Vous lisez : La santé mentale au travail : s’attaquer aux sources du problème

La santé mentale dans les mondes du travail est en danger! En effet, les problèmes de santé mentale sont de plus en plus fréquents. Selon le Bureau international du travail (BIT), un travailleur sur dix souffre de dépression, d'anxiété, de stress ou de surmenage et risque, de ce fait, l'hospitalisation et le chômage. Le coût social et organisationnel est considérable : ainsi, les problèmes de santé mentale ont coûté entre 3 % et 4 % de leur PIB aux pays de l'Union européenne. Aux États-Unis, les dépenses publiques associées à la dépression se situent entre trente et quarante-quatre milliards de dollars. Selon une étude de Santé Canada, en 1998, le fardeau total de 14,4 milliards de dollars a fait des problèmes de santé mentale l'une des maladies les plus coûteuses au pays. Dans cette même étude, la perte de productivité associée à la dépression et à la détresse à court terme a été évaluée à six milliards de dollars. Au Québec, les indemnités versées par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) associées à la dépression, à l'anxiété et à d'autres problèmes de santé mentale ont grimpé de 1,5 milliard en 1990 à 5,3 milliards en l'an 2000.

Ainsi, si, d'un côté, il y a de plus en plus de travailleuses et de travailleurs déprimés, surmenés, angoissés, stressés, anxieux, de l'autre, les employeurs perdent énormément d'argent en raison de l'augmentation de l'absentéisme, des primes d'assurance, des frais d'avocats, des frais associés à la dotation, à la formation, sans mentionner l'argent perdu à cause de la baisse de la productivité et des profits. C'est une situation où tout le monde est perdant. Peut-on supporter une telle réalité?

La santé mentale

La frontière entre le normal et le pathologique est parfois ténue. Plusieurs études ont déjà démontré que ce que l'on juge anormal dans une société à un moment donné n'est pas nécessairement considéré comme tel dans d'autres sociétés ou à une autre période. Le philosophe français Michel Foucault nous montre, dans L'histoire de la folie, comment le concept de la folie est associé à la transgression des normes établies par la société et comment ce concept s'est transformé au fil de l'histoire.

L'anthropologue Ruth Benedict nous a bien démontré que les conduites mégalomanes étaient considérées comme tout à fait normales parmi les Kwakiutls (à Vancouver). Il faut donc comprendre que nous sommes sur le fil du rasoir en ce qui concerne le normal et le pathologique au travail. D'ailleurs, le concept même de « santé mentale » reste encore controversé. Toutefois, il est généralement admis que la santé mentale va au-delà de la simple absence de troubles mentaux.

Selon le Comité de la santé mentale du Québec (CSMQ), la santé mentale peut être définie comme l'état d'équilibre psychique d'une personne, à un moment donné, et qui peut être apprécié à l'aide de trois éléments: le niveau de bien-être subjectif, l'exercice des capacités cognitives (on peut ajouter ici les capacités émotives et relationnelles) et la qualité des relations avec l'environnement. De plus, cet état d'équilibre serait le résultat des interactions dynamiques entre des facteurs biologiques, psychologiques et contextuels. La santé mentale est influencée par des conditions multiples et interdépendantes telles que les conditions économiques, sociales, culturelles, environnementales et politiques. Ainsi, toute condition qui peut nuire à l'adaptation réciproque entre la personne et son milieu constitue un obstacle à sa santé mentale. À l'inverse, toute condition qui peut faciliter cette adaptation réciproque favorise et soutient la santé mentale.

Donc, il nous reste à préciser comment les mondes du travail vont contribuer à favoriser ou non ce processus d'adaptation entre la personne et son milieu.

La santé mentale au travail

Le milieu de travail a un impact important sur la santé mentale. D'une part, il peut être un facteur structurant, source de plaisir et de bien-être psychologique; d'autre part, il peut être une source de déstructuration, de souffrances et de problèmes de santé physique et mentale.

En effet, le travail joue un rôle important dans la promotion de la santé mentale. Il structure et organise la vie de la personne sur le plan temporel (par exemple, se lever à heure fixe pour arriver au travail à temps). Le travail est aussi une source importante de socialisation et il joue un rôle primordial dans la formation de l'identité. Freud remarque que les deux sources les plus importantes de la formation de l'identité sont les relations amoureuses et le travail. À travers le travail, on peut aussi contribuer à la vie en société en produisant des biens et des services.

Aujourd'hui, malgré toutes les transformations qu'il a subi, le travail occupe encore une place centrale dans la vie des personnes. Le travail leur permet de (sur)vivre, de planifier leur vie et celles de leurs enfants. Lorsque le travail disparaît, il n'est pas seulement question de détresse économique, mais aussi d'un ensemble de facteurs dont l'image de soi, le sens du travail, les sentiments d'injustice et d'indignité.

Malheureusement, parfois, l'organisation du travail, la gestion, les conditions de travail rendent inopérant ce rôle important de structuration et de promotion de la santé mentale joué par le travail.

Le travail et les problèmes de santé mentale

Certes, le travail n'est pas la seule cause des problèmes de santé mentale, mais en raison de sa place privilégiée dans la vie des individus, comme nous venons de le souligner, il en devient une source importante. D'ailleurs, la plupart des études scientifiques s'entendent sur un ensemble de causes que nous allons rassembler en trois groupes: le contexte organisationnel, l'organisation du travail et les conditions de travail. Toutefois, il faut remarquer qu'il serait impossible de traiter ici de tous les facteurs; nous allons donc indiquer seulement quelques-uns des « ingrédients » qui contribuent aux problèmes de santé mentale au travail.

Le contexte organisationnel

Ce groupe comporte tous les aspects associés à la culture organisationnelle, aux différentes formes de violence, aux rôles dans l'organisation et à la gestion des carrières.

Une culture organisationnelle axée sur le court terme, sur le culte de l'excellence, sur la compétition ne laisse pas de marge de manœuvre pour le développement des groupes informels, de la solidarité entre les membres de l'organisation. Ces traits culturels sont problématiques, car une telle culture rend difficile le développement du soutien social. Le soutien social au travail désigne toute interaction sociale qui apporte une aide ou une reconnaissance de la part des supérieurs ou des collègues. Le soutien social est aussi à l'origine de la formation des collectifs de travail. La recherche démontre que le soutien social agit comme un amortisseur, en atténuant les problèmes de santé mentale.

Une culture qui tolère la violence, l'iniquité et l'injustice est aussi propice aux problèmes de santé mentale. Toutes les formes de violence, quelle que soit leur gravité, affectent la santé mentale de la personne ciblée par la violence. De plus, si les effets de la violence sont ignorés, les problèmes de santé risquent fort de dégénérer en maladies dites d'adaptation ou d'engendrer l'alcoolisme, la toxicomanie; ils peuvent même aller jusqu'à provoquer des accidents du travail ou être à l'origine d'invalidités, voire de suicides au travail. Un professionnel qui avait connu la violence au travail, a confié: « Je souffrais tellement que je m'étais créé un plan de suicide dans mon bureau, pour laisser mon cadavre à ceux qui m'ont fait souffrir. J'étais tanné ». Son médecin de famille l'a mis en congé et, ce faisant, lui a sauvé la vie.

En ce qui concerne la violence, il faut rappeler que ses effets ne touchent pas seulement la personne qui en a été la cible, mais qu'ils atteignent souvent aussi les témoins et d'autres personnes qui n'étaient même pas présentes. Donc, la violence a pour effet de contaminer le lieu de travail, la famille de la personne ciblée ainsi que la communauté et d'y engendrer des problèmes de santé mentale.

Les rôles peuvent aussi être à la source de problèmes de santé mentale. Par exemple, quand les rôles dans une organisation ne sont pas bien définis, il se produit fréquemment de l'ambiguïté de rôle — la personne n'est pas certaine de ce qu'on attend d'elle — ou des conflits de rôle. Prenons par exemple le cas d'une personne, madame X, qui reçoit des ordres contradictoires de ses supérieurs. Son supérieur hiérarchique direct n'est pas le chef de son équipe, ni même le supérieur immédiat du chef de l'équipe. Madame X reçoit donc les ordres de son supérieur immédiat et de son chef d'équipe et ces ordres sont parfois contradictoires ou incompatibles. Que doit-elle faire?

Finalement, on trouve, dans ce groupe de causes qui menacent la santé mentale, des facteurs associés à la gestion de la carrière. C'est le cas lorsque les chances de développement de carrière et des compétences sont incertaines, lorsqu'une personne a l'impression que sa carrière piétine ou qu'elle ressent de l'insécurité en raison de restructurations et de licenciements.

L'organisation du travail

Ce groupe inclut un grand nombre de facteurs associés aux problèmes de santé mentale. En premier lieu, la surcharge de travail qui peut être soit quantitative — il y a beaucoup de choses à faire, de tâches à accomplir, dans un laps de temps trop restreint ou avec peu de ressources —, soit qualitative — la personne sent qu'elle n'a pas les compétences nécessaires pour accomplir son travail ou que les exigences de productivité sont trop élevées.

Selon une étude réalisée pour l'Ordre des psychologues du Québec, auprès de ses membres œuvrant dans des programmes d'aide aux employés (PAE), quatre des cinq principaux motifs de consultation sont reliés au travail: la surcharge de travail (18%), les problèmes avec les patrons (12,6%), les problèmes associés à l'adaptation au travail (8,9%) et les problèmes relationnels avec les collègues (8,6%).

Il faut remarquer que, lorsqu'on parle de charge de travail, on pense souvent à la charge physique et mentale. Mais il ne faut surtout pas oublier la charge émotionnelle du travail, car le travail, surtout dans le secteur des services, demande fréquemment une certaine gestion de l'expression des émotions. La sociologue américaine Arlie Hochschild a défini cette gestion des émotions comme étant le travail émotif, c'est-à-dire la compréhension, l'évaluation et la gestion de ses propres émotions ainsi que des émotions d'autrui. En introduisant le concept de charge émotionnelle, on peut comprendre, par exemple, l'épuisement ressenti dans un hôpital par une personne qui a passé toute la journée à parler avec des patients mourants et avec leurs familles, même si son travail ne lui a demandé que peu d'effort physique.

Cette charge émotive reste encore invisible dans une grande partie des recherches sur la santé mentale. C'est ainsi que les compétences nécessaires à l'accomplissement du travail émotif ne sont pas reconnues. Toute cette dimension émotive introduit certes une complexité dans les analyses du travail et dans leurs rapports avec la santé physique et mentale. Mais elle rend possible une compréhension plus juste du travail, de l'organisation et de la santé au travail.

L'autonomie décisionnelle est sans doute l'un des facteurs qui recueille le plus large consensus dans les études sur la santé mentale. Plus il y a d'autonomie, plus les personnes se sentent responsables de la production, mieux elles se portent mentalement. C'est aussi la base du modèle « demande-autonomie au travail » de Robert Karasek. La thèse centrale de ce modèle est que les situations de travail qui se caractérisent par une combinaison de demandes psychologiques élevées et d'autonomie décisionnelle faible augmentent le risque de développer un problème de santé physique (problèmes cardiovasculaires ou musculo-squelettiques) ou mentale (dépression, épuisement professionnel). Dans ce modèle, les demandes psychologiques font référence à la quantité de travail à accomplir ainsi qu'aux exigences mentales et aux contraintes de temps liées à ce travail. D'autre part, l'autonomie décisionnelle est définie comme la capacité de prendre des décisions dans son travail, d'être créatif ainsi que d'utiliser et de développer ses compétences.

Une autre source de problèmes de santé mentale peut être l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de communication (NTIC). Dans ce cas, il faut prendre en considération la dualité dans l'utilisation des NTIC, souligné par Shoshana Zuboff, professeure à Harvard. En effet, les NTIC peuvent être utilisées selon une logique qui vise à remplacer l'être humain dans le processus productif ainsi qu'à augmenter le contrôle et la déqualification des travailleuses et des travailleurs. En ce sens, on vise l'automatisation du processus productif, où l'introduction de nouvelles technologies renforce la logique productive qui était déjà en place. D'autre part, les NTIC peuvent être utilisées de manière à générer des informations sur le processus productif et administratif et à proportionner ainsi une transparence des activités et un réarrangement de la nature du travail. Dans ce cas, on vise l'informatisation du travail où les nouvelles technologies servent à créer une nouvelle logique de production axée sur l'information et sur les compétences des travailleurs.

Si on utilise les NTIC dans une logique d'automatisation, les conséquences pour la santé mentale seront néfastes tandis que, dans une logique d'informatisation où l'on privilégie une plus grande autonomie des personnes, les effets sur la santé mentale ne seront pas les mêmes.

Cependant, il reste des aspects qui sont encore très problématiques, indépendamment de l'objectif fixé dans l'application des NTIC. Ces aspects ont été soulevés dans une étude suédoise, devenue classique, conduite par Gunn Johansson et Gunnar Aronsson. Un de ces aspects est le fait que la réalisation du travail dépend des systèmes informatiques. En ce sens, une secrétaire affirme: « Lorsque mon ordinateur brise, je brise moi aussi ». C'est ainsi que les pannes de système constituent une source importante de tension mentale. Pendant ces pannes, le taux d'adrénaline, la pression artérielle et les battements cardiaques sont plus élevés que dans les conditions habituelles de travail. Les pannes de système signifient non seulement que les services ne seront pas livrés dans le délai fixé, mais aussi que le travail s'accumule pendant ce temps.

Un autre aspect est le temps de réponse du système qui exerce une influence sur la détresse psychologique des personnes qui utilisent les systèmes automatisés. Le temps de réponse est toujours variable et, lorsqu'il est plus long, on ne peut pas savoir si le « silence » est provoqué par une surcharge du système ou par une panne et cette incertitude est aussi une source de détresse pour l'individu.

Finalement, un dernier facteur, associé à l'organisation du travail, qui a un impact important sur la santé mentale est le degré de participation des employés aux différents niveaux de la gestion et de la prise de décision. Par exemple, à partir d'une revue de la littérature sur les changements organisationnels en Suède, la psychologue Gunnela Westlander a démontré que, plus la personne peut influencer le processus, plus il y a de chances qu'elle soit satisfaite. Elle a aussi constaté qu'il y a une amélioration des conditions de santé des personnes seulement lorsqu'elles participent au processus.

En ce qui concerne l'organisation du travail, plusieurs autres sources de problèmes pourraient être citées: la monotonie, la standardisation excessive des tâches, le travail auprès de la clientèle, la rémunération au rendement, l'isolement social, le travail avec les agents neurotoxiques. Il s'agit ici d'aspects parmi tant d'autres et la liste est encore longue.

Les conditions de travail

Dans ce troisième groupe, nous traiterons particulièrement des aspects associés à la dimension temporelle du travail. L'aménagement du temps constitue en effet l'un des éléments essentiels des conditions de travail. Selon une étude de la Confédération des employés professionnels de Suède, 40% de ses membres sautent régulièrement leur repas. De plus, 65% d'entre eux estiment manquer de temps pour accomplir leurs tâches adéquatement. Depuis les années 1990, avec tous les bouleversements majeurs (précarisation de l'emploi, restructurations et changements organisationnels incessants, différents styles de gestion avec leurs gourous), on assiste non seulement à une intensification du travail, mais aussi à une densification du temps de travail. Autrement dit, on demande aux personnes de faire plus avec moins. On veut que toute la période de temps pendant laquelle elles sont au travail soit du temps de travail. Tout cela dans un contexte où elles ne peuvent envisager leur avenir professionnel qu'à court terme.

Il faut aussi noter que les nouvelles technologies introduisent une autre dimension, soit le contrôle du temps de travail. Par la surveillance électronique (par exemple dans les centres d'appels, dans les supermarchés), les activités et le temps accordé à chaque tâche sont enregistrés. De cette manière, les heures de travail sont contrôlées d'une façon rigoureuse: la période du repas, les pauses, le moment de l'entrée au travail et même le temps d'utilisation des toilettes peuvent être surveillés.

Selon le philosophe français Michel Foucault, cette discipline rigide du temps pose « le principe d'une utilisation théoriquement toujours croissante du temps: exhaustion plutôt qu'emploi; il s'agit d'extraire du temps, toujours davantage de forces utiles. Ce qui signifie qu'il faut chercher à intensifier l'usage du moindre instant, comme si le temps, dans son fractionnement même, était inépuisable; ou comme si, du moins, par un aménagement interne de plus en plus détaillé, on pouvait tendre vers un point idéal où le maximum de rapidité rejoint le maximum d'efficacité ».

Mentionnons aussi les horaires de travail irréguliers (fin de semaine, de nuit, etc.). Selon Statistique Canada, en 2000-2001, 30% des hommes et 26% des femmes âgés de 18 à 54 ans qui avaient travaillé toute l'année n'avaient pas un horaire normal de jour et cette situation n'a pas été choisie, c'est une exigence de l'emploi. Environ 25% d'entre eux effectuaient un quart de soirée ou de nuit. Le quart rotatif et le quart irrégulier représentaient les modalités de travail par quarts les plus fréquentes, chacune ayant été mentionnée par environ quatre travailleurs sur dix. Il faut savoir que le travail par quarts suscite plusieurs problèmes, allant de troubles du sommeil à des problèmes d'intimité, en passant par une augmentation du niveau de détresse psychologique.

Finalement, les horaires de travail ont un effet direct sur la conciliation travail-famille. Encore une fois, des tensions ou des difficultés de conciliation entre le travail et la vie personnelle peuvent avoir des conséquences négatives sur la santé mentale.

Selon une étude ergonomique menée par Karen Messing et Joanne Prévost auprès de téléphonistes à Montréal, l'organisation de la garde des enfants présente une difficulté inimaginable en raison d'un horaire de travail très irrégulier et, de surcroît, peu prévisible. Durant les quatorze jours de l'étude, les trente téléphonistes impliquées ont fait cent cinquante-six démarches pour échanger leur horaire de travail avec des collègues ou pour tenter d'obtenir une modification. Deux personnes en ont fait vingt-deux en quatorze jours! Pendant la même période, ces trente téléphonistes ont rapporté deux cent douze démarches d'arrangement de garde. L'une d'elles en a même fait jusqu'à trente-six! Il faut préciser que ces arrangements couvrent exclusivement des périodes de travail. Cette situation peut donc constituer l'une des causes d'un grand désarroi, puisque 68,5% des téléphonistes de sexe féminin se situent dans une catégorie de détresse psychologique élevée, alors que cette proportion est de 33% dans une population comparable à l'échelle du Québec.

Conclusion

Il faut comprendre qu'il est impossible de traiter dans ce dossier de tous les aspects du travail qui ont un effet négatif sur la santé mentale. D'autant plus que tous les facteurs présentés peuvent avoir des effets synergiques qui auront également un impact sur la santé mentale des personnes. Nous n'avons pas non plus traité des points aussi très importants, comme les différences entre les hommes et les femmes en matière de santé mentale: ainsi, on sait que, dans les situations de détresse, les hommes s'isolent tandis que les femmes se tournent vers les autres pour demander de l'aide. Ces différences peuvent peut-être nous aider à comprendre le taux de suicide plus élevé chez les hommes…

Certes, le travail n'est pas la seule cause des problèmes de santé mentale dans les organisations. Comme dans le cas de l'utilisation des nouvelles technologies de l'information, le travail possède aussi un caractère dual en ce qui concerne ses rapports avec la santé mentale. En même temps qu'il peut structurer, être source de plaisir, il peut aussi causer des souffrances et déstructurer la vie psychique des personnes. Nous avons souligné, en partant, cet effet structurant du travail. Cependant, les statistiques et les facteurs présentés ici semblent nous indiquer que les choix sont faits, dans la plupart des cas, du côté de la déstructuration, de la souffrance.

Toutefois, il est important de comprendre que ce n'est pas une fatalité. À notre avis, le problème apparaît lorsque les organisations essaient de nier l'existence du problème et d'utiliser comme bouc émissaire les différences individuelles des personnes (le sexe, l'âge, la personnalité, l'ethnie, etc.). Sans aucun doute, il existe des organisations qui prennent en main les problèmes, mais il faut aussi se rendre à l'évidence que d'autres adoptent encore l'idéologie du « travailleur kleenex »: on l'use jusqu'au bout avant de le jeter et d'en prendre un nouveau dans la boîte.

Le problème réside aussi dans l'utilisation des approches du type « Tylenol » qui soulagent temporairement les symptômes du problème sans toutefois éliminer l'infection qui provoque ces symptômes. Il est évident que le résultat obtenu est éphémère. Dans cette lignée, nous trouvons par exemple, les programmes de gestion de la présence pour s'attaquer à l'absentéisme. Or, l'absentéisme est un symptôme organisationnel et non la source du problème.

Un autre ensemble de stratégies « Tylenol » inclut toutes les approches associées à la gestion individuelle du stress: techniques pour gérer son stress, massothérapie, médecine naturelle, etc. Dans tous les cas, ces techniques peuvent aider; le seul hic consiste à penser qu'elles résoudront le problème. La personne peut très bien apprendre toutes les techniques pour gérer son stress, si la culture organisationnelle ou l'organisation du travail ne lui donnent pas une marge de manœuvre pour mettre ces techniques en application, nous demeurons très sceptique quant à leur efficacité. Encore une fois, on soulage sans éliminer la source du problème, mais avec un facteur aggravant: le risque de culpabiliser la personne qui ne sait dire non ou qui ne sait gérer son stress convenablement.

Un autre danger est celui de croire que le programme d'aide aux employés sera capable de résoudre le problème. On dirige la personne vers le PAE et on a la conscience tranquille. Les PAE sont des ressources importantes, mais ils ont leurs limites. Le nombre de séances limité pour l'aide psychologique en est un exemple. Il faut aussi comprendre que, lorsque la personne a besoin du PAE, le mal est déjà fait. La personne et l'organisation ont déjà souffert des conséquences. De plus, selon l'étude réalisée pour l'Ordre des psychologues du Québec, 21% des personnes qui consultent les psychologues œuvrant dans des PAE avaient trop attendu pour demander de l'aide et 55% avaient besoin d'aide immédiate.

Nous jugeons donc important de réfléchir sur la façon dont la gestion peut promouvoir la santé mentale au travail. Il n'y a pas de recette miracle. Il faut s'attaquer aux sources du problème: l'organisation du travail, la culture organisationnelle, les conditions de travail, en misant sur les valeurs sûres: le respect, la confiance, la justice, l'équité, la participation et surtout la prévention.

Angelo Soares, CRHA est professeur au département d'organisation et ressources humaines à l' Université du Québec à Montréal et chercheur au CINBIOSE.

Source : Effectif, volume 6, numéro 4, septembre / octobre 2003

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