Lorsqu'on pose la question des compétences requises dans un contexte de gestion des ressources humaines stratégique, on pose une question à laquelle il n'existe qu'une seule réponse : ça dépend !
Pour pouvoir répondre à cette question, il faut en effet savoir définir au préalable les différentes conditions et les divers environnements stratégiques dans lesquels on évolue et en déduire les compétences requises.
Car s'il est vrai que cela prend quelques compétences clés pour développer une gestion des ressources humaines stratégique, il n'est pas vrai qu'il y a une seule façon de faire de la stratégie dans ce domaine et un seul type de compétences requises.
Bref, pour répondre à la question des compétences dans un contexte de stratégie ressources humaines, il faut d'abord être stratégique !
Les compétences : qu'est-ce qu'on entend ?On entend par là les compétences organisationnelles au sens où les «gens de stratégie» l'entendent, et non au sens des compétences individuelles, telles qu'elles sont définies par les psychologues industriels.
Les compétences organisationnelles, selon les disciples de la stratégie d'entreprise, sont les attributs qu'une organisation maîtrise et doit maîtriser; ce sont aussi les ressources uniques (technologies, outils…) dont elle dispose : selon le degré d'exclusivité de ces attributs et ressources, elles peuvent devenir des compétences dites « distinctives » (par rapport à la concurrence).
Ces compétences organisationnelles se répercutent toujours sur les processus et façons de faire ainsi que sur les produits et, éventuellement, sur la réputation de l'entreprise. Les compétences stratégiques (leur acquisition, maintien et développement) conditionnent nécessairement les investissements de l'entreprise : elles sont un atout stratégique et une condition essentielle pour le succès des orientations stratégiques.
Selon cette définition, les compétences stratégiques de gestion des ressources humaines sont donc les attributs distinctifs sur lesquels la fonction ressources humaines d'une entreprise doit mettre l'accent, celles qu'elle doit traiter de façon prioritaire, celles qui vont et qui devront conditionner l'ensemble de ses choix et activités.
Parce qu'elles sont prioritaires, parce qu'elles sont critiques, parce que les compétences stratégiques se doivent par définition d'être maîtrisées, on comprendra qu'elles sont limitées quant à leur nombre. En entreprise, on mettra l'accent sur les plus importantes, celles sur lesquelles on voudra attirer l'attention : s'il y en a trop, elles ne sont pas stratégiques ni prioritaires(1).
Différentes entreprises et différents modèles de planification stratégiqueL'évidence même, c'est qu'il n'y a pas un modèle monolithique de planification stratégique en gestion des ressources humaines et il n'y a pas de compétences stratégiques uniques dans ce domaine : celles-ci vont varier selon le type d'entreprise, son environnement d'affaires et son approche à la planification stratégique d'ensemble.
Le plus important déterminant des approches de planification stratégique en gestion des ressources humaines est le modèle de planification stratégique d'ensemble. Nous en distinguons trois, qu'on peut qualifier de différentes «écoles» de planification stratégique et que les différentes firmes de consultants incarnent de façon plus ou moins rigoureuse par les méthodologies qu'elles proposent.
De la façon d'envisager la planification stratégique d'ensemble dans une entreprise dépendra la façon d'envisager la planification stratégique en ressources humaines, et par delà les différentes compétences que les professionnels qui y œuvrent devront maîtriser.
Le modèle classique de la planification stratégiqueC'est l'apanage des écoles de commerce et de bon nombre de chefs d'entreprise, particulièrement là où on préconise un style entrepreneurial descendant (top-down). Les consultants qui défendent cette approche vendent leur expertise d'analyse de marché, de balisage de la concurrence, leurs études macro et micro économiques, les études de sensibilité et analyses d'impact financier… Des démarches quantitatives...
Selon cette approche de la planification stratégique, il y a une bonne réponse à trouver : un peu comme un problème d'algèbre; il s'agit de suivre le processus, de travailler fort à chercher la solution souvent unique, et on va y arriver !
Dans ce contexte, il s'avère souvent que le plus grand défi organisationnel n'est pas de trouver la réponse à la question, mais de réaliser la solution, de mettre en œuvre la stratégie optimale. Il arrive d'ailleurs souvent que ceux qui l'ont conçue (plus souvent qu'autrement en vase clos), critiquent les ressources en place pour avoir failli à réaliser une pourtant si belle stratégie !
Et souvent les gens de gestion des ressources humaines sont parmi ces boucs émissaires. À tort sans doute : comment en effet faire sienne une stratégie à laquelle la seule contribution attendue est de réagir, a posteriori ? Il n'est pas aisé d'ajouter de la valeur organisationnelle sur le plan des ressources humaines quand le modèle de stratégie est un modèle marché / concurrence, financier et économique.
Malgré un contexte qui ne leur est donc pas favorable, plusieurs directions des ressources humaines ont réussi. Ce sont celles qui ont adopté elles-mêmes une approche entrepreneuriale, proche des opérations; celles qui ont investi dans la compréhension et la formulation de ce qui va conditionner le succès de la stratégie d'entreprise; celles dont l'essence de la stratégie est de travailler inexorablement à déceler et à éliminer l'incohérence des programmes de gestion des ressources humaines actuels avec la nouvelle stratégie d'entreprise : l'alignement systématique des programmes et activités de gestion des ressources humaines : la reformulation de certains, l'élimination de quelques-uns, la création de nouveaux.
Un modèle de stratégie de gestion des ressources humaines plutôt réactif donc, et combien difficile à réaliser. Mais c'est dans ce contexte difficile que la légitimité de la fonction ressources humaines peut s'établir à jamais, par la détermination qu'on aura mise à définir les enjeux stratégiques souvent mal ou peu formulés, à préciser les conditions de succès en collaboration avec des cadres et employés avec qui on aura créé des alliances, par la détermination qu'on aura mise à rendre cohérentes les actions de gestion des ressources humaines avec la nouvelle stratégie d'entreprise.
La planification stratégique et organisationnelleC'est le modèle qui a été inspiré par des auteurs comme Mintzberg et qui a la cote chez bon nombre parmi les plus proactives des entreprises; il est l'apanage des firmes de consultants qui définissent la planification stratégique comme de l'accompagnement stratégique, de l'encadrement (coaching) stratégique. La fonction ressources humaines y a un rôle déterminant. Ses opposants y voient une démarche longue parce que plus participative, qui pose des questions dont on aurait (supposément) déjà les réponses, dont le bénéfice serait trop lent à venir.
Ses fondements : une stratégie d'entreprise est plus qu'une série de relations avec le marché et les concurrents; l'organisation, le personnel font aussi partie de l'équation stratégique et, plus encore, ils sont en mesure d'alimenter le débat stratégique. Selon ce modèle, faire de la stratégie, c'est animer un débat stratégique, c'est confronter différentes hypothèses, considérations et modes d'analyse. Faire de la stratégie, c'est faire un choix parmi différents scénarios.
Dans ce contexte, le rôle de la fonction ressources humaines est plus que de réagir à une orientation stratégique définie; c'est au contraire de participer au diagnostic et au pronostic organisationnel. Dans un tel contexte, le processus de planification stratégique à travers l'entreprise et le processus de planification stratégique de gestion des ressources humaines ne font qu'un.
Les principales compétences dans les fonctions ressources humaines des organisations qui adoptent cette approche de la planification stratégique, les attributs qui leur ont permis de tirer leur épingle du jeu : être en mesure de contribuer au diagnostic organisationnel et de proposer des moyens d'action, des changements; être en mesure de débattre, défendre, expliquer, justifier ces moyens d'action et changements.
Mais surtout les fonctions ressources humaines doivent être en mesure ultimement de livrer la marchandise promise, tant sur le plan du changement apporté aux programmes en ressources humaines qu'en ce qui a trait au soutien au changement organisationnel global, ce qui exigera d'elles une capacité propre de remise en question et de développement de compétences nouvelles.
Le modèle de gouverne stratégiqueCe modèle est caractéristique des grandes et très grandes entreprises et ses fondements sont d'optimiser les relations entre le siège social et les différentes unités d'affaires.
Leur défi : faire en sorte que les plans stratégiques des différentes divisions soient élaborés en fonction des impératifs locaux (leur marché, la concurrence, etc.), mais aussi faire en sorte que les plans et orientations s'inscrivent dans une intention stratégique définie par le siège social, selon un processus uniforme (ou à tout le moins cohérent) dans toute l'organisation.
Alors, le rôle de la planification stratégique et de la fonction ressources humaines de la société en est un de gouverne et non de gestion.
Les compétences de gestion des ressources humaines dans un tel contexte sont bien différentes puisqu'il s'agit de créer les conditions nécessaires pour définir et mettre en œuvre des stratégies d'entreprises gagnantes.
Pour appuyer cette dynamique qui crée inévitablement (et de façon voulue) une certaine tension créatrice entre le siège social et ses divisions, il faut des programmes stratégiques de gestion des ressources humaines destinés aux équipes de direction : gestion de la performance, gestion de la rémunération, gestion de carrière, mais surtout appui au design et à la mise en œuvre des plans stratégiques, design et déclinaison de programmes de développement des compétences clefs de direction, de renforcement des valeurs du groupe, création des infrastructures de partage des meilleures pratiques internes…
Bref, pour la fonction ressources humaines, des compétences de gouverne plutôt que de gestion, avec comme «clientèle» cible des hauts dirigeants.
Dans plusieurs de ces environnements, les vice-présidences ressources humaines ont créé des «universités d'entreprise» comme levier d'action privilégié et stratégique; plusieurs sont devenues pour les PDG le carrefour de communication et de partage de l'intention stratégique de l'entreprise. Dans ces environnements stratégiques et organisationnels, les fonctions ressources humaines sont des «bras droits» des présidents.
Les compétences de baseLa prémisse jusqu'à maintenant : l'approche de planification stratégique d'ensemble dictera l'approche stratégique de gestion des ressources humaines et par-delà prescrira les compétences de gestion des ressources humaines requises. Est-ce à dire qu'il n'y a aucun dénominateur commun, aucune compétence de gestion des ressources humaines commune pour l'ensemble des entreprises et valide pour les différents environnements stratégiques et organisationnels ?
S'il est vrai qu'une approche segmentée comme celle proposée plus haut est seule en mesure de capter la grande diversité des organisations et les attributs stratégiques de gestion des ressources humaines qui leur sont propres, il existe malgré tout un tronc commun de compétences spécifiques à la fonction ressources humaines.
Il y en a sans doute plusieurs, mais deux sont toujours présentes dans les meilleures entreprises, qu'elles soient petites, grandes ou très grandes, canadiennes, américaines ou européennes, et systématiquement absentes chez les moins performantes. Ce sont les compétences de promotion et de mesure.
Les compétences de promotionOui, vous avez bien lu : l'une des compétences de base qui distingue les meilleures fonctions ressources humaines : les compétences de promotion ! Ces fonctions ressources humaines ont fait des attributs suivants la prémisse de toutes leurs actions :
- La promotion des compétences du personnel et de la culture d'entreprise comme déterminants du succès de l'équation Produit-service / Satisfaction de clients / Valeur aux actionnaires.
- La promotion du management, du leadership et de la gestion des ressources humaines comme base de la création et du développement de cette équation.
La promotion (l'affirmation et la capacité de démonstration) de la relation de cause à effet entre Gestion des ressources humaines / Satisfaction de clients / Valeur aux actionnaires est le fondement du discours, de la légitimité et surtout de la compétence de la fonction ressources humaines dans toutes les meilleures entreprises.
Les compétences de mesureUne autre compétence qui distingue les meilleures entreprises des moins bonnes est la maîtrise des outils d'analyse et de mesure en ce qui a trait au personnel : la mesure des sources de mobilisation et de démobilisation, la mesure de la satisfaction des clients à l'égard du personnel et de l'entreprise, la mesure des compétences…
Peut-on penser qu'on puisse diriger une organisation sans mesure de la performance financière ou sans mesure du marché (les goûts, habitudes, tendances) ? Évidemment non. Or, plusieurs organisations sont dirigées sans indicateurs de mesure interne sur les variables ressources humaines et organisationnelles. Mais ce n'est pas le cas des meilleures entreprises et fonctions ressources humaines, qui ont toutes conçu des outils et technologies de mesure adaptés à leur environnement. Plus ou moins formelles chez les petites entreprises, sophistiquées chez les plus grandes, mais toujours présentes et systématiques chez les meilleures, les compétences de mesure et d'analyse en matière de gestion des ressources humaines sont par ailleurs absentes ou utilisées de façon épisodique et «mises sur les tablettes» chez les moins performantes.
ConclusionLorsqu'on interroge des chefs d'entreprise sur leurs attentes à l'égard de la fonction ressources humaines, sur les compétences en gestion des ressources humaines, les réponses varient généralement : plutôt vides et évasives dans certains cas, il arrive par ailleurs souvent qu'elles soient articulées et limpides.
Une telle vision affirmée du chef d'entreprise envers la fonction ressources humaines est-elle à l'origine d'une gestion des ressources humaines particulièrement performante ? Ou est-ce une gestion des ressources humaines performante qui contribue à l'expression d'une vision limpide et articulée du rôle de la fonction ressources humaines par les chefs d'entreprise ?
Sans doute l'un et l'autre… Une certitude toutefois : on rencontre de plus en plus des fonctions ressources humaines stratégiques et qui ont su se doter des compétences dont elles ont besoin pour l'être.
Stratégie de gestion des ressources humaines : différentes compétences pour différentes stratégies | |||
Caractéristiques de la planification stratégique d'ensemble |
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Logique dominante (croyances des dirigeants)
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Rôle de la fonction ressources humaines dans la planification stratégique d'ensemble |
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Caractéristiques de la planification stratégique en ressources humaines |
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Les compétences de la fonction ressources humaines (variables selon les environnements stratégiques) |
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Les compétences de la fonction ressources humaines (communes à tous les environnements stratégiques) |
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1 - On aurait aussi avantage à retenir cette prémisse sur le plan de la définition des compétences individuelles : quand on élabore en entreprise des profits comportant plus de cinquante compétences, c'est sans doute la meilleure façon de perdre le sens de ce qu'on veut mettre en évidence : on ne doit saupoudrer ni les compétences individuelles ni les compétences organisationnelles.
Philippe Martel, CRIA est psychologue industriel, MBA chez associé conseil, SECOR Inc.
Source : Effectif, volume 4, numéro 5, novembre / décembre 2001