La gestion des opinions différentes des médecins peut souvent mener au casse-tête. Qui a préséance ? Comment concilier et gérer les différences ? Quel rôle doit adopter le gestionnaire face aux opinions ? Dans cet article, nous mettrons l'accent surtout sur le rôle du médecin d'entreprise et les attentes à son égard, puisque l'intervention du gestionnaire est nécessaire à ce niveau. Nous ferons aussi un survol du rôle du médecin traitant et des attentes à son endroit.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, voici d'abord un tableau simplifié qui différencie les rôles des médecins habituellement côtoyés en entreprise. En effet, les gestionnaires font face à divers types de médecins en entreprise et il s'avère donc de la plus grande importance de les distinguer.
Le médecin traitantLe médecin traitant, expression couramment utilisée, est plutôt défini dans la Loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles comme le médecin qui a charge du travailleur (art. 199). Par ailleurs, dans les cas d'invalidités payables par les assurances, le terme médecin traitant est employé.
En termes simples, il s'agit du médecin que choisit l'employé pour traiter sa blessure ou sa maladie. Puisque les temps ont changé… tout comme le système de santé, le médecin traitant n'est plus nécessairement le médecin de famille du travailleur. Fréquemment, le premier médecin consulté à l'urgence ou à la clinique du quartier devient le médecin qui prend la responsabilité du travailleur et qui soignera la blessure ou la maladie. Ce médecin pose le diagnostic, choisit les traitements appropriés, permet l'affectation temporaire, envoie le travailleur à un spécialiste, établit la date de consolidation et détermine l'atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
Dans certaines circonstances, le médecin qui a pris charge du travailleur peut orienter son patient vers un médecin spécialiste, afin que ce dernier donne les traitements spécialisés et en effectue le suivi. Plusieurs médecins peuvent donc traiter un travailleur, mais généralement un seul devrait en avoir la « charge ».
Compte tenu de la relation privilégiée entre le médecin traitant et son patient, il va sans dire que le praticien a à cœur les intérêts de son patient. Il doit donc le traiter en fonction de ses dires au risque de perdre son client. Pas si facile d'être médecin traitant !
Afin que le médecin traitant ait en mains toutes les informations pertinentes à sa prise de décision, le gestionnaire doit alimenter le médecin traitant en lui transmettant le dossier qu'il possède sur son employé. Fournir la description exacte des tâches du travailleur, l'horaire de travail, les dispositions d'accommodement proposées par l'employeur, le processus de réadaptation et évidemment les informations médicales sont des exemples de renseignements qui aident le médecin traitant à avoir un portrait juste.
Le médecin d'entreprisePresque indispensable dans l'entreprise, le médecin désigné par l'employeur devient la porte d'accès au dossier médical d'un travailleur accidenté (art. 209). À cause de la confidentialité des renseignements médicaux, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) fait parvenir les documents médicaux reliés à une lésion professionnelle uniquement à un médecin et jamais à l'employeur.
Qu'il soit en permanence sur les lieux de l'entreprise, à temps partiel ou en consultation externe, le médecin remplit les mêmes fonctions en regard d'une lésion professionnelle. Par ailleurs, un médecin d'entreprise peut offrir également d'autres services tels que les examens avant l'embauche, la surveillance en cours d'emploi, les examens de contrôle des employés en cours d'invalidité.
Tableau comparatif des fonctions médicales en entreprise | ||
Médecin… | Droit provenant de … | Brève description |
traitant (qui a charge du travailleur) | • Loi sur les accidents et maladies professionnelles (LATMP) | • Choisi par le travailleur afin de suivre l'évolution de son accident du travail ou de sa maladie professionnelle. |
désigné (de l'employeur) | • LATMP | • Choisi par l'employeur pour avoir accès au dossier que la CSST possède sur son travailleur. |
responsable | • Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) | • Médecin du CSLC qui est responsable des programmes de santé spécifiques aux entreprises. S'occupe, entre autres, du retrait préventif de la femme enceinte ou qui allaite. |
expert | • LATMP • Assureur | • Choisi par l'employeur, la CSST ou le travailleur, il émet son opinion médicale de spécialiste sur un sujet donné. |
du Bureau d'évaluation médicale (BEM) | • LATMP | • Désigné par le ministre du Travail, il confirme ou infirme le diagnostic et autres conclusions du médecin qui a charge, du médecin désigné par l'employeur ou par la CSST. |
Chaque entreprise doit d'abord déterminer ses besoins avant de pouvoir cerner le mandat qu'elle veut donner à son médecin.
La fréquence et la gravité des accidents sont-elles élevées ? Le taux d'absentéisme est-il inquiétant ? L'organisation fait-elle partie des entreprises à très haut risque pour la santé et la sécurité des travailleurs ? Il est difficile de tirer une tendance, voire des recommandations puisque les exigences varient énormément selon chaque entreprise. Les choix les plus fréquents peuvent être répertoriés en trois catégories. Toutefois, tous les mandats sont possibles.
- Certaines entreprises choisissent un médecin pour agir uniquement dans le cadre de la LATMP. Il agira à titre de « médecin désigné », c'est-à-dire désigné pour recevoir et analyser les dossiers, examiner les travailleurs et émettre des opinions et recommandations dans le cadre de cette loi.
- D'autres choisissent un médecin contractuel dans l'entreprise pour effectuer plusieurs tâches (examens avant l'embauche, surveillance en cours d'emploi, etc.). Compte tenu des coûts substantiels d'une telle approche, seulement les très grandes entreprises et les entreprises à haut risque d'accidents ont recours à cette méthode. Même si cette méthode semble attrayante, ces médecins d'entreprise portent plusieurs chapeaux, ce qui peut devenir conflictuel.
- Beaucoup d'entreprises choisissent l'impartition et se réfèrent à des cliniques spécialisées selon les besoins.
Nos attentes sont parfois très grandes à l'égard du médecin d'entreprise. Pour cette raison, il est primordial de cerner les besoins de l'entreprise en matière médicale, de donner un mandat clair au médecin et de lui spécifier les attentes.
Il est également nécessaire de s'allier à un médecin dont les qualités correspondent à la philosophie de l'entreprise, qui est expérimenté dans les diverses lois et les divers programmes d'assurance et, enfin, qui comprend et connaît le rôle que nous attendons de lui. Après une mini-consultation, certains gestionnaires en ressources humaines s'accordent pour dire qu'outre sa compétence médicale, la connaissance de l'entreprise, la capacité d'être objectif et la compréhension de son rôle sont les plus importantes qualités recherchées chez un médecin d'entreprise (voir encadré ci-contre).
Il est intéressant de revenir sur cette dernière affirmation. Beaucoup d'employeurs laissent au médecin toute latitude de gérer administrativement les dossiers, ce qui, pour plusieurs, va au-delà des compétences médicales. La gestion d'un dossier d'invalidité est un travail d'équipe entre professionnels dont chacun détient des compétences précises. Le médecin intervient sur le plan médical et le conseiller doit s'occuper de l'aspect administratif en faisant entre autres le choix de contester ou non le dossier.
Les responsabilités du gestionnaire à l'égard du médecin d'entreprisePuisqu'il s'agit d'un travail d'équipe, le gestionnaire a sa part de responsabilité afin de s'assurer que le médecin de l'entreprise ait tous les éléments en mains avant de donner une opinion. Il se doit de l'informer des installations de la compagnie, des postes et des tâches confiées, des poids manipulés, des outils, des véhicules utilisés, etc. Sans oublier de communiquer les objectifs de gestion de l'invalidité, les ressources disponibles (PAE), l'état des relations du travail avec les employés, la culture, la vision et le climat ambiant.
Prendre le temps de discuter avec le médecin de l'entreprise devient rapidement bénéfique. Cette relation, malheureusement souvent négligée, est essentielle, surtout si le médecin n'effectue que quelques heures de travail par semaine ou par mois dans l'entreprise.
Une approche quelque peu différente doit être adoptée lorsqu'il est question d'une demande d'expertise à un spécialiste. Puisque la demande vise un but bien précis, il est nécessaire de bien orienter les expertises afin qu'elles répondent au besoin du gestionnaire.
Quelques critères pour faire un bon choix... |
Le médecin :
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Identification de la personne et description de la situation
- La date de l'accident ou le début de l'invalidité.
- Le poste occupé et la description de tâches.
- L'horaire de travail.
- Les antécédents d'absentéisme particulièrement reliés à la présente invalidité.
Renseignements sur la présente invalidité
- Le début de l'invalidité.
- La description de l'événement ou de l'accident (s'il y a lieu).
- Les certificats médicaux ou formulaires d'assurance émis par les médecins traitants.
- Le contexte particulier du recours à l'expertise.
Lorsque l'on parle de description de tâches, il ne s'agit pas ici d'une description liée à des conditions de travail ou encore d'une description prévue dans une convention collective, mais bien d'une description des mouvements réellement effectués durant le travail. Cela permet au médecin, qui souvent n'est pas dans l'entreprise, de bien comprendre la problématique.
Ce que l'entreprise veut connaître
- Le diagnostic.
- La date prévisible de la consolidation médicale.
- Les traitements : sont-ils adéquats, suffisants.
- L'existence et/ou le pourcentage de l'atteinte permanente s'il y a lieu.
- L'existence de limitations fonctionnelles.
Il est important que le médecin expert précise si les limitations fonctionnelles sont permanentes ou temporaires, auquel cas il devra en signifier la durée. De plus, le médecin, connaissant la tâche de l'employé, peut contacter le médecin traitant et discuter du retour au travail avec lui. Le gestionnaire pourra déterminer un emploi convenant réellement aux limitations émises.
Le respect de chaque rôle, médecins et gestionnaires, est la clé d'une saine gestion et d'un partenariat. D'abord, le respect du rôle du médecin traitant puisque la relation privilégiée qu'il entretient avec son patient est importante; il faut rappeler que la CSST est liée par l'opinion du médecin traitant. Vient ensuite le respect du rôle du médecin d'entreprise qui doit épauler le gestionnaire dans la gestion des dossiers d'invalidité. Ainsi, les compétences médicales du médecin de l'employeur mariées aux compétences administratives et à la connaissance de l'entreprise du gestionnaire en font une équipe de choix pour gérer la présence au travail.
Catherine Tremblay, CRIADenise Verdy, CRIA, est associée, Dunton, Rainville, S.E.N.C.
Source : Effectif, volume 5, numéro 3, juin / juillet / août 2002