Malgré les profonds changements qui ont affecté la structure, la composition et le fonctionnement du marché du travail au cours des dernières décennies, la convention collective détermine encore aujourd'hui les conditions de travail de près de 40 % des travailleurs salariés québécois (ministère du Travail 2001). Cette institution a néanmoins subi des transformations significatives qui lui ont permis de s'adapter aux nouvelles réalités. C'est ce phénomène d'adaptation soutenue que ce dossier aborde en présentant une revue de l'évolution récente du contenu des conventions collectives au Québec et en esquissant les orientations prévisibles de l'institution pour les prochaines années.
Présence toujours marquée de la convention collective au Québec
Avant d'aborder le contenu des conventions collectives, on doit prendre en considération l'ampleur de leur présence. Selon des données du ministère du Travail au 17 mai 2002, il y aurait plus de 8100 conventions collectives en vigueur qui couvriraient près d'un million de travailleurs et travailleuses au Québec, soit près de cent vingt travailleurs en moyenne par convention. Le tableau ci-dessous montre comment les conventions et les salariés qu'elles visent se répartissent selon les secteurs d'activité. Parmi les trois grands secteurs d'activité, c'est au sein du secteur tertiaire qu'on trouve le plus de conventions et de salariés visés. Les conventions se répartissent fort inégalement entre les services privés et les services publics. Dans ce dernier secteur, on trouve un petit nombre de conventions (22,1 % de l'ensemble) visant un grand nombre de salariés (près de 40 % de l'ensemble), tandis que dans le secteur des services privés, une importante proportion du nombre de conventions (47 %) s'appliquent à un nombre relativement peu élevé de salariés (environ le tiers). Par ailleurs, 27,7 % des conventions collectives, touchant 23,7 % des salariés, proviennent du secteur secondaire, surtout des industries manufacturières. Enfin, le secteur primaire ne compte que pour une infime part de l'ensemble des conventions (3,2 %) et des salariés visés (2,5 %).
Le taux de présence syndicale qui s'est maintenu autour de 40 % dans les années 1990 au Québec (ministère du Travail 2001) atteste de la pérennité de la convention collective au Québec. Il importe toutefois de souligner que les bastions de la syndicalisation au Québec ne représentent plus les secteurs à forte croissance de notre économie. À l'inverse, la présence syndicale est relativement faible dans le secteur le plus dynamique en matière de création d'emplois, celui des services privés.Répartition des conventions collectives et des salariés régis au Québec en 2002 selon les secteurs d'activité
Secteur d'activité | Conventions collectives | Salariés visés | ||
Nombre | % | Nombre | % | |
Secteur primaire | 260 | 3,2 | 24 099 | 2,5 |
Agriculture et services relatifs à l'agriculture | 56 | 0,7 | 3 246 | 0,3 |
Exploitation forestière et services forestiers | 93 | 1,1 | 10 885 | 1,1 |
Mines, carrières et puits de pétrole | 97 | 1,2 | 9 793 | 1,0 |
Pêche et piégeage | 14 | 0,2 | 175 | 0,1 |
Secteur secondaire | 2 270 | 27,7 | 230 978 | 23,7 |
Construction | 110 | 1,3 | 6 054 | 0,6 |
Industries manufacturières | 2 160 | 26,4 | 224 924 | 23,1 |
Secteur tertiaire | 5 659 | 69,1 | 720 239 | 73,8 |
Autres services | 814 | 10,0 | 114 002 | 11,7 |
Commerce de détail | 1 191 | 14,5 | 71 960 | 7,4 |
Commerce de gros | 557 | 6,8 | 42 317 | 4,3 |
Communications et autres services publics | 84 | 1,0 | 22 084 | 2,3 |
Hébergement et restauration | 385 | 4,7 | 24 432 | 2,5 |
Intermédiaires financiers et assurances | 352 | 4,3 | 15 955 | 1,6 |
Services aux entreprises | 84 | 1,0 | 15 500 | 1,6 |
Services d'enseignement | 237 | 2,9 | 78 417 | 8,0 |
Services de santé et services sociaux | 590 | 7,2 | 175 070 | 18,0 |
Services gouvernementaux | 982 | 12,0 | 135 680 | 13,9 |
Services immobiliers et agences d'assurances | 48 | 0,6 | 2 108 | 0,2 |
Transport et entreposage | 335 | 4,1 | 22 714 | 2,3 |
Ensemble des secteurs | 8 189 | 100 | 975 316 | 100 |
Source : Fichier de gestion des relations de travail, ministère du Travail, 17 mai 2002. |
Stabilité des clauses contractuelles
Les clauses contractuelles des conventions collectives ne semblent pas avoir subi de changements majeurs au Québec depuis le début des années 1990. La seule exception concerne la durée des conventions, celle-ci s'étant allongée substantiellement depuis les amendements introduits en 1994 dans le Code du travail. Les causes de ce phénomène doivent être recherchées dans les contextes économique et politique induits par la mondialisation de l'économie, comme en témoigne d'ailleurs l'expérience des contrats sociaux (ministère du Travail, 2000; ministère de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie, 1992).
En règle générale, les clauses relatives aux droits de la direction et à la vie syndicale n'ont pas connu de modifications importantes au cours de la dernière décennie. Ces clauses s'appuient sur des principes de reconnaissance mutuelle qui s'établissent dès le début de la relation entre l'employeur et le syndicat. Elles sont généralement reconduites sans difficultés majeures par la suite, sauf lorsque le contexte de la négociation est marqué par une détérioration importante des relations entre les parties. À quelques exceptions près, les employeurs et les syndicats au Québec n'en sont plus à se quereller sur la retenue des cotisations syndicales ni sur le droit de l'employeur de diriger la production et le travail. La relative stabilité des clauses touchant les droits de gérance et la vie syndicale témoigne de l'acceptation par le syndicat du droit de l'employeur de gérer ses affaires et exprime la reconnaissance par l'employeur du syndicat accrédité dans l'entreprise.
Les dispositions relatives au règlement et à l'arbitrage des griefs sont un autre exemple de clauses contractuelles relativement stables au fil du renouvellement des conventions. Les principales critiques soulevées par les parties à l'encontre du système d'arbitrage de griefs renvoient à sa durée, à son coût et à son légalisme croissant. Ces critiques, de même qu'une pratique renouvelée des relations du travail et une certaine redistribution de pouvoirs entre les acteurs sociaux, expliquent en grande partie la diminution marquée du nombre de griefs ayant fait l'objet d'une décision arbitrale au cours des années 1990. Selon le Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre, ce nombre a diminué de près de la moitié en dix ans, passant de 2625 en 1989-1990 à 1387 en 2000-2001.
Enfin, on peut observer la même stabilité dans les clauses relatives aux mesures disciplinaires. Aujourd'hui, la plupart des conventions collectives se bornent à inclure dans leur contenu les grands principes établis par les arbitres de griefs en la matière. Plusieurs conventions ajoutent des garanties procédurales en faveur des salariés, comme l'amnistie d'une sanction disciplinaire au bout d'un certain temps ou encore le droit d'être accompagné d'un représentant syndical dans toute rencontre disciplinaire avec l'employeur. Certaines conventions précisent aussi les pouvoirs de contrôle de l'arbitre en matière administrative, car ce sujet constitue bien souvent encore une source de contentieux entre les parties, lorsqu'elles comparaissent devant l'arbitre.
Évolution des clauses normatives
Si les clauses contractuelles sont demeurées relativement stables au cours des trois dernières décennies, on note cependant des modifications importantes dans les clauses normatives des conventions collectives au Québec. En fait, selon une tendance qu'observe déjà le professeur Hébert (1992), les syndicats tentaient dans les années 1970 et 1980 de préserver les acquis conventionnels dans les clauses touchant directement les conditions de travail des salariés, alors que les employeurs voulaient s'affranchir des dispositifs conventionnels qui limitaient l'efficacité et la flexibilité selon eux.
S'inscrivant dans une volonté patronale d'instaurer une plus grande flexibilité dans la gestion des effectifs, tant sur les plans numérique et fonctionnel que procédural, les modifications apportées aux conventions ont touché l'ancienneté, la protection des emplois, l'organisation du travail et les statuts d'emploi. Malgré les critiques des employeurs quant à la rigidité des règles conventionnelles en ces domaines, l'analyse des clauses afférentes montre plutôt que la direction dispose généralement d'une marge de manœuvre appréciable dans la gestion de l'emploi. Pour promouvoir l'efficacité de son organisation, l'employeur privilégie la flexibilité fonctionnelle, la flexibilité numérique de sa main-d'œuvre de même que des procédures souples d'affectation, une stratégie qui se heurte à la volonté des salariés d'obtenir une meilleure sécurité d'emploi et des conditions de travail équitables. Flexibilité du travail versus protection des emplois : voilà le nœud gordien avec lequel composent quotidiennement les milieux de travail en matière de gestion des emplois!
L'embauche des salariés demeure un domaine où la discrétion patronale est quasi absolue, sauf dans les très rares cas où la convention collective contient une clause d'atelier syndical fermé. De même, les conventions collectives laissent généralement à l'employeur la possibilité d'embaucher des salariés à statut précaire pour pallier les fluctuations conjoncturelles ou ponctuelles des activités de l'entreprise, ou encore pour remplacer les salariés absents. Cependant, les droits des salariés embauchés diffèrent généralement selon qu'ils obtiennent un emploi permanent, à plein temps ou à temps partiel, un emploi temporaire ou occasionnel. Les salariés temporaires ou occasionnels ne bénéficient habituellement pas de toutes les clauses de la convention collective, notamment en ce qui concerne les droits liés à l'ancienneté en cas de promotion ou de mise à pied. Dans certains cas, leurs conditions de travail sont sensiblement inférieures en matière de salaire et d'avantages sociaux.
Pour ce qui est des clauses de protection des emplois, elles se résument pour l'essentiel à une priorité d'emploi selon l'ancienneté en cas de réduction de personnel, sauf dans les rares cas où la convention collective établit un plancher d'emplois ou une garantie d'emploi au bénéfice des salariés en poste au moment où elle est signée.
Depuis le milieu des années 1970, de nombreuses modifications apportées aux conventions collectives du Québec et d'ailleurs en Amérique du Nord découlent de la crise du modèle tayloriste d'organisation du travail. Cette crise s'est traduite entre autres par la demande patronale d'allègement des contraintes conventionnelles aux chapitres du travail des cadres de première ligne, des changements technologiques et de la sous-traitance. Au Québec, contrairement à la croyance populaire, la très grande majorité des conventions n'interdisent pas la sous-traitance, mais elles empêchent généralement qu'il n'en résulte des mises à pied. L'employeur dispose habituellement de la même latitude quant à l'introduction de changements technologiques. En considérant aussi la flexibilité déjà mentionnée de l'employeur relativement aux statuts d'emploi, à la mise à pied et au licenciement pour des motifs économiques, on peut conclure que la convention collective permet une adaptation souple de l'organisation du travail et des effectifs aux besoins économiques de l'entreprise.
Au cours de la dernière décennie, l'évolution des clauses relatives à l'évaluation et à la classification des emplois, aux salaires et aux avantages sociaux s'inscrit également dans la recherche par les employeurs d'une gestion plus flexible du travail. L'évaluation des emplois, une opération habituellement préalable à la classification des emplois, est un domaine où la direction accepte généralement la participation syndicale, dans le cadre de comités conjoints d'évaluation des emplois, sans pour autant renoncer à son droit unilatéral de déterminer les exigences et le contenu des tâches. Dans plusieurs conventions collectives, la recherche d'une plus grande flexibilité fonctionnelle s'est traduite par la fusion de titres d'emplois et, en conséquence, par la réduction de leur nombre. Le phénomène va probablement se poursuivre, compte tenu du mouvement de réorganisation des modes de production et du rythme soutenu des innovations technologiques dans les milieux de travail.
L'analyse comparative de l'évolution des salaires et du coût de la vie au cours des trois dernières décennies montre qu'il n'y a pas eu d'augmentation des salaires réels au Canada au cours de cette période. Parallèlement, on observe une diminution de la fréquence des clauses d'indexation des salaires au coût de la vie dans les conventions collectives. Cet effritement du salaire de base s'est accompli en même temps qu'on a assisté à une croissance de la présence de différents systèmes de rémunération variable qui associent les salaires aux performances individuelles ou collectives des salariés, ou encore aux résultats de l'entreprise. Ce désir de flexibilité salariale des employeurs fait en sorte que le salaire est donc moins déterminé par le coût de la vie et davantage par la performance, ce qui est un changement assez radical des règles du jeu.
La question de l'équité dans la rémunération a soulevé bien des débats et a amené des changements dans les conventions collectives. À la suite de la progression apparente des échelles salariales à double palier et d'autres mesures visant à accorder des dispositions moins avantageuses aux nouvelles personnes embauchées dans l'organisation, ce que d'aucuns appellent les « clauses orphelin », le gouvernement du Québec a modifié en 1999 la Loi sur les normes du travail pour interdire de telles disparités. Les parties doivent ajuster le contenu de leur convention collective afin d'éliminer ces dispositions qui posent un problème fondamental d'équité. La Loi sur l'équité salariale en vigueur depuis 1997 s'attaque à un autre problème d'équité en matière de rémunération. Elle vise à corriger les inégalités salariales touchant les femmes. Un recours plus systématique à l'évaluation des emplois, une plus grande attention aux conséquences pour différents groupes de l'adoption de telle ou telle structure salariale de même que l'instauration d'une démarche de suivi visant le maintien de l'équité salariale sont les principales répercussions attendues de cette loi dans les conventions collectives, en plus bien entendu des ajustements salariaux à verser.
L'évolution des conventions collectives au chapitre des avantages sociaux est largement tributaire des politiques de protection sociale mises en œuvre par l'État. Ces politiques visent notamment à assurer aux salariés l'accès à des services de santé et à l'éducation, à protéger leurs revenus en cas de maladie ou d'accident, de perte d'emploi, de congé parental et à leur octroyer un revenu décent à la retraite. Les avantages sociaux prévus dans les conventions viennent s'ajouter à ces programmes étatiques de protection sociale. Au cours de la dernière décennie, on note une intervention accrue de l'État dans le domaine de la conciliation travail-famille, notamment par le truchement de lois, tant fédérales que provinciales, touchant le congé de maternité et le congé parental. Un autre changement important au cours de cette période est l'élargissement de la notion de conjoint dans la définition des bénéficiaires des régimes de retraite et d'assurances collectives, une évolution également déclenchée par les politiques gouvernementales.
Le contenu des conventions collectives en matière d'avantages sociaux est généralement à la remorque des modifications apportées aux régimes publics de sécurité sociale. Une amélioration des régimes publics se répercute habituellement dans les conventions collectives, mais un recul de ces régimes est rarement compensé par une bonification du contenu des conventions collectives. Le phénomène est bien illustré par la stagnation des clauses d'indemnités supplémentaires de chômage incluses dans les conventions collectives en dépit de la baisse de la couverture et des indemnités prévues au régime public de l'assurance-emploi au cours des deux dernières décennies. En cette matière comme en bien d'autres sur le plan des conditions de travail, la préservation des acquis plutôt que le développement des avantages sociaux est devenue la norme.
La formation professionnelle constitue également un domaine où les conventions collectives ont fait place à plusieurs innovations importantes au cours des années 1990. Adoptée en 1995, la Loi favorisant le développement de la formation de la main d'œuvre crée notamment l'obligation pour les entreprises d'investir au moins 1 % de leur masse salariale dans la formation professionnelle. Sous son impulsion, les employeurs et les syndicats ont introduit dans les conventions collectives plusieurs dispositions nouvelles liées à la formation, au recyclage et au perfectionnement des salariés. Dans l'ensemble, la fréquence des clauses conventionnelles en matière de formation a augmenté de façon importante dans les années 1990. L'État a joué un rôle stratégique dans cette évolution, en prenant l'initiative d'une politique associant les partenaires sociaux au financement et à la gestion de la formation professionnelle.
La situation est semblable en ce qui concerne la santé et de la sécurité du travail, un domaine qui a fait l'objet d'une intervention gouvernementale majeure au Québec en 1979 avec l'adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Cette loi vise l'élimination à la source des dangers pour la santé et la sécurité des travailleurs et établit des mécanismes de participation des employeurs, des travailleurs et de leurs organisations respectives à l'atteinte de cet objectif. Ce faisant, les conventions ne jouent plus qu'un rôle complémentaire dans ce domaine. Elles se limitent souvent à reprendre pour l'essentiel les droits et obligations énoncées, en les rendant dans certains cas plus contraignants pour l'employeur.
Malgré plusieurs mesures gouvernementales incitatives et un taux de chômage important, les heures de travail au Canada et au Québec ont très peu diminué au cours des dernières décennies, contrairement à ce qui s'est passé dans la plupart des pays européens. Cet exemple illustre à quel point il est difficile de provoquer des innovations sociales lorsque les structures de négociation sont fortement décentralisées. D'ailleurs, l'expérience québécoise démontre que la négociation collective décentralisée peut difficilement prendre le relais de l'État dans le domaine de la protection sociale. Les régimes publics de protection sociale ont été révisés à la baisse au Canada et au Québec au cours des trois dernières décennies, mais la convention collective s'est montrée bien peu efficace pour contrecarrer cette tendance et ses conséquences pour les travailleurs.
Orientations futures de la convention collective
Tenter de prévoir les tendances dans les conventions collectives est un exercice périlleux mais certainement utile. Rien n'indique pour l'instant que les conventions collectives connaîtront des changements majeurs au cours de la prochaine décennie. En fait, les tendances actuelles risquent de se maintenir dans un avenir prévisible. Il existe par contre aujourd'hui des facteurs susceptibles d'influer tant sur la prépondérance de la convention collective comme instrument de régulation sociale que sur les conditions de travail qu'elle contient.
Tout d'abord, nous l'avons vu, l'importance de la convention collective comme instrument de régulation des conditions de travail des salariés est directement liée à la syndicalisation. Or, l'évolution de la structure de l'emploi et du marché du travail rend de plus en plus difficile la syndicalisation des travailleurs et l'implantation de la négociation collective. Par conséquent, il est peu probable que la convention collective joue un rôle plus important au cours des prochaines années dans la régulation des conditions de travail. Il en sera ainsi tant que son influence ne s'élargira pas pour toucher les salariés des secteurs où la syndicalisation demeure faible (notamment les services privés) ainsi que les salariés vivant une situation de travail non traditionnelle dont la situation particulière en matière de représentation a été très bien documentée dans le rapport Bernier publié récemment (Bernier, Vallée et Jobin, 2003). Sans un tel élargissement, la convention collective risque d'être condamnée à ne s'appliquer qu'à un noyau de salariés de plus en plus restreint et confiné à certains secteurs d'activité.
Le principe selon lequel le contenu de la convention collective relève exclusivement des parties contractantes subit aujourd'hui une érosion marquée. Le phénomène est d'abord induit par l'adoption de plusieurs lois d'ordre public qui imposent des contraintes dans le contenu des conventions. Elles influencent directement le contenu des conventions collectives, comme on l'a vu, à titre d'exemple, dans le cas des normes du travail, de la formation professionnelle, de l'équité salariale et de la santé et sécurité du travail. Les modifications récentes apportées à la Loi sur les normes du travail se traduiront inévitablement en des amendements dans les conventions collectives en ce qui concerne, notamment, le harcèlement psychologique, la durée du travail et la conciliation travail-famille. Par ailleurs, en fixant d'autorité certaines conditions de travail, ces mêmes lois risquent de rendre la convention collective moins attrayante pour les non-syndiqués.
La liberté des parties quant au contenu de leur convention collective est toutefois affectée avant tout par l'inexorable loi du marché. Celle-ci s'exprime aussi bien par le niveau de l'activité économique, entre récession ou prospérité, que par la concurrence tant locale qu'internationale. À cet égard, la mondialisation actuelle de l'économie (globalisation) ne fait que renforcer un phénomène qui existait depuis déjà longtemps.
D'un point de vue prospectif, il va de soi que les lois d'ordre public et la performance de l'économie influenceront les résultats de la négociation collective au cours des prochaines années. On peut penser que la mondialisation continuera à créer des pressions sur les organisations pour qu'elles deviennent toujours plus compétitives. Comme le montre l'expérience passée, les aléas de l'économie continueront d'agir sur le contenu de la convention. Les concessions syndicales seront plus fréquentes au cours des périodes de ralentissement économique tandis que les gains syndicaux surviendront vraisemblablement durant les périodes de croissance. Ainsi en va-t-il de la négociation collective dans un contexte d'économie de marché.
Hormis le cadre législatif et le contexte économique, d'autres facteurs sont également susceptibles d'influer sur le contenu de la convention collective. Il n'y a qu'à penser à l'évolution technologique et à ses effets sur le niveau d'emploi et la qualification requise de la main-d'œuvre. Il faut aussi tenir compte de l'évolution des attitudes et valeurs des travailleurs concernés. Ce sont des changements de valeurs, par exemple en matière d'équilibre travail-famille, qui ont amené les parties à inclure des dispositions à ce sujet dans les conventions collectives. Ici encore, il est difficile de prévoir les changements qui surviendront. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que le vieillissement de la main-d'œuvre aura des répercussions sur les organisations et entraînera probablement des changements dans les conventions collectives, telle l'introduction de la retraite progressive. Les parties devront certainement innover davantage et adapter les conventions si l'on veut faciliter le transfert de l'expertise entre les générations, promouvoir le maintien en emploi ou adapter l'organisation et les conditions du travail à une main-d'œuvre plus âgée, comme le suggérait récemment le Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre. Il est évident que les changements qui affecteront la société québécoise, et les relations du travail en particulier, finiront par se refléter dans la convention collective en raison de sa capacité d'adaptation aux nouvelles réalités.
Malgré ces facteurs d'évolution, la convention collective demeure encore aujourd'hui cet instrument né de la volonté des travailleurs de participer collectivement au processus de détermination de leurs conditions de travail et aux décisions affectant leur expérience quotidienne de travail. L'existence même de la convention collective reflète deux caractéristiques inhérentes de l'organisation sociale du travail dans nos économies occidentales : le déséquilibre dans les rapports de force entre les salariés et les employeurs d'une part et les divergences dans les intérêts et les objectifs fondamentaux qui les animent d'autre part.
C'est pourquoi on ne doit pas rechercher le rôle fondamental et la valeur première de la convention collective, par exemple dans sa capacité d'aider les entreprises à faire face à la concurrence ou à innover sur le plan technologique. Même si la convention collective est devenu un instrument primordial de gestion des ressources humaines, elle n'a pas pour autant perdu sa véritable raison d'être, soit la promotion de la démocratie au travail et de la justice sociale ainsi que la protection des salariés contre les abus patronaux.
Ce dossier a été réalisé à partir des principaux éléments de la conclusion d'un ouvrage intitulé La convention collective au Québec paru chez Gaétan Morin Éditeur en avril 2003.
Reynald Bourque, Patrice Jalette, CRIA, et Gilles Trudeau sont professeurs à l'Université de Montréal
Références
Bernier, J., G. Vallée et C. Jobin. Les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle, Rapport final, 2003.
Bourque, R. « Les conventions collectives de longue durée au Québec : bilan de la période 1994-1998 », Effectif, vol. 2, no 4, septembre-octobre 1999, p. 52-56.
Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre (CCTM). Adapter les milieux de travail au vieillissement de la main-d'œuvre : stratégie du Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre, Montréal, avril 2002.
Hébert, G. Traité de la négociation collective, Boucherville, Gaétan Morin Éditeur, 1992.
Ministère de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie (MICT). Un modèle original d'entente de partenariat : le contrat social du MICT, Direction générale des politiques, 1992.
Ministère du Travail. « La présence syndicale au Québec », Travail-Actualité, Service des études économiques, de l'exploitation des systèmes et de l'aide à la clientèle, mai 2001.
Ministère du Travail du Québec. La durée des conventions collectives. Rapport sur l'application des articles 2 et 14 de la Loi modifiant le Code du travail adoptée par l'Assemblée nationale le 11 mai 1994, Bibliothèque nationale du Québec, mars 2000.
Source : Effectif, volume 6, numéro 2, avril / mai 2003