Vous lisez : Vive le vendredi libre!

Quel sacrilège de travailler lorsque les oiseaux gazouillent à qui mieux mieux et que le soleil nous bombarde de rayons brûlants. Le Seigneur n'a-t-il pas un jour dit: «Tu ne travailleras point les vendredis après-midi d'été!» C'est du moins ce qui est écrit dans la Bible de plusieurs entreprises.

Les Espagnols n'osent pas lever le petit doigt de midi à quatorze heures durant la saison (très) chaude. Les Français préfèrent mettre la clé dans leur entreprise durant tout le mois d'août. Ici, c'est plutôt le vendredi après-midi que des milliers d'employés se la coulent douce durant la saison estivale. Phénomène nord-américain sans doute.

Pas qu'il fasse chaud à ce point, l'été dans notre beau pays, pour nous empêcher de tenir un crayon sans suer. Mais la pénurie de soleil durant les courtes journées d'hiver et, tant qu'à se plaindre, durant les journées pluvieuses de l'automne, motive plusieurs patrons d'entreprise à cesser toute activité le vendredi après-midi, dès que la belle saison se pointe, pour profiter au maximum des rayons U.V.A. et U.V.B.

De Statistique Canada au ministère des Ressources humaines, en passant par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et la Commission des normes du travail, plusieurs organismes ont cet horaire d'été, mais nul n'est toutefois en mesure de déterminer le nombre d'entreprises touchées par cette pratique. Car on parle ici d'une pratique, sujette à changer d'une année à l'autre, et non d'une politique. Bien qu'elle remplisse les pages de certaines conventions collectives et que nombreux soient les employés qui la considèrent comme une obligation.

Pratique donc qui débute généralement autour de la fête de la Saint-Jean pour se terminer avec la fête du Travail, début septembre. Mais, on s'en doute, les variantes sont multiples.

«C'est un cadeau ni plus ni moins que nous offrons à nos 65 employés, même si c'est en quelque sorte un droit acquis, car l'horaire d'été existe ici depuis des lunes,» observe Judith Groulx, conseillère principale, ressources humaines, de la Fédération des caisses d'économie Desjardins.

«Tous les ans, nous nous demandons si nous devons réappliquer l'horaire estival, dit Martine Rivard, directrice principale des ressources humaines de la Société générale de financement du Québec. Les employés doivent le considérer comme un privilège.»

Privilège qui touche les 50 personnes ouvrant au siège social, rue de la Gauchetière. Une nouveauté cette année à la Société: l'horaire d'été débute au début juin et non à la Saint-Jean. «Généralement, les employés ralentissent la cadence le vendredi, remarque Martine Rivard. Ils regardent le temps s'écouler par la fenêtre. Les cadres avaient l'habitude d'inscrire à leur agenda des parties de golf!»

L'aventure estivale a commencé, il y a quelques années, un vendredi sur deux. Les dirigeants ont tellement aimé qu'ils ont adopté l'idée de l'après-midi de congé hebdomadaire ! « Il fallait débuter progressivement, car ce changement nécessitait une réorganisation du travail pour les employés.»

L'été, les bureaux grouillent dès 8 h 15, du lundi au jeudi. Et le vendredi, on verrouille théoriquement les portes à midi. «Mais la cloche ne sonne pas à midi, ajoute Martine Rivard. Si les employés n'ont pas terminé leur travail, ils restent. D'autres en profitent pour mettre de l'ordre dans leurs dossiers. Sur 14 vendredis, ils prennent l'après-midi de congé une dizaine de fois.»

«Le fait de finir plus tôt le vendredi permet aux employés de faire leurs courses et d'avoir deux journées complètes le week-end pour se divertir, commente Yves Dubuc, vice-président des ressources humaines, de Communications Quebecor. C'est une philosophie d'entreprise, mais les employés ne doivent pas la considérer comme un acquis. Bien que, si nous ne leur permettions pas de partir à midi le vendredi, ils ne seraient pas heureux.»

Mais, entendons-nous. Pour finir plus tôt le vendredi, les employés doivent rattraper leurs heures, les autres jours de la semaine. «L'idée est de répartir autrement les 37 h 30 de travail exigées,» mentionne Judith Tremblay, conseillère en ressources humaines, du Réseau des Sports (RDS).

Influencée par The Sports Network (TSN) de Toronto, la chaîne-sour de Montréal instaurait, il y a quatre ans, l'horaire d'été à la demande des employés. Les 45 personnes ouvrant en marketing, en finance, dans les services d'administration et de ressources humaines cessent donc leurs activités sur les douze coups de midi, dès les premiers jours de juin.

«Tout au long de l'année, les employés travaillent de 9 h à 5 h 30 ou de 8 h 30 à 5 h, explique Judith Tremblay. L'été, avec la permission de leur supérieur immédiat, ils peuvent partir à midi ou midi trente, à condition de travailler 30 minutes supplémentaires du lundi au jeudi.»

Avis aux fins finauds qui pensaient pouvoir concentrer leurs heures de travail en deux jours ! La pratique est appuyée par une réglementation interne en béton qui empêche tout excès : on ne débute pas avant 8 h, on ne finit pas après 18 h, on ne peut partir avant midi le vendredi, on ne peut utiliser l'heure de lunch comme temps compensatoire, on doit s'assurer qu'il y ait au moins un employé par service jusqu'à 5 h pour répondre aux urgences et, surtout, «les priorités de l'entreprise ont préséance sur l'horaire estival», précise Judith Tremblay.

Après une quinzaine de vendredis de pur bonheur, les journées frisquettes de septembre sonnent généralement la fin de la récréation. Dur, dur de revenir à la réalité. Et si on étendait la pratique 52 semaines par année, comme le fait la Société des alcools du Québec (SAQ) depuis maintenant 22 ans ? « Ça a débuté par un horaire d'été en 1976 et nous ne sommes jamais revenus à l'horaire régulier ! », raconte Denise Bilodeau, vice-présidente des ressources humaines, de la SAQ. Deux ans plus tard, un nouvel horaire s'inscrivait à la convention collective de l'entreprise.

La SAQ a modifié l'horaire en conséquence. Du 9 à 5, on est passé au 8 h 30 à 5 h, du lundi au jeudi, et au 8 h 30 à 12 h 30 le vendredi. «La pause-café de 15 minutes l'après-midi a été retranchée», précise Denise Bilodeau. C'est un avantage en ce qui a trait à la qualité de vie des employés. Mais, pour l'entreprise ce n'est pas bénéfique. Le fait d'arrêter à 12 h 30 le vendredi n'a pas réduit le taux d'absentéisme.»

Évidemment, un tel horaire ne touche que les employés du siège social, rue De Lorimier, et des deux centres de distribution de Montréal et Québec. Ceux des succursales ont un tout autre horaire.

La politique comporte conséquemment quelques exceptions. «Les employés du service à la clientèle ainsi que certains employés de la section informatique demeurent en poste jusqu'à 5 h, dit Denise Bilodeau. Si une caisse enregistreuse fait défaut en magasin, il faut que les employés en magasin puissent compter sur quelqu'un du siège social pour les dépanner. Il y a 20 ans, nous faisions face à un autre contexte de gestion. Les caisses n'étaient pas informatisées. Un tel problème ne se posait pas. Il a fallu s'ajuster au fil des ans.»

L'avènement technologique des dernières années nous fait réfléchir. Ou plutôt rêver. Qui sait? Bientôt grâce à Internet, il sera peut-être superflu de se pointer au bureau le vendredi!

Isabelle Massé

Source : Effectif, volume 1, numéro 3, juin / juillet / août 1998

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie