Le stress… Une réalité neutre. Une perception négative. Des décisions à prendre, des humains à mobiliser. Tout doit toujours être taillé sur mesure et à haute intensité dans des délais très serrés. Qu'est-ce qui ébranle un cadre supérieur ? Quelles situations le forcent à affronter ses limites ? Il en a pourtant vu d'autres pour réussir à accéder au sommet d'une hiérarchie. Il est capable d'en prendre et il a très probablement démontré sa résistance à la pression, sa clarté dans la prise de décision, son assurance dans la solitude de ses rôles.
Qu'est-ce qu'une organisation attend d'un cadre supérieur ? Les règles du jeu sont-elles claires ? De quelles ressources dispose-t-il en lui-même comme être humain et au dehors dans ses rôles ? Quels sont les stress qui lui sont propres ? Et s'il y avait plus de questions que de réponses, s'il n'y avait aucune recette miracle, aucune réponse tranchée ?
Diffuser les valeurs de l'entrepriseUne organisation positionne ses valeurs haut et fort sur un panneau à l'entrée principale. Mais les véhicule-t-elle lors de ses prises de décision ?
Prenons le respect. Même si l'entreprise applique une politique de respect de la dignité ou contre le harcèlement, un vice-président peut-il porter plainte pour violence psychologique et accuser son président ? Quels sont ses recours ? Affronter, démissionner, déprimer, aucun de ces choix ne mènera à une solution gagnant/gagnant. De plus, si le respect est une valeur déficiente au sommet de la hiérarchie, la peur contaminera rapidement le système de communication et de comportements à tous les niveaux de cette organisation. C'est subtil le respect… c'est dire bonjour pour vrai en regardant l'autre, croire suffisamment à la valeur de l'être humain pour réussir à faire vivre à chaque membre de son équipe le sentiment qu'il est important, s'exprimer d'une manière recevable pour l'interlocuteur, éviter le piège de prêter a priori de mauvaises intentions. Être en relation impose des limites à ne pas transgresser. Le mépris éveille la méfiance, crée une distance et provoque même l'évitement. La peur fragilise une structure organisationnelle; à vouloir se protéger, on cherche des coupables. La peur, c'est insidieux.
Au chapitre de la cohérence, le défi est permanent. Comment le directeur général d'une division peut-il conserver sa crédibilité si le siège social envoie constamment des consignes contradictoires ? Pour conséquence, même imprégnés de transparence et d'ouverture, ses messages vers les opérations ne pourront éviter l'insécurité, le doute et la démotivation. Comment mobiliser son équipe sans avoir l'air de se dissocier de l'organisation ? De quel pouvoir dispose-t-il quand des éléments nouveaux peuvent constamment remettre en question tout processus déjà annoncé ? Garder le cap dans un environnement dont le mouvement perpétuel risque de détruire les motivations de base s'appuie sur une grande flexibilité. En effet, protéger la finalité signifie un réajustement constant des « comment ». La nécessité d'une vision articulée émerge quand il est question de cohérence. Cette dernière s'appuie sur la sécurité personnelle et son expérience s'enracine dans des habiletés interpersonnelles. Mobiliser ses employés sur des avenues claires tout en les dirigeant vers l'inconnu, avec la mission d'affermir la motivation même si le temporaire, voire l'éphémère fait loi : voilà le défi de la cohérence.
Si un cadre supérieur semble avoir choisi de s'occuper de ses objectifs individuels, a-t-il abdiqué les responsabilités liées à son statut et en est-il conscient ? Car cette position traduit un manque d'implication et sclérose la prise de décision. Qu'est-ce qui conduit à ce retrait ? Ce cadre n'est peut-être pas dans le bon fauteuil… ou pas dans la bonne entreprise… Il est possiblement mûr pour une remise en question ou il est en situation de survie… Sans doute un peu de tout cela ! Mais comment se permettre avec élégance une réflexion sécurisante ? Comment se responsabiliser face à la gestion du pouvoir ? Tous les bons professionnels, tous les cadres intermédiaires ne deviendront pas de grands cadres supérieurs. Est-ce dévalorisant ? La hiérarchie du pouvoir est-elle un donjon où l'on doit monter inéluctablement ? La valeur personnelle est-elle reliée au statut ? Comment identifier les croyances derrière les réactions ? Le cadre supérieur peut-il remettre en question ses choix à l'abri de la une des médias ?
Une boîte à outils enrichie…La boîte à outils d'un cadre supérieur se compose de toutes les boîtes à outils de son cheminement antérieur, et plus. Ce « plus » fait appel à l'habileté de gestion des processus. Passer de la gestion des contenus à la gestion des processus fait vivre une grande appréhension de perdre accès à toute compétence. Et ce passage n'est pas franchi par tous les appelés. Cette profonde sécurité intérieure qui conduit à s'entourer de gens forts représente une des différences majeures permettant de reconnaître les grands gestionnaires. C'est l'assurance de pouvoir faire grandir les membres de son équipe et d'en sortir soi-même grandi. D'aucuns sont menacés par la force de leurs adjoints et appliquent leur énergie à les rabaisser. Avoir confiance en soi, est-ce que ça s'apprend ? Comment le cadre supérieur sait-il ce qui le rend anxieux (pas matériellement, mais émotionnellement) ?
Un cadre supérieur a-t-il le droit de ressentir de la peur? Prenons un cas concret… Un employé sur le point d'être congédié verbalise des menaces de mort destinées au président. Cet employé pratique la chasse dans ses loisirs, il possède donc des armes. Les vice-présidents sont paralysés, se sentent pris en otage. Bonne réponse ! Les risques de mise en acte suicidaire ou homicidaire ne peuvent être traités à la légère dans la société actuelle. La peur reflète la conscience d'une gravité et non un signe de faiblesse. Il est essentiel de faire le point et d'explorer les diverses solutions de rechange pour retrouver une sécurité dans l'action et faire face aux conséquences potentielles de cette action. La conscience du risque et la capacité de délai s'appuient en effet sur des certitudes cognitives et affectives et reflètent une perspective dans la décision. Réussir à maintenir la conscience et le souci des détails en les situant dans l'optique de globalité qui est propre aux cadres supérieurs, et ce, très rapidement, c'est indispensable ! Est-ce inné ? Est-ce que ça s'acquiert ?
Gérer les humains en 2002…Est-ce que les humains se portent plus mal en 2002 ? Qu'est-ce que ça prend pour gérer des humains ? De la générosité. Pas dans le sens financier du terme ! Bien sûr, il y a des règles de rémunération, d'équité et toutes les normes s'y rapportant. Non, il ne s'agit pas de cela. Qu'est-ce qui fait la différence en période de crise dans une organisation ? C'est la générosité du cœur. Un mélange d'implication, de sensibilité, d'empathie, de passion, de simplicité, le tout bien enrobé d'intégrité et d'un merveilleux sens du timing. Il y a des moments où le président doit être là, sur le plancher. Il y a des paroles qui doivent être empreintes de sincérité, sinon le silence s'impose. Le vrai transcende le paraître. Un comité de direction qui agit en « touriste » récolte méfiance et fermeture. Un comité de direction, qui croit que l'organisme a besoin que tous les rôles soient joués pour atteindre le succès, mobilise et encourage. Bien sûr, en maintenant un cadre de règles et de procédures, c'est indispensable de baliser. Si ça semble naïf et évident, tant mieux !
Les humains sont-ils plus difficiles à gérer qu'auparavant ? L'équilibre est précaire. La tolérance semble affaiblie, les valves de sécurité sont souvent absentes, des lumières rouges s'allument de diverses façons. Ainsi, dans une entreprise, deux vice-présidents vivent un conflit majeur et le président a besoin de ces deux joueurs; donc, il laisse faire. Le temps sera-t-il un allié ? Non. Est-ce que ce conflit a une influence ? Oui. Dans une autre entreprise, un président a besoin de mobiliser son équipe de direction, car l'actionnaire exige un virage. Cette équipe ne partage aucun objectif commun et le président ne sait plus comment rallier les attentes en des consensus mobilisateurs. Ces deux présidents sont de grands leaders et atteignent leurs objectifs financiers à court terme. Cependant, d'autres habiletés sont requises pour gérer aisément un conflit entre deux cadres supérieurs ou pour mobiliser une équipe qui n'en est pas une. Les humains ne sont pas plus difficiles à gérer, mais gérer fait appel à de nombreuses facettes de l'être humain. Les attentes se sont transformées en exigences souvent irréalistes. Les contextes se sont complexifiés au point d'être déshumanisés. Où sont les zones de confort ?
Marcher la tête haute ne veut pas dire regarder en l'air. Ce n'est pas non plus démontrer une indifférence comme si tout était simple et facile. Certains cadres supérieurs affichent une béate insouciance pour avoir l'air en possession de leurs moyens. Comment doser la conscience d'une situation et le rôle d'influence et de sécurité requis pour mobiliser son équipe, son organisation ? Cela s'apprend ! Cela se ressent !
Garder la tête froide, quelle expression ! Comment la réchauffer, la mettre en mouvement ? Avoir la tête froide implique qu'on est en pleine possession de ses moyens. Mais cette métaphore paralyse. Tous les affects survolés dans ce texte laissent supposer de la chaleur, de la vie. Ressentir, vibrer, s'engager, se questionner, se permettre, se protéger, se positionner… Garder la tête vivante implique des liens avec le cœur, avec les viscères. L'être humain ne se compose pas de petites boîtes toutes compartimentées, c'est un système merveilleusement complexe.
Comment se permettre d'avoir des limites sans douter d'être à la hauteur de ses rôles ? Comment rester cohérent dans ses valeurs personnelles confrontées aux décisions organisationnelles ? Comment se laisser toucher en dedans de soi tout en conservant ses moyens au dehors ? Comment croire à l'objectif et maintenir le cap dans le brouillard des mouvements à court terme et des enjeux d'entreprise ?
Le succès passe par des réponses à ces questions. Et des réponses d'envergure intégrant le cœur et la tête. Chaque grand dirigeant est d'abord un être humain qui doit apprendre à intégrer les ressources de l'être humain aux habiletés de gestion et à conjuguer sa puissance personnelle et son pouvoir décisionnel.
Sylvie Pelletier est psychologue et présidente de Sylvie Pelletier Consultants Inc.
Source : Effectif, volume 5, numéro 3, juin / juillet / août 2002