Vous lisez : L'interprétation de l’article 242 de la LATMP : c'est la quadrature du cercle!

Le chapitre VII de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit les droits du travailleur lors du retour au travail à la suite d'une lésion professionnelle. Spécifiquement, l'article 242 de la LATMP prévoit les règles concernant le salaire et les avantages dont doit bénéficier un travailleur lors de son retour au travail chez son employeur après une lésion professionnelle :

« 242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.

Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés. »

La problématique

Malgré l'apparente simplicité de cette disposition législative, l'article 242 a entraîné d'importantes divergences parmi les décideurs chargés d'appliquer la LATMP. Pour illustrer les difficultés que pose l'interprétation de cet article, voici deux exemples classiques.

  • Un travailleur, victime d'un accident du travail, s'absente pour une période de six mois. En vertu de sa convention collective, chaque mois complet de travail lui procure une demi-journée de maladie. Doit-il bénéficier à son retour au travail d'un crédit de trois journées de maladie !
  • Un travailleur, victime d'un accident du travail, s'absente pour une période de trois mois. À son retour, il reçoit de son employeur une indemnité de vacances calculée en fonction de neuf mois de travail, soit 1350 heures. Peut-il réclamer de l'employeur que son indemnité de vacances soit calculée sur douze mois de travail, soit 1800 heures !

Les arguments

En présence d'une plainte contestant le refus de l'employeur d'accorder ces trois journées de maladie ou le paiement complet d'une indemnité de vacances calculée sur douze mois complets de travail, force est d'admettre, avec égards, que la réponse pourra varier en fonction du décideur saisi de la question.
Ceux qui favorisent une interprétation stricte de l'article 242 de la LATMP refuseront de donner suite à la plainte du travailleur en faisant valoir les arguments suivants :

  • l'article 242 ne prévoit pas que la période d'absence est du temps « travaillé » et qu'à son retour, l'employé a droit de recevoir ce qui lui aurait été dû au cours de cette période d'absence;
  • on ne peut présumer que cet article a un effet rétroactif sans texte clair ou par implication nécessaire;
  • le droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions s'applique à l'employé qui réintègre son emploi à compter de son retour au travail et non pendant son absence;
  • les éléments du régime d'emploi qui peuvent être accumulés ou maintenus lors de son absence pour une lésion professionnelle sont seulement ceux prévus à l'article 235 de la LATMP, soit l'ancienneté, le service continu, le droit de participer aux régimes de retraite et d'assurance;
  • l'article 67 de la LATMP permet de tenir compte dans l'indemnité de remplacement de revenu accordé au salarié absent, des bonis, primes, pourboires, commissions, majoration pour heures supplémentaires, vacances et certains autres avantages;
  • l'article 242 ne crée aucune obligation de réserver les droits du travailleur lors de son absence (pour l'assignation d'un poste par exemple);
  • l'article 242 établit les modalités régissant le droit au retour au travail et ne peut être utilisé comme mesure de réparation pour palier les limites de la loi.

Pour leur part, les décideurs privilégiant une interprétation libérale de l'article 242 de la LATMP feront droit à la plainte du travailleur en proposant les arguments suivants :

  • l'article 242 crée une fiction juridique permettant au salarié qui réintègre le travail de considérer sa période d'absence comme une période « travaillée »;
  • cette fiction juridique n'a d'effet qu'à compter du retour au travail du salarié; il s'agit de l'effet immédiat et prospectif de cette disposition, c'est-à-dire l'atteinte pour l'avenir à des droits acquis dans le passé;
  • la LATMP est une loi sociale d'ordre public (articles 1 et 4 de la Loi) dont l'un des objectifs est de réparer les conséquences d'une lésion professionnelle;
  • l'objectif de la loi étant de réparer les conséquences d'une lésion professionnelle, il faut donner plein effet à l'article 242 afin d'éviter qu'un travailleur soit pénalisé ou désavantagé en matière de salaire et d'avantages du fait qu'il ait été absent en raison d'une lésion professionnelle;
  • le caractère éminemment social de la loi et son but réparateur font en sorte qu'on doit en interpréter les dispositions d'une manière large et libérale.

Ainsi, l'ambiguïté rédactionnelle de cet article 242 a donné lieu à des solutions diamétralement opposées dans de nombreuses décisions rendues par la défunte Commission d'appel en matière de lésions professionnelles en dépit de plaintes déposées sur la base de faits similaires. Il était donc espéré que les tribunaux supérieurs interviennent afin d'assurer une cohérence dans l'application de la Loi.

La quadrature du cercle

En 1996, la Cour d'appel du Québec s'est prononcée sur l'interprétation de l'article 242 dans l'arrêt Marin c. Société Canadienne de Métaux Reynolds ltée, [1996] C.A.L.P. 1339. Dans cette affaire, le travailleur déposa initialement une plainte en invoquant qu'aux fins d'établissement de l'indemnité de vacances à laquelle il avait droit à son retour, l'article 242 de la Loi permettait de considérer comme « travaillées » ses heures d'absence en raison d'une lésion professionnelle. La Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, adoptant une interprétation libérale de l'article 242, donna raison au travailleur. Dans le cadre d'une requête en révision judiciaire, la Cour supérieure estima qu'elle était justifiée d'intervenir afin de mettre fin à la controverse entourant l'application de l'article 242. Dans cette optique, la Cour supérieure renversa la décision du commissaire et affirma qu'un travailleur ne pouvait accumuler pendant son absence des heures de travail.

En appel, la Cour d'appel renversa la décision de la Cour supérieure pour rétablir celle qui avait été rendue initialement par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles. Au soutien de ses conclusions, la Cour estima que la décision du Commissaire était rationnelle et fondée sur les textes pertinents. Reprenant un énoncé de la Cour suprême du Canada, la Cour ajouta que l'existence d'une controverse sur l'application de l'article 242 ne justifiait pas une intervention des tribunaux d'appel en l'absence d'une erreur manifestement déraisonnable.

En raison même du critère permettant l'intervention des tribunaux supérieurs, soit celui de l'erreur manifestement déraisonnable, cette décision de la Cour d'appel de même que les autres décisions rendues par les tribunaux supérieurs n'ont malheureusement aucunement mis fin aux opinions controversées sur l'application de l'article 242. En effet, le rôle de nos tribunaux se limitant à vérifier le caractère rationnel des décisions rendues par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, ceci excluait toute intervention pour véritablement trancher le débat. Ainsi en 1997, plus de dix-sept ans après l'adoption de cet article, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles était toujours aussi divisée sur la question.

Malgré l'absence de modifications apportées à l'article 242 de la LATMP, il était espéré que la venue de la nouvelle Commission des lésions professionnelles en 1998 permettrait de résoudre cette impasse et d'uniformiser l'interprétation de cet article. Or, il ressort d'une analyse des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sur l'article 242 que le problème demeure toujours entier en 2003.

Les solutions

La parfaite coexistence de deux tendances jurisprudentielles aussi diamétralement opposées heurte les principes de la cohérence décisionnelle et du droit à l'égalité devant la Loi. Ces deux principes fondamentaux sont deux corollaires importants de la primauté du droit qui est à la base même de notre système de justice.
Dans l'arrêt Domtar inc. c. Québec (CALP), [1993] 2 R.C.S. 756, la Cour suprême du Canada statua que l'existence de conflits jurisprudentiels au sein des tribunaux administratifs ne pouvait justifier l'intervention des tribunaux supérieurs de droit commun. Selon la Cour, la résolution de tels conflits doit nécessairement découler des mécanismes internes du tribunal administratif concerné ou d'une intervention législative.

En l'espèce, la Commission des lésions professionnelle est munie d'un tel mécanisme interne visant à assurer la cohérence de ses décisions. À au moins deux occasions par année, la Commission tient un processus de consultation par réunion plénière durant laquelle les commissaires ont la possibilité de mettre leur expérience en commun afin d'améliorer la qualité globale de leurs décisions sur certains points de droit prédéterminés.

Dans le cadre de ce mécanisme interne de consultation, il semble que la Commission des lésions professionnelles ne se soit toujours pas penchée sur le cas particulier des difficultés d'interprétation de l'article 242 de la LATMP. Quoiqu'il en soit, ce mécanisme a ses limites et ne permet pas toujours aux commissaires de parvenir à un consensus sur certaines problématiques. Ceci s'explique essentiellement par l'aspect non contraignant du processus qui permet de conserver l'autonomie et l'indépendance judiciaire des commissaires.

Malgré le nombre relativement peu élevé de litiges découlant de l'application de cet article, les justiciables sont en droit de s'attendre à un traitement égal devant la Loi, ce qui implique des décisions semblables dans des cas similaires. Or, puisque les tendances jurisprudentielles opposées sont cristallisées depuis nombre d'années, il semble que seule une intervention du législateur est susceptible de résoudre ce conflit entourant l'article 242 qui fut adopté, rappelons-le, en 1985!!!

Me Yvan Bujold, CRIA, et Me François Bérubé, Cain, Lamarre, Casgrain, Wells

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie