Vous lisez : Quelques enjeux en équité salariale

L'adoption à l'unanimité de la Loi sur l'équité salariale2 (L.R.Q., c. E-12.001) par l'Assemblée nationale du Québec, le 21 novembre 1996, a certes démontré qu'en théorie, personne n'est contre la vertu! Mais voilà que son entrée en vigueur une année plus tard, jour pour jour, a provoqué une levée de boucliers chez les plus conservateurs et a occasionné des maux de tête même à ses plus fidèles tenants. On se souviendra du traditionnel «Salaire égal pour du travail égal» mis de l'avant par l'Organisation internationale du travail en 1919 ainsi que plusieurs années plus tard, soit en 1975, de la consécration du principe «Égalité de traitement pour du travail équivalent» dans la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12).

Voilà enfin que le Québec emboîte le pas à plusieurs pays industrialisés dans le monde en adoptant une loi qui a pour objet celui ainsi décrit à l'article 1 de la Loi sur l'équité salariale : «corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l'égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories d'emplois à prédominance féminine».

Sans avoir la prétention de faire un relevé exhaustif de tous les points saillants de cette nouvelle pièce de loi, voyons-en les principaux enjeux au fil des lignes qui suivent.

Modulation des obligations de l'employeur

Le tableau 1 ci-dessous fait clairement ressortir qu'aux termes de la Loi sur l'équité salariale, les quatre principales obligations de l'employeur varient selon la taille de l'entreprise, c'est-à-dire en fonction du nombre de ses salariés.

La notion d'«entreprise» constitue assurément la pierre d'assise des modalités d'application contenues au chapitre II. Ainsi, l'employeur de 100 salariés et plus (article 10) de même que celui ayant entre 50 et 99 salariés (article 31) doivent établir un programme d'équité salariale «applicable à l'ensemble de son entreprise».

Même si le législateur utilise à maintes reprises cette notion d'«entreprise», notamment aux articles 4(2), 6, 7, 10(2), 31(2) et 34(2), il est étonnant de constater qu'il ne définit pas une telle notion ! Exception faite de deux cas bien particuliers : d'abord, le gouvernement, ses ministères et ses organismes dans les secteurs public et parapublic (article 3(2°)) et, ensuite, la fédération ou confédération de caisses d'épargne et de crédit (article 5).

L'interprétation la plus plausible est de considérer une entreprise comme couvrant «l'ensemble des salariés ouvrant pour un employeur sur le territoire québécois»(3). et rien de moins !

En l'absence de paramètres tels que les 48 zones géographiques prévues dans la législation ontarienne en matière d'équité, on aurait pu penser que la Commission de l'équité salariale du Québec, dont les trois membres sont en poste depuis le 8 mars 1997, établirait des normes d'application quant à cette notion d'«entreprise». Malheureusement, il n'y a rien de tel dans la mince brochure publiée par la Commission !

Force est donc de s'en remettre aux dispositions bien sommaires énoncées aux articles 6 à 9 de la Loi sur l'équité salariale, à savoir les règles de calcul du nombre de salariés dans une entreprise (articles 6 et 7), la définition de «salarié» (article 8) et les sept exceptions à cette dernière notion (article 8), en sus de la définition sibylline de «travailleur autonome» (article 9).

Il est à craindre qu'une mauvaise interprétation des notions d'«entreprise» et de «salarié», conjuguée avec une application erronée des règles de calcul, ne conduise un employeur à se soustraire ainsi à ses obligations, la marge d'erreur étant mince. Ce serait notamment le cas de l'employeur qui, calculant erronément avoir 49 salariés au lieu de 50, croirait ainsi avoir le choix d'établir un programme d'équité salariale comme c'est le cas pour les entreprises de 10 à 49 salariés, alors que, dans les faits, il en a l'obligation à titre d'entreprise comptant entre 50 à 99 salariés.

Que dire maintenant du calcul du nombre de salariés dans le cas des entreprises à «taille élastique», c'est-à-dire les entreprises dont le personnel varie considérablement au cours d'une même année selon les activités en cours. On n'a qu'à penser au Festival de jazz et autres entreprises du genre.

Multiplicité de programmes et de comités

Le tableau 2 ci-dessous fait état de la règle et des exceptions en matière de programmes d'équité salariale, applicables respectivement aux entreprises de 100 salariés et plus (articles 10 à 12) ainsi qu'à celles comptant entre 50 et 99 salariés (articles 31 à 33).

La Loi sur l'équité salariale prévoit un cas particulier à la possibilité d'avoir plusieurs programmes distincts : il s'agit du cas où aucune catégorie d'emplois à prédominance masculine n'a été établie dans le cadre d'un programme. L'article 52 stipule alors que «la comparaison des catégories d'emplois à prédominance féminine visées par ce programme doit être effectuée avec l'ensemble des catégories d'emplois à prédominance masculine de l'entreprise». Il est regrettable que les élus parlementaires aient cédé à certaines pressions politiques en permettant la possibilité d'avoir plusieurs programmes au sein d'une même entreprise. Certes, il est aisé de comprendre que, pour certaines entreprises, les disparités régionales peuvent justifier la multiplicité de programmes d'équité salariale, d'autant plus que la notion d'«entreprise» couvre l'ensemble du territoire québécois, comme je l'ai mentionné précédemment.

Cependant, une telle multiplicité s'explique moins bien lorsqu'il y a autant de programmes qu'il y a d'associations accréditées au sein d'une même entreprise. Il y a alors tout lieu de craindre que l'objectif même de l'équité salariale ne soit jamais atteint et que des écarts salariaux subsistent !

Qui plus est, il peut s'avérer difficile, voire quasi impossible, pour un même employeur d'assurer la cohérence d'une dizaine de programmes d'équité salariale applicables à plusieurs de ses établissements répartis sur l'ensemble du territoire québécois.

La réduction du nombre de comparateurs masculins équivalents peut alors s'avérer problématique, compte tenu du fait que la Loi sur l'équité salariale n'exige pas de comparer les résultats salariaux de ces programmes entre eux(4). Une telle réduction de comparateurs masculins équivalents peut se retrouver dans un programme d'équité salariale applicable à un petit nombre de salariés ou encore, regroupant presque exclusivement des catégories d'emplois à prépondérance féminine.

La réduction des possibilités de comparaison résultant de la multiplicité de programmes se trouve aussi à restreindre l'étendue d'un programme d'équité salariale pour les salariés non syndiqués. Ce n'est certainement pas alors à leur avantage étant donné que les non-syndiqués ont généralement des conditions de travail moins avantageuses que les salariés syndiqués au sein de la même entreprise.

Ainsi, les statistiques actuelles démontrent que ce sont plus des deux tiers des femmes qui sont des salariées non syndiquées. De plus, les femmes du Québec gagnent environ 70 % du salaire versé aux hommes pour un travail équivalent.

De là à conclure que la multiplicité des programmes d'équité salariale au sein d'une même entreprise constitue le talon d'Achille de la Loi sur l'équité salariale, il n'y a qu'un pas, lequel est à mon avis rapidement franchi !

Cela dit, je ne suis pas sans ignorer que les points d'achoppement d'un programme unique sont nombreux. Ainsi, les différentes associations accréditées en place peuvent, selon le principe de leur autonomie respective, faire valoir une méthodologie d'évaluation différente, une grille distincte de pondération des facteurs ou tout autre élément contenu dans un programme d'équité salariale aux termes des articles 50 à 76 de la Loi sur l'équité salariale.

La possibilité d'avoir plusieurs programmes distincts a pour corollaire la multiplicité des comités d'équité salariale. Va pour la participation de l'employeur à un ou deux de ces comités, mais que dire de son implication dans une dizaine de comités d'équité salariale ?!!

Le tableau 4 ci-dessous résume la composition de ces comités dont le rôle principal consiste à établir un programme d'équité salariale dans une entreprise, avec la participation des salariés (article 16). En l'absence de décision majoritaire des représentants des salariés (article 25) ou à défaut de désignation des représentants des salariés (article 30), l'employeur agit seul.

L'article 20 de la Loi sur l'équité salariale établit la désignation des membres du Comité d'équité salariale lorsque, au sein d'une même entreprise, une partie des salariés est syndiquée et l'autre ne l'est pas. Cet article 20 prévoit aussi que chaque association accréditée au sein d'une même entreprise peut désigner un membre.

Il y a là fort à parier que la représentation des catégories d'emploi à prédominance féminine se retrouvera minoritaire au sein d'un comité d'équité salariale dont l'association accréditée est composée majoritairement d'emplois à prédominance masculine. Que dire de plus du fossé qui risque de s'élargir entre les salariés syndiqués et les «parents pauvres» de la Loi sur l'équité salariale que sont les non-syndiqués !

Pour conclure, j'aimerais faire état de l'insertion inusitée d'une disposition dans la Loi sur l'équité salariale qui prévoit rien de moins que la possibilité de remettre en question l'opportunité de maintenir en vigueur ou de modifier une telle loi ! Il s'agit de l'article 130 qui, à son deuxième alinéa, fixe le 21 novembre 2006 comme date limite pour la soumission d'un rapport en ce sens, par le ministre du travail (article 133). On s'imagine mal que la Loi sur l'équité salariale soit abrogée après tous les efforts mis de l'avant par l'ensemble des intervenants du milieu de travail québécois. Qui plus est, cette disposition, que je qualifie de véritable «bombe H», ne cadre pas avec plusieurs autres articles de cette même loi, dont l'article 72 qui prévoit déjà qu'un employeur peut avoir exceptionnellement jusqu'au 21 novembre 2008 pour verser les ajustements salariaux requis !

Tableau 1
Modulation des obligations de l'employeur selon la taille de l'entreprise
Nombre de salariés Programmes d'équité salariale Comités d'équité salariale Affichages des résultats Versements des ajustements salariaux
100 ou plus
50 à 99 au choix de l'employeur
10 à 49 au choix de l'employeur au choix de l'employeur

Tableau 2
Les programmes d'équité salariale : règle et exception
Règle générale : UN SEUL programme d'équité salariale applicable à l'ensemble de l'entreprise.
Première exception : Possibilité de plusieurs programmes DISTINCTS :
1° - si des DISPARITÉS RÉGIONALES le justifient;
2° - sur DEMANDE D'UNE ASSOCIATION accréditée;
3° - APRÈS ENTENTE entre l'employeur et une association accréditée.
Deuxième exception : Possibilité de programmes CONJOINTS :
AVEC L'ACCORD des comités d'équité salariale de chacune des entreprises.

Tableau 3
Contenu d'un programme d'équité salariale
Détermination, au sein de l'entreprise, des catégories d'emploi à prédominance : 
a) féminine;
b) masculine;
a) DESCRIPTION de la méthode et des outils d'évaluation de ces catégories d'emploi;
b) ÉLABORATION d'une démarche d'évaluation;
a) ÉVALUATION de ces catégories d'emplois;
b) COMPARAISON des catégories d'emplois entre elles;
c) ESTIMATION des écarts salariaux;
d) CALCUL des ajustements salariaux;
ÉTABLISSEMENT des modalités de versement des ajustements salariaux.

Tableau 4
Composition d'un comité d'équité salariale
Représentants des SALARIÉS Représentants de l'EMPLOYEUR
MINIMUM : 2 dont au moins une femme
MAXIMUM : 12 dont au moins 6 femmes
  • 2/3 REPRÉSENTANT LES SALARIÉS : 
    - 50 % de femmes ; 
    - désignés par l'association accréditée ou, à défaut, par l'ensemble des salariés non syndiqués ; 
    - cas particulier : s'il y a plus d'une association accréditée ou pour certains salariés non syndiqués ; 
    - de manière à favoriser une représentation des principales catégories d'emploi à prédominances féminine et masculine.
MINIMUM : 1
MAXIMUM : 6
  • 1/3 REPRÉSENTANT L'EMPLOYEUR : 
    aucune spécification dans la loi quant à leur désignation.

Me Diane Sabourin, CRIA (1), de Service d'arbitrage Diane Sabourin inc.


1 - Me Sabourin est arbitre de griefs depuis 1984 et a depuis peu pignon sur rue au Village Olympique, à Montréal. Elle donne aussi des séminaires de formation, notamment sur l'équité salariale aux HEC, avec madame Jeannine David-McNeil qui y est professeure titulaire et économiste. 
2 - Pour en savoir davantage : DAVID-MCNEIL, Jeannine et Me Diane SABOURIN, «La loi sur l'équité salariale : analyse critique et enjeux», Développements récents en droit du travail, Cowansville, les Éditions Yvon Blais inc., 1998, p. 139 à 186. 
3 - THIBODEAU, Me Suzanne, «Une législation en matière d'équité salariale - Les pour et les contre», Congrès annuel du Barreau du Québec (1996), Montréal, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 1996, p. 393 à 423 (plus particulièrement les pages 403 et 404). 
4 - Voir DAVID-MCNEIL et SABOURIN, précité à la note 2, p. 169 à 171.

Source : Effectif, volume 2, numéro 1, janvier / février/ mars 1999

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