L'ergonomie est la discipline qui étudie les habiletés, les limites et les autres caractéristiques humaines qui sont pertinentes à la conception du travail. L'ergonome est pour sa part la personne qui applique ces connaissances à la conception d'outils, de machines, de systèmes, de tâches, de postes de travail et d'environnements divers pour une utilisation confortable, sécuritaire et efficace par l'être humain (BCPE, 2002).
Le processus par lequel les ergonomes facilitent l'optimisation entre les capacités humaines et les tâches découle d'un processus central : l'analyse de la tâche. Une grande partie de la formation en ergonomie vise l'apprentissage et la maîtrise d'outils et de méthodes d'analyse des tâches. Plus spécifiquement, on décrit les modes opératoires, c'est-à-dire la façon qu'ont les gens d'approcher et de compléter une tâche. C'est une information cruciale qui n'a malheureusement pas encore reçu ses lettres de noblesse dans la prévention. En effet, on peut imaginer la façon qu'ont les gens d'accomplir leur tâche. Mais quand on fait l'exercice d'imaginer le mode d'opération des employés avant l'observation sur le terrain, la différence entre ce qu'on avait imaginé et la réalité surprend toujours.
Bien que certains ergonomes se spécialisent dans l'analyse de la charge mentale du travail, perceptivo-motrice, perceptivo-visuelle, et même, plus récemment, dans ce qu'il semble convenu d'appeler la charge émotive reliée au travail, la démarche présentée ici sera consacrée à l'analyse de la charge physique dans un but de prévention des troubles musculosquelettiques, c'est-à-dire ceux qui touchent les ligaments, les muscles, les tendons, les nerfs et les os.
L'analyse de poste en gestion des ressources humaines…L'analyse des postes est largement utilisée par les gestionnaires des ressources humaines. Ils font cette démarche afin de faciliter la sélection, la promotion, la détermination des besoins de formation et l'évaluation du rendement des employés (Dolan et Schuler, 1995).
Quels qu'en soient les buts, le gestionnaire des ressources humaines effectue l'analyse de poste pour en dégager les exigences afin de permettre la meilleure compatibilité possible entre celles-ci et les aptitudes des employés en place ou de ceux qu'il veut embaucher.
…et en ergonomieEn ergonomie, le but fixé est le même, c'est-à-dire extraire les exigences du poste et favoriser la compatibilité entre celles-ci et les capacités des travailleurs. Le point de mire de la recherche est toutefois différent.
En gestion des ressources humaines, la formation, les aptitudes et les profils de personnalité de l'employé sont comparés aux exigences du poste. En ergonomie, ce sont les capacités physiques, mentales et cognitives de cet employé qui font l'objet de la comparaison. Ainsi, les outils utilisés et la cible des observations diffèrent complètement.
Qui fait l'analyse de poste ?Bien qu'il n'existe pas de « protocole standard » pour son exécution, l'analyse de tâche en ergonomie vise la détermination de certains facteurs de risque associés à des troubles musculosquelettiques. À cause du caractère explicite des observations (c'est-à-dire le mouvement, les modes opératoires), il est recommandé qu'une personne qui désire faire des études de ce type acquière une formation en observation et en analyse du mouvement et des gestes ainsi que dans les domaines de l'évaluation (l'entrevue, la collecte de données, etc.). Lorsque la condition médicale de l'employé l'exige, il est fortement recommandé que l'analyse du poste soit faite par un professionnel de la santé avec une formation en ergonomie ou qu'elle lui soit soumise.
Quand fait-on une analyse de poste ?La tendance actuelle est de commander une analyse de poste dans un but de prévention secondaire (après qu'il y ait eu lésion). On tente ainsi d'obtenir l'heure juste quant aux exigences d'un poste de travail, souvent en regard de limitations fonctionnelles établies médicalement.
Chez certains employeurs proactifs, on note un début d'engouement pour l'analyse de poste ciblant la réintégration d'un travailleur malade ou blessé, dans un but thérapeutique et d'économie. Des banques de tâches en vue d'affectations temporaires ainsi que des programmes individualisés de développement de capacités en milieu de travail ont déjà été instaurés dans certaines entreprises pour des travailleurs blessés. De cette façon, les travailleurs reviennent au travail plus tôt, dans des tâches prescrites, et donc thérapeutiques, qui les font progresser médicalement. Et ils continuent d'être productifs pour l'employeur. En ce qui concerne la comptabilité, on diminue ainsi la « sévérité » de la lésion, en limitant le nombre de jours d'absence du travail. D'un point de vue humain, les courants actuels en réadaptation sont catégoriques : le fait de rester actif, de garder un lien d'emploi et de « normaliser » la réadaptation favorise le pronostic.
De plus en plus, on note un intérêt grandissant pour la prévention primaire (avant la lésion). On pense que ce changement n'est pas étranger, du moins en partie, à la modification des critères d'application des facteurs de chargement (facteurs multiplicatifs) qui s'applique aux coûts d'une réclamation que la CSST a mise en place en 1999. La prévention primaire peut prendre deux visages : l'intervention ergonomique pendant la conception ou après la construction du poste.
Lorsque l'ergonomie est impliquée dès la conception d'aires, d'outils, de tâches et de postes de travail, c'est un investissement qui peut faire économiser jusqu'à deux fois le coût d'une correction d'ordre ergonomique. Ce calcul ne prend même pas en considération les coûts reliés à la lésion due à une erreur de conception. Après l'implantation du poste, il arrive que des employés se plaignent d'inconfort. Si on intervient pour ajuster la compatibilité avant qu'une lésion se déclare, on économise aussi. En effet, légalement, c'est le paiement d'indemnités par la CSST qui enclenche le passage d'un statut de lésion inactive à active et c'est ce qui fait grimper les coûts.
Que sont les facteurs de risque considérés ?Lors de la conception du poste, les facteurs de risque intéressant tous les systèmes seront déterminés, incluant les surcharges mentales, les aires de travail inconfortables etc., puis, idéalement, éliminés. De nombreux ouvrages de référence proposent des tables de conception de poste, selon l'activité à exécuter.
Lors de la prévention primaire ou secondaire, on est souvent en présence d'un inconfort ou d'une blessure localisés, et les facteurs de risque sont davantage ciblés. De façon générale, l'observation visera à déceler la présence ou l'absence de ces éléments. La présence est pondérée selon l'intensité (force, amplitude), la durée (temps de maintien de la posture ou de l'action), et la fréquence (nombre de fois/temps donné).
Pour le dos
- La manutention : hauteur de prise et de dépôt de l'objet, cadence (incluant un facteur d'accélération dans le mouvement), qualité du sol (inégal, glissant, en pente, etc.), poids à manutentionner, quantitativement (en livres ou en kilogrammes) et qualitativement (stabilité, friction : glissant ou non, muni de prises, accessible), expérience du manutentionnaire, position du tronc, des jambes et des bras pendant l'action, etc.
- Les postures contraignantes : composées des postures qui ne sont pas « neutres » (ex. : accroupi, à genoux, à quatre pattes). Le facteur de risque augmente s'il y a asymétrie de la posture (torsion) ou dès qu'il y a extension (penché en arrière).
- Les autres efforts des bras : tirer, pousser, tenir un outil.
- La posture de base : assis ou debout, en marche.
- Les postures décentrées : sur des échafaudages, des échelles, des escabeaux, dans un bateau qui vogue, par l'actionnement d'une pédale, etc.
- L'exposition du corps entier aux vibrations : comme dans la conduite d'un véhicule.
Pour le cou et les épaules
- La manutention (voir plus haut).
- Les efforts des bras : pousser, tirer, tenir, transporter.
- Les postures contraignantes : par exemple le cou penché vers l’arrière ou vers l’avant, les bras au-dessus des épaules, en croisant la ligne médiane du corps, etc.
- La répétition des mêmes mouvements : avec peu ou pas de repos.
- L'exposition aux vibrations : par exemple lors de l'utilisation d'outils vibratoires à air.
Pour les mains, les coudes, les poignets
- Les efforts des mains : selon la prise utilisée; plus la prise est petite, plus elle demande de l’effort; de plus, l'utilisation de gants peut augmenter l'effort nécessaire.
- Les postures exigeantes : les postures qui ne sont pas neutres.
- La présence de vibration : comme l'utilisation d'outils vibratoires.
- Les points de pression et les frottements : par exemple, appuyer son coude sur une surface dure, appuyer l'avant-bras sur le rebord d'une table.
- La température ambiante : la présence de froid (au contact ou ambiant) peut augmenter les risques de développement de certains types de lésion.
Pour les genoux, les hanches, les pieds
- Les postures contraignantes : accroupi, à quatre pattes, agenouillé.
- La posture de base : assis ou debout, en marche.
- Les postures décentrées : utilisation d'un échafaudage, d'une échelle, d'un escabeau, sol en pente ou inégal (terrain raboteux à l'extérieur), actionnement d'une pédale, etc.
- Le type de recouvrement de sol.
- La qualité du sol : inégal, glissant, en pente, etc.
Mais attention! Il ne s'agit pas ici d'éliminer un facteur de risque pour en causer un autre, ailleurs. Par exemple, modifier une technique de travail peut sembler très facile à faire et répondre au besoin d'éliminer certains facteurs de risque, mais en réalité, les employés pourrait avoir du mal à s'habituer à de nouvelles techniques, particulièrement si celles-ci n'ont pas été judicieusement choisies.
ConclusionLa prévention des troubles musculosquelettiques par l'analyse de poste de travail, en ergonomie, est une démarche qui permet d'augmenter la compatibilité des capacités des travailleurs et des exigences des tâches. Ce faisant, on augmente la satisfaction des employés tout en diminuant les coûts reliés aux accidents et aux maladies professionnelles.
Sonia Paquette, est membre affilié de l’ORHRI, ergothérapeute et ergonome, Ergodirect.
Source : Effectif, volume 5, numéro 4, septembre / octobre 2002.