En emploi comme ailleurs, il vaut mieux prévenir que guérir. Ainsi, les coûts associés au congédiement et au remplacement de salariés non performants incitent de plus en plus d'employeurs à recourir à des tests de pré-embauche permettant de détecter les personnes susceptibles de ne pas fournir le rendement attendu. L'utilité et l'efficacité de ces tests parfois appelés psychologiques ou psychométriques ont fait l'objet de nombreuses discussions. Sans en faire une étude exhaustive, nous allons, pour notre part, nous intéresser à certains aspects d'ordre juridique soulevés par l'administration de ces tests.
En effet, s'il semble ne faire aucun doute qu'un employeur soit tout à fait en droit d'imposer des tests d'aptitudes aux personnes pressenties pour un emploi, le recours aux tests psychologiques, par contre, suscite un certain nombre d'interrogations, particulièrement sur le plan des droits de la personne. À cet égard, nous verrons que cette pratique est susceptible de porter atteinte au droit à la vie privée des candidats et qu'elle peut dans certains cas avoir des effets discriminatoires. Comme nous le verrons, l'employeur soucieux de recourir à cet instrument d'évaluation tout en respectant les exigences prévues par la Charte des droits et libertés de la personne pourra s'en servir, moyennant le respect de certaines conditions.
Tests de pré-embaucheEn principe, les tests psychologiques administrés aux fins de sélection en matière d'emploi portent atteinte à la vie privée des candidats. Toutefois, dans la mesure où on a préalablement informé le candidat de l'objectif du test et de ce qu'il cherche à mesurer, il y a une renonciation implicite de la part de ce dernier à son droit à la vie privée.
Il est toutefois impératif de ne pas poser de questions dont la réponse, en plus de relever du domaine de la vie privée du candidat, peut constituer un motif de discrimination. Rappelons que la Charte interdit expressément de chercher à obtenir, dans un formulaire de demande d'emploi ou lors d'une entrevue d'emploi, des renseignements sur les motifs de discrimination. On ne peut donc demander, ou chercher à connaître par l'entremise de tels tests, la race, la couleur, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, de même que la condition sociale du candidat. Sont également prohibées toutes questions relatives à la grossesse, au handicap ou à l'utilisation d'un moyen pour pallier le handicap. La jurisprudence a, dans l'application de la Charte, interprété la notion de handicap de manière très large et libérale. Ainsi, plusieurs problèmes de santé qui ne constitueraient pas selon le sens ordinaire des mots un handicap ont été assimilés à un handicap au sens où l'entend la Charte. Cela a permis, dans de nombreux cas, de conclure à l'existence de pratiques discriminatoires.
Il importe d'ailleurs de souligner que dans une affaire récente, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a été saisie de la plainte d'une personne à qui on avait, semble-t-il, refusé un emploi parce que des tests psychologiques indiquaient qu'elle présentait des symptômes de co-dépendance, un trouble psychologique souvent lié à un passé familial difficile. La Commission a saisi subséquemment le Tribunal des droits de la personne, alléguant que l'employeur avait porté atteinte au droit de la plaignante d'être traitée en toute égalité lors d'un processus d'embauche. Le Tribunal a conclu que la plaignante avait été victime d'une discrimination basée sur le handicap dans le processus d'embauche, car elle aurait été privée de l'emploi convoité à cause du problème psychologique perçu chez elle par l'employeur. À cet égard, le Tribunal fait remarquer que l'agoraphobie, la dépendance envers l'alcool, la déficience intellectuelle, la dépression, le stress, les troubles nerveux, la toxicomanie, les troubles d'apprentissage, les troubles de comportement, les troubles de mémoire et de lenteur dans l'exécution ont déjà été considérés comme autant de handicaps par la jurisprudence canadienne. Ce faisant, le fait de posséder un profil psychologique indésirable pourrait être assimilé à un handicap. Dans le cas présent, le Tribunal rejette l'argument voulant que les tests psychologiques de pré-embauche soient nécessaires afin d'établir si les candidats ont les habiletés de communication requises pour le poste de conseiller en placement. On peut y lire :
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«Disons immédiatement que deux des trois tests administrés par le Groupe G.S.T. visent à mesurer la codépendance et ne sont aucunement orientés vers l'emploi. Ils visent davantage l'évaluation générale du profil psychologique d'un individu. On ne saurait faire des résultats à un exercice aussi flou une qualité requise par l'emploi.» (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Institut Demers Inc., [1999] R.J.Q. (T.D.P.Q.))
À notre avis, c'est la première fois qu'un tribunal se prononce sur la légalité de tests psychologiques de pré-embauche. La question demeure cependant controversée, puisque cette décision du Tribunal fait présentement l'objet d'un appel. La décision de la Cour d'appel nous permettra donc de mieux cerner la validité des tests de pré-embauche. Néanmoins, nous sommes d'avis qu'il est préférable de s'assurer que ces tests mesurent uniquement les aptitudes qui constituent des exigences professionnelles et ne sont pas en quelque sorte une partie de pêche. Les questions et l'objectif du test doivent avoir un lien rationnel avec l'emploi postulé.
Dans la mesure où il existe un lien rationnel entre l'emploi convoité et les tests et que l'employeur les a adoptés de bonne foi, nous sommes d'avis que la validité des tests ne devrait pas être remise en question. À cet effet, notons qu'il ne faut pas non plus que le "profil idéal" déterminé par les concepteurs du test aux fins de notation ne soit lui-même le résultat d'un exercice teinté d'une certaine forme de discrimination.
Des tests américains couramment utilisés aux fins de sélection du personnel ont été contestés dans le passé, parce que le standard à partir duquel les personnes étaient évaluées comportait un biais défavorable aux candidats appartenant à des minorités de même qu'aux femmes. La Commission est d'opinion que les tests administrés au Québec doivent être adaptés aux sujets québécois, faute de quoi l'écart culturel entre le Québec et l'endroit où le test a été administré risque de causer des distorsions éventuellement génératrices d'injustices. La Commission estime également que le test doit être adapté aux exigences du poste que l'employeur cherche à pour-voir (d'après un document préparé par la Commission intitulé Les tests psychologiques et psychométriques en emploi, Juin 1998).
Tests pendant l'emploiLes commentaires mentionnés à l'égard des tests de pré-embauche s'appliquent mutatis mutandis aux tests utilisées pendant l'emploi. Mentionnons que l'employeur a le droit d'exiger, en cours d'emploi, que les candidats se soumettent à un test d'évaluation de leurs aptitudes. D'ailleurs, dans une récente décision, concernant la plainte du Syndicat des employés municipaux de Roberval contre la ville de Roberval, un arbitre de grief a reconnu le droit de l'employeur de recourir à une firme externe pour faire évaluer les candidats en matière de promotion. L'arbitre rappelle qu'en l'absence de stipulation contraire, rien n'empêche un employeur de demander que les candidats se soumettent à un test d'évaluation de leurs aptitudes et rien ne limite son droit de le faire avec l'aide d'une firme externe. L'employeur peut justifier son geste, par exemple, par des doutes ou des lacunes constatées lors de l'occupation temporaire du poste convoité par un candidat. Ce motif n'est pas discriminatoire et est plausible.
ConclusionEn attendant que la Cour d'appel ne se prononce sur la validité des tests de pré-embauche, les employeurs désireux d'y recourir doivent faire preuve de prudence. Il faut s'assurer que ces tests ne posent pas de questions portant sur un des motifs de discrimination prohibés et veiller à ce que l'objectif du test n'ait pas pour but de détecter l'appartenance du candidat à un des groupes protégés par la Charte. À cette fin, il faudra tenir compte de la définition large de la notion de handicap retenue par les tribunaux dans leur interprétation de la Charte. Les candidats devront par ailleurs avoir consenti à la tenue du test et avoir été informés de sa teneur de même que de ses objectifs. La question de savoir si les tests doivent exclusivement porter sur un critère qui constitue une exigence professionnelle justifiée demeure à notre avis ouverte. En effet, les tests psychologiques offrent à l'employeur un outil supplémentaire aux fins d'évaluation des candidats à l'emploi et peuvent porter sur des points qui, sans constituer des exigences professionnelles justifiées, sont néanmoins des critères de recrutement légitimes, auxquels il est en général indispensable de répondre de manière satisfaisante si l'on veut que le candidat choisi réponde aux exigences des postes à pourvoir. Ainsi, les employeurs pourront mesurer l'entregent ou la sociabilité de préposés qui doivent ouvrer auprès du public, ou l'intérêt d'un candidat pour le genre de travail à effectuer, comme cela se fait couramment lors des entrevues préalables à l'embauche. Une telle pratique n'a selon nous rien de discriminatoire et n'a donc pas à être évaluée sous l'angle de la recherche d'une exigence professionnelle justifiée. Cependant, l'équilibre entre les considérations relatives aux droits de la personne et le droit de gérance de l'employeur reste difficile à trouver et les tests psychologiques doivent être utilisés avec la plus grande circonspection.
Me Rhéaume Perreault, CRIA, Heenan Blaikie.
Source : Effectif, volume 3, numéro 5, novembre / décembre 2000