Lorsque l'on parcourt les programmes de formation, on est surpris de constater que cette approche de développement professionnel ne soit pas plus répandue. Les travaux de Revans, fondateur britannique de l'action formation, datent tout de même des années cinquante et, depuis 1990, General Electric a donné à la méthode une grande visibilité en faisant son approche privilégiée pour former ses cadres supérieurs aux nouvelles exigences de la mondialisation. Je comprends encore moins quand je pense à la puissance de cette approche. Je la pratique depuis plus de quinze ans et je n'en connais aucune qui ait autant d'impacts directs sur la pratique des gestionnaires et autres professionnels. Si cette approche n'est pas utilisée parce qu'elle n'est pas assez connue, qu'à cela ne tienne, parlons-en : que celles et ceux qui en connaissent la pertinence se joignent à moi pour la faire connaître. En voici donc une rapide présentation. Mais d'abord, deux remarques.
Première remarque. Si nous traitons ici comme une seule et même approche, le groupe de codéveloppement professionnel et l'action formation, qui sont habituellement présentées comme deux approches distinctes, c'est parce que, à y regarder de près, elles ne diffèrent que par la largeur de la cible étudiée. En effet, dans le codéveloppement, c'est toute la pratique du professionnel qui est ouverte à l'étude : chaque participant choisit d'apporter au groupe un morceau de sa pratique (un dossier, une situation conflictuelle, une préoccupation), morceau qui peut changer à chaque rencontre, selon les besoins du professionnel. Alors que dans l'action formation, le groupe est bâti sur le projet spécifique que chaque membre mène en temps réel dans son travail normal et, à chaque rencontre, c'est seulement l'avancement du projet de chacun qui est étudié.
Deuxième remarque. D'une part, l'approche de formation du groupe de codéveloppement et d'action formation s'inspire d'une méthode qui n'a plus à faire ses preuves la méthode des cas. Mais ici, afin de favoriser plus de résultats immédiats, les cas étudiés sont des situations vécues actuellement ou des projets menés en temps réel par les participants et dont ils sont les principaux acteurs. D'autre part, «l'instrument» de cette forme de formation, le petit groupe (4 à 8), lui non plus n'a pas à faire ses preuves; quoique inventée il y a quelques millénaires (!), c'est encore la meilleure formule pour multiplier les forces des intelligences individuelles.
Une définition du groupe de codéveloppement professionnel et d'action formationLe groupe de codéveloppement professionnel est une approche de formation pour des personnes qui croient pouvoir apprendre les unes des autres afin d'améliorer, de consolider leur pratique. La réflexion effectuée, individuellement et en groupe, est favorisée par un exercice structuré de consultation qui porte sur des problématiques vécues actuellement par les participants. Dans le cas de l'action formation, cette consultation porte sur l'avancement du projet que chaque participant mène en temps réel dans son organisation. L'un après l'autre, les participants prennent le rôle de client pour exposer l'aspect de leur pratique qu'ils veulent améliorer ou les questions que leur pose l'évolution de leur projet, pendant que les autres agissent comme consultants pour aider ce client à enrichir sa compréhension (penser) et sa capacité d'action (agir). Cette démarche de consultation peut être complétée par des activités qui visent à satisfaire d'autres besoins d'apprentissage des participants, par exemple des échanges d'information de diverses sortes.
Concrètement, ces groupes se composent de quatre à dix personnes, accompagnées d'un animateur, qui se rencontrent pour des périodes de trois à six heures, selon un rythme déterminé de deux à cinq semaines, sur une période variant de six mois à un an (pouvant être prolongée sur plusieurs années tant que la formule répond aux besoins des membres). Chaque rencontre est généralement divisée entre une séance de consultation proprement dite et des échanges divers, définis par le groupe, mais la consultation constitue le cour du processus. Des formes de groupes peuvent différer selon le contenu des rencontres, le cadre temporel, le lieu, le nombre et la provenance des participants, et le type d'animation (voir plus loin les diverses utilisations possibles).
Généralement, les participants à un groupe de codéveloppement professionnel poursuivent certains des objectifs suivants :
- apprendre à être plus efficace dans sa pratique;
- s'obliger à prendre systématiquement un temps de réflexion dans sa pratique professionnelle;
- avoir un groupe d'appartenance professionnelle où règnent confiance et solidarité;
- consolider son identité professionnelle en comparant sa pratique professionnelle à celles des autres;
- apprendre à aider et à être aidé comme client et comme consultant apprendre à travailler en groupe.
Remarque majeure : l'approche fait appel à plusieurs sortes d'habiletés et d'attitudes qui peuvent être très utiles dans toutes sortes d'autres situations professionnelles.
Quelques mots sur les aspects théoriquesEncore aujourd'hui, le paradigme dominant de la formation des praticiens est celui de la science appliquée. Dans ce modèle, la connaissance précède l'action, la théorie précède la pratique, la science précède les applications. Lentement, depuis une vingtaine d'années, un changement est en train de s'effectuer : l'expérience et l'action reprennent leurs lettres de noblesse. Nous nous référons particulièrement aux travaux sur la science-action de Argyris et Schön, de Schön et de St-Arnaud; à ceux de Paquet et al. sur la connaissance de type Delta; et aux travaux de Revans et de McGill et Beaty sur l'action formation.
Comme formateurs, notre volonté de voir la formation s'intégrer à la pratique concrète des gestionnaires conformément aux demandes répétées des clients, et notre conviction à l'égard de la puissance du petit groupe comme moyen d'apprentissage, nous ont amenés à élaborer cette approche qui se fonde sur les principes suivants :
- la pratique a des savoirs que la science ne produit pas;
- apprendre une pratique professionnelle, c'est apprendre à agir;
- échanger avec d'autres sur ses expériences permet des apprentissages impossibles autrement (plusieurs têtes valent mieux qu'une seule);
- chaque personne est la principale experte de sa situation;
- la subjectivité de l'acteur est aussi importante que l'objectivité de la situation.
À ce sujet, il faut éviter deux extrêmes : premièrement, donner l'image que la mise sur pied et l'animation de tels groupes exigent des compétences tellement spécialisées que cela décourage qui que ce soit de tenter l'expérience; et à l'opposé, donner l'image que le premier venu qui regroupe quelques personnes avec une vague intention de favoriser l'apprentissage de tous fait du codéveloppement.
Puisqu'au fil du texte qui suit, nous mettons en relief diverses facettes du rôle de l'animateur, limitons-nous ici à quelques remarques. D'abord, ces deux rôles, organisateur et animateur, sont souvent joués par la même personne; quand ce n'est pas le cas, il faut une bonne compréhension entre ces deux personnes pour qu'aucune fausse attente ne soit véhiculée aux participants. Si l'organisateur connaît peu l'approche, il devra s'en remettre à l'animateur expérimenté et familiariser celui-ci au contexte stratégique et culturel de l'organisation pour évaluer s'il est pertinent d'utiliser une telle approche. Si l'organisateur connaît bien l'approche, il saura en faire un marketing adapté et y associer des objectifs connexes comme de favoriser les relations interdirections ou les relations entre professionnels chevronnés et débutants (seniors et juniors).
Ensuite, ici comme dans d'autres groupes, l'animateur a des fonctions classiques de clarification, stimulation, facilitation, contrôle et organisation, et cela, sur le plan du fonctionnement général du groupe. Cependant, puisqu'il s'agit d'un groupe qui utilise la consultation comme méthode privilégiée, les savoirs (faire, être, etc.) de l'animateur auront un impact majeur autant sur le style que sur le contenu des consultations pratiquées par le groupe. Pour prendre un exemple extrême, un groupe de gestionnaires animé par un spécialiste des contenus de gestion qui connaît peu les relations interpersonnelles n'évoluera pas de la même façon que s'il est animé par un spécialiste de relations interpersonnelles qui connaît peu la gestion. Quelles que soient les compétences de l'animateur, celui-ci induira un style de consultation qui conviendra plus ou moins aux participants; le choix de l'animateur est donc une décision stratégique et les participants doivent en être conscients. C'est pourquoi certains groupes choisiront de limiter le rôle de l'animateur au bon fonctionnement du groupe alors que d'autres lui feront jouer, en plus, un rôle important dans la consultation. De plus, le groupe peut lui demander d'assumer une responsabilité de formation des membres : au cours des rencontres, l'animateur profitera de ce qui se passe (sans perturber le processus) pour indiquer aux participants certaines «leçons» qui peuvent être tirées de ce qui est en train de passer, pour donner une rétroaction formatrice à l'un ou l'autre participant, pour introduire des apports théoriques qui éclairent les sujets traités par le groupe.
Finalement, dans leur rôle de consultant, les participants ne sont pas des experts de l'objet de la consultation ni du contexte organisationnel du client, mais ils possèdent beaucoup de savoirs différents les uns des autres selon leur formation initiale, leur expérience et leur domaine d'activité; c'est la variété de ces savoirs qui est utile au client. Le processus de consultation permet, à partir d'un cas concret, d'accéder à des niveaux de généralisation qui seront utiles à tous et, même par la suite, à l'entourage organisationnel de chacun des participants; le rôle de l'animateur peut être majeur à cet égard puisqu'il est extérieur aux situations particulières des membres et a habituellement le bagage théorique qui permet de telles généralisations.
Les étapes d'une séquence de consultationAu cour de la démarche, la consultation. On pourrait imaginer un groupe de codéveloppement qui s'appuie sur une autre méthode. Si nous avons choisi la consultation, avec ces rôles bien définis de client et de consultant, c'est qu'elle structure de façon explicite les échanges, les oriente vers les besoins pratiques de chaque membre et qu'elle permet d'éviter le dérapage dans des discussions abstraites et impersonnelles.
Comme l'exprime le schéma suivant, les consultants ont comme objectif central d'aider le client : de l'aider en comprenant bien ce qu'il présente, en l'interrogeant, en lui faisant des suggestions ou, même, en remettant respectueusement en question sa vision ou ses actions. Encore une fois, les consultants aident le client à penser et à agir. Les consultants sont à la disposition du client; ils mettent tout en ouvre pour l'aider à utiliser ses compétences au maximum pour faire face aux défis de sa pratique professionnelle ou aux défis de la réalisation de son projet.
La séance de consultation est structurée en six étapes.
1 - Première étape: exposé de la problématique ou du projet
La consultation commence par la présentation d'une situation sur laquelle le client s'interroge ou par la présentation de l'état d'avancement de son projet. Le client choisit l'objet de sa consultation en toute liberté. Il n'y a pas de bons ou mauvais sujets de consultation en dehors du critère suivant : il faut que ce soit un sujet qui préoccupe vraiment le client dans sa pratique.
De fait, le client est autant «objet» de la consultation que le cas qu'il a préparé. En effet, il veut améliorer sa pratique et non pas seulement résoudre un problème; le cas présenté n'est en quelque sorte qu'un incident critique pour pouvoir apporter des modifications, si possible substantielles, à sa pratique. Il en va de même dans la perspective de l'action formation : le projet et celui qui mène ce projet sont toujours simultanément «objets» de la consultation. On ne peut pas séparer la situation vécue, présentée par le client, et sa manière d'y intervenir, de la concevoir et de la définir. C'est une autre façon de dire que, dans le groupe de codéveloppement et d'action formation, on ne veut pas séparer les personnes des situations ni les situations des personnes; la pratique professionnelle est complètement incarnée dans la situation et tout ce que l'on peut dire de l'une renvoie nécessairement à l'autre.
Dans cette première étape, le client expose et les consultants écoutent activement. L'idée de départ est de partager rapidement un stock d'informations pour pouvoir travailler ensemble dans le but défini par le client. Le simple fait de préparer un exposé et d'exposer une situation ou l'état d'avancement du projet permet souvent des apprentissages importants à cause du processus d'objectivation qui est à l'ouvre : lorsque le client expose, il s'expose tel qu'il se perçoit et, souvent, il découvre, en les disant, certaines facettes de sa situation, de son projet et de sa pratique.
2 - Deuxième étape: clarification de la problématique, questions d'information
Pour s'assurer de bien cerner la situation avant de poser leur diagnostic et de donner des conseils, les consultants formulent des questions d'information. Le client y répond et précise l'information nécessaire. L'idée est de rendre encore plus explicite l'implicite et, là encore, le client peut apprendre sur sa situation et sur lui-même grâce à de simples questions d'information qui peuvent attirer son attention sur des zones obscures qui ont échappé jusque-là à sa perception, à sa conscience.
À cette étape, les questions d'information permettent aux consultants de préciser leur compréhension de base de la problématique. Nous avons tous tendance à sauter trop rapidement aux conclusions; cette étape favorise l'apprentissage de la discipline : comprendre le mieux possible une situation avant de décider quoi faire. L'animateur devra souvent contrôler les interventions des consultants pour qu'ils s'en tiennent à des questions d'information (ce qui, encore une fois, constitue un apprentissage très utile dans bon nombre de situations).
3 - Troisième étape: établissement du contrat de consultation
Après avoir exposé ce qui le préoccupe et répondu aux questions d'information des consultants, le client définit ses besoins par rapport à la sorte de consultation et en convient avec les consultants. Ce n'est pas la même chose de demander des suggestions pratiques relativement à une situation difficile que d'analyser les implications politiques d'un dossier, que de critiquer sans gêne toutes les facettes d'un projet pour en accroître la solidité. Durant la précieuse heure que dure la consultation, il importe que tous se centrent de la même façon (étape 3) sur le même objet (étape 2). Cette exigence du contrat force le client à définir plus précisément ce dont il a besoin; cela est rarement facile et constitue souvent un apprentissage en soi (lui aussi transposable ailleurs). Enfin, pour que tout le monde soit sur la même longueur d'onde, les consultants sont invités à reformuler leur compréhension de la demande. Au besoin, ce contrat de consultation peut être révisé pendant la consultation.
4 - Quatrième étape: réactions, commentaires, suggestions des consultants
Cette étape est le centre de l'exercice. Après les restrictions de l'étape 2, les consultants sont enfin autorisés à dire ce qu'ils pensent; c'est en fait une étape plus jouissive! À cette étape, les talents particuliers des consultants se font valoir et le client est exposé à de nouvelles façons d'envisager sa situation et sa pratique. Après avoir effectué leur diagnostic à partir de leurs connaissances, de leurs expertises, de leurs grilles personnelles, les consultants réagissent: ils partagent leurs impressions, idées, réactions émotives, commentaires, interprétations, suggestions, conseils, références. En fait, ils sont appelés à communiquer au client tout ce qui peut, à leurs yeux, l'aider dans sa réflexion et son action. Ils doivent s'assurer d'être centrés sur les besoins du client et se demander continuellement : «Ce que je veux lui communiquer lui sera-t-il utile?» Le client lui-même et l'animateur voient au besoin à faire respecter cette norme fondamentale du groupe de codéveloppement et d'action formation : aider.
Contrairement aux groupes de travail habituels où l'on vise le consensus, ici la divergence des points de vue est systématiquement encouragée pour offrir le plus de lectures et de pistes d'action possible au client. À cette étape, c'est au tour du client de faire de l'écoute active. Il peut faire préciser des commentaires, poser des questions d'information, mais il est invité à retenir ses réactions pour bien enregistrer ce qui lui est communiqué.
5 - Cinquième étape: synthèse et plan d'action
Après avoir été soumis à quantité de réactions, suggestions, conseils, le client doit faire un tri : il est invité à intégrer le tout et à y réagir. Cette synthèse est effectuée pour dégager une hypothèse d'action, réalisable d'ici la prochaine rencontre. L'approche cherche simplement à obliger le client à dégager dès maintenant une ou quelques hypothèses d'action bien concrètes, réalisables à court terme. Le client se trouve à s'engager publiquement par rapport au groupe, tout en se sentant soutenu et redevable. Le plan d'action envisagé par le client sera l'objet d'un retour lors de la prochaine rencontre: les résultats pourront être réintroduits dans l'apprentissage du groupe.
6 - Sixième étape: établissement des apprentissages et évaluation
À cette étape, tous les participants, client et consultants, sont invités à prendre note des principaux apprentissages déclenchés par la consultation. Il faut insister - une autre facette du rôle de l'animateur - sur le fait que ce n'est pas seulement le client qui apprend de la consultation, mais tous les membres du groupe, y compris l'animateur. Plusieurs facettes de la consultation, en plus des généralisations possibles, peuvent interpeller d'une façon ou d'une autre tous les participants. Mais si le groupe ne prend pas formellement quelques minutes pour s'arrêter sur ces aspects, il cédera à la fatigue et au plaisir d'avoir terminé la consultation.
Il en est de même de l'évaluation, par le groupe, de son fonctionnement dans la consultation qui vient de se terminer: si on ne ritualise pas cette étape, elle risque d'être emportée dans la précipitation de la fin de la consultation. Cette évaluation permet de raffiner la méthode, de mieux l'ajuster aux besoins des participants (par exemple, récemment, un groupe a décidé de consacrer ses deux heures et demie de rencontre à une seule consultation pour éviter la pression du temps et pour pouvoir inclure au fur et à mesure les apprentissages et les généralisations favorisés en cours de route). Cela peut être aussi l'occasion pour donner à l'un et l'autre participant une rétroaction sur leur style d'intervention. Bien sûr, le premier à exprimer son évaluation sera le client, s'il ne l'a pas déjà fait à l'étape 5.
Diverses utilisations possiblesL'approche du groupe de codéveloppement et d'action formation peut être utilisée dans divers contextes et répondre à différents besoins. Quatre expériences peuvent illustrer cette variété d'utilisations.
Contexte universitaire. À l'origine, l'approche s'est développée dans le contexte d'un cours optionnel de maîtrise en administration. Le cours s'adressait à des gestionnaires en exercice dont la moyenne d'âge était de quarante ans (soit une expérience assez riche) et qui provenaient de diverses organisations. Le cours se déroulait sur quatre mois, à raison de sept rencontres de 6 heures et demie toutes les deux semaines. À chaque rencontre, quatre heures étaient consacrées au codéveloppement comme tel : les étudiants, partagés en quatre groupes de quatre, disposaient d'une heure chacun pour présenter un sujet et procéder à la consultation de leurs collègues. La formule permettait au professeur d'être présent une heure dans chaque groupe. Il faut préciser qu'au groupe de codéveloppement, le cours ajoutait la tenue quotidienne d'un journal de bord qui donnait lieu à six rapports (coaching par l'écriture), des lectures et d'autres exercices.
Groupes de gestionnaires d'une même organisation. Depuis 1992, des groupes de codéveloppement professionnel sont mis sur pied à l'hôpital Cité de la Santé de Laval pour compléter d'autres stratégies de développement des cadres, favoriser des liens entre les directions et composer avec des ressources financières limitées pour la formation. La participation est volontaire. L'exercice de consultation constitue l'essentiel de la démarche, mais, en plus, des exercices complémentaires et des lectures sont proposés aux participants. Les groupes de quatre à huit cadres se rencontrent une demi-journée, toutes les quatre ou cinq semaines. À chaque rencontre, après avoir effectué un suivi des projets d'action précédents, un ou deux participants présentent un sujet de consultation portant sur leur pratique. Exemples de sujets: Comment composer avec une relation difficile (employé, collègue, supérieur immédiat, client)? Comment définir mes limites auprès de mes demandeurs? Suis-je la personne de la situation?
Apprentissage du codéveloppement. Une quinzaine de professionnels du développement des ressources humaines, provenant de diverses organisations, voulaient s'initier à l'approche du groupe de codéveloppement. Ils choisirent d'utiliser la méthode elle-même pour apprendre : à chaque rencontre mensuelle, un groupe de codéveloppement de cinq personnes s'organisait dans le centre de la pièce tandis que les autres devenaient observateurs (technique de l'aquarium). Après chaque consultation (une heure), les observateurs et participants échangeaient leur expérience et s'instruisaient mutuellement sur la méthode à partir de ce qui venait d'être vécu. Ils ont été amenés à réfléchir, notamment, sur les questions suivantes : Jusqu'où aller en relation d'aide dans un tel exercice de consultation? Quelles sont les grilles pour jouer le rôle de consultant? Comment l'animateur peut-il diriger les consultants pour éviter l'éparpillement?
Gestion du changement. Une organisation de taille moyenne décide de modifier radicalement sa structure et choisit d'utiliser l'approche du codéveloppement pour permettre aux cinq futurs gestionnaires des services réorganisés de se préparer au changement et de faire face aux premiers mois d'implantation. Quelque six mois avant la date officielle de l'entrée en vigueur de la nouvelle structure, les futurs chefs de programmes et le consultant interne qui assure l'animation se réunissent régulièrement et se consultent les uns les autres sur les éléments de leur pratique qui posent problème dans la perspective du changement. Après l'implantation officielle, le groupe continue de la même façon pour s'assurer que le changement évolue bien dans chacun des cinq programmes. L'expérience se poursuit actuellement et le groupe de codéveloppement sert toujours de lieu de ressourcement, d'ajustement et de partage des préoccupations.
On peut imaginer d'autres types d'utilisation. Par exemple, deux organisations l'ont déjà utilisée de façon thématique: les sujets de consultation portaient sur la gestion des personnes; le choix des thèmes est évidemment illimité. Le codéveloppement est particulièrement profitable aux plus jeunes dans un groupe auquel participent quelques gestionnaires d'expérience. Dans une perspective plus explicitement action formation, des responsables de projet d'une même ou de différentes organisations (qui ne sont pas en concurrence) pourraient profiter énormément d'un groupe qui se réunirait régulièrement et qui étudierait ensemble l'évolution des projets de chacun avec l'aide d'une personne-ressource compétente.
Diverses évaluations qualitatives ont été effectuées auprès des participants à ces activités. Les commentaires les plus fréquemment formulés sont les suivants: . l'exercice oblige à plus de rigueur dans la façon de penser, ce qui favorise une plus grande acuité et un sens critique plus développé dans les situations professionnelles; . l'activité «oblige» à un temps de réflexion que les participants ne s'accorderaient pas autrement; . les participants développent un plus grand sentiment d'appartenance organisationnelle et d'identité professionnelle et, pour ceux qui sont de la même organisation, une meilleure compréhension des enjeux de cette dernière; . les participants ont l'impression d'effectuer une synthèse et une intégration d'apprentissages réalisés dans d'autres activités de formation; . tous apprécient d'avoir un groupe d'appartenance, ce qui leur donne le sentiment d'être moins isolés.
Certaines conditions de succèsÀ travers tout ce qui vient d'être décrit, les principales conditions du succès ressortent clairement. Remarquons simplement que l'ingrédient numéro un de ces formations de type «auberge espagnole» où chacun apporte sa nourriture en partage, c'est la richesse même des participants. Précisons que la qualité éthique est primordiale : respecter la confidentialité et vouloir aider. Finalement, pour poursuivre la métaphore de la nourriture, l'appétit représente une autre condition fondamentale : le goût d'apprendre et d'améliorer sa pratique professionnelle, la capacité de se remettre en question, la capacité de s'engager en venant chercher quelque chose, mais aussi être disposé à apporter le plus possible aux autres. Cette attitude d'aide mutuelle croît au même rythme que le climat de confiance qui se développe dans le groupe.
Conclusion : une approche puissante encore trop méconnue!Pour conclure, rappelons quelques-uns des points forts de l'approche : 1) c'est une des rares approches à être branchée directement sur la pratique professionnelle et sur les «nouds» de cette pratique; 2) par contraste avec une approche normative qui n'offre qu'un seul modèle, celle-ci permet au client, à travers la variété de contributions des membres du groupe, de multiplier les perspectives pour penser et agir sur sa réalité; 3) la régularité des rencontres et la perspective d'apprentissage qui y est pratiquée renforcent la volonté de chaque membre à réfléchir sur-dans-par l'action; à cause de cela, l'approche invite chacun à faire de sa pratique professionnelle une ouvre qui, au jour le jour, se consolide, mature, intègre divers savoirs (faire, être, ressentir, vivre, vouloir, imaginer.) et diverses composantes (technique, politique, éthique, esthétique.) pour arriver à exprimer de mieux en mieux la personnalité (le style) de ce professionnel.
Il est vrai que cette approche, surtout dans le domaine de la gestion, ne ressemble en rien aux activités à grand déploiement, souvent stimulantes intellectuellement et quelquefois même très divertissantes. L'approche du groupe de codéveloppement et d'action formation est de l'ordre du travail artisanal : patient, régulier, peu spectaculaire, où les apprentissages se réalisent à petits pas. Il est vrai qu'elle a des exigences spécifiques qui, malgré son caractère «facile d'accès», supposent, de la part des membres, une très forte motivation à améliorer leur pratique en osant en partager des aspects avec des collègues. En effet, elle se range parmi les formations qui demandent une implication authentique de la personne; les études prouvent que ce sont ces formations qui ont le plus d'impact et qui changent le plus la pratique des participants.
Apprentissages possibles à chaque étape | |
1 | Exposé d'une problématique ou d'un projet. Objectiver, aller à l'essentiel, découvrir ce que je connais, me connaître un peu plus, écouter en même temps l'autre et soi-même, percevoir le non-dit, retenir des réactions spontanées. |
2 | Clarification de la problématique. Questions d'information, être concret et spécifique, distinguer mes impressions des données factuelles, découvrir du nouveau dans ce que je connais tant, me faire interroger sur des facettes de ma situation ou de ma pratique que je ne vois pas ou que je ne veux pas voir, distinguer de vraies questions factuelles d'interprétations ou d'évaluations déguisées, retenir le goût de sauter aux solutions, les faits sont la base de l'efficacité. |
3 | Contrat de consultation. Réussir une synthèse claire, formuler mes attentes, demander ce dont j'ai besoin, reformuler en synthèse, exprimer divergence si nécessaire. |
4 | Réactions, commentaires, suggestions pratiques des consultants. Recevoir diverses réactions et y distinguer ce qui peut m'être utile, surmonter mes réactions émotives à certaines rétroactions moins agréables, prendre des notes dans le feu des échanges, diriger le processus et intervenir si nécessaire, distinguer mes intérêts de ce qui peut être utile au client, oser dire des choses importantes, apprendre l'art de ne pas blesser en disant des choses désagréables, distinguer diverses sortes de rétroactions. |
5 | Synthèse et plan d'action. Ramasser des informations disparates dans une perspective pragmatique, concrète, réaliste ; imaginer de petits projets concrets qui auront de l'impact, orienter la réflexion vers des actions pertinentes aux besoins du client, conformes à ses capacités et qui lui donneront plus de pouvoir sur sa pratique professionnelle. |
6 | Conclusion. Évaluation et intégration des apprentissages par chacun, distinguer l'essentiel de l'accessoire comparaisons interactives. |
Références bibliographiques |
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Adrien Payette, C.R.I.
Source : Effectif, volume 3, numéro 2, avril / mai 2000