La rémunération prend du galon
Les difficultés financières qu'ont connues les entreprises entre 1985 et 1995, le phénomène de la mondialisation, la pénurie d'employés aux compétences de pointe, les règles de divulgation de la rémunération des dirigeants, voilà autant d'éléments qui ont contribué à donner à la rémunération une importance qu'on ne lui avait pas reconnue jusque-là et à donner ses lettres de noblesse à l'expert en rémunération. La mise en vigueur, au Québec, de la Loi sur l'équité salariale n'a fait qu'ajouter au phénomène. Le nombre d'entreprises qui cherchent des spécialistes de la rémunération n'a jamais été aussi grand et les cabinets d'experts-conseils en rémunération n'arrivent pas à se donner les effectifs nécessaires. La rémunération est au cour de la gestion. Au milieu du siècle, les psychologues nous disaient que le salaire se situait aussi bas qu'au dixième rang dans la hiérarchie des «motivateurs» au travail. C'était sûrement vrai dans le temps, avec le type de rémunération qui était alors pratiqué. Aujourd'hui, on constate que le salaire, entendez rémunération, surtout celui que l'on veut et que l'on espère avoir, peut être un déterminant du comportement. Lorsque le gestionnaire a établi les comportements qu'il désire, il doit, au minimum, s'assurer que le système de rémunération ne va pas susciter des comportements opposés. Dans le fond, «ce qui compte, c'est ce que l'on compte». La grande découverte (!) des dernières années, c'est que la rémunération, ça pouvait servir à payer du monde, pas à payer des «jobs». Sous des apparences de boutade se cache là ce qui a entraîné les profonds changements dans la rémunération, la recherche d'une rémunération mieux adaptée et, cela va de soi, la reconnaissance que l'expertise en rémunération était devenue une compétence de pointe.
La rémunération, c'est quoi?Vite dit, la rémunération, c'est ce qu'offre une entreprise à une personne en échange de ses services. Ce n'est pas que le salaire. C'est aussi les primes diverses, les bonis découlant de programmes de rémunération variable, la participation à l'actionnariat, les régimes de protection du revenu, les assurances collectives, les régimes d'accumulation de capital pour la retraite et la pléthore d'avantages particuliers comme l'allocation pour usage d'une automobile, l'adhésion à un club sportif, l'accès à des conseils financiers et juridiques, le remboursement des frais de scolarité, la cafétéria subventionnée, la garderie en entreprise, et quoi encore? C'est aussi le temps chômé mais payé, comme les vacances, les jours fériés et autres congés sociaux. C'est aussi les horaires de travail et les conditions de travail. Mais, voir la rémunération comme la somme des composantes que nous venons d'énumérer, c'est avoir une vision étroite de la discipline.
La rémunération au cour de la gestionL'entreprise a d'abord une mission, une raison d'être, et c'est en fonction de cette raison d'être qu'elle requiert les services de personnes aux talents spécifiques. Et elle attend de ces personnes qu'elles fournissent chacune une prestation particulière, telle qu'elle est définie dans son programme de gestion de la performance. L'entreprise doit donc avoir les bonnes personnes qui font les bonnes choses et qui les font bien. C'est le rôle de la rémunération globale d'assurer à l'entreprise la présence en tout temps des bonnes personnes qui font les bonnes choses et qui les font bien.
Le salaire de base. la base de quoi?Le salaire de base est la composante majeure dans l'assiette de la rémunération globale. Mais l'expression «salaire de base» tend à donner au salaire un aspect limitatif. Si le salaire évolue selon les responsabilités, il motive à faire ce qu'il faut pour se voir confier plus de responsabilités ; mais encore faut-il que le système en place ne vienne pas dicter que la promotion est uniquement fonction des années de service. Si le salaire évolue selon les années passées dans un poste, comme dans la fonction publique, il motive uniquement à faire ce qu'il faut pour conserver son poste. Et, s'il y a une disposition qui donne la sécurité d'emploi à vie, nous avons alors tous les ingrédients réunis pour donner au salaire son aspect le plus limitatif, pour en faire une stricte dépense et une dépense qui augmente sans aucune contrepartie. C'est une base qui augmente.
Le salaire de base. sur la base de ce que je faisOn disait que le salaire devait compenser pour ce que je faisais. Cela revenait à dire que le salaire évoluait en fonction des responsabilités que l'on m'avait confiées et en fonction de la façon dont je m'en acquittais. Cette approche amène les gens à faire ce qu'il faut pour se voir confier plus de responsabilités et à fournir de la performance. C'est une formule gagnante. à condition qu'il y ait des postes à pourvoir pour ceux qui sont prêts à assumer des responsabilités additionnelles.
Le salaire de base. sur la base de ce que je suisOn reconnaît de plus en plus que chacune des composantes de la rémunération joue un rôle particulier. Et on commence à reconnaître que le salaire ne doit pas refléter la performance d'un individu, mais plutôt sa capacité de contribuer au succès de l'organisation. C'est l'idée à la base de la rémunération selon les compétences. Si l'entreprise a déterminé les capacités organisationnelles qui lui permettront de réussir, si elle a défini les capacités qu'elle devra trouver chez son personnel pour réussir mieux, il lui faut s'assurer qu'elle pourra disposer de ces capacités en temps opportun. Le pompier est payé parce qu'il est capable d'éteindre des feux, pas parce qu'il en éteint. Les plans de recrutement et les plans de formation visent à donner à l'entreprise les capacités de réussir. Par le salaire, et par autre chose aussi, on recrute les gens qui ont ces capacités, et les augmentations de salaire sur la base de l'augmentation de ces capacités sont un encouragement à les augmenter. L'entreprise ne voudra pas perdre au profit de la concurrence les capacités qu'elle a développées.
Le boni annuel : une façon de communiquerLes entreprises privées, sauf de rares exceptions, et une bonne part des sociétés d'État ont mis en place un régime d'intéressement annuel pour leurs cadres supérieurs. On avance qu'environ cinquante pour cent (50 %) des entreprises privées ont un tel régime pour une partie ou la totalité des employés de bureau et d'usine. La tendance s'accentue d'année en année. Il y a le boni accordé comme une récompense, parce que les résultats ont été bons, ou simplement parce qu'on ne peut faire autrement, parce qu'on l'a toujours donné et que ce serait la catastrophe de ne pas en donner; il y a aussi le boni qui est gagné parce que les règles du jeu étaient fixées au départ et qu'il faut respecter le contrat. Ce dernier type de régime, s'il est bien conçu et bien géré, est un merveilleux outil de communication, c'est un véritable régime incitatif. S'il est bien conçu, il indique clairement ce qui est attendu comme résultats et il est dicté par le plan d'affaires. S'il est bien géré, c'est qu'on aura pris la peine de l'expliquer à chacun des participants afin de s'assurer qu'il comprend bien et qu'on aura mis en place des mesures pour que chacun puisse suivre l'action. Mais, pour qu'il produise les résultats escomptés, on se sera assuré que les indicateurs de performance à la base du programme sont sous le contrôle, au moins partiel, des participants. Pour des cadres supérieurs, des indicateurs comme le bénéfice net, la part de marché, la création de valeur, pourraient très bien s'appliquer. Voilà des éléments qu'ils comprennent (espérons!) et sur lesquels ils ont une influence déterminante. Des employés de bureau peuvent agir, à titre d'exemple, sur l'exactitude de la facturation, sur la réduction des comptes clients, sur l'exactitude et la promptitude avec lesquelles ils produisent les états financiers, sur le service qu'ils donnent à la clientèle. Des employés d'usine peuvent, quant à eux, agir sur la qualité du produit, sur la productivité, sur la réduction des temps morts, sur la diminution des rebuts, sur l'amélioration des méthodes. Des chargés de projets peuvent s'accommoder d'un régime qui met l'accent sur la réduction du temps entre la conception d'un produit et son entrée sur le marché. Bref, un régime bien conçu met l'accent sur ce que chacun, individuellement ou en groupe, est en mesure d'influencer. Une formule qui donne des résultats dans une entreprise pourra s'avérer tout à fait inefficace dans une autre.
L'intéressement à long terme : une incitation à la création de valeur. et des menottesLe type de régime, originalement réservé à quelques cadres supérieurs de quelques entreprises, est maintenant la norme dans presque toutes les entreprises et il se répand aux échelons inférieurs. Il vise à lier la rémunération des individus au succès à long terme de l'entreprise. Le plus souvent, le régime d'intéressement est un régime d'options d'achat d'actions de l'entreprise. Les participants se voient octroyer le droit d'acheter plus tard, au prix d'aujourd'hui, des actions de l'entreprise. Certaines conditions s'appliquent comme l'obligation de rester au service de l'entreprise un certain nombre d'années avant que le droit d'acheter les actions sous options ne soit acquis. Et pour augmenter l'attachement de l'employé à l'entreprise, on lui octroiera tous les ans des options qui, toutes, deviendront applicables à des moments différents si bien que, s'il pense à quitter l'entreprise, le participant saura qu'il " laisse sur la table " un montant équivalent à la plus-value déjà réalisée et à celle anticipée des actions sous options.
Les assurances collectives : moins de paternalisme qu'avantLe désengagement réel ou anticipé de l'État dans les soins de santé et la hausse des coûts résultant de la hausse des prix des médicaments et des services, ont amené les entreprises à revoir les programmes offerts et à les modifier de façon majeure. C'est l'avènement des régimes flexibles en vertu desquels des protections de base sont offertes de même que des «crédits» en dollars que chacun peut utiliser pour acheter les protections qui lui conviennent. En plus de contribuer à juguler les coûts, les régimes flexibles cherchent à mieux répondre aux besoins que chacun détermine et ils correspondent à cette volonté de rendre les employés plus responsables. On se dit que s'ils peuvent être davantage responsabilisés dans la planification et l'exécution de leur travail, ils devraient pouvoir assumer la responsabilité de leur propre protection.
Les régimes de retraite : l'État s'en mêle, hélas! Les régimes de retraite ont connu leur essor il y a une cinquantaine d'années et ils sont devenus objet de négociations dans les années cinquante et soixante. Ils se sont propagés par entente entre les employeurs et leurs employés. Ils sont le fruit d'une démarche privée. Alors qu'on aurait espéré voir l'État jouer un rôle pour amener toutes les entreprises à offrir semblable avantage à tous leurs travailleurs, l'État s'est plutôt acharné à réglementer les régimes en place et, par voie de conséquence, à décourager les employeurs. Les régimes à prestations déterminées, probablement les plus avantageux pour les travailleurs, ont vu leur croissance réduite. Certains de ces régimes ont été transformés en régimes à cotisations déterminées, diminuant ainsi les risques futurs des employeurs et réduisant le fardeau bureaucratique. Et les entreprises nouvelles optent davantage pour les REÉR collectifs, grâce auxquels leurs responsabilités se limitent à cotiser et à assumer certains frais administratifs. Si, au départ, les employeurs voyaient, dans les régimes de retraite, une façon parmi d'autres de s'assurer la loyauté de leurs travailleurs, la réglementation des vingt dernières années a considérablement réduit le pouvoir de rétention de ces régimes. et les REÉR collectifs ne sont même pas des menottes de papier.
Les avantages particuliers : quels avantages?On ne peut nier que les avantages particuliers (voiture fournie, adhésion à un club de loisirs, etc.) constituaient des privilèges fiscaux particulièrement prisés. On ne peut nier non plus que certains abus méritaient d'être découragés. Les mesures fiscales successives ont réduit les avantages particuliers à du salaire, versé sous un autre nom et à leur enlever leur caractère si particulier d'avantage fiscal. Les avantages particuliers sont aujourd'hui accordés avec beaucoup plus de parcimonie; ils n'ont plus la valeur financière qu'ils avaient, mais demeurent néanmoins populaires à cause, peut-être, de la reconnaissance de statut qu'ils confèrent.
La loyauté fout le camp, dit-on!On déplore la loyauté disparue, celle des employés pour leur employeur et celle de l'employeur pour ses employés. On constate que les gens changent de plus en plus souvent d'employeurs et que ces derniers effectuent, à l'occasion, de vastes coupures dans leurs effectifs. Mais, dire que la loyauté n'existe plus et ne peut plus exister, c'est une autre histoire. On devrait assister à un retour à la loyauté, mais sur des bases différentes de celles que l'on a connues. La rémunération selon les compétences ne suggère-t-elle pas que l'on voudra conserver les compétences que l'on a réussi à dénicher et pour lesquelles on a investi considérablement en formation? Le foisonnement des régimes collectifs de rémunération variable, dont le paiement de boni est conditionnel à la continuité d'emploi, s'insère dans le mouvement pour retenir son monde. L'extension des régimes d'intéressement à long terme à des couches de plus en plus nombreuses de la population est une autre illustration de la volonté des employeurs. Il ne faut donc pas faire comme si la loyauté ne pouvait plus exister, mais adopter les stratégies pour qu'elle augmente.
Les bandes larges. faites-moi rire!Pour les emplois de bureau et les emplois de cadre, le salaire s'exprime le plus souvent par une échelle salariale faite d'un minimum, d'un point-témoin et d'un maximum. Et, le plus souvent aussi, l'écart entre le maximum et le minimum est de 50 % avec les échelles 80-100-120. Les bandes larges sont des échelles de salaire qui, cela va de soi, devraient être plus larges que les bandes classiques de 80-100-120. L'observateur averti est forcé de constater que les gestionnaires ont énormément de difficulté à utiliser toute l'étendue des bandes classiques. On se demande donc comment ils pourront s'accommoder de bandes encore plus larges. L'idée, cependant, est séduisante et s'inscrit tout à fait dans le courant en faveur d'un salaire individualisé et basé sur les compétences. «Il y a loin de la coupe aux lèvres!»
Le marché. le fameux marché!Les entreprises disent vouloir payer selon le marché. Mais le marché n'est pas un absolu. En général, on reconnaît que le marché d'une entreprise est fait des autres entreprises en faveur de qui elle peut perdre ses employés et où elle peut recruter pour ses propres besoins. Le marché pour un commerce de détail de l'ouest de la ville, ce sont les autres commerces de détail de l'ouest de la ville. Mais si le commerce a un poste de comptable, le marché pour ce poste peut être bien plus étendu, aussi bien sur le plan géographique que sur le plan du secteur industriel. Pour beaucoup d'entreprises, bien payer, c'est payer comme le marché et cette notion se limite trop souvent au salaire. Une bonne politique de rémunération s'appuie sur une bonne connaissance de ce qu'offre le marché en matière de rémunération globale, mais qui aménage l'ensemble pour lui conférer un caractère distinctif susceptible d'attirer et de retenir des candidats; qui aménage l'ensemble de façon telle qu'avec un même dollar de rémunération, l'entreprise fasse plus de millage.
La Loi sur l'équité salariale. ouf!
La Loi québécoise sur l'équité salariale, malgré tout le bien qu'on lui reconnaît, se présente un peu comme un anachronisme. Au moment où on cherche à «payer le monde», à faire varier le salaire selon les compétences, à individualiser la rémunération, la Loi nous oblige à comparer la valeur des postes et à ajuster la rémunération en fonction de cette valeur. Le législateur a sûrement été influencé par ce qu'il connaissait le mieux, la rémunération uniforme et drabe de la fonction publique. Dans le privé, il y a beaucoup plus de couleurs. Les vertus de l'esprit d'entreprise se reflètent aussi en rémunération. Et la négociation collective prend tout son sens lorsque les employés conviennent avec leur employeur des conditions de rémunération qui les lieront. Les difficultés d'application de la Loi sur l'équité salariale viendront, non pas tant de la comparaison de la valeur des postes que de la comparaison de leur rémunération. Certains diront que si les Ontariens ont pu le faire «Y'a rien là!». Sauf qu'en Ontario, la comparaison se faisait entre les postes d'un même établissement ou entre les postes assujettis à une même convention collective. Ici, parce qu'au Québec nous avons une façon différente de faire, il ne doit y avoir qu'un programme par entreprise ; ça, c'est une entreprise! Et nous assortissons l'exercice de l'obligation d'effectuer le travail en comité conjoint, ce qui n'était pas requis en Ontario. Les gestionnaires de ressources humaines et les spécialistes en rémunération voudront trouver à l'exercice d'équité salariale d'autres retombées que le seul affichage d'un rapport disant que tel ou tel poste a changé de valeur ou que rien n'est à changer.
La rémunération globale. élément de stratégieQuand le financement est accessible à tous, quand la technologie est accessible à tous, quand le marché est accessible à tous, c'est uniquement grâce à son personnel qu'une entreprise pourra se distinguer et réussir. Comme chaque entreprise à sa mission propre et son marché propre, elle doit se doter du personnel qui lui convient le mieux et qui contribue le mieux. Elle doit donc organiser sa rémunération en conséquence. C'est donc dire que la rémunération est l'ingrédient qui se retrouve à la table où on discute et où on convient des stratégies d'affaires de l'entreprise. Et l'expert en rémunération, interne comme externe, se voit donc invité à cette table. On est loin du responsable des salaires qui travaillait dans l'isolement de son bureau. La rémunération prend du galon. et les experts en rémunération aussi.
Yves Trépanier, est vice-président, de la rémunération, chez Groupe-Conseil Aon et Sophie Grégoire CRIA est adjointe-conseil de la rémunération, chez Groupe-Conseil Aon.
Source : Effectif, volume 3, numéro 2, avril / mai 2000