Après les difficultés économiques causées par une récession et la mondialisation, voilà que les organisations doivent se transformer pour passer à l'ère de la modernité. L'invasion des technologies de l'information et de communication (TIC) a déjà débuté dans bon nombre d'organisations. Comme pour la mode de la qualité, d'ISO et de la réingénierie, des histoires d'horreur commencent à être racontées. Il est à se demander quelquefois si on est capable d'apprendre de nos erreurs, notre mémoire étant courte et sélective. La révolution technologique est-elle une autre fuite en avant, une longue marche obligée vers la modernité ou une opportunité pour réinventer nos organisations? Je dirais que c'est un peu tout cela à la fois. Dans cet article, mon argumentation repose sur quatre questions. Premièrement, quand on parle de technologie, de quoi parle-t-on au juste? Deuxièmement, comment les organisations sont-elles touchées par la révolution technologique actuelle? Troisièmement, quels seront les impacts de cette révolution sur les ressources humaines ? Quatrièmement, en quoi les TIC sont-elles en train de transformer la profession des gens qui ouvrent dans le champ des ressources humaines?
L'angle privilégié pour aborder cette discussion n'est pas théorique et conceptuel, il est plutôt empirique en ce sens que je m'inspire davantage des observations sur le terrain faites au cours de plusieurs projets réalisés pendant la dernière année au Centre francophone d'informatisation des organisations (CEFRIO), un centre de liaison et de transfert qui a comme mission de contribuer au succès des organisations québécoises par une meilleure appropriation des TIC. À titre d'exemples, ces projets ont porté sur la transformation des services publics par l'inforoute, le télétravail, le commerce électronique, la télémédecine, l'informatisation des PME québécoises, l'implantation des applications de gestion intégrée de ressources (ERP), etc.(2)
1) TIC: un nouveau champ des possiblesAu début des années 80, la société moderne a été caractérisée par une première vague d'invasion des TIC. La robotique, les machines-outils à commande numérique, la bureautique et l'informatique de gestion centralisée ont bouleversé à la fois l'univers des bureaux et celui des usines. Mais ces applications technologiques étaient implantées pour les initiés et une partie seulement du personnel. Dans la majorité des organisations, les gestionnaires et employés étaient à la remorque des experts en informatique. Sans s'en douter à l'époque, ces bouleversements étaient précurseurs d'une deuxième vague technologique, celle des années 90, caractérisée par l'arrivée d'Internet, des postes de travail informatisés, des réseaux (intranet et extranet), du courrier électronique, etc. Ce qui étonne de la présente révolution technologique, c'est à la fois l'intégration des technologies (permettant d'intégrer le son, l'image et les données), la convergence des technologies (les nanotechnologies représentent la fusion de la chimie, de la physique, de la biologie et du génie physique), le cycle de vie de ces technologies (on fait plus vite et moins cher à tous les jours) et la convivialité (nous approchons de l'ère de l'assistant numérique personnalisé commandé par la voix). Ces observations nous indiquent que nous entrons de plein pied dans l'économie du savoir et l'univers du numérique.(3)
Bref, la présente révolution technologique est animée par l'innovation du parc informatique (infrastructure) et des applications informatiques mais, au delà de ces considérations purement technologiques, se profilent les caractéristiques suivantes qui définissent un nouveau champ des possibles organisationnels et transactionnels :(4)
Interactivité: La relation avec l'information passe d'un mode passif à un mode interactif. L'utilisateur ne fait pas que lire, il peut créer sa propre trajectoire de recherche d'information, interroger, échanger, modifier. Les applications multimédias vouées à la formation sont un exemple de l'interactivité des TIC.
Intemporalité: Ce principe altère la notion de temps prescrit pour faire les choses. Les personnes peuvent individualiser leur temps de travail peu importe les tâches à accomplir, leur lieu de réalisation et le temps pour le faire. Le télétravail illustre l'intemporalité, dans la mesure où l'on parle du télétravail noble (permettant autonomie et marge de manouvre) et non pas du télétravail de type «taylorisme assisté par ordinateur».
Instantanéité: Ce principe fait référence à l'idée que l'information est rendue disponible ici et maintenant et à haute vitesse. Il n'est plus rare pour une organisation «high tech» de suivre en temps réel toutes les étapes nécessaires à la fabrication d'un produit, de la prise de commande jusqu'au service après-vente en passant par l'approvisionnement, la planification des opérations, la fabrication, l'entreposage, la distribution, le transport et la livraison. En tout temps, l'information est disponible sur un produit donné ou même une pièce donnée. On retrouve également des applications différentes dans les entreprises de services. Bien sûr, nous pouvons citer l'exemple des services financiers automatisés, mais également les applications du gouvernement «en ligne», 24 heures sur 24, sept jours par semaine.
Délocalisation: On parle ici de l'explosion de la notion d'espace et de lieu. Les TIC rendent possible le travail à distance en mode interactif et en temps réel. Les gens peuvent maintenant télétravailler que ce soit à la maison, dans des télécentres en banlieue ou encore dans la voiture (ou un autre moyen de transport). L'application des TIC à l'école a donné naissance à l'explosion des programmes de formation en ligne et de l'enseignement à distance. Pourquoi se rendre dans une salle de classe écouter un professeur ennuyant alors que l'on peut apprendre de partout en ayant recours aux meilleures sources de connaissances partout sur la planète? L'expérience de télémédecine entre le Centre hospitalier universitaire de Québec et le Centre hospitalier de Rimouski constitue également un bon exemple du pouvoir de délocalisation des TIC.
Virtualité: Ce principe s'appuie sur l'idée que le monde physique réel peut être réduit à la notion d'information. On parle alors de dématérialisation. Les classes virtuelles et les bibliothèques virtuelles sont des exemples. Il s'agit d'aller bouquiner dans la plus grande librairie virtuelle au monde, Amazon.com, pour s'en convaincre. On peut également penser à tout ce qui touche de près ou de loin au monde de la simulation. Certains chercheurs avancent même que, d'ici quinze ans, on pourra reproduire la mécanique humaine atome par atome.
Synergie de réseau: Historiquement, les réseaux d'information ont toujours été disponibles mais à un nombre limité de personnes. L'information, c'est le pouvoir, disait-on, et c'est plus vrai que jamais. Cependant, les TIC permettent théoriquement l'ouverture des réseaux, la démocratisation de l'information, la circulation et l'accès à de multiples de sources d'informations, de connaissances et de savoirs. De plus, l'interconnexion de ces réseaux permet de créer de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs par l'intermédiaire de la synergie. Les moteurs de recherche et les nouveaux intermédiaires de l'information nous permettent de trier l'information la plus significative, de la croiser, de l'enrichir et de l'échanger. Les travaux réalisés à la chaire Bombardier de l'université du Québec à Trois-Rivières nourrissent cette idée. L'intranet et les collecticiels sont également des exemples très parlants de la synergie créatrice des réseaux. Par ces outils, la collaboration à distance est de plus en plus possible. C'est d'ailleurs dans cette direction que se développe l'intranet de la CSST qui permet l'expérimentation des tels environnements de travail.
Désintermédiation: Les TIC rendent possibles les relations directes entre un producteur et son client. Dans plusieurs cas, les intermédiaires traditionnels tels les grossistes et les distributeurs perdent leur valeur ajoutée. Des sociétés comme Dell Computer ou Cisco négocient des millions de dollars de vente par jour directement avec le consommateur. Cette désintermédiation peut également s'appliquer à l'intérieur des entreprises. En effet, dans certains cas, on utilise des services de soutien externes (par exemple en ressources humaines) pour assister en temps réel les services opérationnels internes. Pour les intermédiaires, un défi de taille se pose : réinventer sa valeur ajoutée ou mourir!
Comme on peut le constater, ces caractéristiques représentent le potentiel extraordinaire des TIC, caractéristiques qui agissent comme accélérateur, catalyseur et révélateur dans nos organisations.
Accélérateur, car désormais le cycle d'un produit ou service (de l'idée à la consommation) se rétrécit comme peau de chagrin, mettant ainsi énormément de pression sur toute la «machine» et de stress sur les humains. Catalyseur, car les TIC représentent des occasions en or pour réinventer les organisations et les collectifs, pour changer l'ordre des choses, les pratiques, les attitudes et les comportements. Révélateur, car les TIC nous renvoient en plein visage toutes les dysfonctions des organisations, l'absence de valeur ajoutée, le gaspillage.
2) L'organisation en transformationBien que le discours du renouvellement de la gestion et des organisations fasse son ouvre depuis des décennies, force est de constater que le choc des principes des TIC énoncés plus haut fera vivre des moments douloureux à de nombreuses organisations.
Sur le plan de la stratégie, des choix se dessinent en fonction des contingences propres à chaque contexte organisationnel et à chaque équipe de dirigeants. Comme l'indiquent Louis A. Lefebvre et Élizabeth Lefebvre de l'École polytechnique à Montréal, un certain nombre de vagues en matière de gestion stratégique des TIC s'offrent aux décideurs qui préparent aujourd'hui l'entreprise de demain.
Une première vague a trait aux marchés électroniques, phénomène qui représentera 3,2 trillions de dollars américains en 2002 et qui prend différentes formes dont les enchères électroniques (voir le site EBAY), les soumissions électroniques et les catalogues électroniques.
Une deuxième vague est celle des plateformes sectorielles dédiées qui permettent l'échange de données interactives entre clients et fournisseurs à l'intérieur de secteurs industriels identifiés et qui gravitent autour de grands donneurs d'ordre.
Les troisième et quatrième vagues sont associées aux configurations de collaboration et à l'intégration de la chaîne de valeur. À ce stade, des réseaux d'entreprises se bâtissent autour d'une firme-produit qui gère la chaîne de valeur de chacun de ces produits. Cette chaîne prend forme autour d'un ensemble d'entreprises (souvent des PME sous-traitantes) associées à une étape d'un processus de transformation partant du design jusqu'à la consommation du produit en passant par toutes les étapes de recherche et développement, de fabrication, de distribution, etc. La firme-produit voit donc à optimiser ses chaînes de valeurs et à gérer ses projets en temps réel. C'est à ce stade que les solutions Enterprise Resource Planning ou ERP prennent leur sens, surtout les nouvelles générations de solutions intégrées qui conditionnent non seulement la gestion des finances, de l'administration et des ressources humaines, mais également les processus de prise de commande, de traitement d'inventaires, de distribution, de gestion documentaire, d'entreposage de données, de transactions électroniques, de relations clientèles, etc. AMR Research inc. de Boston prédit que le marché des solutions ERP (monopolisé par les firmes Baan, Oracle, People Soft, SAP et J.D. Edwards) augmentera de 37 % par année au cours des cinq prochaines années. Le marché total atteindra des revenus de 52 milliards de dollars en 2002. La seule firme SAP affichait des revenus de cinq milliards en 1998. Sur les 500 entreprises de Fortune 500, 70 % ont déjà mis en place des ERP ou sont sur le point de réaliser l'implantation. Des experts évaluent que l'implantation des ERP dans les Fortune 500(5) coûte environ 30 millions de dollars américains en acquisition de logiciels, mais plus de 200 millions en frais de consultation de toutes sortes et ce, sans compter les millions à investir dans les infrastructures et les réseaux. Les fournisseurs de solutions intégrées, qui imposent leur loi et leur vision d'une organisation moderne(6), attaquent maintenant le marché des PME en offrant des solutions moins complexes, plus flexibles, par modules et pouvant être implantées en quelques mois. On est donc passé d'une approche d'implantation Big Bang obligeant la réingénierie des processus d'affaires à une approche plus «incrémentielle» reposant sur des approches de transformation par ajustement et adaptation à partir de modules.
Finalement, la cinquième vague est caractérisée par l'optimisation des cycles de vie dans un contexte de développement durable. Associée au déploiement des nouvelles normes ISO 14000, et principalement 14040, cette vague traduit la plus haute marche qu'une organisation peut gravir dans l'univers des entreprises virtuelles.
Toutes les entreprises ne doivent ni ne peuvent aspirer à la cinquième vague, par exemple. Dans le cas de nombreux secteurs associés aux services traditionnels, il se peut fort bien qu'une première vague soit appropriée. Par contre, pour les PME qui veulent devenir des fournisseurs de grandes entreprises multinationales et faire partie des chaînes de valeur de ces firmes-produits (automobiles, matériel de transport, etc.), un passage obligé vers l'intégration des activités de l'entreprise et interentreprises s'impose. Comme on peut le deviner, le passage d'une vague à l'autre implique des stratégies et des pratiques de gestion des ressources humaines différentes et différenciées.
Sur le plan de la structure, on ne répétera jamais assez que les TIC entraînent une compression des niveaux hiérarchiques et surtout une plus grande fluidité horizontale ou transversalité. La gestion intégrée des processus remplace le concept de hiérarchie organisationnelle et d'organigramme comme configuration organisationnelle. Cette configuration est associée à une plus grande autonomie et autorégulation des collectifs de travail (équipes de travail autogérées plus ou moins virtuelles, organisations reconstruites en unités d'affaires orientées «client»). Avec sa capacité de décupler l'information et de l'entreposer, les organisations sont aux prises avec le syndrome pathologique de l'obésité informationnelle, faisant ainsi de la place à des nouveaux intermédiaires qui assument le rôle de vigie et de filtre afin de s'assurer que l'information pertinente et stratégique pénètre réellement l'organisation et que l'équilibre s'établit entre les connaissances explicites et les connaissances tacites des membres de l'organisation. Dans la même foulée, la révolution des TIC remet en question les rôles traditionnels des spécialistes fonctionnels, surtout celui des technologues en propulsant leur représentant de haut niveau dans une position de Chief Information Officer ou de Knowledge Management Officer. Ce rôle est davantage associé à un leader qui provoque la réflexion des décideurs sur l'information et les connaissances comme ressource stratégique pour une organisation et son développement. Ce leader de «l'information» est un nouvel acteur clé sur le plan stratégique, car il fait miroiter le champ des possibles technologiques dans le but de réinventer le métier de l'organisation et le terrain traditionnel sur lequel elle fonctionne.
Sur le plan de la culture de l'organisation, les bouleversements de la pénétration des TIC sont majeurs. La dynamique du «ici et maintenant» oblige les membres de l'organisation à vivre un stress constant. La démocratisation associée à l'accès à l'information pose toute la question du déplacement des zones de pouvoir dans l'organisation. L'explosion de la notion d'espace-temps remet en question tous nos modes de pensée et d'agir en matière de contrôle managérial. Cette notion de contrôle, aux dires de Henry Mintzberg, a toujours été associée à la vision de l'organisation et aux façons de gérer les choses et les personnes.
Ainsi, les caractéristiques génériques des TIC (instantanéité, délocalisation, etc.) influencent les paramètres de stratégie, de structure et de culture de l'organisation à un point tel que le travail de tous les employés et cadres change de nature et de forme, que l'organisation du travail se voit projeter dans de nouveaux paradigmes et que les impacts sur les personnes en sont souvent troublants.
3) Les ressources humainesUn récent rapport de l'OCDE(7) faisant état des politiques exemplaires d'un certain nombre de pays en matière de technologie, de productivité et de création d'emplois, associe la révolution technologique actuelle à une phase de destruction créatrice. En effet, les usages des TIC dans les entreprises ont pour effets à la fois la requalification, la déqualification et la disqualification. Les TIC peuvent libérer l'être humain d'activités répétitives et sans valeur ajoutée pour recentrer les énergies sur des gestes significatifs et mobilisateurs. Par contre, des expériences récentes en télétravail nous portent à croire que l'implantation des TIC est une occasion pour réaffirmer le taylorisme et le contrôle sur les personnes, mais à distance. L'ordinateur enregistre alors tout : les temps d'appel, l'heure du début, les temps de pause, le nombre de frappes, etc. Finalement, de nombreux employés qui voient leur poste disparaître ou se transformer en profondeur par l'entrée massive des TIC ne peuvent être réintégrés dans les structures d'emploi de l'entreprise et sont condamnés à être ballottés de petits boulots en petits boulots précaires et d'un programme de sécurité du revenu et de réintégration sociale à un autre. Cette situation interpelle toute la société, mais principalement les employeurs (pour leur responsabilité sociale et leur éthique) et surtout les gouvernements pour leur rôle de régulation des marchés du travail et pour la préparation de la relève dans le système scolaire traditionnel. Bien que des efforts louables soient entrepris, les agences gouvernementales et ministères ont de la difficulté à s'adapter à la nouvelle économie et à prendre le leadership de l'adaptation du marché du travail et des lois du travail, que ce soit sur le plan de la fiscalité, des rapports individuels et collectifs de travail, de la santé et sécurité du travail, du filet de protection sociale, etc.
De nouvelles compétences sont requises pour travailler dans cette nouvelle économie stimulée par la révolution technologique. Des capacités d'analyse, de représentation mentale, de communication écrite, de logique, de visualisation, de travail d'équipe à distance, de gestion de l'isolement ne sont que des exemples parmi d'autres. Qui formera la main-d'ouvre de demain à ces nouvelles exigences ? Pour la génération nintendo, c'est de l'acquis, mais pour les autres, il y a beaucoup à faire.
4) La fonction gestion des ressources humainesDe toutes les fonctions organisationnelles, la fonction gestion des ressources humaines est sans doute celle qui souffre le plus de l'alphabétisation technologique. Très longtemps, les professionnels en gestion des ressources humaines se sont appuyés sur des expertises spécifiques de traitement des contrats de travail, de rémunération, de traitement du temps de travail (horaire, feuille de temps), de la paye, des avantages sociaux, etc. Ce brassage de papier est remplacé par des solutions de gestion intégrée et ce champ d'expertise est de plus en plus disponible par des systèmes experts ou des applications d'assistance et de soutien décisionnel. Ainsi, de nombreuses entreprises pratiquent l'impartition d'activités de gestion des ressources humaines, les TIC le permettant. Cette réalité nous rappelle les débats qui ont cours depuis quelques années sur la transformation du rôle de la gestion des ressources humaines dans les organisations. Par contre, l'accélération des changements actuels, sous l'impulsion des TIC, rend urgent cet appel à la transformation.
Pour agir comme catalyseur de l'évolution et du développement de l'organisation, non seulement les professionnels en gestion des ressources humaines doivent développer leurs compétences stratégiques, mais ils doivent également augmenter leur capacité à anticiper la modernité des organisations et de la société en suivant les grandes tendances de l'évolution technologique et de son potentiel de transformation des organisations contemporaines.
Impact des TIC sur certaines pratiques de gestion des ressources humainesCommunication
Les professionnels en gestion des ressources humaines ne peuvent rester insensibles à ce que veut dire une organisation et des employés dont la performance repose sur la gestion de l'information. Ils doivent comprendre la dynamique de l'information, des connaissances et des savoirs afin d'intervenir dans les cheminements critiques, là où on peut faire la différence. Apprendre à des gestionnaires et à des employés la dynamique du processus de communication n'est pas une mince tâche, car c'est une aventure qui se reporte à un changement de regard sur son rôle dans un système organisationnel et social. Le télétravail induit de nouvelles formes de communication à distance. Elles ne sont pas perceptives et de type face à face, mais plutôt cognitives, dans un univers virtuel. Comment alors accompagner les personnes dans la maîtrise de cette nouvelle communication?
Organisation du travail
Les intervenants en gestion des ressources humaines ont également à composer avec une nouvelle dynamique de l'organisation du travail, celle des équipes virtuelles et de la télésupervision. En tant qu'agent de changement, ils doivent faire cheminer les décideurs afin que la technologie devienne un levier pour donner de meilleurs services et produire de meilleurs biens, mais également une occasion de libérer le personnel d'activités avilissantes et démobilisatrices afin de lui redonner plus de liberté et l'autonomie nécessaire pour décider et innover. Un autre défi de l'organisation du travail réside dans la coopération à distance et la socialisation rendue nécessaire par l'isolement et la dépendance aux TIC. Mintzberg a bien démontré la force de l'ajustement mutuel à des fins de coordination et d'intégration. Cet ajustement se réalise quand il y a promiscuité, présence physique et interactions. Le télétravail change les règles du jeu et oblige les gestionnaires à modifier en profondeur leur stratégie de contrôle, de coopération à distance, de socialisation et d'identité collective. Quel coaching mettre en ouvre pour aider les gestionnaires opérationnels à intégrer ces nouveaux rôles?
L'ère des curriculum vitæ format papier et circulant par le courrier est passéiste. La dotation et le marché du travail reposent sur une circulation rapide et ouverte de l'information, ce que les TIC permettent. Des multitudes de sites WEB privés et publics deviennent des carrefours entre les offreurs et les demandeurs d'emploi. Il en va de même dans une organisation où la gestion des mouvements de main-d'ouvre et la gestion des carrières sont grandement facilitées par des outils informatiques, outils qui permettent un pairage plus rapide et pertinent des personnes et des trajectoires professionnelles.
FormationLa formation est sans doute la pratique de gestion des ressources humaines qui sera la plus touchée par les TIC. Comme on vient d'en faire la démonstration, la chaîne «information - connaissances - savoirs» est au cour des organisations modernes. Les processus qui permettent de transformer les informations en savoirs sont la formation et l'apprentissage. On doit s'affranchir du traditionnel processus de détermination des besoins, de planification de la formation, de programmation et d'évaluation, processus qui aboutit plus souvent qu'autrement à de la formation en salle, de type cours formel, difficilement juste-à-temps. Il devient évident que le nouvel équilibre entre les savoirs tacites et les savoirs explicites, pour reprendre la théorie de Nonaka et Takeuchi(8), repose d'abord et avant tout sur l'apprentissage dans l'action et une organisation du travail qualifiante qui permet d'expérimenter, de partager et de créer des nouveaux savoirs. Ces savoirs doivent également être organisés en base de données disponibles à l'ensemble d'une collectivité (ex. : intranets transactionnels permettant la navigation dans les savoirs collectifs). De plus, la formation bénéficie maintenant de la puissance des outils multimédias, outils qui permettent davantage la visualisation, la simulation, l'interaction, l'autoformation et le feedback. Les organisations leaders et innovatrices ont déjà parti le bal(9). En 1997, 90 % des entreprises de Fortune 500 prévoyaient créer un intranet comme plateforme de formation(10). D'ici l'an 2000, l'ensemble du temps consacré à la formation par les TIC aura plus que triplé pour atteindre 35 % alors qu'il était de 10 % en 1996. Le temps consacré à la formation donnée par un instructeur passera de 80 % en 1996 à 55 % en 2000(11).
Relations du travailToutes les promesses et le potentiel des TIC auront un écho à la seule condition qu'un nouvel ordre social s'installe dans les organisations et la société en général. Les conventions collectives et les contrats de travail devront être revus et réformés, certaines pratiques patronales et syndicales seront appelées à se transformer, à disparaître ou à se réinventer. Les syndicats devront établir des bases de connaissances et d'expertise sur les enjeux de la société de l'information et des organisations renouvelées. Des métiers et professions vivront des changements majeurs, des nouveaux types d'emplois apparaîtront, des phases transitoires importantes seront à planifier et à gérer.
Gestion du changementDe toutes les observations que nous avons faites sur le terrain, la gestion du changement et de la transformation est sans doute l'enjeu majeur des prochaines années pour les professionnels en gestion des ressources humaines. À la fois au niveau des lieux mêmes du travail (micro) et de la stratégie organisationnelle (macro), des interventions musclées, pertinentes et percutantes de la part des équipes de gestion des ressources humaines sont attendues par les hauts dirigeants et les décideurs. Les processus décisionnels menant au choix des TIC et l'implantation des intranets et des ERP, par exemple, demandent des réflexions et des décisions majeures sur le plan du développement organisationnel. Le pilotage d'expériences, la gestion de projets, les analyses coûts-bénéfices, les apprentissages des succès et des échecs sont au menu pour les prochaines années.
ConclusionLa première décennie du prochain millénaire sera marquée par la plus importante mise à niveau technologique que les organisations n'auront jamais connue. Les besoins reliés au facteur humain dans ces transformations sont criants et, par le fait même, les attentes envers les professionnels en gestion des ressources humaines iront en augmentant. Cette équation sera la bonne dans la mesure où les intervenants en gestion des ressources humaines développent de nouvelles compétences et abandonnent bon nombre de comportements bureaucratiques et hiérarchiques. Nous nous devons d'être autre chose qu'une courroie de transmission des décisions de la haute direction et ou un instrument opérationnel dans les mains des gestionnaires de projets de TIC. Nous nous devons aussi d'être des leaders énergiques et matures, qui se tiennent debout et qui peuvent donner une regard neuf, analytique et critique sur la course à la modernité dans les organisations et la société. Je crois, bien humblement, que notre profession est appelée à se transformer profondément au cours de la prochaine décennie. Voilà un rendez-vous avec l'histoire qu'il ne faut pas manquer!
Michel Audet est directeur innovation et transfert, chez CEFRIO et professeur en relations industrielles, à l.université Laval1
1 - Je tiens à remercier Réal Jacob, professeur à l'Université du Québec à Trois-Rivières, pour sa précieuse collaboration à la rédaction de ce texte.
2 - Des informations supplémentaires et des textes en format PDF sont disponibles sur le site WWW.CEFRIO.QC.CA
3 - Pour une excellente analyse de l'univers du numérique, voir le volume de Joel De Rosnay, L'Homme symbiotique, Seuil, Paris.
4 - Audet M., Jacob R., Lauzon N. et A. Rondeau, Renouvellement des services publics et autoroute de l'information : Vers un modèle stratégique de transformation et de critères d'aide à la décision, CEFRIO, Québec, 1996.
5 - «The E-ware War», Fortune, December 1998, p. 102-112.
6 - Davenport T.H., «Putting the Enterprise into the Enterprise System», Harvard Business Review, July-August 1998, p. 121-131.
7 - OCDE, Technologie, productivité et création d'emplois-politiques exemplaires, Conseil au niveau des ministres, 27-28 avril 1998.
8 - Nonaka I. et H. Takeuchi, The Knowledge-Creating Company, Oxford University Press, New York, 1995.
9 - Bassi L.J. et M.E. Van Buren, «The 1998 ASTD State of the Industry Report», Training and Development, January 1998, p. 23-43.
10 - Lewis B., Smith R., Massey C., McGreal R. et J. Innes. Technlogy-Mediated Learning: Current Initiatives and Implications for Higher Education, Simon Fraser University et TeLeEducation NB, Rapport présenté au Conseil des ministres de l'Éducation, Canada, 25 novembre 1998.
11 - BTA, L'effet des technologies d'apprentisssage sur l'apprentissage à vie en milieu de travail, Bureau des technologies d'apprentissage, Montréal, mars 1999.
Source : Effectif, volume 2, numéro 3, juin / juillet / août 1999