Vous lisez : Pour démontrer sa contribution à la performance organisationnelle…

En mars 1995, Jean-Yves Le Louarn, dans un article publié dans la Revue Gestion, posait la question suivante : « Doit-on prendre la gestion des ressources humaines au sérieux ? ». Sept années plus tard, qu'en est-il exactement ? La gestion des ressources humaines a-t-elle réussi à démontrer non seulement qu'elle méritait d'être prise au sérieux, mais aussi qu'elle pouvait même faire la différence dans bien des situations entre le succès et l'échec organisationnel ? Malheureusement, cette démonstration ne tient pas de la seule pensée magique et il faut y consacrer un certain effort de gestion. La mesure de la contribution de la gestion des ressources humaines à la performance de l'organisation, dans un contexte de ressources financières restreintes, de compétitivité à l'échelle de la planète et de temps de réaction à la demande de plus en plus court, devient un moyen essentiel pour démontrer sa valeur ajoutée à la performance organisationnelle.

Le prix de ne pas le faire

Si la mesure coûte cher, l'absence de mesure est encore plus coûteuse, notamment par la perte de crédibilité qu'elle entraîne et trop souvent par le désinvestissement de l'organisation dans sa gestion des ressources humaines. Présentement, la gestion des ressources humaines est encore souvent perçue comme étant une dépense plutôt qu'un investissement et c'est sans doute ce qui explique le régime minceur que plusieurs services des ressources humaines ont subi ces dix dernières années.

Si ça ne se mesure pas, ça n'existe tout simplement pas dans l'esprit de la plupart des hauts dirigeants d'entreprise ou d'organisation. L'ère du chèque en blanc pour faire de la formation ou du développement organisationnel est révolue et chaque projet d'intervention en ressources humaines, s'il veut avoir une pérennité, devra comporter des éléments de mesure de ses résultats et de ses effets sur la performance de l'organisation. Ne pas le faire, c'est tout simplement se condamner à disparaître.

Quelques mythes et la réalité

La gestion des ressources humaines, c'est pour plusieurs professionnels du domaine de l'intangible, du soft, et ça ne se mesure tout simplement pas. Il y a également présence d'un discours à l'effet que la mesure, c'est trop compliqué et que c'est menaçant. Enfin, argument suprême, on n'a pas le temps et les ressources pour mesurer. On arrive à peine à répondre aux attentes de base. La mesure, dans une telle perspective, est alors perçue comme du non-essentiel.

Ces mythes au sujet de la mesure ne tiennent pas la route de la réalité. D'abord, il n'y a que ce que l'organisation (ou ses acteurs) ne veut pas mesurer qui ne se mesure pas. L'intangible peut se mesurer par le recours à des stratégies de mesure appropriées. Oui, la mesure requiert un effort, mais lorsqu'elle repose sur une réflexion adéquate, cet effort n'est pas compliqué. Quant à la menace de l'évaluation qui constituerait, selon certains, la face cachée de la mesure, elle apparaît bien moins grande que celle de ne pas mesurer. D'ailleurs, et certaines organisations l'ont vécu, le fait de se mesurer s'avère une occasion privilégiée de se remettre en question et d'améliorer ses façons de faire.

TABLEAU 1
Dimensions et critères de l'efficacité organisationnelle (performance)*
Valeur des ressources humaines

Mobilisation du personnel

  • Degré d'intérêt que les employés manifestent pour leur travail et pour l'organisation ainsi que l'effort fourni pour atteindre les objectifs

Moral du personnel

  •  Degré auquel l'expérience de travail est évaluée positivement par l'employé

Rendement du personnel

  • Qualité ou quantité de production par employé ou par groupe

Développement du personnel

  • Degré auquel les compétences s'accroissent chez les membres de l'organisation
Efficience économique

Économie des ressources

  • Degré auquel l'organisation réduit la quantité des ressources utilisées tout en assurant un bon fonctionnement du système

Productivité

  • Quantité ou qualité de biens et services produits par l'organisation par rapport à la quantité de ressources utilisées pour leur production au cours d'une période définie
Légitimité de l'organisation auprès des groupes externes

Satisfaction des bailleurs de fonds

  • Degré auquel les bailleurs estiment que leurs fonds sont utilisés de façon optimale

Satisfaction de la clientèle

  • Jugement que porte le client sur la façon dont l'organisation a su répondre à ses besoins

Satisfaction des organismes régulateurs

  • Degré auquel l'organisation respecte les lois et les règlements qui régissent ses activités

Satisfaction de la communauté

  • Appréciation que fait la communauté élargie des activités et des effets de l'organisation
Pérennité de l'organisation

Qualité du produit

  • Degré auquel le produit ou le service rendu répond aux besoins de la clientèle Rentabilité financière
  • Degré auquel certains indicateurs financiers (par exemple la rentabilité) de l'organisation augmentent ou diminuent par rapport aux exercices précédents, ou par rapport à un objectif fixé

Compétitivité

  • Degré auquel certains indicateurs économiques se comparent favorablement ou défavorablement avec ceux de l'industrie ou des compétiteurs

 

* Modèle tiré de Morin, Savoie et Beaudin. L'efficacité de l'organisation – théories, représentations et mesures, Gaëtan Morin éditeur, 1994, 152 pages.

La performance : un concept multidimensionnel

La mesure est essentiellement un moyen, mais dont la finalité consiste à démontrer comment et jusqu'où la gestion des ressources humaines contribue significativement à la performance de l'organisation. De quoi parle-t-on exactement lorsqu'on utilise le terme performance ? La performance est un concept qui fait référence à l'efficacité de l'organisation. En 1994, Estelle Morin, dans sa thèse de doctorat, a défini l'efficacité organisationnelle de manière fort intéressante, sous forme de quatre fenêtres, mettant ainsi fin à la vision restrictive de la performance à la seule dimension économique. Le tableau ci-dessous illustre le modèle de Morin et permet de prendre la pleine mesure des multiples facettes du concept de performance.

Ces dimensions et critères sont ceux qu'ont indiqués des présidents et des directeurs généraux pour définir ce qu'ils entendaient lorsqu'ils faisaient référence à la performance de l'organisation.

La performance est également multidimensionnelle en raison des publics aux attentes et perspectives d'analyse fort différentes auxquels elle s'adresse. Le tableau suivant montre les différentes préoccupations des publics auxquels sont confrontées toutes les organisations.

Comme les résultats des indicateurs de performance ne seront pas tous considérés de la même manière, selon les préoccupations des différents auditoires intra ou extra organisationnels, le défi consistera donc à bien déterminer ce qu'on veut exactement mesurer et, parallèlement, à établir très clairement ce que signifie ou ne signifie pas le résultat présenté.

Le concept de performance étant bien défini, il ne reste qu'à déterminer, en fonction des enjeux stratégiques de l'organisation, quels sont, parmi les dimensions et critères présentés plus haut, ceux auxquels il faudra relier un indicateur ou une combinaison d'indicateurs pour arriver à démontrer la contribution de la gestion des ressources humaines et sa portée (degré) pour chacune des dimensions et chacun des critères retenus.

TABLEAU 2
Préoccupations des différents publics
PUBLICS ANGLE D'ANALYSE
Les citoyens (secteur public) ou clients La satisfaction de leurs besoins
Les professionnels (médecins, ingénieurs, etc.) Les processus (protocoles)
Les gestionnaires  L'efficacité et l'efficience
Les employés Leur satisfaction au travail et leurs conditions de travail
Les syndicats La satisfaction de leurs membres et la protection des acquis
Le gouvernement Les grands résultats (effets sur la société) « Outcomes »
Joron 2002
Comment mesurer, jusqu'où faut-il aller?

Norton et Kaplan (1992 et 1993) indiquent que « ce qu'on mesure, c'est ce qu'on obtient (what you measure is what you get) ». Il s'agit d'un conseil très sage si l'on veut, en bout de piste, que les résultats obtenus aient de l'impact. Il est recommandé, avant de sauter sur le processus de détermination, voire de construction des indicateurs, de clarifier la mission du service des ressources humaines et les attentes organisationnelles actuelles. En clair, quel est le contrat du service des ressources humaines, qu'est-ce que l'organisation en attend comme résultats? Il est alors fortement suggéré de prendre le temps de vérifier ces points avec le président ou le directeur général de l'organisation. Il importe de bien comprendre les enjeux stratégiques d'affaires avant d'être en mesure de bien les traduire en enjeux ressources humaines. Cette étape préliminaire est non seulement importante, elle est tout simplement incontournable. Elle constitue la base sur laquelle va s'échafauder le système de mesure, car on aura compris qu'il s'agit de mesurer la contribution du service des ressources humaines aux enjeux et défis d'affaires qui intéressent la haute direction par l'implantation de stratégies et la réalisation d'interventions de gestion des ressources humaines (sur la base des enjeux établis dans ce domaine).

La seconde étape consiste à faire une réflexion avec l'équipe du service des ressources humaines et à déterminer de manière précise, pour chacun des secteurs d'intervention du service, les préoccupations de gestion (qui doivent être en lien direct avec les enjeux d'affaires traduits en enjeux ressources humaines). Cet exercice permettra d'établir un certain nombre d'indicateurs de résultat(s) qu'il faudra ensuite réexaminer pour faire des choix. Car on ne peut pas tout mesurer. Il s'agit de mesurer ce qui intéressera la haute direction.

Il est recommandé de ne retenir que quelques objets de mesure (entre trois et cinq) et d'aller au bout de la logique de la mesure plutôt que d'en retenir un très grand nombre et de ne pas être capable de livrer la marchandise. S'il y a des organisations anorexiques de la mesure, il y en a d'autres qui deviennent boulimiques et qui finissent par abandonner la mesure tout simplement parce qu'elles se sont épuisées à faire vivre un système d'indicateurs et de tableaux de bord beaucoup trop complexe. À la limite, il vaut mieux choisir un seul résultat à éclairer, quitte à en ajouter au fur et à mesure que s'établira la confiance dans la réalisation et dans la crédibilité de la mesure.

Il faut aussi valider la mesure avec ceux qui examineront les résultats. Il est préférable de tenir le débat avant plutôt qu'après, une fois les résultats sur la table. C'est souvent là que vient mourir l'effort de la mesure. On a mesuré la mauvaise chose ou pas de la bonne manière, les résultats ont été mal interprétés, on a mis en jeu ses ressources, au bout de la mesure, et le fait de s'être mesuré se retourne alors contre soi. Que de rendez-vous manqués, alors qu'il y a moyen d'éviter ces écueils !

La troisième étape est celle où on articule les indicateurs et où on définit des combinaisons d'indicateurs de manière à pouvoir bien éclairer la performance dont on veut rendre compte. Faisons une analogie avec le théâtre… Pensons aux projecteurs qui tracent sur la scène un premier cercle de lumière, puis un second et un troisième qui se rencontrent pour former une zone plus éclairée. Cette zone mieux éclairée à la rencontre des trois jets de lumière est justement celle de la performance.

La quatrième étape est consacrée à l'organisation de l'information sous forme de tableaux de bord et à l'ajustement de la stratégie marketing des résultats obtenus. S'il est bien d'avoir des indicateurs et de faire de la mesure, l'histoire qu'on en tire est encore plus importante. Le gestionnaire a intérêt à raconter l'histoire des résultats lui-même, sans quoi d'autres pourraient bien être tentés de le faire à sa place. Toutefois, rappelons-nous les différents auditoires présentés un peu plus haut, ces personnes ne s'intéresseraient pas nécessairement aux éléments auxquels le gestionnaire des ressources humaines voulait démontrer sa contribution.

La cinquième et dernière étape consiste à présenter les résultats et à déterminer les ajustements pour l'année suivante. Si certains indicateurs sont génériques et auront une longue vie, d'autres sont situationnels et ils auront une durée de vie déterminée. Ce qui préoccupe l'organisation aujourd'hui n'est pas nécessairement ce qui la préoccupera demain. Une fois de plus, l'évolution de la mesure en gestion des ressources humaines, à l'instar des autres fonctions de l'entreprise, s'effectuera en harmonie avec l'évolution des enjeux et des défis d'affaires.

Quelques exemples d'application

Le réseau hospitalier vit à l'heure de la pénurie de main-d'œuvre spécialisée. Prenons à titre d'exemple les infirmières qui constituent une ressource essentielle au fonctionnement d'un hôpital. Présentement, la pénurie d'infirmières constitue certainement l'un des enjeux majeurs de gestion des ressources humaines dans tout hôpital. Le manque d'infirmières entraîne des fermetures de lits (moins de patients traités), des heures supplémentaires, des coûts d'agence, etc. Les effets de cette pénurie peuvent même remettre en cause la performance d'ensemble de l'hôpital et le placer dans une situation financière fort précaire.

Le service des ressources humaines qui arrivera, par des stratégies appropriées, à trouver des infirmières et à se rapprocher de l'atteinte des objectifs de main-d'œuvre, contribuera à l'amélioration de la performance de l'organisation. Les dimensions du modèle de Morin — efficience économique, valeur des ressources humaines et légitimité auprès des groupes externes (satisfaction des clients) — seront affectées positivement ou négativement (selon les résultats de la dotation). L'embauche de chaque infirmière additionnelle se traduit par une capacité accrue à donner des soins (augmentation du nombre de patients traités), à diminuer les heures supplémentaires et à réduire les coûts de main-d'œuvre (ce qui est facile à calculer), etc. On peut même déterminer une valeur économique pour chaque infirmière recrutée. La performance du service des ressources humaines sera appréciée en fonction du défi que représente le contexte de pénurie. On considérera comment il a pu mieux faire ou moins bien faire que les autres hôpitaux. On pourra également apprécier le degré d'atteinte des objectifs convenus sur le plan du nombre d'infirmières à recruter, etc.

On pourrait appliquer la même chose à une entreprise privée. Certaines entreprises manufacturières, dans le domaine du transport par exemple, recherchent désespérément des ingénieurs. Chaque ingénieur recruté, dans un contexte de rareté des ressources, a une valeur économique. Si le service des ressources humaines, toujours par des stratégies et interventions ingénieuses et novatrices, réussit à dénicher les ingénieurs, il contribuera directement à la performance de l'entreprise car, au recrutement de chaque ingénieur, on peut associer une quantité de biens manufacturés et livrés aux clients. Si le gestionnaire des ressources humaines éprouve de la difficulté à établir l'évaluation économique, il y a fort à parier que les gens des finances se feront un grand plaisir de l'aider !

Conclusion

La mesure permettra aux professionnels du service des ressources humaines de gagner en crédibilité et d'obtenir les moyens d'offrir à leur organisation une gestion des ressources humaines à valeur ajoutée qui contribuera à faire la différence sur le plan du succès organisationnel.

Le processus est tout aussi important que les résultats. Il leur permettra de reconsidérer la gestion des ressources humaines, de parler à leurs clients et, qui sait, de repositionner la fonction ressources humaines dans l'organisation.

Les professionnels de la gestion des ressources humaines ont les moyens de ne plus être les parents pauvres de l'évaluation des résultats. La pérennité des services des ressources humaines passe par la voie de la mesure de la performance. Il presse de passer du discours à l'action !

Pierre Joron, MAP, CRHA est vice-président de Groupe-conseil Aon

Source : Effectif, volume 5, numéro 3, juin / juillet / août 2002

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