Vous lisez : Le devoir de donner l'exemple

En 1995, Louise Gagnon-Gaudreau, criminologue de formation, devient la première femme à diriger l'Institut de police du Québec, une organisation qui a, entre autres, le mandat de former et de perfectionner les aspirants policiers du Québec. Avant son entrée en fonction, Mme Gagnon-Gaudreau a été enseignante et responsable du département des techniques auxiliaires de la Justice au cégep de Maisonneuve, conseillère pédagogique à l'École de formation du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal et coordonnatrice provinciale des programmes de techniques policières pour les neuf cégeps où se donne ce cours. Proactive, elle a eu l'audace de modifier complètement le programme de formation de base offert par l'Institut en plus d'y établir une gestion participative qui permet de maximiser la mobilisation de son personnel.

Louise Gagnon-Gaudreau, directrice de l'Institut de police du Québec: entretien avec une femme qui ne ménage aucun effort et qui va au bout de ses convictions.

  • Parlez-nous de votre arrivée à l'Institut. À quelles réactions avez-vous fait face? Et comment avez-vous composé avec cela compte tenu de votre profil?

Comme que je m'y attendais, ma nomination a créé une onde de choc dans la communauté policière. Je brisais une tradition internationale et historique. Ce sont les hauts galonnés qui deviennent directeurs d'école de police. Moi, je suis une femme et, en plus, criminologue. Mais des défis comme celui-là, j'en ai rencontré ailleurs et dans d'autres sphères d'activité. J'étais donc prête à faire mes preuves. J'avais confiance en ce que j'étais et en mes compétences. Mes forces au niveau de la formation sont venues contrebalancer mon manque d'expérience policière. J'ai ainsi pris ma place. Ce que je considère être dans la normalité des choses. 

  • Quelle est votre approche par rapport à la gestion des ressources humaines? Pouvez-vous nous donner des exemples qui l'illustre?

D'abord, c'est de donner sa propre couleur. Par exemple, je me rappelle que Jacques Duchesneau, ancien directeur du SPCUM, qui est un homme extrêmement respectueux, voulait le vouvoiement au sein de ses troupes. Je lui avais demandé comment il s'y prenait pour faire passer cette valeur auprès de 5 000 personnes. Et bien, c'est de se faire un devoir de donner l'exemple. Le tout combiné à des directives bien sûr. Il s'agit là, à mon avis, d'une prémisse essentielle lorsque l'on est dirigeant. En fait, quand les personnes sont gérées avec des valeurs bien identifiées et avec un encadrement pour les atteindre, elles y adhèrent. 

La preuve, nous l'avons à l'Institut. Les futurs policiers vouvoient autant le personnel, leurs chefs d'équipe que les visiteurs et sont sensibilisés à faire de même dans la pratique de leur métier. 

Ensuite, c'est de connaître son monde. Rencontrer par petits groupes tous les modules permet, par exemple, de faire connaissance avec ses employés et de savoir où ils sont rendus par rapport à nos objectifs pour l'entreprise. De là, on établit un échéancier en vue de les atteindre et, surtout, de mobiliser les gens. 

  • Quelle est la contribution des managers, des gestionnaires en ressources humaines? Comment réussissez-vous à les faire travailler ensemble? 

Chacun a son rôle et ses tâches. Mais comme nous avons une structure matricielle, il arrive que l'on recoure à différentes ressources humaines pour réaliser nos projets. Aussi, l'important est de constamment communiquer là vers où l'on s'en va et de conserver une direction. En plus de s'assurer que tous comprennent très bien les orientations et les incontournables, il faut les impliquer dans tout le processus décisionnel. Car si l'on réussit à atteindre des résultats positifs, c'est grâce au travail d'équipe de l'ensemble des ressources de notre organisation. 

  • Quelle est votre philosophie des relations du travail? 

C'est d'être juste et équitable. De côtoyer des employés heureux dans un environnement humain et matériel agréable et respectueux. C'est ce que je pratique et c'est ce que je demande en retour. 

Également, j'ai beaucoup d'empathie pour les personnes qui vivent des difficultés d'ordre personnel, tel l'absentéisme pour dépression. Je demande toujours à ceux qui partent ou qui reviennent si l'on a pas une part de responsabilité comme organisation dans cela. Tout le monde n'est pas en mesure de composer avec les changements organisationnels. Mais souvent ce sont les obligations en dehors du travail qui pèsent lourd sur les gens. Ou ce peut être un trouble émotif ou affectif qui se pointe et qui fait chavirer leur équilibre. 

À l'Institut de police, nous voulons prévenir ces situations. Mon responsable des ressources humaines est d'ailleurs à la recherche de firmes spécialisées pour aider nos employés à passer au travers de leurs difficultés. Il faut bien que la productivité puisse se poursuivre. 

  • De par sa situation géographique, l'Institut de police n'a pas beaucoup de succès quant au recrutement des femmes. Croyez-vous pouvoir un jour remédier à cette situation ? 

Quant une personne s'en vient travailler pour nous, cela nécessite souvent un déménagement. Puisqu'il s'agit d'un prêt de service d'une durée de trois à cinq ans, il nous est effectivement difficile d'attirer les femmes policières pour venir donner de la formation. Elles ont une famille ou encore leur conjoint ne peut les suivre à cause de son emploi. 

J'examine donc les nouvelles tendances. Tel le télétravail ou la décentralisation. À mon avis, ce qui importe, ce sont les compétences. Si les gens ne peuvent pas déménager à Nicolet ou si les compétences sont dans la région de Montréal ou ailleurs dans la province, il nous faut trouver des moyens qui puissent nous permettre de les obtenir. 

Quand à la diffusion des cours par exemple, alors qu'il faut être présent, je suis aussi à l'écoute des nouveaux modes de diffusion qui s'en viennent. 

Par ailleurs, rien de cela n'est évident. Les syndicats sont réfractaires. Ou s'ils sont ouverts à l'idée, ils nous demandent trop en retour. Conséquemment, il faudra négocier. Si mon mandat est renouvelé, cette étape fera partie de mes réalisations à moyen terme. 

  • Quels moyens utilisez-vous pour que votre personnel soit toujours prêt à donner le meilleur de lui-même? 

C'est la valorisation au travail par quiconque ouvre à l'Institut. Il y aussi l'ambiance extrêmement agréable et empreinte de respect. C'est d'ailleurs là notre marque de commerce. 

Également, je suis très près de mes employés. Par exemple, en dehors des réunions formelles, quand je passe dans les corridors et les croise, il me fait toujours plaisir de les saluer et de m'enquérir de l'avancement de leurs dossiers. 

Notre système de reconnaissance est aussi un élément de motivation. Une fois l'an, lors de la rencontre de Noël, nous soulignons le travail de nos employés par la mise en évidence des projets qu'ils ont menés et des tirages de prix. 

  • En mai 1997, vous avez instauré un modèle de formation pour le moins avant-gardiste à l'Institut de police. Quel est-il? 

Il s'agit de la création d'un institut de police virtuel. Nous avons ainsi transformé le programme de formation de base de nos futurs policiers patrouilleurs. Nous nous sommes inspirés de modèles européens, plus spécialement allemands. La durée du programme s'échelonne toujours sur treize semaines, mais les cours pratiques remplacent désormais la majeure partie des cours magistraux. 

Nos élèves sont équipés comme de vrais policiers et ont leur quartier général dans un poste de police virtuel avec sa hiérarchie et ses opérations. Ils doivent passer à l'action au moyen de simulations aux objectifs pédagogiques concrets, encadrés et évalués par des chefs d'équipe. Les scénarios auxquels ils sont confrontés vont d'une simple plainte d'un citoyen à un événement à haut risque. 

L'avantage de l'Institut dans ce projet réside dans les trois années de cégep en techniques policières qui précèdent le passage des élèves ici. Leurs connaissances en droit, en criminologie, en psychologie, en sociologie, en philosophie, etc. prennent alors tout leur sens dans cette intégration pratique et favorise leur maîtrise. 

  • Là encore, vous misez sur l'acquisition de valeurs, n'est-ce pas? 

En effet. Par delà l'acquisition de compétences théoriques, méthodologiques et techniques, les aspirants policiers doivent s'approprier, par une action volontaire, des valeurs spécifiques qui seront les principes directeurs de leur carrière. Il s'agit du respect, de l'intégrité, de l'éthique et de la déontologie, de l'autodiscipline, de l'autonomie, de l'adaptabilité, du service à la communauté et du travail d'équipe. 

  • Quelles ont été les réactions face à la mise sur pied de ce projet? 

À l'interne, l'instauration de l'Institut virtuel a été extrêmement mobilisateur. Malgré la surcharge de travail, mon personnel s'est démontré très dévoué. Il en est d'ailleurs très fier aujourd'hui. À l'externe, plusieurs pays ont manifesté leur intérêt pour ce modèle de formation. À titre d'exemple, l'Angleterre voulait savoir si notre programme était exportable et l'Espagne m'a sollicitée pour donner des conférences. Mon adjoint s'est aussi rendu au Brésil pour faire de même. 

Mais la plus belle reconnaissance vient de nos clients en formation qui disent adorer cette nouvelle façon d'expérimenter. Quelque 1 200 policiers ont été formés par l'Institut virtuel depuis son ouverture. Les résultats ont été immédiats. Notamment lors du processus d'embauche. Leur confiance en eux a pour ainsi dire augmenté. 

  • Vous accordez également une attention très particulière à la formation de votre personnel. Que faites-vous à ce sujet? 

D'abord, je considère que la formation n'est pas seulement le fait d'aller à l'université ou au cégep. Je crois énormément à une formation au quotidien. Par exemple, quand un employé travaille à un dossier pédagogique, il doit avoir accès à des ressources pour l'aider, le soutenir. À ce niveau, les responsables des ressources humaines ou financières constituent un apport de taille puisqu'il s'effectue alors un travail en collégialité. 

D'autre part, si l'on a besoin de ressources externes, nous y avons recours. Actuellement, nous avons un partenariat avec l'Université du Québec à Trois-Rivières. Des spécialistes en gestion sont à nous conseiller, entre autres, sur les différents modes d'évaluation du rendement. Il s'agit là d'une démarche essentielle si l'on veut connaître et instaurer de nouvelles façons qui correspondent à la fois à notre rythme et à nos besoins. 

Bien entendu, il y a des formations qui ne mènent pas à un diplôme. La reconnaissance des acquis de mon personnel figure d'ailleurs dans l'ordre de mes priorités. Car c'est ce qui est valorisant aujourd'hui, avoir des crédits ou des diplômes rattachés à la formation que l'on a reçue. 

  • En conclusion, l'Institut de police s'apprête à changer en partie sa vocation, est-ce exact? 

Oui. D'ici un an ou deux, un grand virage devrait s'effectuer au sein de l'Institut. Il deviendrait l'École nationale de police et son mandat serait élargi. C'est-à-dire que l'École assurerait désormais la coordination du perfectionnement policier et la formation des gestionnaires et enquêteurs policiers. Actuellement, cela se retrouve sous la responsabilité des organisations policières. À ce propos, le ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, devrait annoncer sa décision à l'automne. Au printemps dernier, en commission parlementaire, il s'était montré favorable à ce projet.

Marie-Claude Petit est journaliste indépendante et étudiante à la maîtrise en Gestion de projet.

Source: Effectif, volume 2, numéro 4, septembre /octobre 1999

 

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