Vous lisez : Les options d’achat d'actions : la nouvelle réalité

Depuis plusieurs années déjà, les régimes d'options d'achat d'actions ont suscité un intérêt marqué chez ceux qui en ont bénéficié, les actionnaires et le grand public. Les médias ont naturellement tiré profit du sensationnalisme inhérent à ce sujet controversé et ont, par le fait même, attisé davantage les passions.

Durant les meilleures années des marchés boursiers, les actionnaires acceptaient qu'un dirigeant d'entreprise puisse réaliser des gains importants dans la mesure où ils profitaient, eux aussi, de très bons rendements de leurs placements. La réalité de la correction des trois dernières années a rendu ces mêmes actionnaires plus critiques à l'égard de la rémunération des dirigeants, les rendements de leurs placements n'étant plus aussi satisfaisants.

Après les multiples scandales financiers des Enron, Tyco, WorldCom (maintenant MCI) et autres qui ont ébranlé l'économie nord-américaine, le grand public est également devenu préoccupé par les difficultés financières de ces entreprises et la rémunération accordée à leurs dirigeants, et ce, au point de créer une crise de confiance majeure.

Dans ces circonstances, les régimes d'options d'achat d'actions ont rapidement été identifiés comme étant les grands responsables des excès des années 1990: responsables d'une rémunération jugée excessive dans certains cas et peut-être même responsable quelquefois de mauvaises décisions prises par des dirigeants qui auraient été influencés par la perspective de gains personnels.

Le fait que les options d'achat d'actions puissent produire des gains importants pour les dirigeants sans aucun impact immédiat sur les profits de l'entreprise, ajouté aux avantages fiscaux intéressants offerts aux États-Unis, a certainement contribué à la surenchère des octrois d'options. De plus, les marchés boursiers en forte progression ont créé et alimenté un engouement et une demande sans précédent pour les options d'achat d'actions, si bien que les entreprises se devaient d'offrir un tel régime à leurs employés clés au risque de les perdre au profit de la concurrence.

Il faut admettre également que, plus souvent qu'autrement, au cours des années 1990, une partie importante des gains réalisés sur les options d'achat d'actions pouvait provenir de la forte croissance des marchés boursiers ou même de bulles spéculatives sur lesquelles les actions des dirigeants d'entreprises ont peu d'effet.

Il est entendu que des changements importants sont nécessaires pour regagner la confiance des actionnaires et du public. Les entreprises se doivent de repenser leurs programmes de rémunération incitative à moyen et à long termes ainsi que les façons de gérer ces programmes.

Toutefois, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Les régimes d'options d'achat d'actions représentent toujours un outil important pour attirer et retenir les meilleurs candidats et pour permettre de créer des incitatifs liés directement à l'enrichissement des actionnaires.

Une saine gestion

Aujourd'hui, les grands gestionnaires de placements, y compris les gestionnaires de caisses de retraite, n'hésitent pas à utiliser leur influence pour prévenir les abus dans la mesure du possible. Plusieurs de ces gestionnaires, notamment Claude Lamoureux du Ontario Teachers' Pension Fund et Stephen Jarilowsky de Jarilowsky Fraser, ont d'ailleurs formé une coalition (Canadian Coalition for Good Governance) dont la mission est d'encourager la saine gestion des entreprises, incluant l'élaboration de programmes d'actionnariat appropriés, et ce, afin d'optimiser le rendement des actionnaires.

La meilleure façon pour une entreprise de s'assurer d'une saine gestion des programmes de rémunération incitative à long terme est de se doter d'un comité de rémunération formé de membres du conseil indépendants de l'entreprise qui travailleront directement avec un conseiller en rémunération à évaluer l'efficacité des programmes, à définir les marchés de comparaison appropriés et à évaluer les résultats des études de marché.

La comptabilisation

Actuellement, une entreprise qui octroie des options d'achat d'actions n'est pas tenue d'enregistrer une dépense à ses états financiers; une telle transaction étant considérée au même titre qu'une émission d'actions.

Toutefois, l'Institut canadien des comptables agréés et le International Accounting Standard Board visent à exiger la comptabilisation des options d'achat d'actions octroyées chaque année. Au minimum, il sera nécessaire d'évaluer et de divulguer dans les notes aux états financiers l'impact des programmes d'actionnariat, comme c'est le cas aux États-Unis actuellement.

En attendant, les entreprises sont encouragées à comptabiliser volontairement leurs programmes d'actionnariat et certaines entreprises, dont plusieurs institutions financières, ont d'ailleurs annoncé leur intention de le faire.

La comptabilisation des options d'achat d'actions a le mérite de créer une forme d'autodiscipline pour les entreprises, et ce, malgré l'impact négatif sur les résultats financiers et les difficultés d'implantation incluant l'imperfection des méthodes d'évaluation dont la méthode Black-Scholes qui est la plus connue.

La méthode Black-Scholes permet d'évaluer les options d'achat d'actions en tenant compte du prix de levée d'une option, de la durée de l'option, de la valeur au marché de l'action sous-jacente, du taux de dividende rattaché à l'action, de sa volatilité ainsi que des taux d'intérêt des obligations du Canada. Il est à noter qu'une mauvaise utilisation de la méthode Black-Scholes peut facilement surestimer la valeur des options d'achat d'actions par des marges de 20% à 25%.

Effet de la comptabilisation

La comptabilisation des avantages liés à l'actionnariat devrait avoir un impact important sur les programmes de rémunération incitative.

Dans un premier temps, l'effet escompté est la réduction de la taille des octrois d'options compte tenu de l'impact que ces octrois auront sur les profits des entreprises. Il est également probable que l'admissibilité aux régimes d'options d'achat d'actions sera resserrée et restreinte de façon à n'inclure que les cadres supérieurs et d'autres personnes clés de l'entreprise.

Toutefois, la comptabilisation ouvre la porte à une certaine manipulation des états financiers puisqu'il pourrait être avantageux d'octroyer plus d'options d'achat d'actions durant les bonnes années et d'en octroyer moins durant les moins bonnes années.

Enfin, une telle comptabilisation pourrait affecter les types de programmes incitatifs à long terme qui sont offerts.

Exemple

Prenons, par exemple, une entreprise qui octroie à un dirigeant des options d'une durée de dix ans sur dix mille actions à un prix d'exercice correspondant à la valeur au marché de 10$ par action. Le dirigeant pourra ainsi bénéficier de l'augmentation de la valeur au marché de ces dix mille actions d'une valeur nominale de 100 000$ (10 000 x 10$). Si le prix de l'action augmente de 5% par année au cours de la période de dix ans, le dirigeant fera un gain d'environ 63 000$ à la fin de la période de dix ans. Toutefois, la valeur des actions des actionnaires aura également augmenté d'environ 63% au cours de la même période, sans compter la valeur des dividendes versés. Si, d'autre part, la valeur des actions n'augmente pas au cours de cette période, le dirigeant n'aura aucun gain et l'actionnaire pourra compter uniquement sur les dividendes versés, le cas échéant. Dans un cas comme dans l'autre, l'intérêt des dirigeants aura été aligné sur celui des actionnaires.

Supposons maintenant que la valeur des dix mille options au moment de l'octroi est de 40 000$ selon la méthode Black-Scholes et que l'entreprise a choisi de comptabiliser la valeur de l'octroi selon cette méthode. L'entreprise – ou le dirigeant – pourrait alors être justifiée de vouloir remplacer l'octroi d'options par un autre avantage de valeur équivalente comme une prime additionnelle ou un octroi d'actions d'une valeur de 40 000$. Dans le scénario mentionné précédemment, où la valeur de l'action augmente de 5% par année, la valeur d'une prime additionnelle de 40 000$ versée après trois ans serait moins avantageuse pour le dirigeant que les dix mille options levées à la fin de la période de dix ans. Par contre, si la valeur de l'action n'augmente pas, la prime différée aura conservé sa valeur de 40 000$ alors que les options n'auront aucune valeur.

Autres programmes possibles

Les types de programmes de rémunération incitative à long terme qui pourraient être considérés seuls ou avec des options d'achat d'actions régulières comprennent :

  • les primes différées;
  • les options d'achat d'actions avec critères de rendement;
  • les droits à la plus value des actions;
  • les droits différés à la valeur d'actions;
  • les actions ou unités d'actions assujetties à des restrictions.

Les primes différées jusqu'à trois ans sont peu susceptibles de remplacer les options d'achat d'actions pour les dirigeants d'entreprise. Par contre, ce type de programme jumelé à des octrois limités d'options d'achat d'actions peut représenter un compromis intéressant pour les cadres intermédiaires.

Des critères de rendement de l'entreprise ou de ses actions peuvent s'ajouter aux options d'achat d'actions afin de les rendre plus acceptables pour les actionnaires. Toutefois, ces critères de rendement diminuent la valeur des options d'achat d'actions et les rend moins intéressantes pour les dirigeants.

Les droits à la plus value des actions peuvent remplacer les options d'achat d'actions ou être émis avec elles. En vertu de ces droits, l'entreprise verse, à l'échéance, l'augmentation de la valeur d'un certain nombre d'actions. Ces droits n'entraînent pas de dilution de l'avoir des actionnaires puisque aucune action n'est émise. Toutefois, ils affectent de façon négative le bilan de l'entreprise durant l'accumulation et ses flux financiers au moment du paiement.

Les droits différés à la valeur d'actions représentent pour les dirigeants une opportunité intéressante de différer à la retraite une partie de leurs primes au rendement tout en participant aux succès de l'entreprise par l'intermédiaire d'actions fictives.

Par ailleurs, un programme d'octroi d'actions ou d'unités d'actions comporte généralement des restrictions portant sur le délai avant la pleine acquisition (généralement trois ans) et peut également imposer des restrictions sur les rendements absolus ou relatifs de l'entreprise ou de ses actions au cours de cette période.

Enfin, il faudra s'interroger sur la valeur des prestations qui seraient octroyées selon l'un ou l'autre des programmes possibles. Par exemple, la valeur de 40 000$ mentionnée précédemment contient une composante attribuable à la volatilité de l'action qui pourrait représenter 25% de la valeur de l'option. Selon le type de programme choisi, il pourrait être approprié d'inclure ou d'exclure la valeur de cette composante.

Actionnariat cible

Idéalement, les dirigeants accumuleront une participation importante dans l'entreprise afin de réellement aligner leur intérêt sur celui des actionnaires. L'entreprise pourrait ainsi adopter une cible d'actionnariat de trois à cinq fois le salaire pour le président et chef de la direction, de deux à trois fois le salaire pour les premiers vice-présidents et d'une demie à une fois le salaire pour les autres vice-présidents.

Conclusion

Il est entendu que les entreprises devront choisir les programmes qui conviennent le mieux à la situation de l'entreprise et des dirigeants. En choisissant les programmes les plus appropriés, il sera important de tenir compte du rôle et de la nature de chacun d'eux ainsi que des caractéristiques qui leur sont propres afin de déterminer l'importance relative qui devrait leur être accordée.

André Sauvé est associé chez Morneau Sobeco, en collaboration avec Frédéric Bessette, CRIA, spécialiste national en rémunération chez ING Canada

Source : Effectif, volume 6, numéro 3, juin / juillet / août 2003

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