Vous lisez : PACCAR : reprendre la route en misant sur le capital humain

En 1995, l'usine de camions lourds et mi-lourds Kenworth de Sainte-Thérèse (en banlieue nord de Montréal), une filiale de l'Américaine PACCAR depuis 1967, a fermé boutique après un épuisant conflit de travail de neuf mois. Quatre ans plus tard, l'usine a redémarré en trombe, dans la bonne entente patronale-syndicale et surtout en accordant des responsabilités à ses ouvriers : libérés des superviseurs et des définitions de tâches, ils sont garants de la santé et de la sécurité du travail ainsi que de l'amélioration des procédés de fabrication !

Pour avoir soigneusement planifié la transition vers un modèle de confiance et de respect des salariés, PACCAR du Canada Ltée a récolté un prix IRIS Contribution au changement organisationnel décerné par l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (ORHRI) lors d'un gala tenu le 24 septembre 2002 à Montréal.

Normand Charron, CRIA, directeur, ressources humaines et développement organisationnel de l'usine, a retracé pour Effectif les principales étapes de la renaissance de l'ex-Kenworth.

Nouvelle philosophie

Grâce à l'intervention du ministre québécois des Finances Bernard Landry auprès de la direction de PACCAR à Seattle, la réouverture de l'usine a été annoncée dès 1996. Les premiers investissements ont suivi en 1997.

Au printemps 1998, avec l'embauche de Normand Charron, PACCAR a entrepris un projet de changement organisationnel en collaboration avec des employés et le syndicat (Travailleurs canadiens de l'Automobile-FTQ, local 728).

La nouvelle philosophie de gestion adoptée se décline en sept termes : santé et sécurité du travail, qualité, respect mutuel, communication, travail d'équipe, amélioration continue, satisfaction du client (tout ce que l'ancienne usine Kenworth faisait mal, quoi !).

Pour se familiariser avec des structures organisationnelles aplaties et les concepts d'amélioration continue, des représentants de la direction et du syndicat ont visité diverses usines : Air Canada, Leyland (Angleterre) et Nummi (Californie), entre autres.

« PACCAR avait décidé de démolir l'usine de Sainte-Thérèse au complet, de la rebâtir et de l'agrandir de 50%, raconte Normand Charron. J'ai rencontré quelque trois cents travailleurs de l'ancienne usine pour leur demander quels étaient les problèmes du passé, poursuit-il. À partir de là, on a commencé à établir une stratégie. »

Le leitmotiv de Normand Charron est simple : « Celui qui fait la valeur ajoutée d'un camion, c'est l'employé. »

Les salariés moteurs du changement

« Par exemple, il fallait refaire l'aménagement des postes de travail : où sont-ils situés, avec quels équipements, etc., relate Normand Charron. Habituellement, ce sont des ingénieurs industriels qui font ça. J'ai proposé qu'on confie la tâche aux employés chevronnés de Kenworth, qui avaient trente-cinq ans de service. On a choisi vingt-cinq employés. Il y avait des gens qui ne savaient ni lire, ni écrire, mais ils connaissaient tellement bien l'usine qu'ils ont fait un travail fantastique. »

Le service des ressources humaines, avec la collaboration du syndicat, a élaboré un programme de formation. La majorité des anciens employés rappelés au travail ont participé à ce programme de quatre semaines (160 heures). Au menu : communication, gestion du changement, travail d'équipe, outils pour améliorer la qualité et la productivité, santé et sécurité du travail, concepts de production à valeur ajoutée et d'amélioration continue.
Pour mobiliser les troupes, aucun moyen de communication n'a été négligé : documents écrits, groupes de discussion, courrier électronique, journal d'entreprise, vidéocassettes, tournées de la direction, groupes de validation, sondages, rencontres entre la direction et les employés, site Web et intranet, télévision en circuit fermé.

« Un autre exemple de communication : quand l'usine était en reconstruction, on a loué le centre culturel de Sainte-Thérèse, on a fabriqué une maquette et on a invité tous les employés et leurs familles pour leur donner une première impression de la future usine. Ça nous a beaucoup aidés », se félicite aujourd'hui Normand Charron.

En août 1999 a eu lieu l'inauguration de la nouvelle usine (rebaptisée PACCAR du Canada Ltée, usine Sainte-Thérèse). « Le démarrage de l'usine de Sainte-Thérèse est l'un des plus rapides de toute l'histoire de PACCAR », précise Normand Charron.

Radiographie de l'usine

Trois «  centres de production  »

  • Assemblage des châssis, longerons, essieux, moteurs et roues.
  • Assemblage des cabines, capots, couchettes, fabrication, garnissage, peinture des cabines et des longerons.
  • Assemblage final : fixation de la cabine, dyno-alignement, ajustements et retouches.

Hiérarchie aplatie. Les postes de superviseurs ont été supprimés. Chaque groupe d'employés assembleurs (de six à douze travailleurs) est responsable de la production à laquelle il est attitré, ce qui peut aller jusqu'à tout arrêter pour résoudre un problème, à modifier un poste ou un appareil.

Un assembleur relève de son directeur de centre de production, lequel est sous l'autorité du directeur général de l'usine. Les membres de la direction sont présents sur le plancher de l'usine. Tous, assembleurs et directeurs, entrent au boulot en même temps (à 7 h 30), vêtus d'un uniforme identique !

« Le président du syndicat fait partie du comité de gestion qui se rencontre tous les jours, il a la même information que le directeur général de l'usine », spécifie Normand Charron.

Amélioration continue. Grâce au programme ECLAIR (« Reconnaissance immédiate à l'idée de chaque employé » à l'envers), les travailleurs peuvent soumettre par écrit une proposition d'amélioration de l'aménagement, d'un appareil, d'une méthode d'un poste de travail ou d'un secteur. Le personnel de maintenance met en œuvre les suggestions des employés.

PACCAR a aussi recours aux groupes Kaizen et aux projets Six Sigma. « Le mot japonais “Kaizen” veut dire dépassement, amélioration, explique Normand Charron. Un Kaizen de groupe, c'est quatre ou cinq employés de la production qui font face à un problème particulier, assez complexe. On les rassemble dans une salle pendant cinq jours et ils doivent résoudre le problème à 50 % ou plus. Ils sont rois et maîtres. Par exemple, si un Kaizen décide de changer l'aménagement d'un poste de travail, la maintenance va tout faire pour être à son service. Si un Kaizen a besoin de passer trois heures avec le directeur de l'usine, celui-ci se rend disponible. Depuis le redémarrage de l'usine, il y a eu vingt-cinq Kaizen, réussis. »

Six Sigma, pour sa part, est une « approche statistique d'identification des problèmes, implantée par General Electric à la fin des années 1990, indique Normand Charron. C'est habituellement réservé à des ingénieurs. » Les projets Six Sigma sont pilotés par une trentaine d'employés spécialement formés aux techniques de résolution de problèmes et d'amélioration continue. Neuf membres de la direction ont bénéficié d'une formation « d'agent » Six Sigma.

« Chez PACCAR, 70 % de toutes les améliorations proviennent des employés, à peu près 20 % des Kaizen et 10% des Six Sigma », précise Normand Charron. Les Kaizen de groupe représentent des économies annualisées de plus de 680 000 $ américains et les projets Six Sigma environ 2,174 millions de dollars américains, estime PACCAR.

Santé et sécurité du travail. Le processus ECART (Élimination des comportements à risque au travail) sensibilise la main-d'œuvre à la prévention des accidents. Il est basé sur l'identification des comportements à risque par des employés « observateurs ».

« La partie proactive de réduction des accidents du travail est faite entièrement par les employés de production, insiste Normand Charron. À ce jour [en février 2003], il y a eu trois mille observations dans l'usine. Le nombre d'accidents du travail a diminué d'environ 80 %. »

Quelques leçons

« Un employé qui, avant, ne parlait pas à son boss suggère aujourd'hui une amélioration et souvent l'exécute lui-même. C'est la mesure du changement de culture, se réjouit Normand Charron. Mais il faut s'habituer à vivre avec des turbulences dans une organisation aplatie où il n'y a pas de définition de tâches. Si on veut que les idées sortent, les problèmes et les frustrations sortent aussi. »

« Les gestionnaires des ressources humaines doivent avoir une influence déterminante, poursuit-il. Qu'ils excellent dans l'administration au jour le jour, ce n'est pas ça qui fait avancer les organisations, c'est simplement une bonne gestion. Les gestionnaires peuvent et doivent avoir une influence, soulever la controverse, faire les choses et pas seulement en parler. Quand je suis arrivé à Sainte-Thérèse, je ne connaissais pas la production, alors j'ai occupé tous les postes de travail dans l'usine. »

Sur la bonne voie

  • Janvier 2003 : l'usine fabrique quotidiennement 34 camions en moyenne, au lieu de 27 avant la fermeture.
  • Capacité de production : 120 camions par jour.
  • Le temps requis pour l'assemblage d'un camion a diminué de 33 % depuis 1999.
  • Heures de travail par camion : de 160 en 1999 à 95 en 2002.
  • Défauts par camion : de 18 en 1999 à 10 en 2002.
  • Pourcentage de camions sans défauts mécaniques : de 16 % en 1999 à 82 % en 2002.
  • Recrutement de 150 nouveaux employés en 1999 après le rappel de près de 375 anciens salariés de Kenworth.
  • En janvier 2003, l'usine employait près de 700 employés : 12 dans l'équipe de gestion (directeur général et directeur des secteurs), 63 dans l'équipe de soutien (coordonnateurs, ingénieurs, ressources humaines, etc.) et 620 à la production (assembleurs, magasiniers, maintenance, personnel de bureau syndiqué).
  • Les dépenses de formation ont atteint 6 % au début de l'année 2002.
  • Taux de roulement du personnel : de 12 % avant la fermeture à 0,6 % au début de l'année 2002.
  • Taux d'absentéisme : de 15 % avant 1999 à 3,5 % au début de l'année 2002.

Jean-Sébastien Marsan est journaliste indépendant.

Source : Effectif, volume 6, numéro 2, avril / mai 2003

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