Vous lisez : Comment se portent les relations du travail au Québec?

Dans une société démocratique où le droit de recourir à la grève est un corollaire essentiel du droit d'association, il y aura toujours un certain nombre de conflits associés aux rapports collectifs de travail. Il est cependant très difficile, voire impossible, de déterminer à quel niveau ou degré de conflit correspond un état général des relations du travail pouvant être qualifié « d'excellent », de « bon », de « passable » ou de « mauvais » dans une société donnée. Qui plus est, toute appréciation de la situation peut difficilement faire abstraction des « états d'âme » de la personne qui fait l'évaluation.

Ainsi, une personne de nature pessimiste sera sans doute encline à dresser un portrait négatif de l'état actuel des relations du travail au Québec, si son opinion repose principalement sur des conflits déplorables comme ceux qui sont survenus à la compagnie Bell Canada où l'employeur a signifié à quatre mille de ses employés qu'il n'avait plus besoin de leurs services ou à la Société de transport de Québec où les négociations furent marquées d'actes de vandalisme, d'une loi spéciale de retour au travail ainsi que de la création d'une commission d'enquête par le gouvernement ou encore à la ville de Verdun où le conflit s'échelonna sur plus de cinq cents jours.

Par contre, une personne optimiste cherchera à présenter un portrait positif de l'état des relations du travail en s'appuyant sur l'existence des « contrats sociaux » conclus au milieu des années 1990 ou sur certains types d'arrangements patronaux syndicaux innovateurs, tels l'entente de stabilité opérationnelle d'une durée de dix-huit ans en vigueur à la compagnie Alcan ou le mode d'implication syndicale à l'usine de la compagnie Abitibi-Consolidated située à Alma.

Ces mises en garde étant faites, rappelons qu'il existe néanmoins des indicateurs assez fiables sur lesquels on peut se baser pour évaluer l'état des relations du travail d'une société donnée. Ceux-ci nous sont fournis par les différents ministères du travail qui tiennent à jour des statistiques détaillées sur les conflits de travail : nombre de conflits, nombre de travailleurs touchés, durée moyenne, nombre de jours/personnes de travail perdus et pourcentage de temps de travail perdu. L'examen de ces données permet aussi de connaître la nature des services touchés par les conflits de travail selon les différents secteurs de l'économie. Enfin, un autre indicateur de l'état des relations du travail concerne l'adoption par le gouvernement de lois spéciales pour empêcher que des conflits de travail nuisent au bien-être général de la communauté.

Comme ces statistiques sont compilées sur une base annuelle, il est donc possible d'analyser l'évolution de la situation dans le temps et de faire des comparaisons avec d'autres pays ou d'autres provinces.

Enfin, on peut aussi utiliser deux autres indicateurs, quoique qualitatifs ceux-là, de l'évolution de l'état des relations du travail au Québec : il s'agit, d'une part, de l'existence de nouvelles approches en relations du travail et, d'autre part, des mesures prises par les pouvoirs publics pour favoriser et accompagner ces nouvelles approches. Nous traiterons de ces deux sujets après avoir analysé l'évolution des principaux indicateurs relatifs aux conflits de travail au cours des trente-cinq dernières années.

Évolution des conflits de travail au Québec : 1966-2001

Le tableau 1 montre l'évolution des conflits de travail au Québec depuis 1966 par périodes de cinq années. Les indicateurs retenus sont le nombre de jours/personnes de travail perdus, le pourcentage de temps de travail perdu, le nombre de conflits, leur durée ainsi que le nombre de lois spéciales adoptées par le gouvernement habituellement pour mettre fin à un conflit de travail, mais parfois pour intervenir dans le fonctionnement normal des relations du travail. Sont cependant exclus de ce nombre, les divers amendements apportés régulièrement au Code du travail ou aux autres lois d'application générale (décrets, fonction publique, construction).

Amélioration marquée de la situation globale dans les années 1990-2000

On remarque un déclin radical de l'ampleur des conflits de travail au cours de la décennie 1991-2000 par rapport aux décennies précédentes. En effet, alors que la décennie 1981-90 a conservé une moyenne annuelle de plus de 1 500 000 jours/personnes de travail perdus à cause des conflits, la dernière décennie a vu cette moyenne diminuer de plus du triple puisque celle-ci a été inférieure à 500 000. Si l'on compare maintenant cette dernière période avec les années 1971-80, on constate une chute encore plus radicale puisque le Québec a maintenu, entre 1976 et 1981,une moyenne annuelle de plus de 3 500 000 jours personnes perdus et, entre 1971 et 1975, cette moyenne était de 2 400 000. Exprimés en pourcentage de temps de travail perdu, les chiffres sont tout aussi révélateurs, car on est passé d'une moyenne annuelle de 0,61 % dans la période 1976-1981 à une moyenne de 0,06 % dans la dernière décennie. Tout un contraste !

TABLEAU 1
CONFLITS DE TRAVAIL AU QUÉBEC, 1966-2000,
MOYENNES ANNUELLES PAR PÉRIODES DE CINQ ANS
PériodesJours- personnes % temps perduNombre Durée cLois spéciales
1966-70 1 546 004 0,35143,226,37
1971-75 2 430 4400,46260,824,47
1976-80 3 572 0510,61343,035,06
1981-85 1 541 3560,26297,640,08
1986-90 1 574 9480,21246,640,05
1991-95 481 200 0,06145,241,62
1996-00 486 6730,06122,2 a50,53
2001 502 223 bn. d. 111 a, bn. d.1
a : En 1999, l'unité de référence passe de l'établissement à l'accréditation syndicale.
b : Données provisoires. c : En jours ouvrables.
Source : Grèves et lock-out au Québec, Ministère du Travail du Québec, pour les années concernées.

Quant à l'année 2001, le bilan récent, dressé par la Direction de la recherche et de l'évaluation du ministère du Travail (disponible dans le site Web du Ministère), révèle que « ce fut une année calme, caractérisée par un nombre relativement faible de conflits de travail, de courte durée, mais mettant en cause des unités de négociation de grande taille : construction (génie civil); Alliance des professeurs et professeures de Montréal; fonctionnaires fédéraux; entrepreneurs de services d'édifices ».

Une comparaison avec la province voisine de l'Ontario permet de mieux apprécier le redressement qui s'est effectué dans l'état des relations du travail au Québec au cours de la dernière décennie. Ainsi, alors que, de 1980 à 1989, la part du Québec représentait 31,7 % de l'ensemble des jours/personnes de travail perdus à cause des conflits de travail au Canada et que celle de l'Ontario s'établissait à 26,8 %, les résultats pour la décennie 1990-1999 sont radicalement opposés : les conflits du Québec ne comptent plus que pour 18,3 % de l'ensemble canadien contre 37,4 % pour l'Ontario, et ce, même si le taux de syndicalisation du Québec est environ 10 % plus élevé qu'en Ontario. (Nous avons exclu de cette comparaison les conflits relevant du Code canadien du travail et de la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique fédérale.)

L'indicateur « jours/personnes de travail perdus » est sans doute le plus révélateur de l'ampleur des conflits, car il incorpore trois dimensions importantes : le nombre de conflits, leur durée ainsi que le nombre de travailleurs impliqués. Notons toutefois que l'indicateur « nombre de conflits » a lui aussi connu une baisse marquée par rapport aux périodes précédentes, et ce, même si, depuis 1999, un nouveau mode de comptabilisation des arrêts de travail a pour effet une hausse relative du nombre de conflits de travail inventoriés puisque l'on considère dorénavant, comme unité de référence, l'accréditation syndicale plutôt que l'établissement.

La présentation des statistiques par périodes de cinq années permet de neutraliser l'influence des conflits gigantesques qui accompagnent chaque ronde de négociation dans le secteur public. En effet, chaque période du Tableau 1 inclut une ronde de négociation, sauf celle de 1991-1995 où il n'y a pas eu de renouvellement de conventions collectives et celle de 1976-1980 qui chevauche sur les négociations de 1975-76 en plus d'inclure la ronde de 1978-80. Cette dernière période (1976-1980) fut d'ailleurs la plus turbulente de l'histoire des relations du travail au Québec, car le secteur privé connaissait également plusieurs conflits, certains étant même déclenchés avant la date d'expiration des conventions collectives, à cause de l'état inflationniste de l'économie nord-américaine.

Le nombre de lois spéciales adoptées par le gouvernement pour intervenir dans les rapports collectifs est un autre indicateur de l'état des relations du travail. Ces interventions surviennent habituellement pour mettre un terme à un conflit de travail ou empêcher que celui-ci n'éclate, mais quelques-unes sont parfois provoquées par des irrégularités dans la régie interne des parties comme ce fut le cas à propos de certains syndicats de l'industrie de la construction dans les années 1970.

Trente-neuf législations spéciales ont donc été ainsi adoptées au Québec entre 1965 et 2001 et elles ont touché les secteurs suivants : santé et services sociaux (8), éducation (6), secteur public dans son ensemble (4), Hydro Québec (3), municipalités (2), transport (9), construction (7 dont 3 concernant la régie interne des syndicats). À l'exception des sept lois touchant l'industrie de la construction et de celle concernant les camionneurs impliqués dans le transport des marchandises au port de Montréal, les législations ont toujours impliqué des services où l'État est le principal bailleur de fonds direct ou indirect.

Tout comme le nombre de conflits, le nombre de lois spéciales est lui aussi en baisse puisque l'on n'en compte que six entre 1990 et 2001 contre treize dans chacune des deux décennies précédentes. Une des raisons expliquant ce phénomène est le fait qu'entre 1990 et 1998, il n'y a pas eu de négociations pour le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public. En effet, de janvier 1992 à juin 1993, les conventions collectives ont été prolongées par entente entre le gouvernement libéral de l'époque et les syndicats. Également, en juin 1995, quelques mois avant le référendum sur la souveraineté du Québec, le gouvernement du Parti québécois et les syndicats du secteur public s'entendirent pour prolonger les conventions collectives jusqu'au 30 juin 1998 en échange de certaines augmentations salariales et de l'abrogation d'une loi adoptée par le précédent gouvernement. Cette loi, en plus de prolonger les conventions collectives jusqu'à la fin de juin 1995, imposait une réduction annuelle de 1 % des dépenses reliées à la masse salariale. Par contre, lors de la reprise des négociations dans le secteur public en 1998-1999, une nouvelle loi spéciale a dû être adoptée pour forcer le retour au travail des infirmières qui ont même, pendant un certain temps, défié la loi.

Une autre raison expliquant la diminution des lois spéciales est l'assainissement des relations du travail dans l'industrie de la construction. Entre 1988 et 1997, l'indice de grève et de lock-out de cette industrie a été presque cinq fois moins élevé au Québec qu'en Ontario (0,15 contre 0,72), alors qu'entre 1968 et 1977, l'Ontario avait connu un indice deux fois plus bas qu'au Québec et qu'entre 1977 et 1988, les deux provinces avaient un indice à peu près comparable.

La situation s'est particulièrement améliorée depuis que le gouvernement a procédé au fractionnement de l'industrie en quatre grandes composantes (résidentiel, industriel, commercial/institutionnel et génie civil) aux fins de négociation des conventions collectives de travail, permettant ainsi de mieux prendre en compte les conditions particulières du marché du travail de chaque secteur. Depuis l'entrée en vigueur du nouveau régime (1994), aucune loi spéciale n'a été adoptée. Par le passé, le recours aux nombreuses lois spéciales dans l'industrie de la construction était provoqué d'une part par les rivalités intersyndicales qui prévalaient dans les années 1970 et d'autre part par la centralisation excessive des structures de négociation, ce qui incitait les parties à s'engager inexorablement dans une épreuve de force où l'intervention gouvernementale constituait la seule façon de dénouer le conflit.

Persistance de certaines situations problématiques

Malgré ce bilan général très positif, il ne faudrait cependant pas s'emballer outre mesure et s'imaginer que le Québec est sur le point de devenir une société sans conflit de travail.

En effet, la décennie 1990, qui avait commencée avec une crise économique d'envergure, a été marquée d'un affaiblissement graduel du pouvoir de négociation des syndicats. Malgré la reprise du milieu des années 1990, les organisations syndicales québécoises ont néanmoins dû composer avec un environnement économique beaucoup moins favorable que par le passé, par suite de l'intensification de la concurrence et de la mondialisation des économies. C'est pourquoi la plupart des syndicats n'ont pas cherché à s'opposer aux ajustements exigés par les entreprises, mais ont plutôt adopté un comportement pragmatique visant à protéger le plus possible les emplois. D'ailleurs, ceux qui ont essayé de résister se sont souvent engagés dans de longs conflits dont le dénouement n'a, en général, pas été très positif. Que l'on pense au conflit impliquant les onze typographes du journal The Gazette qui est en cours depuis le début de juin 1996 !

Ainsi, même si la propension aux conflits de travail a fortement diminué, l'augmentation de leur durée moyenne au cours de la dernière décennie (voir Tableau 1) est un signe évident que ceux qui éclatent sont cependant d'une grande complexité et parfois pas toujours faciles à régler comme peuvent en témoigner les personnes impliquées dans les services de conciliation du ministère du Travail.

Facteurs explicatifs et caractéristiques des conflits de travail

• Le secteur privé

Dans le secteur privé, on remarque une diminution graduelle de la taille des groupes de salariés impliqués dans les conflits de travail.

Cette situation s'explique en partie par la diminution de la taille moyenne des unités d'accréditation dans le secteur, phénomène amorcé depuis plusieurs années, mais aussi par le fait que ce sont surtout les grandes entreprises exposées aux pressions de la concurrence internationale qui ont transformé l'organisation du travail et adopté de nouveaux modes de gestion dans le sens d'une plus grande implication des travailleurs et de leurs syndicats. Les plus petits établissements, dont la production est surtout orientée vers des marchés locaux, sont moins impliqués dans les innovations sociales et ils conservent une philosophie des relations du travail et des méthodes d'organisation du travail plus traditionnelles (Lapointe, Lévesque, Murray et Le Capitaine, Les innovations en milieu de travail dans le secteur des industries métallurgiques, Rapport synthèse, Table de concertation des industries métallurgiques, Ministère du Travail du Québec, avril 2001).

• Les secteurs public et parapublic

Dans les secteurs public et parapublic ainsi que dans le secteur municipal, où les employeurs ne sont pas exposés aux pressions de la concurrence, les modes de gestion bureaucratiques et autocratiques sont encore très répandus (quoiqu'il y ait certaines exceptions) et ils sont associés à des relations du travail traditionnelles et conflictuelles.

Un rapide coup d'œil au tableau 2 permet de reconnaître facilement les années où les négociations des secteurs public et parapublic se sont déroulées (caractères gras). En effet, sauf lors de la négociation de 1985-86, chaque ronde fut marquée d'un nombre considérable de jours/personnes de travail perdus à cause des grèves. L'exception à cette règle générale s'explique par le fait que la négociation précédente s'étant terminée par l'application de décrets tenant lieu de conventions collectives, le contexte n'était pas très propice au militantisme !

TABLEAU 2
Part (%) du secteur public dans le total des jours/personnes de travail perdus à cause des conflits de travail de compétence provinciale, Québec, 1966-2000
Années %Années%Années%
196633,7197812,9199030,5
196713,2197930,519919,7
196832,2198035,919922,1
1969 7,719815,919932,4
197010,0198217,219940,0
197114,9198354,9199517,8
197229,519840,419963,1
19730,019854,3199714,9
19741,619865,2199817,1
19752,119872,21999*41,9
197622,019882,82000*19,8
19778,8198956,6  
* Nous avons soustrait les données provenant du secteur municipal qui est inclus dans le secteur public depuis 1999 alors qu'auparavant il faisait partie du secteur privé.
Source : Grèves et lock-out au Québec, Ministère du Travail, pour les années concernées.

Les pourcentages relativement élevés des années récentes où il n'y a pas eu de négociation entre les grandes centrales syndicales et le Conseil du Trésor pour le renouvellement des conventions collectives (1995, 1997, 1998 et 2000) s'expliquent par les facteurs suivants. D'abord, plusieurs conflits d'importance sont survenus dans des entreprises faisant partie du secteur péripublic, c'est-à-dire celui qui regroupe les sociétés d'État comme le Casino de Montréal, la Société des traversiers et la Place des Arts. Ensuite, les enseignants du collégial affiliés à la CEQ (aujourd'hui CSQ) ont fait trois semaines de grève en 1995 et l'ensemble des 80 000 membres de cette centrale ont déclenché une grève générale d'une journée en 1998. Puis, un certain nombre de conflits de travail locaux sont également survenus dans le secteur de la santé et des services sociaux. Enfin, on peut souligner des conflits impliquant des groupes de salariés habituellement peu enclins à faire la grève, tels des groupes de professionnels de la santé comme les résidents et internes, les technologistes médicaux et les techniciens de la santé, ou encore les chargés de cours des universités du Québec à Trois-Rivières, de Sherbrooke et de l'École Polytechnique.

Il importe également de mentionner, qu'outre le conflit des infirmières qui a été le fait saillant du renouvellement des conventions collectives du secteur public en 1999, la société d'État Hydro Québec a connu un long et dur conflit, comme cette entreprise en vivait dans les années 1970 et 1980 alors que des gestes de vandalisme furent posés. De plus, un autre groupe, peu habitué à utiliser la grève pour faire valoir ses revendications, n'a pas hésité à passer à l'action : il s'agit des éducatrices des centres de la petite enfance (anciennes garderies sans but lucratif) dont l'arrêt de travail a forcé la main au gouvernement pour l'adoption d'une structure salariale uniforme comportant un redressement salarial important.

• Le secteur municipal

Quant à la situation du secteur municipal, on pourrait sans doute la qualifier de relativement sereine si l'on se fiait uniquement aux statistiques sur le nombre de conflits ou de jours/personnes de travail perdus rapportées au tableau 3. En effet, abstraction faite des quatre années où un seul très long conflit a lourdement pesé dans la balance (ville de Montréal en 1980, 1986 et 1991 et ville de Verdun en 1999) ainsi que de l'année 2000 dont les résultats s'expliquent sans doute par le positionnement stratégique recherché par les syndicats à l'aube des fusions municipales, les conflits du secteur municipal n'ont représenté, en moyenne annuelle, que 1,7 % du total des jours/personnes de travail perdus entre 1977 et 2000. D'ailleurs, même en tenant compte de ces cinq années, la moyenne ne passe qu'à 3,2 % pour l'ensemble de la période.

TABLEAU 3
Nombre de conflits de travail, de jours/personnes de travail perdus et pourcentage du total attribuable au secteur municipal - 1977-2000 (Conflits de compétence provinciale)
AnnéesNombreJrs-pers%AnnéesNombreJrs-pers%
19772345 4683,519891222 6551,5
19781539 3702,419901314 9291,4
19791521 0400,619911152 53413,8
198019194 5964,91992133 5311,0
19812120 9421,419931516 1643,3
19822228 9382,4199431 7900,7
19831528 8011,2199559340,2
19842014 3291,3199651 3570,3
19851219 4391,9199766 6293,2
198615118 1245,319981131 0334,4
19871110 9610,919991652 6278,3
1988910 2191,520001333 22411,2
Source : Grèves et lock-out au Québec, Ministère du Travail, pour les années concernées.

Cependant, l'état des relations du travail dans le monde municipal ne doit pas être évalué uniquement en tenant compte des statistiques du tableau 3. Trois autres facteurs doivent aussi être pris en considération. D'abord, ces statistiques ne tiennent pas compte de la situation des sociétés de transport des grandes communautés urbaines du Québec qui sont assimilées aux entreprises de transport du secteur privé aux fins de collecte des données sur les conflits de travail. Pourtant, il est indéniable que ces organisations doivent être considérées comme des entités municipales et l'on sait que leurs relations du travail n'ont pas la réputation d'être parmi les plus harmonieuses, comme en témoignent les six lois spéciales de retour au travail adoptées par le passé dans ce secteur. D'ailleurs, lorsque les dispositions sur les services essentiels ont été introduites au Code du travail en 1982, plusieurs observateurs de l'époque qualifiaient de « Loi de la STCUM » les nouveaux amendements ainsi apportés ! En principe, les nouvelles dispositions devaient permettre de préserver simultanément l'exercice du droit de grève par les syndiqués et le droit des citoyens de recevoir des services jugés essentiels, tout en évitant à l'État d'avoir à intervenir au moyen de lois spéciales. Malgré tout, trois des six législations adoptées dans ce secteur d'activité l'ont néanmoins été après l'entrée en vigueur de ces amendements.

Par ailleurs, s'il est vrai que l'obligation faite aux syndicats municipaux de maintenir les services essentiels permet de réduire, en principe, l'impact d'un conflit de travail sur les citoyens, cela ne veut pas dire que les syndicats ne bénéficient pas pour autant d'un réel pouvoir de pression sur leur employeur. Il en est ainsi d'une part parce que le maintien des services essentiels entraîne habituellement un prolongement de la durée du conflit et qu'à la longue, cette pression finit par se faire sentir sur les citoyens; d'autre part, dans certains cas, il suffit que le syndicat ne retire du travail qu'un petit nombre d'employés stratégiques pour que les opérations de l'employeur soient sérieusement perturbées, et ce, en minimisant les coûts pour les syndiqués. C'est ce qui s'est produit en 2000 à la STCUQ alors que l'absence au travail de seulement seize mécaniciens a fait en sorte que les quatre cent cinquante autobus ne pouvaient pas rouler.

Un troisième facteur dont il faut tenir compte pour comprendre la dynamique des relations du travail du secteur municipal réside dans le fait que les règlements de conventions collectives de plusieurs groupes de salariés sont fortement influencés par ceux qui sont obtenus par les policiers et les pompiers : ces derniers n'ont pas besoin de faire la grève puisqu'ils peuvent s'en remettre à de généreuses sentences arbitrales pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail. Les employés municipaux ne sont donc pas très incités à s'engager dans des modes de gestion participatifs visant à améliorer la qualité ou à diminuer le coût des services comme c'est le cas pour un nombre de plus en plus grand de syndiqués du secteur privé. Il leur suffit de se contenter de revendiquer ce qui a été consenti aux policiers ou aux pompiers et de menacer de recourir à la grève s'ils n'obtiennent pas satisfaction.

Dans ce contexte, si le passé est garant de l'avenir, la négociation des premières conventions collectives dans les nouvelles villes unifiées risque donc de dégénérer en de magistraux affrontements.

• Nouveaux groupes touchés par les conflits de travail

Finalement, une autre caractéristique des conflits actuels, c'est qu'ils touchent des groupes de travailleurs qui n'étaient pas réputés pour leur militantisme ni même, dans certains cas, couverts par le Code du Travail. Ainsi, au cours des dernières années, nous avons assisté à de nombreux conflits de travail impliquant des professionnels de la santé autres que les infirmières. Qu'il s'agisse de médecins, de professionnels paramédicaux tels les technologistes médicaux, les techniciens de la santé, les inhalothérapeutes ainsi que des pharmaciens, ces derniers ayant même été l'objet de deux des quatre dernières lois spéciales adoptées par le gouvernement, bien que leurs activités professionnelles ne soient pas encadrées par le Code du Travail.

Il en est de même avec d'autres groupes de professionnels tels les éducatrices des centres de la petite enfance, les chargés de cours et même les professeurs d'université comme on l'a vu à l'automne 2001 avec la grève survenue à l'Université Laval.

Nouvelles approches en relations du travail et en organisation du travail

L'environnement économique difficile du début des années 1990 a fait comprendre aux partenaires sociaux, du moins ceux du secteur privé qui étaient les plus exposés aux pressions de la concurrence, l'importance de mettre de côté l'habituelle guerre de tranchées associée aux rapports collectifs au profit d'une plus grande concertation. La nécessité de réaliser des investissements majeurs visant à moderniser les entreprises pour faire face à une concurrence nationale et internationale de plus en plus féroce ne pouvait se faire sans s'assurer, pour l'entreprise, une garantie de paix industrielle de longue durée et, pour les syndicats, une meilleure protection de l'emploi. C'est ainsi qu'au Québec, les « contrats sociaux » firent leur apparition.

Outre l'engagement de paix industrielle de longue durée, le contrat social portait sur divers aspects de l'organisation du travail et de la gestion : transparence économique, développement des ressources humaines, stabilité de l'emploi, flexibilité et mobilité des travailleurs, qualité totale et mécanismes de gestion conjointe de l'entente. Un tel contrat était distinct de la convention collective dont la durée était limitée à trois ans, mais des lettres d'entente convenues entre les parties permettaient de préciser les liens entre les deux documents. On a établi à environ soixante-dix le nombre de contrats sociaux signés au milieu des années 1990 au Québec.

Même s'ils sont presque tombés en désuétude après que le Code du travail eut été amendé en 1994 pour permettre la signature de conventions collectives de longue durée, les contrats sociaux peuvent être néanmoins considérés comme les précurseurs d'un mouvement plus vaste de transformations des rapports de travail dans les entreprises. En effet, de plus en plus d'employeurs considèrent dorénavant que, pour réaliser les changements organisationnels nécessaires à une amélioration de leur performance économique, il faut obtenir la participation active des salariés et des syndicats ou, du moins, s'assurer que ces derniers ne s'y opposeront pas. Pour leur part, plusieurs syndicats sont favorables aux nouvelles formes d'organisation du travail à condition que celles-ci s'accompagnent d'une démarche de concertation. Lorsque ces conditions sont présentes, les syndicats acceptent de remettre en question le modèle traditionnel de relations du travail.

Une telle volonté d'établir un dialogue patronal-syndical sur les nouvelles approches en milieu de travail a conduit à la publication, par le Conseil consultatif du travail et de la main-d'œuvre, d'un document qui, pour la première fois en Amérique du Nord, reflète une vision partagée par le patronat et les syndicats quant aux objectifs et aux moyens à adopter pour changer l'organisation et les relations du travail dans les entreprises (Document de réflexion sur une nouvelle organisation du travail, CCMT, avril 1997). La publication d'un tel document n'aurait jamais été possible dix ans auparavant.

Un autre indice de l'amélioration de l'état des relations du travail au Québec est fourni par le recours de plus en plus fréquent à des méthodes de négociation non traditionnelles comme la négociation basée sur les intérêts. Il est difficile de connaître le nombre de conventions collectives qui ont été signées après que les parties aient eu recours à une démarche de négociation non traditionnelle mais, si l'on se fie aux demandes d'assistance formulées au service concerné du ministère du Travail, il est indéniable que ce nombre va en augmentant.

Les entreprises et syndicats ayant recours à des méthodes de négociation non traditionnelles se retrouvent dans l'une ou l'autre des situations suivantes : les entreprises ayant éprouvé des difficultés économiques et ayant mis en place un train de mesures visant à assurer leur relance qui sont logiquement amenées à considérer des solutions de rechange à la méthode de négociation traditionnelle; les grandes entreprises fortement exposées à la concurrence qui ne peuvent se permettre le luxe de s'engager dans de longs conflits; enfin, les entreprises où les parties manifestent une lassitude devant la méthode traditionnelle et qui désirent expérimenter une façon plus civilisée de négocier.

Mesures prises par les pouvoirs publics pour accompagner l'émergence des nouvelles approches en relations du travail

L'examen de la transformation des services d'accompagnement offerts aux employeurs et aux syndicats par le ministère du Travail permet de constater jusqu'à quel point les relations du travail ont évolué au Québec. Cet examen sera basé uniquement sur le rôle joué par la Direction générale des relations du travail bien que les activités du ministère du Travail recouvrent plusieurs autres domaines tels le bureau du Commissaire général du travail (future Commission des relations du travail), les normes du travail, les décrets des conventions collectives, le Conseil des services essentiels, la santé et sécurité du travail, l'industrie de la construction et l'équité salariale. Un examen complet de l'évolution de l'ensemble des activités du Ministère permettrait sans doute de renforcer l'argumentation encore davantage.

Ainsi, en 1978, la Direction générale du travail ne comptait que deux services d'accompagnement des rapports collectifs, soit « Conciliation et arbitrage » et « Médiation spéciale ». Dix ans plus tard, on retrouve les services distincts « Conciliation » et « Arbitrage » auxquels on a ajouté les services « Médiation préventive » et « Médiation dans les secteurs public et parapublic ».

Qu'en est-il maintenant en 2001 ? D'abord, on a ajouté une Direction des innovations en milieu de travail dont le rôle est d'inventorier et d'analyser les pratiques novatrices en matière d'organisation du travail, de conciliation travail/famille et de vieillissement de la main-d'œuvre et de faire la promotion de ces pratiques dans les milieux intéressés. Ensuite, on a séparé la Direction générale des relations du travail en deux sous-services : la Direction de l'arbitrage et de la conciliation et la Direction de la prévention et des partenariats.

La Direction de la conciliation et de l'arbitrage recouvre les services liés aux activités de relations du travail traditionnelles telles que la conciliation/médiation ainsi que l'arbitrage des différends et des griefs mais, à la demande expresse des parties siégeant au CCMT, on y a ajouté un nouveau service : le Tribunal d'arbitrage procédure allégée.

Quant à la Direction de la prévention et des partenariats, dont le nom est déjà très évocateur de la nouvelle philosophie qui anime le Ministère, son mandat est d'élaborer et d'offrir divers types d'interventions de nature préventive aux employeurs et aux syndicats désirant améliorer la qualité de leurs relations en favorisant de meilleurs rapports de travail quotidiens dans l'entreprise. Ses interventions sont volontaires et réalisées en dehors du cadre de la négociation collective, sauf dans le cas de la formation et de l'accompagnement des parties désirant utiliser la négociation basée sur les intérêts.

D'autres services relèvent aussi de cette Direction. C'est le cas de la Médiation préventive qui vise à dégager des consensus entre les parties en partant d'un diagnostic fait séparément. Le Séminaire en relations du travail, d'une durée de trois ou quatre jours, s'inscrit dans la même optique : il vise à améliorer les rapports entre la direction de l'entreprise et la direction du syndicat. L'Aide à la formation d'un comité de relations du travail est un autre service offert par le Ministère pour aider les parties à résoudre des problèmes de fonctionnement de la convention collective. La formation porte sur les méthodes de résolution de problèmes, le rôle de la communication efficace, la prise de décision par consensus et les techniques d'animation de réunion. Enfin, le Ministère offre aussi un service de médiation pré-arbitrale qui permet aux parties de rechercher des solutions mutuellement satisfaisantes tout en leur faisant économiser les coûts associés au recours à un arbitre de griefs.

Les interventions de type préventif du ministère du Travail sont loin d'être aussi fréquentes que les interventions de conciliation/médiation traditionnelles puisque, entre 1996 et 2001, la moyenne annuelle des premières a été de soixante-quatorze (sans compter la formation et l'accompagnement à la NBI), alors que la moyenne des secondes a été de cinq cent trois. Malgré tout, ces interventions préventives révèlent que le ministère du Travail assume dorénavant un rôle proactif dans la diffusion d'une culture de concertation dans les milieux de travail. Cela ne peut donc qu'avoir des conséquences positives sur l'état général des relations du travail au Québec.

Conclusion

On peut affirmer que, de façon générale, l'état des relations du travail au Québec s'est considérablement amélioré si l'on compare la situation de la dernière décennie avec celle des deux décennies antérieures. Il importe cependant de souligner que l'amélioration s'est surtout fait sentir dans le secteur privé de l'économie et que le secteur public, tant provincial que municipal, est de façon générale resté enfermé dans ses vieilles ornières conflictuelles.

La principale raison expliquant cette différence résulte de la plus grande concertation développée par les partenaires sociaux du secteur privé pour s'adapter à un contexte économique difficile qui les a amenés à consacrer davantage d'efforts à trouver des façons de créer de la richesse plutôt que de se chicaner à propos de la redistribution de cette richesse.

Il est assez paradoxal de constater que la majorité des entreprises qui ont mis en place des mécanismes favorisant une plus grande implication des travailleurs et des syndicats à la gestion se retrouvent parmi celles qui sont les plus exposées à la concurrence internationale, et ce, malgré le fait que les syndicats dépensent beaucoup d'énergie pour combattre cette mondialisation. Par ailleurs, dans les secteurs où les entreprises possèdent des quasi monopoles (ou en ont déjà possédés) ou qui ne sont pas ou peu exposés à la concurrence, comme le secteur public et les administrations municipales, on retrouve des modes de gestion plus autocratiques et des rapports collectifs de travail plus antagonistes. C'est comme s'il fallait un ennemi commun aux entreprises et aux syndicats pour leur faire adopter des comportements moins conflictuels.

Jean Boivin, Ph. D., CRIA, Département des relations industrielles, Université Laval

Source : Effectif, volume 5, numéro 2, avril / mai 2002

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