Vous lisez : Louis Garneau Sports : Small is beautiful

Cet ancien champion cycliste a toujours su qu'il devait miser sur les gens et que l'art de tout bon chef d'entreprise est d'abord et avant tout de bien savoir s'entourer.

Lorsqu'on lui demande la place qu'occupe la gestion des ressources humaines dans son entreprise, le président fondateur de Louis Garneau Sports est catégorique. Pour lui, les employés, c'est l'énergie vitale, le carburant essentiel de toute organisation qui marche, de toute équipe gagnante. Depuis ce jour de 1983 où, dans le garage de son père, il s'est mis à bricoler son rêve avec son épouse, cet ancien champion cycliste - qui a participé aux Jeux olympiques de Los Angeles - a toujours su qu'il devait miser sur les gens et que l'art de tout bon chef d'entreprise est d'abord et avant tout de bien savoir s'entourer. Quinze ans plus tard, Louis Garneau n'a plus seulement une usine-mère à Saint-Augustin-de-Desmaures; son entreprise s'appuie sur huit centres de fabrication et la moitié de ses quelque 400 employés travaillent aux États-Unis, à Newport, dans le Vermont. Il ne s'en tient plus maintenant aux seuls vêtements, casques et accessoires de vélo, de ski et de plein air; sa marque s'est maintenant fait un nom solide dans le domaine du design et du vêtement pour enfants. Rieur, passionné et doué d'un talent inné de communicateur, ce dirigeant d'entreprise qui a fêté ses 40 ans cette année a confié quelques-uns de ses secrets à Effectif.

On dit souvent que les ressources humaines sont l'actif le plus important dans une entreprise. Est-ce bien le cas pour vous et quel est votre style de gestion?

Je suis depuis toujours convaincu que les ressources humaines sont le carburant, l'énergie vitale d'une entreprise. Lorsqu'il crée son affaire, l'entrepreneur a un rêve en tête, des idées, mais il ne peut les réaliser que s'il a la bonne équipe autour de lui. Moi, j'ai fait de la compétition, j'ai participé aux Jeux olympiques en cyclisme et je m'en suis bien rendu compte: tout seul, on ne gagne pas. Un entrepreneur est un entrepreneur : il n'est pas un comptable, ni un spécialiste des ressources humaines. Lui, c'est un passionné, un rêveur qui ne peut pas tout faire. Les entrepreneurs qui réussissent sont toujours ceux qui savent bien s'entourer.

Est-ce qu'il y a chez Louis Garneau Sports un service des ressources humaines et quelle est votre approche quant à la gestion de ces ressources?

Nous avons un spécialiste en ressources humaines depuis cinq ans. Auparavant, le directeur général et moi nous partagions cette fonction. L'entreprise était plus petite et puis on ne pensait pas que c'était nécessaire d'investir dans ce poste-là. Tant qu'on est de taille restreinte, on peut plus ou moins continuer à improviser, à y aller de son gros bon sens. Mais aujourd'hui, nous avons plus de 400 employés, huit centres de fabrication, ce n'est plus la même chose! Quand une entreprise grossit, cela peut même devenir dangereux de croire pouvoir tout faire soi-même parce qu'il y a nécessairement des choses qu'on néglige. Ce qu'il ne faut surtout pas faire quand on réalise, comme je l'ai fait moi-même, à quel point le personnel est le véritable carburant d'une entreprise.

Les 400 employés que vous venez d'évoquer sont répartis entre le Canada et les États-Unis. Comment faites-vous concrètement pour gérer votre personnel ?

La maison-mère à elle seule regroupe la moitié des employés. Mais depuis une dizaine d'années, les autres sont répartis dans plusieurs centres de fabrication. En faisant cela, nous avons voulu résoudre un problème : dans notre région, nous avions de la difficulté à trouver des gens et nous avons décidé d'ouvrir de petits ateliers et des centres d'assemblage dans d'autres régions. Ce n'est pas seulement la difficulté à trouver de la main-d'ouvre qui nous a fait agir ainsi. C'est aussi parce que nous nous sommes rapidement rendu compte que tout ce qui est petit est plus facile à gérer. Et même si nous avons aujourd'hui 400 employés, cette attitude nous a permis de conserver le style de gestion d'une PME.

Small is beautiful, quoi!

Oui! J'ai l'habitude d'écrire toutes sortes de choses sur les murs de mon bureau. Une des maximes que j'ai mises en évidence, c'est «Grandir tout en restant petit». Les huit centres Louis Garneau ressemblent à l'école de mes garçons: les gens travaillent par petits groupes de trente, ils se connaissent tous par leur prénom, les ateliers sont tout sauf dépersonnalisés. Et pour en revenir à la gestion des ressources humaines, elle est d'autant plus facile: un chef d'équipe y veille sur place et il suffit que cette personne ait un bon jugement pour que ça marche. Au départ, nous avons répondu à des décrets et cela a effectivement permis de créer de l'emploi dans différentes régions. Mais ce qui compte encore plus, c'est que même en grossissant, nous n'avons jamais perdu de vue la dimension humaine. Et nous sommes de ceux qui ont fait la preuve qu'on peut vraiment grandir sans se ramasser nécessairement avec tous les problèmes des grosses entreprises.

Est-ce qu'il y a un syndicat dans votre entreprise? Et si oui, comment les choses se passent-elles?

Il y a effectivement un syndicat de boutique à la maison-mère de Saint-Augustin et tout se passe très bien. Depuis 1989-1990, lors des périodes de négociations collectives, il n'y a pas eu d'intermédiaire entre les employés et la direction, les négociations sont plus directes et cela revient moins cher aux employés. Pour tout le monde, cela se traduit par un meilleur climat de travail. Car au fond, peu importe l'organisation : il faut avant tout respecter les gens et faire en sorte qu'ils le sentent. Les entreprises se lancent souvent dans toutes sortes de grands débats philosophiques à propos de la gestion de leur personnel, mais elles oublient de parler du simple respect des employés. Chez Louis Garneau, ce souci commence à s'exprimer dès le cahier de bienvenue qu'on remet aux nouveaux employés.

Comment faites-vous justement pour transmettre votre culture d'entreprise à vos employés?

D'abord, quand un nouvel employé arrive, à titre de président, je me débrouille pour le rencontrer personnellement dans le courant de sa première semaine de travail. Je prends au moins dix minutes pour lui raconter que tout ce qu'il voit a démarré au fond d'un garage où nous avons rêvé et travaillé dur, ma femme Monique et moi, quand nous étions encore étudiants. Je lui dis aussi pourquoi je pense que nous avons eu du succès et je lui remets un feuillet sur l'historique de la compagnie: il peut y lire la philosophie de la maison, voir des photos, découvrir nos plus récentes innovations et tous les prix que nous avons gagnés et je crois que tout cela doit contribuer à l'intégrer et le motiver.

Quel impact cela a-t-il sur les relations de travail d'être loin des grands centres?

Les rapports sont différents, c'est vrai. À Montréal, l'industrie du textile et du vêtement est nettement plus multiculturelle et il se peut donc qu'il y ait moins de liens. À Québec, tout le monde vient à peu de choses près de la même place, nous parlons tous la même langue, nous sommes les produits d'une même culture. Cela donne des équipes de travail sûrement plus homogènes. Nous avons tous la même langue de travail et du coup chez nous, littéralement, ça se parle. Le journal des employés n'est pas rédigé en quatre langues et la communication interne en est sûrement facilitée.

Quels programmes avez-vous mis au point pour garder vos meilleurs employés?

D'abord, nous avons des employés qui travaillent déjà chez nous depuis dix ou douze ans et nous en sommes fiers. Nous essayons d'avoir des salaires très concurrentiels et un pourcentage discrétionnaire des bénéfices est remis aux directeurs et aux employés les plus performants. Nous ne sommes pas dans le domaine de la haute technologie; pour notre échelle de salaires, nous nous fions aux décrets et, il faut le dire aussi, nous sommes quand même limités par la concurrence. Mais pour garder longtemps nos employés, nous faisons tout pour créer une ambiance de travail agréable, un espace de qualité. Nos ateliers sont toujours propres, les planchers sont bien cirés, les murs sont bien blancs. À la cafétéria, on sert des repas chauds chaque midi, on organise souvent des activités de groupe - cocktails, parties de hot-dogs, paniers de pommes et d'oranges à Noël pour respecter la tradition.

En fait, on essaie de donner un sens à tout ce qu'on fait par toutes sortes de petits gestes auxquels je crois que les gens sont sensibles. On essaie de promouvoir de belles valeurs. La fête de chaque employé est soulignée et annoncée à la cafétéria. Je sais bien que tout cela n'a rien de révolutionnaire, mais cela crée tout un climat de travail. Au fond, c'est comme une relation de couple qui marche : même si on ne peut pas toujours rentrer à la maison avec des roses, c'est par mille petits gestes qu'on peut se montrer qu'on est bien ensemble.

Il y a un autre slogan sur votre mur, je crois : «Innover ou mourir». Pourquoi?

Je vais même écrire «Condamné à innover». Car on n'a pas le choix, il faut constamment se remettre en question et revoir ses choix pour tenir face à la concurrence et à la toujours possible baisse de demande sur le marché. Le succès n'est jamais éternel, il faut tout revoir tous les six mois. Et justement, je vais écrire cela parce que je trouve que cette «condamnation» a quelque chose de profondément positif. C'est une inquiétude stimulante que tout le monde doit partager dans l'entreprise. Lorsque le marché est bon, l'entreprise peut continuer à son rythme, mais quand la conjoncture change, c'est bien là qu'on se rend compte qu'un seul dirigeant ne suffit pas. Un mur, ça se monte en équipe, il faut toujours qu'il y en ait un autre pour vous tendre la main sur le palier suivant.

Sylvie Halpern

Source : Effectif, volume 1, numéro 5, novembre /décembre 1998

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