Selon une enquête sur les conditions minimales du travail effectuée en 1998 par la firme de sondage CROP à la demande de la C.N.T., les salariés au pourboire représentent plus du tiers des salariés de l'industrie québécoise de l'hôtellerie et de la restauration. Cette industrie compte approximativement 197 000 salariés dont 66 200 travailleurs au pourboire. Parmi ceux-ci, 48 900 travailleraient dans les restaurants et bars, d'après la revue chronologique de la population active 1999 de Statistique Canada.
La rémunération des salariés au pourboire se compose du salaire, qui est la principale source de revenu, ainsi que des pourboires.
Par ailleurs, la grande majorité des salariés au pourboire travaillant dans les restaurants et bars ne sont pas syndiqués. La Loi sur les normes du travail et ses règlements définissent les règles minimales qui régissent les relations individuelles entre ces travailleurs et leurs employeurs. Ces règles constituent un minimum obligatoire auquel ne peuvent déroger ni les contrats individuels de travail, ni les conventions collectives (Produits Pétro-Canada Inc. c. Moalli, (1987) R. J. Q. 261 (C.A.), p. 269).
Normes minimalesLes règles particulières à la rémunération des salariés au pourboire se retrouvent aux articles 50, 50.1 et 51 de la Loi sur les normes du travail. Elles se résument ainsi :
- le salarié au pourboire doit recevoir le salaire qui lui est dû indépendamment des pourboires reçus;
- versés directement par les clients ou ajoutés à la note et remis par l'employeur, les pourboires appartiennent en propre au salarié qui a servi les clients;
- les indemnités de présence, de jours fériés, chômés et payés, de congé annuel et de cessation d'emploi se calculent sur le salaire augmenté des pourboires déclarés par le salarié ou attribués par l'employeur;
- un salarié ne peut être tenu d'acquitter des frais administratifs autres que ceux reliés à l'utilisation des cartes de crédit et dans la proportion des frais attribuables au pourboire.
Les tribunaux ont été appelés à interpréter ces règles minimales dans le cadre de litiges soumis par la Commission des normes du travail, pour le compte de salariés. Des principes de base ressortent de l'analyse des décisions et permettent de définir les droits et obligations des employeurs relativement aux pourboires versés directement ou indirectement par les clients.
Notions de baseLes notions de pourboire et de salariés au pourboire sont au cœur de la problématique de la rémunération des salariés au pourboire.
Le pourboire se définit comme la somme remise directement au salarié par le client. Il comprend aussi les frais de service ajoutés à la note du client que l'employeur remet au salarié.
Les pourboires reçus par un salarié n'entrent pas dans le calcul du salaire qui lui est dû en contrepartie de sa prestation de travail. Un restaurateur ne peut inclure le coût du service dans le prix du repas servi, même si de façon concomitante il hausse le salaire horaire de ses serveurs pour compenser la perte de leurs pourboires [Commission des normes du travail c. Gestion à hauteur d'hommes Inc., C.Q. (ch. civ.) Québec. no 200-22-010472-991, le 24 novembre 2000 (J. D. Lavoie)].
Le salarié au pourboire est, selon la Loi sur les normes du travail et ses règlements, celui qui, en raison de sa fonction, reçoit habituellement des pourboires des clients. Cela le distingue des autres salariés qui, tel l'aide-serveur, ne servent pas directement les clients même s'ils peuvent être les bénéficiaires d'une convention de partage de pourboires mise en place par les salariés au pourboire. L'aide-serveur n'est pas un salarié au pourboire pour autant.
Convention de partage des pourboiresLes salariés au pourboire sont libres de disposer de leurs pourboires sous réserve de leurs obligations fiscales. Ils peuvent ainsi convenir de partager leurs pourboires avec d'autres salariés dont le travail est relié au service des clients, mais qui ne reçoivent pas habituellement de pourboires, tels les aide-serveurs, les hôtesses, les maîtres d'hôtel. L'employeur ne peut instaurer ou imposer un régime de partage des pourboires [Simco Ltée c. C.N.T. et P.G.Q., C. S. Mtl no 500-05-004080-816, le 27 mai 1981 (J. B. Gratton)]. Les salariés au pourboire peuvent cependant lui confier le mandat de percevoir de chacun la partie des pourboires dont ils ont convenu et ensuite de redistribuer ces sommes, selon les modalités, aux bénéficiaires identifiés dans leur entente.
La convention de partage des pourboires adoptée librement et volontairement par les salariés au pourboire d'un établissement est valide [Commission des normes du travail c. 9029-8118 Québec Inc. C. Q. (ch. civ.) Qué. no 200-22-014143-002, le 23 mai 2001 (J. L. Vézina)]. L'existence d'une telle convention peut s'établir par la preuve d'une pratique de partage des pourboires dans la mesure où l'employeur n'est pas intervenu directement ou indirectement dans son adoption. Le consentement du salarié qui pose le geste de remettre à d'autres salariés une partie de ses pourboires, comme prévu à la convention de partage des pourboires, peut être présumé; c'est alors à la charge du salarié d'établir son désaccord.
Pour les mêmes motifs qu'il lui est interdit d'instaurer unilatéralement un régime de partage des pourboires, l'employeur ne peut exiger d'un salarié de participer à la convention de partage des pourboires en vigueur au moment de son embauche, ni de maintenir sa participation pour conserver son lien d'emploi. Chacun des salariés doit pouvoir en tout temps mettre fin à sa participation et son employeur ne peut prendre de mesures pour sanctionner sa décision. Il n'est pas du ressort de l'employeur d'arbitrer les droits des salariés à ce chapitre. Le salarié à qui l'employeur imposerait une sanction peut exercer le recours prévu à la Loi sur les normes du travail, soit déposer une plainte pour pratique interdite reliée à l'exercice de son droit au pourboire pour protéger son droit à la propriété du pourboire [Bogemans c. Gérard Massé Inc., 84T-115 (BCGT) (M. P. Dufault)].
Le consentement libre et volontaire des salariés, qui reçoivent habituellement les pourboires, est la pierre angulaire de la validité de toute répartition de pourboires. D'aucuns s'interrogeront sur le réel libre choix de l'ancien ou du nouvel employé de partager ou non une partie de ses pourboires selon la convention en vigueur et, en conséquence, sur l'étendue de son droit au pourboire. La question de la validité du consentement en pareilles circonstances est ouverte et n'a fait l'objet d'aucune décision judiciaire. Les litiges au terme desquels le tribunal a constaté l'existence d'une convention sans que le jugement ne précise les éléments de preuve soumis ne portaient pas sur cette matière.
Redistribution du salaire ou des pourboires par l'employeurNous retrouvons des conventions de partage des pourboires dans l'industrie de l'hôtellerie et de la restauration, mais également dans d'autres situations similaires. Dans certains cas, l'employeur exige des salariés au pourboire qu'ils lui remettent une certaine somme à la fin de chaque quart de travail ou période de paie, qu'elle lui soit versée directement par ces travailleurs ou qu'elle soit retenue sur le salaire, à titre de frais administratifs ou autres (bris de vaisselle, frais d'utilisation de cartes de crédit, etc.). Le montant peut être fixe et préétabli par l'employeur ou prendre la forme d'un pourcentage du total des ventes d'un salarié au pourboire calculé à la fin de chaque quart ou période de paie. Ces pratiques ne constituent pas un partage des pourboires. La confusion, s'il en est, découle du fait que la valeur des pourboires reçus s'exprime généralement en pourcentage du total des ventes, notamment dans la réglementation fiscale.
La légalité d'une telle pratique a été vérifiée par le juge Louis Vézina, j.c.p., dans l'affaire Commission des normes du travail c. 9029-8118 Québec Inc. Le résumé des faits est simple : les salariés remettaient par voie de déduction sur leur chèque de paie une somme équivalant à 1 % du total des ventes réalisées dans la période de paie visée de telle sorte que les salariés ne recevaient pas le salaire minimum en contrepartie de leur prestation de travail. Et l'employeur ne redistribuait pas aux autres salariés de l'établissement la somme ainsi perçue.
Dans un premier temps, le juge conclut que le pourcentage retenu sur la paie représente la participation des salariés aux frais administratifs et non un réel partage des pourboires établi en faveur de leur employeur et auquel ils auraient librement et volontairement consenti.
Les salariés complétaient les déclarations de pourboires en y indiquant la remise d'une somme équivalant à 1 % du total des ventes à l'employeur. Le juge conclut donc, dans un deuxième temps, que l'inscription par les salariés du montant de 1 % sur leurs déclarations des pourboires ne constitue pas une autorisation écrite au sens de l'article 49 de la Loi sur les normes du travail. Il en irait de même pour les salariés remettant de main à main le montant exigé par l'employeur.
La décision du tribunal aurait-elle été différente si l'employeur avait choisi de remettre, à certains salariés reliés au service, la totalité des sommes qu'il percevait des salariés au pourboire ? Les règles contenues dans la Loi sur les normes du travail, telle qu'interprétée dans son ensemble par les tribunaux, répondent à cette question. Un salarié a droit à son salaire et, dans le cas d'un salarié au pourboire, à son salaire et à ses pourboires. L'employeur ne peut déduire sur le salaire que le montant représentant une dette certaine, liquide et exigible, telle une somme versée en trop dans une paie précédente. Il ne peut exiger le paiement de frais administratifs autres que ceux représentant les frais d'utilisation de la carte de crédit reliés aux pourboires. Ce sont les deux seuls cas qu'autorise la loi. Toute convention contrevenant à ces règles minimales est nulle parce que contraire à l'ordre public.
Rôle de la Commission des normes du travailLa problématique de la rémunération des salariés au pourboire est complexe. Une meilleure compréhension des règles minimales applicables par les salariés, leurs employeurs et les différents intervenants favorise le respect de celles-ci.
Si vous désirez en savoir plus à cet égard, vous pouvez consulter le site Web de la Commission des normes du travail au www.cnt.gouv.qc.ca.
Le respect des normes minimales dans les relations individuelles de travail exige en définitive l'engagement quotidien de chacun.
Christiane Barbe, CRIA est vice-présidente aux opérations et aux services à la clientèle à la Commission des normes du travail
Source : Effectif, volume 4, numéro 5, novembre / décembre 2001