Vous lisez : À l'heure d'une réflexion éthique?

L'éthique est une notion actuellement à la mode. Les récents scandales financiers ont nourri une critique, déjà acerbe parfois, à l'égard des entreprises. Des situations, comme le déséquilibre entre la rémunération de certains hauts dirigeants d'entreprise et leur performance ou encore les drames environnementaux causés par la négligence de certaines organisations, ne cessent d'être dénoncées sur la place publique. Les écoles de gestion s'empressent d'introduire ou d'augmenter le volet portant sur l'éthique dans leurs différents programmes d'enseignement.

Cette mode de l'éthique atteint chaque partie, chaque fonction, chaque processus du monde organisationnel et le domaine des relations du travail n'y fait pas exception. Dès lors, une question se pose. La vague de l'éthique peut-elle influencer la pratique des relations du travail?

Répondre à cette question oblige à franchir certaines étapes: d'abord définir ce qu'est l'éthique et déterminer ensuite les phases nécessaires à une première réflexion sur son application en relations du travail. C'est ce que propose cet article.

Qu'est-ce que l'éthique?

Le sujet de l'éthique apparaît d'un attrait conceptuel certain, mais aussi d'une complexité à haut potentiel. Et la valse des concepts d'éthique, de morale et de déontologie ne facilite rien. Ces concepts sont en effet fréquemment confondus. Nous retiendrons ici les définitions de Gaudette (1989), qui indique que le mot «éthique» se situe dans la sphère de la réflexion systématique. Il a donc tendance à assimiler cette notion à cette réflexion elle-même et aux divers systèmes auxquels elle donne naissance. Le mot «morale» se situe davantage sur le plan de la pratique ou du comportement concret des personnes. Quant au terme « déontologie », il se situe dans la sphère du consensuel et du législatif. Il identifie les devoirs qu'une profession croit devoir assumer à un moment donné de son histoire. De ce point de vue, l'éthique représente l'étude de la morale et de la déontologie qui la soutiennent. Le tableau 1 reprend chacun de ces concepts et les illustre par un exemple.

L'éthique en milieu organisationnel est une partie de l'éthique générale, un domaine défini par l'interaction de l'éthique et de ce milieu. Elle se penche sur l'étude de la morale et de la déontologie qui lui est propre. Dans ce contexte, l'éthique en relations du travail peut signifier la réflexion sur le comportement et les devoirs qui guident les comportements des praticiens et des praticiennes qui œuvrent dans ce domaine. Cette réflexion vise à déterminer ce qui est moralement acceptable et ce qui ne l'est pas dans l'exercice des différentes activités propres à ce domaine.

Cependant, il suffirait de poser la question à voix haute pour se rendre compte qu'il existe divers points de vue sur l'aspect éthique ou non d'un acte, tout comme il existe différents raisonnements pour en arriver à cette conclusion. La volonté de poser une réflexion éthique sur les relations du travail impose donc de déterminer les balises nécessaires à cette réflexion.

Tableau 1 : Éthique, morale et déontologie
Terme et définition Exemple
Déontologie
  • Devoirs ou règles qui guident les comportements pour une profession spécifique.

Morale

  • Pratique effective, comportement concret des personnes.

Éthique

  • Réflexion sur les comportements et les systèmes qui en découlent.
Déontologie
  • Devoir de respecter la confidentialité des renseignements fournis par la clientèle interne.

Morale

  • Comportement respectueux de la confidentialité des renseignements dans la réalité.

Éthique

  • Logique exprimée ou raisons invoquées derrière le devoir de respecter la confidentialité des renseignements ou le comportement respectueux.

 

Des balises pour une réflexion éthique

Les fondements de la réflexion éthique se divisent en deux grands courants, le courant téléologique et le courant déontologique. Le courant téléologique indique que la valeur d'un acte est établie à partir de ses conséquences ou de sa finalité. Le courant déontologique indique que le comportement ou l'acte doit être bon en lui-même et que sa valeur tient au fait qu'il correspond à un devoir qui s'impose à la conscience. Dans l'établissement de la valeur d'un acte, le courant téléologique applique donc une logique de relativité (ou de «cas par cas»), tandis que le courant déontologique applique une logique d'objectivité (ou d'universalité pour tous les cas). Le tableau 2 reprend chacun de ces courants et les illustre par un exemple (voir page précédente).

De ces deux grands courants sont issues diverses théories qui cherchent à systématiser et à baliser l'analyse et la réflexion sur les comportements des personnes et les devoirs qu'elles s'imposent. L'utilitarisme, le contractualisme et la sollicitude représentent des exemples de théories associées au courant téléologique. Les droits et obligations, les vertus et la justice représentent des exemples de théories associées au courant déontologique. Chacune de ces théories représente des façons différentes de voir une même situation.

Ainsi, bien que plusieurs personnes puissent, par exemple, décider de ne pas voler le bien d'autrui, leur décision peut reposer sur des balises éthiques différentes. Les tensions entre ces différentes façons de voir peuvent par contre mener aussi à des décisions différentes pour une même situation. À titre d'exemple, tandis que le courant déontologique évaluera que le vol est mal en lui-même et que rien ne peut donc le justifier, le courant téléologique tranchera selon la valeur accordée aux conséquences du geste de voler ce bien ou de ne pas le faire.

Le débat qui concerne ces deux courants et ces différentes théories n'est pas terminé puisqu'aucun n'obtient présentement l'adhésion de tous. Effectuer un tel exercice dépasse cependant largement notre propos. Nous retiendrons plutôt que différentes balises existent et peuvent nourrir la réflexion éthique. Dès lors, comment choisir celles à privilégier pour une réflexion éthique dans le domaine des relations du travail ?

Tableau 2 : Courant téléologique et déontologique
Principe et définition Exemple
Téléologique
  • Évaluation d'un acte à partir de ses conséquences.

Déontologique

  • Notion du devoir où un acte doit être bon en lui-même.
Téléologique
  • Évaluation des conséquences du non-respect d'un engagement verbal (ex. : lors de négociation).

Déontologique

  • Décision de respecter l'engagement verbal pris, et ce, sans égard aux conséquences de cette décision.
Une première étape : le choix des différentes balises éthiques

L'absence de consensus face aux deux courants relatifs à la réflexion éthique fait en sorte que ce domaine continuera d'être caractérisé par la pluralité des théories en la matière. Cette situation fait naître un second débat dans le domaine de l'éthique, soit celui qui concerne le choix d'une seule théorie qui serait pertinente à toutes les situations (universalisme) ou de deux ou plusieurs théories pertinentes (pluralisme) dont l'application s'effectue selon la situation en cause pour l'analyse ou la réflexion éthique. L'illustration 1 propose une grille d'analyse des différentes théories ou balises éthiques.

Tant et aussi longtemps que les débats persisteront, la meilleure pratique demeure de considérer plus d'un point de vue (case E dans l'illustration 1). À ce titre, certains modèles d'analyse ont retenu les principes qui sont reconnus comme les plus solides par les théoriciens et les ont intégrés dans une séquence structurée pour l'analyse ou la réflexion éthique (voir entre autres le modèle de Cavanagh, Moberg et Velasquez, 1995). Ainsi, il devient possible de confronter les principes des différentes théories pour une même situation, et ce, de façon à considérer plus d'une facette avant de trancher sur l'aspect éthique ou la légitimité d'un comportement ou du devoir qui le soutient.

Une deuxième étape : une démarche structurée visant l'application d'une réflexion éthique en relations du travail

L'éthique ne peut espérer contribuer à la pratique des relations du travail sans l'aide d'une démarche structurée pour son opérationnalisation dans ce domaine. Cet exercice pourrait facilement être envisagé de la même façon que toute autre démarche d'intervention en milieu organisationnel. Les principales étapes consistent donc à 1) établir le diagnostic de la situation actuelle, 2) choisir les actions à mettre de l'avant pour répondre aux besoins décelés lors du diagnostic, 3) élaborer la stratégie d'intervention, 4) élaborer les politiques et les pratiques afférentes à cette stratégie et 5) mettre le tout en œuvre et en faire le suivi. Le présent article met surtout en lumière les premiers pas nécessaires à l'amorce du diagnostic de la situation actuelle.

Nul doute qu'il appartient aux praticiens et aux praticiennes des relations du travail d'effectuer ce diagnostic. L'intérêt de la réflexion peut varier selon les intervenants. Ainsi, un ordre professionnel pourrait davantage être intéressé par une réflexion éthique au niveau sociétal, soit une réflexion qui porte principalement sur la responsabilité sociale de l'agir afin de dégager une déontologie propre à ce domaine. Les différents acteurs d'une même organisation pourraient souhaiter une réflexion qui s'intéresse aux pratiques qui régissent actuellement leurs interrelations. Un praticien pourrait envisager de s'outiller pour faire individuellement une réflexion éthique lors de situations où il se sent en «zone grise» face au comportement à adopter dans l'exercice de sa fonction.

Conclusion

Cet article vise à mettre en lumière l'apport possible d'une réflexion éthique à la pratique des relations du travail. Pour ce faire, une définition de l'éthique et un premier regard ont été posés sur une démarche visant son application en relations du travail. D'aucuns pourront tenter de nier l'apport de cette réflexion. Une chose est cependant certaine. Dans un environnement en constante évolution, les acteurs des relations du travail ont peu à perdre s'ils se questionnent et renouvellent leurs pratiques en les ouvrant davantage à la dimension éthique de l'agir.

Josée Lapointe, M.B.A., CRHA est conseillère chez Mercer, Consultation en ressources humaines

Source : Effectif, volume 6, numéro 2, avril / mai 2003

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