Importance et conditions de succès(1)
Les organisations d'aujourd'hui doivent s'ajuster à de multiples changements environnementaux: intensification de la concurrence, rapidité des progrès technologiques, accélération des rythmes d'innovation et de sortie des produits, primauté plus grande du marché, etc. Ces pressions changent la formule de la réussite en affaires et rendent inadaptés les systèmes traditionnels de contrôle. Dorénavant, de nouveaux savoir-faire et de nouvelles compétences de gestion sont nécessaires pour assurer le rendement à long terme des organisations et les systèmes de mesures de rendement doivent être ajustés en conséquence
Cet article vise trois objectifs principaux. Premièrement, démontrer l'importance de la gestion du rendement des employés comme levier de développement stratégique, comme avantage concurrentiel et comme levier de mobilisation. Deuxièmement, démontrer le lien entre le tableau de bord de performance organisationnelle et le processus de gestion du rendement des employés. Finalement, insister sur les conditions de succès de la gestion du rendement en ce qui a trait à la pertinence des outils de gestion du rendement, aux responsabilités des cadres à titre de «facilitateurs» et à la promotion d'un contexte organisationnel appuyant les performances.
La gestion du rendement des employés: un levier de développement stratégique, un atout concurrentiel et un outil de mobilisationLa gestion du rendement des employés s'avère à la fois un enjeu stratégique, une source d'avantage concurrentiel et un outil de mobilisation pour les entreprises. C'est un levier de développement stratégique dans la mesure où les firmes doivent réviser leurs normes traditionnelles de rendement, tant au niveau organisationnel qu'individuel pour pouvoir éliminer plusieurs causes de non-compétitivité comme les structures très hiérarchisées, l'excédent de personnel, le manque de compétences, l'organisation rigide du travail, l'absence d'innovation, le peu de souci pour la qualité et les clients. Un processus de gestion du rendement efficace doit constamment être révisé pour s'assurer qu'il oriente toujours les efforts des employés vers «ce qui compte vraiment» pour l'entreprise en établissant un lien entre les critères de rendement individuel et les objectifs d'affaires. En effet, la plupart des entreprises n'échouent pas parce qu'elles manquent de vision, mais plutôt parce qu'elles ne réussissent pas à maintenir le cap sur une nouvelle vision. Dans la mesure où les dirigeants changent de vision ou d'objectifs stratégiques, ils doivent revoir leurs mesures traditionnelles de rendement des firmes, étant donné qu'elles seront dorénavant, au mieux, inutiles ou non pertinentes et, au pire, néfastes ou nuisibles. Leur tâche est alors de cerner les attitudes et les comportements des employés qui doivent être modifiés pour atteindre les résultats désirés et de s'assurer qu'ils fassent l'objet des nouvelles mesures de rendement, les mesures actuelles étant périmées. En somme, tout changement majeur d'orientation - que l'on parle de qualité totale, d'amélioration continue, etc. - risque de n'être qu'un mirage passager s'il n'entraîne pas un changement en matière de gestion du rendement. Les dirigeants d'entreprise nouvellement en poste utilisent d'ailleurs souvent les mesures de rendement comme levier de changement stratégique. On peut même défendre l'idée qu'il n'y a pas de raison de mesurer quelque chose si l'on ne veut pas le changer ou s'il n'y a pas d'amélioration ou de détérioration possible.
La gestion du rendement des employés est une source d'avantage concurrentiel à long terme dans la mesure où 52 % des 471 entreprises canadiennes ayant participé à une enquête (Société Conseil Mercer, 1996) estiment que leur système actuel de gestion du rendement procure une excellente valeur à leur entreprise et qu'une autre enquête (Hewitt & Associés, 1995) auprès de 205 sociétés canadiennes et de 437 sociétés américaines indique que les sociétés ayant des programmes de gestion du rendement font état de bénéfices et d'une productivité plus élevés, de meilleures marges brutes d'autofinancement, d'un rendement supérieur sur le marché boursier et de titres de plus grande valeur que les sociétés qui n'ont pas de tels programmes. Dans ce contexte, il ne faut pas se surprendre que des enquêtes confirment les changements que les organisations font à cet égard comme l'amélioration de la formation des gestionnaires et des employés, la révision des critères de rendement, l'alignement de la gestion du rendement sur les objectifs de l'entreprise, de l'équipe et de l'unité de travail, l'implantation de régimes de rémunération basée sur le rendement, etc. (Conference Board du Canada, 1996; Société Conseil Mercer, 1996). Plus précisément, l'enquête de la Société Conseil Mercer indique que les entreprises canadiennes sondées utilisent les résultats de l'évaluation du rendement principalement aux deux fins suivantes : les décisions relatives à l'augmentation au mérite (79 %) et le développement des personnes (70 %).
Finalement, la gestion du rendement s'avère un outil de mobilisation du personnel permettant aux cadres de mieux assumer plusieurs de leurs fonctions: connaître et distinguer le rendement de chacun de leurs employés, justifier leurs décisions, mieux conseiller leurs employés, obtenir une rétroaction ou discuter avec les employés et les motiver pour atteindre des objectifs. Ce faisant, la gestion du rendement permet aux employés de connaître ce qu'on attend d'eux et ce sur quoi ils seront évalués, de connaître ce qu'on pense de leur rendement et ce qu'il faut améliorer et comment le faire.
L'alignement de la gestion du rendement des employés sur le tableau de bord de la performance organisationnelleUn processus de gestion du rendement efficace devrait orienter les efforts des employés vers «ce qui compte vraiment» pour l'entreprise en établissant un lien entre les critères de rendement individuel et les objectifs d'affaires. Un processus efficace de gestion du rendement nécessite de valoriser, d'évaluer et de récompenser les bonnes choses tant sur le plan organisationnel qu'individuel. Pour cela, il faut s'appuyer sur des indicateurs ou des critères de rendement organisationnels et individuels qui mesurent bien (la validité) les bonnes choses (la pertinence). Un préalable de la conception d'un tel processus consiste donc à comprendre l'importance des relations existant entre la vision des dirigeants d'entreprise, la mesure du rendement organisationnel et la mesure du rendement individuel. En ce sens, les dirigeants d'entreprise ont donc un rôle de premier plan à jouer en ce qui concerne la réussite du processus de gestion du rendement.
Un système de mesure du rendement efficace repose sur une définition claire de la vision et des priorités stratégiques de la firme et sur sa communication à l'ensemble des employés. Cette étape est fondamentale puisqu'elle permet d'établir des mesures de rendement organisationnel qui vont amener les employés et les cadres à adopter des attitudes et des comportements cohérents avec l'atteinte des résultats visés. Pour établir leur vision, les dirigeants d'entreprise doivent se demander où ils veulent être dans trois ans ou cinq ans. Quant à la stratégie d'affaires, elle correspond aux moyens que l'entreprise compte prendre pour survivre et rester concurrentielle. Pour déterminer les valeurs de l'entreprise, la direction doit se demander ce qui la distingue des autres entreprises en ce qui a trait à la manière de faire, aux croyances, etc. Pour établir les facteurs de succès, il faut répondre à des questions comme celles-ci: que faut-il faire pour réussir? Qu'est-ce qui différencie les bonnes organisations des moins bonnes? Que désirent les investisseurs et les consommateurs? On pense alors à des facteurs clés de succès comme le prix, le caractère innovateur ou distinctif, l'étendue de la gamme de produits ou de services, la qualité, la disponibilité, le service à la clientèle, le professionnalisme des employés, l'innovation, la flexibilité, le rapport qualité-prix, etc. Dès lors, des objectifs peuvent être fixés à l'égard des différents facteurs de succès. On exprimera en des termes précis des objectifs ayant trait à l'augmentation des bénéfices, à l'accroissement de la productivité, à l'amélioration des compétences des employés, à l'amélioration de la qualité des produits, à l'augmentation de la satisfaction des clients, etc.
La dynamique de l'intégration de la vision, des stratégies, des facteurs de succès, des objectifs d'affaires et des mesures du rendement organisationnel et individuel peut être illustrée sous forme d'un tableau de bord de gestion (Barrette et Bérard, 1999; Kaplan et Norton, 1996; St-Onge et Magnan, 1998; Voyer, 1998), qui fournit de l'information au «pilote» en vue de l'aider à prendre des décisions et à évaluer le succès de ses décisions antérieures. Comme les pilotes qui se fient à leur tableau de bord pour diriger et contrôler le vol de leur appareil, les dirigeants doivent considérer un ensemble de mesures de rendement pour s'assurer de l'atteinte des objectifs et du respect des priorités stratégiques de leur firme.
Un tableau de bord de gestion doit tenter d'équilibrer le recours à des mesures de rendement en vue de satisfaire les investisseurs (actionnaires) et les clients même si cela peut s'avérer souvent conflictuel. On peut penser, par exemple, aux dépenses en recherche et développement qu'exigent des produits à la fine pointe du développement technologique (pour satisfaire les clients) et à leur effet négatif sur les bénéfices à court terme de l'entreprise (qui préoccupe les investisseurs). En somme, il est nécessaire de maintenir un équilibre entre les indicateurs qui préoccupent les investisseurs, les clients et les employés. L'expérience montre que les entreprises qui ont privilégié durant une longue période les mesures financières centrées sur les résultats ou les mesures opérationnelles centrées sur les moyens ou les activités ont dû faire face à des problèmes de survie.
De plus, les mesures d'un tableau de bord peuvent avoir une double connotation temporelle: certaines offrent un champ de vision rétrospectif permettant de contrôler jusqu'à quel point la firme a atteint ses objectifs stratégiques, alors que d'autres présentent un champ de vision prospectif permettant de s'assurer de l'alignement des activités de gestion et des objectifs et priorités stratégiques des dirigeants. Traditionnellement, les mesures de rendement d'une firme ont été utilisées davantage pour contrôler les réalisations passées que les réalisations à venir (vision rétrospective). Quoiqu'il soit important de considérer ce qu'on a fait hier sur le plan de l'apprentissage, il est crucial de s'assurer que ce que l'on fait aujourd'hui mène bien vers là où l'on veut être demain (vision prospective)! En somme, devant un tableau de bord, la préoccupation première des dirigeants consiste à atteindre la cible ou la destination et non plus seulement à revoir le chemin parcouru. Un système de mesure du rendement ne doit plus être considéré comme un simple outil de contrôle visant la minimisation des coûts, mais comme une facette essentielle de la gestion stratégique des organisations visant la création de valeur.
L'analogie du tableau de bord illustre aussi la nécessité de s'appuyer sur des mesures multidimensionnelles de la performance organisationnelle. Le rendement d'une firme devrait être capté par un ensemble d'indicateurs complémentaires représentant l'image la plus complète possible de la vision et des priorités stratégiques des dirigeants. Une gestion appuyée sur une seule mesure ou un nombre restreint de mesures risque de menacer la viabilité à long terme de l'entreprise étant donné qu'elle donne une information fragmentée. En effet, comme chaque mesure montre le rendement d'une firme sous un angle particulier, seule la considération simultanée de l'ensemble des mesures du tableau de bord permet aux dirigeants d'estimer, sans risque d'angle mort, comment leur entreprise, dans son ensemble, est efficiente dans la réalisation de sa stratégie d'affaires (sa destination). Par conséquent, comme la réussite des organisations repose entre autres sur deux importants groupes d'acteurs - les clients et les actionnaires - un tableau de bord devrait offrir un équilibre entre ces deux perspectives: 1) des mesures financières classiques occupent le côté droit (p. ex. le rendement des investissements, le rendement du capital, la valeur de l'action, les bénéfices) et 2) des mesures axées sur le marché occupent le côté gauche (p. ex. la proportion de nouveaux produits, l'amélioration continue des procédés de production, l'évolution des dépenses en recherche et développement, la part de marché absolue et relative, la qualité des produits ou des services, la satisfaction des clients).
L'analogie avec le tableau de bord permet aussi d'expliquer le lien entre l'entreprise et son fonctionnement au jour le jour. Le haut du tableau de bord fait référence aux résultats de gestion ou aux objectifs stratégiques agrégés des unités fonctionnelles de l'entreprise. Leurs objectifs ont un caractère externe axé sur le marché et les clients (positionnement sur le marché, croissance de la part de marché, etc.) et un caractère interne axé sur la réussite financière et les investisseurs (trésorerie, bénéfices, etc.). Le centre du tableau de bord fait le pont entre les indicateurs agrégés de rendement établis au niveau des unités fonctionnelles (au haut du tableau de bord) et les indicateurs particuliers de rendement qui orientent l'activité quotidienne au sein des services (à la base du tableau de bord). On fait allusion alors au processus de gestion ou aux systèmes d'exploitation regroupant toutes les fonctions courantes d'exploitation (activités, politiques, procédures) et de soutien (planification et contrôle, information, récompenses, communication) nécessaires pour implanter une stratégie d'affaires. Ces systèmes d'exploitation font le lien entre la stratégie globale de l'entreprise et les objectifs de chaque service (dernier niveau du tableau de bord) de manière à ce que tous les employés travaillent dans l'intérêt de l'ensemble de l'entreprise et orientent leurs efforts vers ce qui est le plus essentiel à la réalisation de la vision d'affaires. Finalement, le bas du tableau de bord donne des mesures opérationnelles, concrètes et précises, qui peuvent être suivies par les cadres et les employés de l'entreprise. Ces mesures sont soit externes et importantes pour les clients, par exemple, la qualité des produits ou des services et les délais de livraison, soit internes et moins perceptibles pour les clients, par exemple, la durée du cycle de production ou de développement de nouveaux produits et le gaspillage. La communication d'indicateurs de performance organisationnelle sous la forme de standards opérationnels et concrets sur lesquels les employés de la base ont un contrôle s'avère importante pour véritablement faire en sorte que la gestion de la performance deviennent un levier d'amélioration continue où tout un chacun se sent responsable (Balkcom et alii, 1997; Atkinson et alii, 1997).
Une gestion efficace du rendement des employés: ses préalables clésPour optimiser le succès d'un système de gestion du rendement, il faut bien sûr se préoccuper d'arrimer la gestion du rendement des employés à un système de gestion de la performance organisationnelle. Toutefois, plusieurs autres préalables sont nécessaires.
Le formulaire, la méthode et les critères d'évaluation du rendement : des outils pertinents, valides et pratiques. Lorsqu'elle a un caractère officiel, l'évaluation du rendement s'appuie sur un processus de gestion du rendement impliquant un formulaire. Certaines qualités doivent être prises en considération quand on juge de la qualité d'un tel outil. Il s'agit non seulement de se préoccuper de la pertinence (évaluer la bonne chose) et de la validité (bien évaluer la chose) des critères de rendement, mais aussi d'examiner d'autres caractéristiques comme la facilité d'emploi, le temps pour remplir le formulaire et son acceptation ou son appropriation par les cadres utilisateurs et les personnes évaluées. Un formulaire d'évaluation du rendement doit être perçu comme adéquat par les dirigeants d'entreprise. Pour maximiser les chances que les dirigeants apportent un appui ferme au processus de gestion du rendement, il faut qu'ils estiment que le formulaire d'évaluation véhicule clairement les facteurs de succès, les objectifs d'affaires et les valeurs de l'entreprise. Le formulaire doit aussi être perçu comme adéquat par les cadres, qui devront l'utiliser pour évaluer le rendement de leurs employés, et par les employés, qui seront évalués à partir des critères qu'on y trouve. Par ailleurs, il doit être acceptable sur le plan légal. Pour cela, l'évaluation du rendement ne doit pas se fonder sur des critères considérés comme illégaux tels que l'origine ethnique, les convictions politiques, le sexe, l'âge ou le rang social de la personne.
On trouve plus souvent qu'on ne le croirait des formulaires inadéquats, qui nuisent aux cadres plus qu'ils ne les aident à bien évaluer le rendement de leurs employés. On peut penser aux formulaires qui proposent aux cadres d'évaluer les traits de personnalité de leurs subalternes, à ceux qui sont très longs à remplir et à ceux qu'il est quasiment impossible de comprendre. Certains formulaires d'évaluation du rendement sont si compliqués et longs à remplir qu'on comprend pourquoi les cadres sont si peu empressés à effectuer cette tâche. Plus un formulaire est court et facile à remplir, plus il a de chances d'être rempli soigneusement par les cadres. Aussi, les professionnels en ressources humaines devront faire des compromis entre la qualité et la quantité de l'information concernant le rendement d'une part et les perceptions des intervenants - comme les dirigeants, les cadres et les employés évalués - à l'égard d'autres caractéristiques qu'ils recherchent dans un tel formulaire d'autre part. Finalement, si l'on veut que le formulaire soit simple et facile à remplir, il est important de constituer un comité de discussion composé de représentants des catégories de personnel ciblées pour procéder à l'élaboration ou à la révision du formulaire tant sur le plan du contenu que sur celui de la forme.
Le cadre: un «facilitateur». Le supérieur immédiat reste toujours la plus fréquente source d'évaluation et celle en laquelle les employés ont le plus confiance. En particulier, un régime de salaire au mérite mise beaucoup sur l'autorité du supérieur hiérarchique qui doit porter un jugement sur le rendement de ses subalternes. Compte tenu des enjeux tant pécuniaires que d'estime de soi, il faut s'attendre à ce que l'évaluation du rendement soit une source de mésententes. L'employé a alors tout intérêt à mettre en relief ses points forts, ses réalisations et à rendre les autres responsables de ses faiblesses lorsqu'il discute de son rendement avec son patron. Bien que la dynamique sous-jacente à l'entretien d'évaluation repose généralement sur une volonté réciproque de bonne entente, il n'en est pas toujours ainsi. En effet, le processus d'évaluation se déroule d'habitude dans un climat de compétition, où le supérieur détient plus de pouvoir et où les points de désaccord, plutôt que les points d'entente, sont mis en relief. Il est à noter que la majorité des employés ne sont pas d'accord avec une cote de rendement moins que satisfaisante; ils tendent tous à penser que leur rendement se situe au niveau où leur supérieur voudrait qu'il soit à l'avenir. De plus, les perceptions des employés et de leur supérieur immédiat au sujet des causes d'un rendement jugé moins que satisfaisant diffèrent: l'employé tend à attribuer ce résultat à des facteurs qui échappent à son contrôle (les absences d'autres employés, le manque d'équipement, la surcharge de travail, le manque de personnel, etc.), alors que l'évaluateur tend à l'attribuer aux traits personnels de l'employé (le manque de compétence, de motivation, etc.).
La précision de l'évaluation du rendement repose donc essentiellement sur les évaluateurs puisqu'elle est fonction de leur habileté à évaluer le rendement et de leur motivation à évaluer le rendement. L'habileté des superviseurs à évaluer le rendement de leurs subalternes dépend de la possibilité qu'ils ont de les observer à leur travail, du besoin qu'ils ressentent d'évaluer leur rendement et de leur perception de la pertinence du formulaire d'évaluation du rendement compte tenu de l'objectif poursuivi. Ainsi, il semble pratiquement impossible d'implanter un système d'évaluation du rendement sans la mise en place d'un programme d'information et de formation pour l'évaluation du rendement à l'intention des évaluateurs. Un sondage de la Société Conseil Mercer (1996) indique que, là où les systèmes de gestion du rendement sont jugés efficaces, les entreprises accordent plus de formation aux cadres et aux employés en la matière et les rendent plus responsables de son application. Idéalement, tout programme de formation devrait viser à développer deux capacités fondamentales : celle de mesurer le rendement et celle de donner une rétroaction (feed-back). Dans ce dernier cas, le tableau 1 donne la liste des principales caractéristiques d'une bonne entrevue d'évaluation du rendement que l'on doit enseigner aux cadres.
Par ailleurs, les cadres ont la responsabilité non seulement de fixer leurs attentes en matière de rendement, de les communiquer aux employés et de clarifier celles-ci, mais aussi et surtout d'exercer un suivi sur le déroulement du travail. Cela signifie qu'ils doivent rencontrer périodiquement leurs employés - individuellement et collectivement - pour discuter de l'avancement des activités prévues. Cette rencontre est importante, car elle donne au superviseur l'occasion d'encourager l'employé à maintenir ses efforts, de l'aider à mieux diriger ces efforts, de l'amener à modifier certains objectifs en raison de changements qui sont survenus dans l'environnement et ainsi de suite. Nombre de problèmes de rendement des employés sont dus en grande partie à un manque de suivi de la part de leur superviseur. Encore ici, il est important que le superviseur prenne des notes au cours des rencontres de suivi avec ses employés. Il doit aussi préparer des exemples de bons et de moins bons comportements ou de résultats de l'employé tout au long de l'année. À cet égard, le fait de prendre des notes sur les facettes positives du rendement de l'employé s'avère efficace. Rappelons-nous que la grande majorité des employés ont un rendement acceptable. Pour les motiver, il faut d'abord insister sur leurs atouts, puis relever un ou deux points qu'ils pourraient améliorer.
On oppose souvent l'assistance professionnelle (coaching) au mode traditionnel de supervision autoritaire, où le cadre agissait comme un contrôleur qui d'une part avait la responsabilité de prendre seul les décisions et de donner des directives et qui d'autre part s'attendait à ce que ses employés les appliquent, à défaut de quoi il devait sévir. Aujourd'hui, pour de multiples raisons, notamment la scolarité accrue des employés et une organisation du travail requérant plus de flexibilité et d'autonomie, on valorise des relations de partenariat où le superviseur agit comme un entraîneur, un coach ou un «facilitateur» responsable de la mobilisation des membres de son équipe en les faisant participer à la prise de décisions, en leur accordant des responsabilités et de l'autonomie, en les conseillant dans l'exécution de leur travail, en reconnaissant leurs points forts, etc.
Le contexte organisationnel: un catalyseur des performances. Le processus de gestion du rendement et le rendement des employés sont aussi influencés par le contexte organisationnel. De la même manière, l'enquête de Hewitt & Associés (1995) montre que, là où les systèmes de gestion du rendement s'avèrent efficaces, il y a une participation des dirigeants d'entreprise à leur conception et à leur mise en place et une participation des employés (cadres et non-cadres) au processus de gestion du rendement. Les dirigeants d'entreprise doivent agir comme des modèles privilégiant une gestion par la reconnaissance plutôt que par le contrôle. Il est aussi important que la direction récompense les cadres qui savent reconnaître les performances de leurs employés. De la même manière, ils devraient tenir compte de la façon dont les cadres s'acquittent de leur tâche d'évaluation du rendement au moment où, à leur tour, ils sont évalués par leurs superviseurs immédiats. Si cette responsabilité de gestion revêt une telle importance, il faut que les efforts qu'ils y consacrent soient considérés et reconnus.
Le rendement des employés est influencé par diverses caractéristiques individuelles (comme les traits et la motivation au travail), organisationnelles (comme les ressources, le groupe de travail et l'organisation du travail), environnementales (comme l'économie, l'industrie et la région) et de supervision. Ainsi, l'évaluateur devrait faire une analyse systémique de l'ensemble d'une situation de travail afin d'éviter d'attribuer certains problèmes de rendement à un subordonné lorsque les causes échappent en partie à sa maîtrise. Ainsi, au lieu de considérer les objectifs et les normes de rendement préétablis comme immuables et inchangeables, on convient d'ajuster périodiquement le plan d'action aux divers changements qui touchent l'organisation, comme les innovations technologiques, les restructurations, les crises économiques ou les modifications apportées aux produits. Ainsi, au cours de l'entrevue d'évaluation, on parlera tout autant de changements que l'employé doit mettre en ouvre que de changements à apporter aux systèmes et aux procédés (par exemple l'organisation du travail, les outils et les équipements) pour améliorer le rendement. Cela est d'autant plus important que, dans bien des cas, on peut être tenté d'attribuer les problèmes de rendement individuel à des caractéristiques de l'environnement (comme l'arrivée d'un nouveau concurrent ou un déclin économique), de l'organisation (des équipements désuets, des produits non concurrentiels), de l'équipe (une organisation du travail déficiente) et aux compétences et aux efforts des employés. Dans ce contexte, il est important d'intégrer une approche systémique de la gestion du rendement, qui se préoccupe du développement et de l'amélioration continue du rendement du groupe, des systèmes, des structures ou des processus. L'approche traditionnelle strictement individualisée de la gestion du rendement peut même nuire à l'esprit d'équipe et au climat de collaboration et ne pas mettre le doigt sur les véritables sources d'improductivité. En fait, pour améliorer la productivité, il faut s'interroger sur le travail à faire et éliminer les tâches superflues. Cela est particulièrement important dans le secteur des services où l'on demande de plus en plus aux employés de faire des choses qui n'ont rien à voir avec leurs qualifications et leur expertise. Prenons le cas des infirmières et des puéricultrices auxquelles on demande de remplir de plus en plus de documents, alors qu'elles sont formées et embauchées pour assurer des soins et l'éducation. Au-delà d'un certain seuil, un tel élargissement des tâches n'est pas enrichissant: il diminue la motivation au travail des employés, car on leur demande de faire des choses qui ne sont pas importantes pour leurs clients (dans nos exemples, les patients et les étudiants). Lorsque la procédure d'évaluation nuit à la qualité des services et des produits ou exige qu'on la contourne pour réussir à satisfaire les clients, il faut s'interroger sur sa pertinence et non sur son respect par les employés.
Finalement, autant les normes de groupe peuvent être contraignantes et nuire au rendement - et là, les exemples seraient nombreux -, autant elles peuvent le promouvoir et le stimuler. Les dirigeants doivent créer un «climat haute performance» où les gens qui produisent «de la qualité en bonne quantité» sont respectés, où chacun se sent responsable de son propre rendement et de la productivité de l'entreprise. À cet égard, il faut faire ressortir l'importance de la justice du processus dans l'élaboration et la mise en pratique de la gestion du rendement à l'intérieur des organisations. Cette perception de la justice existe dans la mesure où l'employé croit, notamment, que son supérieur immédiat connaît le travail qu'il effectue, qu'il y a une communication dans les deux sens lors de la rencontre d'évaluation, que les mêmes critères d'évaluation sont appliqués d'une personne à l'autre, que les cotes d'évaluation sont véritablement fondées sur le rendement des employés et que les mécanismes de reconnaissance, telles les promotions et les augmentations de salaires, sont basés sur les cotes d'évaluation. Pour terminer, les résultats d'un processus de gestion du rendement s'avèrent aussi fonction de sa cohérence et de sa complémentarité avec les autres activités de gestion des ressources humaines (notamment la sélection, la formation et la rémunération). Ainsi, les atouts d'une gestion soignée de la performance seront probablement moindres dans un contexte où l'entreprise accorde peu de soin à attirer et à recruter des candidats compétents, investit peu dans leur développement et rémunère peu le rendement. À l'inverse, une gestion du rendement des employés cohérente avec les autres activités de gestion des ressources humaines aura des bienfaits accrus en raison du facteur de synergie.
ConclusionLa gestion du rendement du personnel est au cour des responsabilités des cadres en matière de supervision et peut s'avérer un puissant levier de changement stratégique, d'avantage concurrentiel et de mobilisation dans la mesure où elle s'intègre à un véritable tableau de bord de gestion de la performance organisationnelle et qu'elle respecte diverses conditions de succès. Le tableau 2 résume les préalables qui optimiseront les chances que la gestion du rendement des employés soit un véritable processus à valeur ajoutée pour les organisations.
Tableau 1 Les conditions de succès de l'entrevue d'évaluation du rendement | |
Le supérieur doit... | |
À faire | À éviter |
donner le temps au subordonné de s'auto-évaluer, de se préparer; | informer le subordonné à la dernière minute de l'entrevue; |
choisir un environnement tranquille et propice à la discussion; | se laisser déranger par le téléphone, des visites, etc.; |
bien préparer l'entrevue (par exemple en établissant un plan de la rencontre); | ne pas se préparer; |
poser des questions et encourager le subordonné à participer et à exprimer ses idées et ses émotions; | interrompre le subordonné et ne pas lui permettre de s'exprimer ni de participer à la discussion; |
écouter, écouter et écouter; | parler constamment; |
se préparer à entendre des commentaires négatifs, confus, ainsi que des critiques; | être continuellement en désaccord avec le subordonné ou nier tout ce qu'il dit; |
contenir ses émotions; | exprimer ses émotions; |
se comporter comme un coach, un facilitateur, un guide; | jouer au détective ou au juge; |
être précis autant à propos des succès de l'employé qu'à propos de ses échecs; | insister seulement sur les erreurs et les problèmes; |
chercher à comprendre; | adresser des blâmes ou des reproches; |
répéter ce que le subordonné a exprimé; | chercher à imposer ses opinions; |
centrer la discussion sur la résolution des problèmes à l'avenir; | centrer la discussion sur la description des problèmes passés et de leurs causes; |
appuyer ses propos sur des faits, c'est-à-dire des résultats et des comportements; | qualifier la personnalité du subordonné; |
établir conjointement avec l'employé les objectifs, le plan d'action et les moyens de s'améliorer, de partager ses idées. | imposer son jugement, ses objectifs et son plan d'action. |
Source : St-Onge, S., Audet, M., Haines, V., Petit, A., Relever les défis de la gestion des ressources humaines, Gaetan Morin éditeur, Boucherville, 1998, p. 366. |
Tableau 2 Une gestion du rendement des employés créatrice de valeur pour l'entreprise : quelques préalables clés |
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Atkinson, A.A., Waterhouse, J.H., Wells, R.B. «A stakeholder approach to strategic performance measurement», Sloan Management Review, printemps 1997, p. 25-37.
Balkcom, J.E., Ittner, C.D., Larcker, D.F. «Strategic performance measurement: Lessons learned and future directions», Journal of Strategic Performance Measurement, avril-mai 1997, p. 22-32.
Barrette, J., Bérard, J. «Gestion de la performance : lier la stratégie aux opérations», Gestion, revue internationale de gestion, vol. 24, n° 4, hiver 1999, p. 12-19.
Conference Board of Canada. Compensation Planning Outlook 1996, Ottawa, Conference Board of Canada, 1996.
Gestion, revue internationale de gestion, collection «Racines du savoir», La performance au travail. (1998), Responsables : Alain Gosselin et Sylvie St-Onge.
Hewitt & Associés. Gestion du rendement : pratiques et caractéristiques des programmes, résultats de l'enquête, Scottsdale, Arizona, 1995.
Kaplan, R.S., Norton, D.P. The Balanced Scoreboard : Translating Strategy into Action, Harvard Business School Press, 1996.
Société Conseil Mercer. Systèmes de gestion du rendement et des compétences, résultats de l'enquête sur les pratiques en usage dans les entreprises canadiennes, été 1996,12 pages.
St-Onge, S. et M. Magnan. «La mesure de la performance organisationnelle : un outil de gestion et de changements stratégiques», Gestion, coll. " Racines du savoir " : Performance au travail, sous la responsabilité de A. Gosselin et S. St-Onge, 1998, p. 46-63.
St-Onge, S., Audet, M., Haines, V., Petit, A. (). Relever les défis de la gestion des ressources humaines, Gaetan Morin éditeur, Boucherville,1998.
Thériault, R., St-Onge, S. La gestion de la rémunération : théorie et pratique, Gaetan Morin éditeur, Boucherville, Québec, 2000.
Thériault, R., St-Onge, S. Compensation management: Theory and Practice, CCH Canadian and Gaetan Morin éditors, Toronto, 2000.
Voyer, P. Tableaux de bord de gestion, Presses de l'Université du Québec, 2e édition,1998.
Sylvie St-Onge, Ph. D. de l'École des Hautes Études Commerciales
Le Fonds FCAR appuie financièrement les recherches de l'auteure sur la gestion du rendement. L'auteure a participé à la rédaction d'ouvrages sur le sujet: Thériault et St-Onge, 2000, chapitre 12 et St-Onge, Audet, Haines et Petit, 1998, chapitre 9.
Source : Effectif, volume 3, numéro 1, janvier / février / mars 2000