déposée pour harcèlement psychologique. En effet, le harcèlement psychologique étant une notion floue pouvant amener des situations parfois difficiles à régler, la Commission et l'arbitre pourront rendre toute décision qui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire. Elle pourra entre autres ordonner à l'employeur de :

  • réintégrer le salarié;
  • verser au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalent à un salaire perdu;
  • prendre les moyens nécessaires pour faire cesser le harcèlement;
  • verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;
  • verser au salarié une indemnité pour perte d'emploi;
  • financer le soutien psychologique requis par le salarié pour une période raisonnable qu'elle détermine;
  • modifier le dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique. (article 123.15 L.N.T).
Conclusion

Même si les dispositions visant la protection contre le harcèlement psychologique n'entreront en vigueur que le 1er juin 2004, toute entreprise a intérêt à implanter dès maintenant des programmes de sensibilisation et de prévention. À titre d'exemple, l'implantation d'une politique en matière de harcèlement psychologique pourrait être envisagée. Un tel programme permettra à l'entreprise de démontrer sa bonne foi et son approche proactive pour conserver un environnement de travail exempt de tout harcèlement.

Les pouvoirs conférés à la Commission des relations du travail et à l'arbitre de grief exposent les entreprises à des ordonnances dont les conséquences seront parfois très difficiles à gérer. Pensons simplement au financement par l'entreprise du soutien psychologique du travailleur qui peut être ordonné par le tribunal. Une intervention tardive en matière de harcèlement psychologique pourra non seulement entraîner un litige, mais également envenimer le climat de travail et entraîner des coûts financiers importants tant sur le plan de la gestion quotidienne de l'entreprise qu'en ce qui a trait à l'image de l'entreprise dans l'industrie en général. Il est donc primordial d'agir dès maintenant en sensibilisant et en formant le personnel sur les différentes formes de harcèlement psychologique ainsi que sur leur prévention. En agissant de la sorte, l'entreprise sera mieux à même de se défendre, le cas échéant, à l'égard d'un litige impliquant le harcèlement psychologique.

Me Isabelle Blais et Me Rhéaume Perreault, CRHA de chez Heenan Blaikie, s.r.l.

Source : Effectif, volume 6, numéro 4, septembre / octobre 2003

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