Vous lisez : Faut-il toujours garder le silence?

Il y a maintenant trois ans que Josée travaille pour la même entreprise. Elle s'y est d'ailleurs fait beaucoup de relations, en particulier Marc, un employé du service à la clientèle, qu'elle considère maintenant comme un ami. Un jour, Marc lui raconte que sa femme attend un bébé et qu'il compte acheter une nouvelle maison, plus vaste. Il ajoute que la maison que sa femme et lui désirent est légèrement au-dessus de leurs moyens, mais qu'en faisant un peu attention, ils peuvent s'offrir ce luxe. Quelques jours plus tard, lors d'une rencontre de département, Josée apprend qu'il y aura des coupures de personnel dans l'entreprise et que Marc est sur la liste des employés qui vont perdre leur emploi. Avec le bébé qui s'en vient et la nouvelle maison qu'il convoite, il lui sera difficile de boucler son budget s'il n'a plus d'emploi. Au lendemain de cette rencontre, Josée rencontre Marc à la cafétéria; celui-ci lui dit qu'il compte faire une offre d'achat sur la maison, dès le jour suivant. Mais que doit faire Josée ? L'information qu'elle détient est encore confidentielle…

Un enjeu délicat

Pour plusieurs professionnels de la gestion des ressources humaines, le choix de cette profession a été guidé par un désir profond d'aide et de respect des valeurs organisationnelles. La situation décrite dans cette chronique a été vécue par plusieurs d'entre eux et fut, pour certains, une douche froide qui a entraîné une prise de conscience majeure quant aux conséquences de leurs décisions dans le cadre de leur profession.

La conciliation des relations professionnelles avec l'amitié en milieu de travail constitue un défi quotidien pour le professionnel de la gestion des ressources humaines. Comment atteindre un équilibre harmonieux entre ses devoirs et responsabilités et les affinités avec certains collègues qui, au fil des années, deviennent des amis ? Le cas de Josée et de Marc présente une toile de fond intéressante pour examiner l'enjeu délicat qu'est l'éthique professionnelle.

La loi est claire

Le code de déontologie des membres de l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec stipule à l'article 6.6 que : « tout membre doit, particulièrement dans l'exercice de fonctions qui l'amènent à gérer des ressources humaines, tenir compte de la confidentialité des dossiers (…) et des informations ou renseignements de nature confidentielle concernant des personnes et qui viennent à sa connaissance dans l'exercice de sa profession. »

Le nouveau code de déontologie appuie les dispositions du Code civil du Québec qui stipule que tout salarié doit non seulement agir avec loyauté envers son employeur, mais aussi qu'il ne peut faire usage de l'information à caractère confidentiel obtenue dans le cadre de son travail.

Quoique récent, le code de déontologie de l'ORHRI n'est pas de droit nouveau. Il est à l'image du code de certains autres professionnels ayant accès à des renseignements confidentiels, et s'inspire de l'obligation de confidentialité et de discrétion de la part du professionnel.

Ces obligations prévues à l'article 51 du code de déontologie et celles de l'article 19 (3) abondent dans le sens de celles du Code civil du Québec portant sur les conflits d'intérêts.

Ainsi, selon la lettre de la loi, Josée doit non seulement garder confidentiels les renseignements qu'elle détient au sujet des mises à pied prochaines, mais elle doit également faire passer les intérêts de son employeur avant ceux de Marc pour ne pas affecter sa loyauté envers son employeur.

Qu'en est-il de l'esprit de la loi ? Josée peut-elle protéger son amitié avec Marc et lui éviter de contracter des dettes qu'il ne pourra pas rembourser tout en honorant ses obligations professionnelles ?

Comme agir dans cette situation délicate ?

La rencontre de Josée et de Marc à la cafétéria constitue une étape critique.

De par ses obligations professionnelles, Josée ne peut informer Marc des mises à pied prochaines et son comportement ne doit pas non plus laisser transparaître l'information confidentielle dont elle dispose.

Toutefois, à titre d'amie, certaines avenues peuvent être empruntées avec discernement professionnel afin de permettre à Marc de gagner du temps avant d'acheter sa nouvelle maison.

Josée pourrait par exemple faire quelques suggestions à Marc :

a) « Marc, as-tu entamé les procédures légales entourant cette décision financière importante ? Le notaire, l'inspection de la maison, l'acceptation de l'hypothèque, etc., ce sont des étapes préalables qui exigent du temps et qui doivent être prises au sérieux. Je te suggère de prendre ton temps avant de passer à l'action. »

b) « Hum… crois-tu que le contexte actuel est favorable ? Avec toute l'incertitude liée aux marchés boursiers et aux entreprises, si j'étais à ta place, j'attendrais un peu. »

c) « Je ne peux pas m'étendre sur le sujet en raison de la confidentialité des informations et de la loyauté qui me lie à l'organisation, mais je te conseille d'attendre un peu avant de faire l'offre d'achat sur la maison… Le contexte organisationnel ici est incertain et je ne prendrais pas de chance si j'étais à ta place. »

Bien que la ligne soit mince entre le dévoilement d'information confidentielle et le conseil d'amitié, les commentaires de Josée en a) respectent à la fois la lettre et l'esprit de la loi. Ses propos en b) sont un peu plus nébuleux, mais ne vont pas à l'encontre de la loi. Par contre, en c), Josée prend des risques, s'exposant ainsi à un renvoi et à des poursuites civiles, advenant que son employeur subisse des pertes (même non prévisibles) provenant de la divulgation d'information de la part de Josée.

La règle d'or d'une conduite professionnelle exemplaire consiste principalement à ne pas briser le lien de confiance et de loyauté qui lie le professionnel à son employeur en divulguant de l'information confidentielle, faisant ainsi usage du privilège dont il bénéficie.

La conciliation des obligations professionnelles avec l'amitié en milieu de travail ne peut exister que si l'on se donne des conditions gagnantes :

  • prendre conscience des situations délicates que l'amitié peut engendrer;
  • communiquer ses responsabilités professionnelles aux amis, particulièrement sur le plan de l'obligation de confidentialité et de discrétion dans l'exercice de sa profession;
  • baliser la relation par une entente tacite et simple : l'amitié devient une relation professionnelle lorsqu'il est question de travail.

Geneviève Cloutier, CRHA, est conseillère à capital humain, en collaboration avec Me Roxanne C. Poulin, LL. L., Société Watson Wyatt Canada.


 La confidentialité : une obligation formelle…

Il faut admettre au départ que la situation est délicate. Le fait que Josée entretienne des relations interpersonnelles et amicales doit plaire à un certain nombre d'employés et favoriser l'échange d'informations sur les plans tant personnel que professionnel.

Depuis quelques années, les discussions sur le sujet de l'éthique professionnelle se multiplient. Que ce soit dans le milieu des affaires, dans le monde politique ou dans le domaine professionnel, des documents sont rédigés, des politiques sont élaborées. On informe tous les intéressés que l'on veut être pur et dur. Ces actions, souvent entreprises à la suite d'une situation particulière, demeurent sans suivi et, lorsque la poussière retombe, l'éthique n'est soudain plus un sujet aussi important.

Dans la situation qui nous intéresse, il faut bien tenir compte des règles de régie interne de l'entreprise, de la manière dont ces règles sont appliquées au jour le jour, sans toutefois oublier de prendre en considération l'intégrité de Josée. Il ya des valeurs non écrites qui sont incontournables.

La responsabilité

La responsabilité de Josée relativement à l'obligation de ne pas divulguer d'information confidentielle est primordiale. L'obligation vient de deux sources.

Tout d'abord, elle a un devoir de loyauté envers son employeur, afin de ne pas nuire à la bonne marche des affaires courantes. Josée représente l'employeur auprès des employés; elle doit donc agir avec discernement. Si elle informe Marc de la situation, il en sera ébranlé. Il est probable qu'il en parlera avec ses collègues et on peut imaginer dans quelle situation l'employeur se retrouvera.

L'éthique, c'est aussi une affaire de gros bon sens. S'il y a une fuite d'information, Josée perdra sans doute la confiance de bien des gens et le développement de sa carrière pourra en subir le contrecoup.

En second lieu, vient la responsabilité professionnelle. En effet, Josée doit préserver le secret de l'information (coupure de personnel) qu'elle a obtenue dans l'exercice de sa fonction. En aucun cas, sa relation avec Marc ne doit entrer en ligne de compte, car on pourrait prétendre qu'elle a agi dans un intérêt personnel, soit celui de préserver sa relation d'amitié avec Marc. Josée est avant tout une professionnelle de la gestion des ressources humaines et elle doit agir selon les règles de sa profession.

L'idée que Marc puisse lui en vouloir pourrait lui venir à l'esprit, mais l'éthique doit tout de même primer la relation d'amitié. Josée doit donc garder pour elle l'information confidentielle qu'elle détient.

Quant à Marc, sa décision consiste en un projet de couple et sa responsabilité est de considérer un ensemble de facteurs, y compris la possibilité de perdre son emploi.

Au fil du temps, Josée apprendra à harmoniser son style de gestion avec ses obligations professionnelles. Sa façon de faire doit lui être utile dans bien des occasions, mais elle comporte un risque, soit celui d'entretenir des relations amicales qui peuvent provoquer des situations inconfortables.

Pierre Richard Côté, CRIA, est un associé de Brochu et Labre.

Source : Effectif, volume 5, numéro 4, septembre / octobre 2002.

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