Le 8 décembre dernier s'est tenu un colloque conjointement organisé par l'École de relations industrielles, l'École des Hautes Études Commerciales et l'Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec sur le thème de la gestion des ressources humaines à l'international. Ce colloque se voulait un forum pour examiner les différents enjeux auxquels font face les entreprises au Québec dont les activités sont internationales. Des chercheurs et des praticiens ont livré leurs expériences et ont proposé des avenues de réflexion et des pistes d'action relativement à la gestion des ressources humaines et aux relations du travail dans les entreprises qui ont choisi de s'implanter à l'étranger.
Le discours politique et économique de ces dernières années soutient que la libéralisation des échanges et de l'investissement a accéléré l'expansion internationale des entreprises. Pour accroître leur compétitivité sur le plan international et assurer leur survie, plusieurs organisations ont implanté des filiales à l'étranger ou effectué des acquisitions, des fusions et des alliances avec des entreprises étrangères. Les entreprises ont dû expérimenter des réalités nouvelles les contraignant, d'une part, à composer avec des milieux qui ont des systèmes de valeurs et des normes de comportements différents et, d'autre part, à maintenir une cohérence et une coordination entre leurs activités dans différents pays. Or, répondre à ces exigences ne peut se concrétiser sans des réorganisations internes qui touchent, en particulier, la gestion des ressources humaines considérées comme un atout stratégique, essentiel à la performance de l'entreprise.
Comment la mondialisation affecte-t-elle les entreprises canadiennes ? Quels sont les stratégies, les approches et les défis qu'il convient d'examiner pour mieux comprendre la GRH internationale ? Le rôle des professionnels de la gestion des ressources humaines en est-il affecté ? Telles sont les considérations qui seront brièvement examinées dans cet article et qui seront illustrées par les propos de certains conférenciers qui ont participé au Colloque sur la gestion des ressources humaines à l'international.
La mondialisation des industries au CanadaAlors que l'internationalisation de l'économie a été une caractéristique des années 50 et 60 et d'une partie des années 70, la mondialisation correspond aux transformations survenues au cours des années 80 et qui sont dues notamment aux politiques de déréglementation et au rôle des technologies de l'information. Les économistes de l'OCDE considèrent le mouvement de mondialisation comme un phénomène microéconomique, mû par les stratégies et le comportement des entreprises. Les économistes de l'OCDE placent les entreprises internationales au cœur du mouvement de mondialisation, notamment à cause de la forte concurrence à laquelle elles se livrent à l'échelle planétaire. Les mouvements de capitaux ont atteint une ampleur exceptionnelle. Mais plus encore, l'internationalisation de la production a été renforcée par le fait que les éléments nécessaires à la fabrication d'un produit peuvent avoir plusieurs origines rendant les interdépendances entre les firmes nombreuses et complexes. Le phénomène de mondialisation a été accentué par la création de filiales à l'étranger qui favorisent les échanges entre les firmes appartenant à un même groupe. En filigrane dans toutes ces transformations, réside la constatation que le commerce ne constitue plus un vecteur exclusif de la mondialisation. À ce dernier, s'ajoutent des données immatérielles et plus difficilement quantifiables qui sont l'investissement direct, les transferts de technologie et les transferts de capitaux (figure 1).
FIGURE 1 : Interdépendance des différents niveaux de mondialisation, adapté de Hatzichronoglou, 1999 |
Le processus de mondialisation de l'activité industrielle passe par trois phases qui influencent les stratégies internationales et par conséquent la gestion des ressources humaines. La première correspond aux échanges et particulièrement aux exportations. La deuxième se réfère au déplacement de la production des entreprises vers l'étranger et la troisième phase à la globalisation de l'innovation technologique à travers la multiplication de centres de recherche et développement à l'étranger. L'industrie canadienne compte parmi les plus internationalisées des pays de l'OCDE (figure 2). Elle exporte plus de 40 % de sa production, ses investissements directs entrants et sortants se situent autour de 20 % du PIB et plus de la moitié de la production manufacturière sur le marché intérieur est sous contrôle étranger (données tirées de Hatzichronoglou T., La mondialisation des industries dans les pays de l'OCDE. Rapport de recherche, Direction de la science, de la technologie et de l'industrie,1999). Ces données attestent donc de l'importance de se pencher sur les enjeux que les stratégies internationales posent à la gestion des ressources humaines afin de les établir dans un premier temps et de les accompagner de moyens d'intervention efficaces.
Dans un contexte international, il est primordial de saisir la manière dont les stratégies de gestion des ressources humaines sont affectées par les différentes phases d'internationalisation des entreprises et par les approches qui les inspirent pour ensuite déceler les enjeux qui se posent à chacune des étapes de l'évolution des activités internationales.
À qui appartient l'initiative de l'élaboration des stratégies internationales de gestion des ressources humaines ? La stratégie internationale de ressources humaines se définit en fonction, d'une part, du niveau d'intégration des activités mondiales pour atteindre un maximum de cohérence interne et, d'autre part, du niveau d'adaptation au pays d'accueil pour mieux comprendre les besoins et exigences locales.
Aux premières étapes d'internationalisation, les entreprises ont tendance à opter pour une faible intégration avec le pays d'accueil, étant davantage soucieuses d'assurer le contrôle des activités étrangères. Les besoins d'harmonisation avec l'environnement local et les besoins de flexibilité des ressources humaines étant faibles, la stratégie de gestion des ressources humaines émanera du siège social. Les activités de gestion des ressources humaines adoptées dans les filiales seront fortement calquées sur celles adoptées par le siège social et considérées comme efficaces. Par ailleurs, plus l'entreprise aura acquis une expérience internationale et s'orientera vers une forte harmonisation des activités avec le pays d'accueil, plus l'emprise du siège social aura tendance à s'estomper pour laisser une plus grande marge de manœuvre à la gestion des ressources humaines locale. Celle-ci veillera à réaliser une meilleure harmonie entre les différentes unités d'affaires et l'environnement de chaque région et à assurer plus de flexibilité à l'organisation. Alors que généralement les décisions stratégiques relèvent de la haute direction, il est courant, dans un contexte international, de voir les différentes unités s'approprier l'initiative de l'élaboration stratégique qu'elles partagent souvent avec les autres unités d'affaires ou avec le siège social. C'est le cas des entreprises dites transnationales dont les unités d'affaires à travers le monde ne poursuivent pas nécessairement les mêmes stratégies compétitives que le siège social.
«[…] Nos opérations internationales sont très décentralisées. Les opérations appartiennent aux unités et aux grands secteurs d'affaires. Au niveau du siège social, on ne se concentre que sur les préoccupations à long terme, sur la stratégie et les orientations globales et l'on ne se mêle pas des activités au jour le jour. […] Le rôle des unités d'affaires est encore plus concret et plus relié à servir le client, à créer la valeur ajoutée pour eux et les actionnaires, à préparer et à contrôler les budgets, à développer les produits, évidemment, à rencontrer les objectifs d'affaires chaque année qui sont très précis au niveau de la production et du rendement financier, et finalement à attirer toujours les candidats à haut potentiel.» (M. Gaston Ouellet, vice-président principal, Alcan)
Quelles sont les approches à adopter en GRH en fonction des phases d'internationalisation des entreprises ?Dès 1969, Perlmutter, dans son ouvrage intitulé The Tortuous Evolution of the Multinational Corporation, a distingué entre trois approches qui permettent d'expliquer les orientations stratégiques internationales et les activités de gestion des ressources humaines qui en découlent. Ces approches se situent sur un continuum qui débute avec une attitude ethnocentrique qui se veut la défenderesse du savoir du siège social et qui cherche à exporter, à partir du siège social et vers les unités d'affaires, toutes les techniques, les moyens de gestion et les politiques de gestion des ressources humaines. L'attitude polycentrique, qui se situe au milieu de ce continuum, reconnaît que les unités d'affaires devraient partager avec le siège social la responsabilité du choix et de l'implantation des politiques et des pratiques de gestion des ressources humaines. À la fin de cet axe, l'approche géocentrique vise à intégrer toutes les activités d'une compagnie en adoptant une vision globale. Le tableau 1 illustre la pensée de Perlmutter et l'influence des différentes approches sur les activités de gestion des ressources humaines.
Quels sont les défis qui s'imposent à la gestion des ressources humaines ?Les enjeux en gestion des ressources humaines varient en fonction des phases de développement international, des stratégies RH et des approches pour lesquelles une entreprise peut opter. Ainsi, la figure 3 illustre cette évolution et montre que, lorsque l'organisation expérimente sa première phase d'internationalisation, «l'étape internationale», la gestion de la mobilité des cadres internationaux constitue son principal défi. Réussir l'implantation des unités de production ou d'affaires dans différents pays en ayant des cadres et des employés internationaux capables de les gérer efficacement constitue une première préoccupation à laquelle la gestion des ressources humaines est confrontée. L'intégration des activités se fait par le nivellement des connaissances et du savoir à travers l'ensemble des filiales pour réussir une meilleure harmonisation des activités et de la production. Cette intégration se manifeste par l'ampleur de l'emprise que le siège social désire garder sur ses filiales par l'entremise des employés internationaux chargés de contrôler les activités et de transférer le savoir.
Dans l'étape suivante dite «multinationale», l'entreprise veille à acquérir plus d'expérience internationale et à rendre ses filiales plus autonomes. Consciente de l'importance de se rapprocher du marché local et de mieux saisir les préférences des consommateurs, l'entreprise internationale par l'intermédiaire de la gestion des ressources humaines s'attache à apprivoiser les différences culturelles. Maintenir les différences culturelles qui permettent une meilleure adaptation locale et prôner une culture d'entreprise supranationale afin de mieux intégrer les activités constituent un enjeu de taille. À cette étape, le principal défi consiste non pas à simplement défendre les traditions locales au nom de la gestion de la diversité culturelle, mais à tenir compte des différences culturelles lors de l'implantation des stratégies de ressources humaines.
«[…] On s'est dit : On va commencer par l'Europe et l'on adoptera la même structure qu'à Montréal au point de vue structure, c'est-à-dire avoir un siège social régional qui va supporter la tournée dans ses opérations. On a découvert que pour faire des affaires en Europe, il fallait avoir des Européens, et de façon identique, pour faire des affaires en Asie Pacifique, il fallait avoir des gens habitués de travailler dans ce milieu.» (M. Michel Thivierge, directeur ressources humaines, direction générale Amérique, Cirque du Soleil)
Finalement, «l'étape transnationale» correspond à un idéal recherché par les entreprises internationales qui concilie à la fois une forte intégration des activités internationales et une forte autonomie des filiales. Cette étape impose à la gestion des ressources humaines la nécessité de gérer des paradoxes. Son principal rôle consiste à rallier les besoins de décentralisation avec la commodité de la centralisation, à assouplir les processus de contrôle, en élaborant des mécanismes de coordination et en s'assurant que les pratiques internes de gestion des ressources humaines dans les filiales sont cohérentes, suivent les directives de l'entreprise et sont adaptées aux différents pays d'accueil dans lesquels se trouvent les filiales étrangères.
«[…] Le livret des missions et valeurs de l'entreprise est à peu près la seule grande politique ou directive en matière de gestion chez ABB. […] Nous aspirons à fournir aux salariés partout dans le monde la possibilité d'utiliser et de développer leurs compétences, d'avoir les potentiels créatifs à la fois pour leur propre bénéfice et pour celui de la société. Nous encourageons l'initiative personnelle, l'esprit d'entreprise, cherchons à créer des environnements de travail stimulants et gratifiants. Notre ligne de conduite consiste à recruter et promouvoir des salariés intègres, compétents, ayant le sens de l'initiative et capables d'apporter une contribution au groupe. Créer un environnement de travail qui reconnaisse, stimule et récompense le travail de groupe et les résultats individuels…» (M. Raymond Beaulieu, vice-président ressources humaines, ABB Canada)
«[…] Le rôle du comité de direction (au siège social) consiste à se concentrer sur le développement de la stratégie, fixer les objectifs, évaluer les résultats, allouer les capitaux, assurer la gestion des cadres supérieurs, établir et gérer les politiques d'entreprise et protéger l'identité et la culture d'entreprise.» (M. Gaston Ouellet, Alcan)
Quelles sont les influences qui rendent la gestion des ressources humaines plus complexe ?Mises à part les stratégies internationales déjà examinées, plusieurs autres facteurs environnementaux et organisationnels influencent la gestion des ressources humaines et les activités à implanter dans les entreprises internationales.
Il va sans dire que les caractéristiques du pays et de la région géographique ont une influence certaine sur la détermination des défis à relever par la fonction ressources humaines. Les activités de gestion des ressources humaines devront nécessairement intégrer les spécificités locales en tenant compte des différences sociales, politiques, économiques et culturelles du pays d'accueil. Le tableau 2 résume l'influence des facteurs environnementaux sur les activités de gestion des ressources humaines.
Les firmes multinationales déploient leurs activités et agissent au-delà des frontières d'un seul pays. Leurs stratégies doivent respecter l'environnement social national, mais aussi celui qui se met progressivement en place au niveau supranational et international. Les obligations de nature juridique émanant des législations nationales ou internationales (accords et traités internationaux) ainsi que les différents acteurs dont les sociétés civiles, les syndicats internationaux et les organisations internationales (OIT, OCM, ONG, etc.) imposent aux entreprises, et notamment à la gestion des ressources humaines, de nouvelles exigences de plus en plus significatives et contraignantes.
«[…] Certains pays ont, par exemple, au niveau des relations industrielles, des exigences très différentes. Entre autres en Europe, des conseils européens de représentants d'employés dans chaque pays doivent siéger au sein des unités. Il faut alors s'organiser pour que la structure non seulement réponde aux besoins d'affaires, mais aussi aux exigences et aux lois de chacun de ces pays.» (M. Gaston Ouellet, Alcan)
Parmi les facteurs internes, notons l'influence du type de propriété et du mode d'allocation des ressources, du type d'industrie, de la taille de l'organisation, de la culture organisationnelle et finalement de la syndicalisation.
Les pratiques de gestion des ressources humaines risquent davantage d'être internationalisées et imposées aux unités d'affaires à l'étranger dans les filiales qui dépendent financièrement du siège social. À l'inverse, lorsque les filiales sont financées localement ou arborent l'identité du pays d'accueil, la probabilité qu'elles adoptent leurs propres pratiques de gestion des ressources humaines est beaucoup plus forte.
Les compagnies manufacturières expérimentent généralement l'expansion internationale en passant par une étape de préparation, celle de l'exportation. Cette première phase d'internationalisation des activités permet un premier contact avec le pays d'accueil et permet l'exposition aux premières difficultés qu'impliquent les projets à l'étranger. Les compagnies de service qui décident d'élargir leur horizon ne disposent pas nécessairement de cet avantage et adoptent généralement un style conservateur en imposant leurs façons de faire et donc leurs activités de gestion. Quant à la taille des entreprises, les grandes entreprises dotées d'un style autocratique auront beaucoup de difficulté à concéder du pouvoir pour implanter des pratiques de gestion locales.
L'influence de la culture au sein des entreprises internationales a fait couler beaucoup d'encre. L'une des recherches les plus significatives est sans doute celle de Hofstede réalisée au sein d'une grande multinationale américaine implantée dans 64 pays différents. L'idée centrale de cette recherche est que la culture nationale est une programmation mentale des valeurs partagées par les membres d'une même société. La recherche a abouti à la détermination de quatre dimensions à partir desquelles il est possible d'établir les distances culturelles entre les nations. Ces quatre dimensions correspondent à la distance hiérarchique forte ou faible, à l'individualisme par opposition au collectivisme, au contrôle de l'incertitude qui peut être fort ou faible et à la masculinité versus la féminité (sociétés qui sont plus empathiques versus celles qui sont plus compétitives). Hofstede a également établi six variables qui permettent de concrétiser la culture organisationnelle. Une organisation peut privilégier les procédés de travail plutôt que les résultats, être orientée davantage vers les employés que vers les tâches, adopter un style professionnel par opposition à un style anticonformiste, fonctionner dans un système ouvert et non un système fermé, être fortement ou faiblement contrôlée ou encore avoir une approche pragmatique plutôt qu'une approche normative auprès des clients. D'après Hofstede, il ne faut pas ignorer les différences culturelles, mais les utiliser à l'avantage de l'organisation. Celles-ci peuvent avoir une influence déterminante quand il s'agit de décider de la forme d'organisation du travail dans une filiale, de l'implantation d'équipes transnationales ou de la sélection du personnel susceptible de réussir une affectation internationale. (Hofstede G., «Cultural Dimensions in People Management: The Socialization Perspective» in Globalizing Management: Creating and Leading the Competitive Organization, Pucik V., N. Tichy et C. Barnett Directeurs, 1992)
«[…] Au Cirque du Soleil, on a 2400 employés provenant de 40 nationalités différentes. La majorité de ces employés sont des artistes car on a toujours recruté à l'international. […] Si on ne traverse pas de frontières, on ne fait pas d'affaires; notre produit voyage. […] Il fallait qu'on trouve une façon d'assurer que la culture de l'entreprise ne se perde pas. Cela devient difficile en période de croissance lorsqu'il faut intégrer constamment de nouvelles personnes. D'autre part, il fallait être assez flexible pour fonctionner sur différents territoires. […] On a opté pour une structure décentralisée. Les sièges sociaux régionaux sont capables de prendre pas mal de décisions d'affaires importantes. C'est aussi un cadre qui favorise la culture d'entreprise du Cirque.» (M. Michel Thivierge, Cirque du Soleil)
Finalement, l'internationalisation des marchés exerce d'énormes pressions sur les relations du travail, notamment sur la structure, le processus de négociation et le contenu des conventions collectives. Les syndicats, appelés à défendre leurs membres dans un contexte où les entreprises menacent constamment de déplacer leurs activités vers des pays où les lois du travail sont plus souples et le coût de la main-d'œuvre moins élevé, doivent concéder certains assouplissements dans les méthodes de production tout en maintenant les acquis, surtout lorsque l'entreprise entend transférer. Mais c'est également sur la scène internationale que les préoccupations syndicales se font de plus en plus pressantes. Conscients de la mobilité des capitaux, les syndicats se sont donné des structures qui débordaient les entreprises, les secteurs, les régions et même les pays et qui leur permettent d'établir un rapport de force mondial contre les multinationales. La fonction ressources humaines doit s'ajuster à une présence syndicale plus intense et plus exigeante à l'égard de l'implantation de certaines pratiques de gestion et des négociations de conventions collectives.
Un nouvel agenda pour les professionnels de la gestion des ressources humaines ?Les défis lancés à la gestion des ressources humaines sur le plan international peuvent être ainsi résumés : communiquer une vision partagée qui est à la fois claire, simple et cohérente, développer la capacité de comprendre et d'accepter les différentes façons de faire par l'implantation de pratiques efficaces de gestion et mobiliser les cadres pour réagir face à des environnements complexes, non pas en se concentrant sur leur performance individuelle ou sur la performance de leurs unités, mais en mettant l'accent sur la performance globale de leur organisation.
«[…] Si on résume les grands enjeux de la fonction ressources humaines chez Alcan, pour simplifier les choses, je pense qu'on peut dire qu'il y a trois grands domaines de préoccupations. Pour nous, ils sont excessivement importants, spécialement dans un contexte de fusion d'entreprise. Le premier enjeu est le développement et la mise à jour des structures organisationnelles. Le deuxième est la gestion des talents et le développement du leadership. Le troisième défi est la rémunération des cadres supérieurs et des expatriés…» (M. Gaston Ouellet, Alcan)
Un rôle stratégique mais… dans un cadre internationalLa fonction ressources humaines assume, dans un contexte international, un rôle de facilitateur puisque c'est en prévoyant les mesures à prendre en vue d'harmoniser l'organisation avec son environnement et en assurant la flexibilité et l'adaptation nécessaire des ressources humaines qu'elle sera en mesure de fournir des propositions efficaces visant l'atteinte des niveaux de performance requis. Pour y parvenir, la gestion des ressources humaines doit permettre à chaque unité d'affaires d'acquérir une certaine cohérence à la fois interne et externe pour s'harmoniser avec son environnement. La fonction ressources humaines devra répondre aux besoins stratégiques du pays d'accueil et veillera à la conformité des politiques de gestion des ressources humaines à ses normes socioculturelles, politiques et légales. Cette sensibilité aux besoins locaux ne consiste nullement à adopter aveuglément des pratiques de gestion du pays d'accueil, mais à faire reconnaître l'organisation comme un partenaire économique qui tient compte des particularités locales et qui vise à se faire accepter comme membre de la communauté.
«[…] Encourager et soutenir l'apprentissage, respecter et encourager la différence, fournir un cadre permettant de gérer de façon créative et en tirer profit. Condamner toute discrimination sexuelle, raciale ou religieuse…» (M. Raymond Beaulieu, ABB Canada)
Pour atteindre l'efficacité organisationnelle et développer de nouvelles capacités, les organisations à structure complexe doivent trouver un juste équilibre entre imposer la dépendance ou opter pour l'interdépendance des unités d'affaires par rapport au siège social. Les organisations doivent trouver un juste milieu entre le besoin de contrôle et les vertus de l'autonomie ainsi qu'entre la commodité de la symétrie des activités et les bienfaits de leur différentiation. La fonction ressources humaines devra participer aux choix à faire et soutenir les orientations choisies en se réorganisant et en implantant les pratiques de gestion adéquates.
«[…] Développer, organiser la structure organisationnelle, fonctionnelle, devient, dans un contexte de fusion, quelque chose d'excessivement important. Comment structurer tout le système organisationnel des affaires ? Comment tenir compte des problèmes régionaux, des problèmes nationaux, etc. ? C'est une tâche monumentale. Cette tâche est toujours en mouvement parce qu'il y a des enjeux différents de pays en pays, des marchés différents, des produits différents. Il est évident qu'il faut éviter de tomber dans ce que j'appelle la «structurite». Il est important d'établir la meilleure façon de s'organiser pour servir le client (value change management). Comment clarifier les rôles et les responsabilités de chacun pour qu'on ne se retrouve pas dans une cacophonie, pour qu'il n'y ait pas constamment de discussions de territoires et qu'on sache exactement où l'on s'en va ?» (M. Gaston Ouellet, Alcan)
«[…] Le rôle de la gestion des ressources humaines consiste entre autres chez ABB à éviter les procédures de dé cisions longues, à développer des plans d'action comme outils essentiels, à en courager le sens de l'urgence comme un trait de la culture de l'entreprise dans toutes les fonctions, à identifier systématiquement les barrières bureaucratiques et organisationnelles qui entravent une réactivité rapide et les supprimer…» (M. Raymond Beaulieu, ABB Canada)
Des activités à gérer à l'échelle internationaleLes activités de gestion des ressources humaines qui visent à atteindre les objectifs organisationnels dans un contexte international sont plus complexes que celles implantées dans des organisations qui fonctionnent uniquement dans des marchés domestiques. Adapter l'organisation aux contraintes environnementales qui diffèrent d'une région géographique à l'autre, développer des capacités individuelles pour le faire et mobiliser l'organisation entière comptent parmi les tâches essentielles des professionnels de la gestion des ressources humaines. À partir des écrits sur le sujet, quatre grandes orientations peuvent être recensées. Premièrement, la gestion des employés mutés à l'international (expatriés) correspond à la capacité de fournir des gestionnaires expérimentés au moment opportun pour contribuer au développement des marchés externes. Responsables de la transmission de l'information, du savoir et du contrôle au sein des multinationales, les cadres internationaux jouent un rôle crucial au sein des multinationales. La gestion des employés internationaux inclut l'implantation de pratiques qui visent à les sélectionner, à prendre soin de leur famille lors des affectations internationales, à gérer leur carrière, à déterminer les modes d'évaluation et à établir leur rémunération. À cette panoplie de pratiques, il faut ajouter les programmes de formation généralement donnés préalablement à l'affectation et prévoir des pratiques de rapatriement essentielles à tout programme de mobilité internationale.
Deuxièmement, le développement du leadership international correspond à la gestion de la relève et du développement des individus appelés à devenir des leaders internationaux. Les programmes de développement du leadership impliquent généralement un inventaire des compétences ainsi que des qualités managériales requises pour bien gérer les multinationales dans l'avenir. Identifier des cadres à haut potentiel et les affecter partout au monde afin de développer une certaine mentalité internationale comptent parmi les moyens efficaces pour assurer à l'organisation la capacité de renouveler ses stratégies internationales et de saisir les opportunités à l'échelle mondiale.
«[…] Nous croyons à des dirigeants qui mènent et façonnent l'avenir sans se préoccuper uniquement du présent, donc des gens qui ont une vision plus à long terme. Ils encouragent le travail d'équipe, promeuvent des styles de management qui confient les responsabilités aux salariés, donc l'empowerment, encouragent la créativité et l'innovation, croient à l'ouverture et au partage des connaissances et traitent tous les salariés avec équité.» (M. Raymond Beaulieu, ABB Canada)
«…Le deuxième défi est la gestion des talents et le développement du leadership. Évidemment, dans ce contexte on a beau faire des fusions, parler de milliards de chiffres d'affaires, mais si on n'a pas les bonnes personnes pour le faire, on n'y arrivera pas. […] Comment établir où sont nos meilleurs talents ? Celui qui fait partie du bureau chef n'est pas nécessairement le meilleur candidat pour prendre un poste à l'international. Cela pourrait être un Malaisien, un Allemand ou un Chinois. Dans une entreprise multinationale, il faut avoir des systèmes qui cherchent à identifier les meilleurs talents, quel que soit l'endroit où ils se trouvent…» (M. Gaston Ouellet, Alcan)
Troisièmement, le développement de processus organisationnels s'attache à donner à l'organisation les capacités essentielles pour pouvoir être fonctionnelle globalement. À ce chapitre, notons que la fonction ressources humaines doit fournir les moyens efficaces pour gérer la diversité culturelle des employés qui travaillent au sein des filiales. La gestion des compétences et le nivellement du savoir entre les différentes unités opérationnelles constituent des tâches qui viennent s'ajouter aux responsabilités des gestionnaires des ressources humaines. Trouver les moyens pour assurer la polyvalence, l'efficacité dans la gestion de plus grandes unités de production et des équipes de travail transnationales sont autant de responsabilités que la fonction ressources humaines devra assumer. À ce curriculum chargé, il faut ajouter la gestion des flux d'information et la gestion des processus décisionnels qui facilitent la diffusion du savoir, la gestion des compétences et la gestion des mouvements internes.
«[…] Nous sommes une société globale sans frontière, qui agit localement, disposant des ressources et de l'expérience d'une société globale. Donc on essaie de faire bénéficier localement à nos clients toute l'expertise mondiale de ABB. On n'essaie pas de réinventer la roue. Les filiales travaillent en partenariat les unes avec les autres pour agir plus vite que nos concurrents et faire bénéficier chacun de nos clients locaux de notre expérience globale…» (M. Raymond Beaulieu, ABB Canada)
Finalement, la coordination des activités de gestion des ressources humaines a trait à l'harmonisation des pratiques à travers les unités organisationnelles ainsi qu'à l'implantation de mécanismes de contrôle pour évaluer l'efficacité des pratiques à travers l'organisation.
«[…] Développer les pratiques de partenariat, les approches de travail de groupe au sein de ABB, récompenser les comportements adéquats, partager les connaissances, les informations et les visions au sein de ABB pour que les meilleures pratiques soient disponibles partout dans le monde…» (M. Raymond Beaulieu, ABB Canada)
Des compétences à développerFace à un contexte d'internationalisation, la fonction ressources humaines devient l'instigatrice d'un plus grand nombre d'activités, notamment des activités plus diversifiées, plus complexes et qui tiennent davantage compte de la vie personnelle des employés. Citons, entre autres, la gestion de la mobilité internationale, des problèmes de famille lors d'affectations internationales, des couples à double carrière, des problèmes de rémunération et de rapatriement. Les incertitudes politiques et financières associées à certains marchés ajoutent un élément de risque à la gestion des ressources humaines dans un contexte international. En somme, la différence entre la fonction ressources humaines domestique et la fonction ressources humaines internationale réside non pas dans la nature des tâches qui doivent être assumées, mais plutôt dans la manière de les accomplir en tenant compte des nouvelles contraintes organisationnelles et environnementales. Dans le but d'atteindre ses objectifs sur le plan international, la fonction doit perdre son caractère de fonction spécialisée pour devenir plus généraliste. Idéalement, elle devrait faire partie intégrante du travail de chacun des cadres internationaux. En même temps, on assiste à l'émergence de nouvelles compétences pour les professionnels de la gestion des ressources humaines dont des habiletés en finance et en affaires internationales, une connaissance des lois des différents pays, une sensibilité face à la diversité culturelle, des habiletés à gérer le changement et une maîtrise des systèmes intégrés de gestion fortement présents dans les multinationales.
Le phénomène de l'internationalisation n'est certes pas nouveau. La nouveauté réside plutôt dans les modèles de gestion qui accompagnent la mondialisation des entreprises qui sont plus intensément à la recherche de complémentarité technologiques, financières ou commerciales. Les styles de gestion imposés et les procédures standardisées sont abandonnés au profit d'une plus grande marge de manœuvre laissée aux filiales par la voie d'une meilleure adéquation entre l'identité et la diversité, entre «le global et le local». Le champ de la gestion des ressources humaines dans un contexte international est fascinant par sa variété et sa complexité. Il demeure toutefois un champ embryonnaire qu'il faut à tout prix continuer d'explorer pour pouvoir y apporter constamment un éclairage nouveau et des réponses aux nombreux défis qu'il peut poser.
Tableau 1 | |||
Ethnocentrique | Polycentrique | Géocentrique | |
Complexité de la structure de l'organisation | complexe pour le siège social - simple pour les filiales | variée et indépendante | plus complexe et interdépendante |
Autorité, processus décisionnel | dépend du siège social | relativement faible à partir du siège social | approche de collaboration entre le siège social et les filiales |
Évaluation et contrôle | critères établis par le siège social | déterminée localement | standards universels et locaux |
Rémunération et incitatifs financiers | élevée pour le siège social, faible pour les filiales | très variée : élevée ou faible dans les filiales | cadres locaux et internationaux rémunérés en fonction de l'atteinte des objectifs locaux et mondiaux |
Communication et flux d'information | volume important dirigé du siège social vers les filiales | volume faible en provenance du siège social, vers le siège social à partir des filiales et faible entre les filiales | dans les deux sens et avec les filiales, entre les dirigeants des filiales |
Identification | nationalité du propriétaire - siège social | nationalité du pays d'accueil | internationale avec accent sur les intérêts du pays d'accueil |
Renouvellement : recrutement, dotation, développement... | recrutement et développement des employés du siège social pour occuper des postes partout au monde | développement d'employés locaux pour accepter des postes dans leur pays | développement de talents partout au monde pour occuper des postes partout au monde |
Figure 3 | |
enjeux internationaux en grh | ![]() |
Entreprises internationales : | > Filiales à l'étranger > Gérer la mobilité internationale |
Entreprises multinationales : | > Divisions internationales et régionales > Apprivoiser les différences culturelles |
Entreprises transnationales : | > Développer un leadership «global» |
Tableau 2 | |||
Socioéconomique | Politique/légal | Culturel | |
Dotation | Marché du travail externe | Pression pour recruter des ressortissants locaux | Éthique de recrutement |
Formation | Niveau d'éducation nationale | Politiques de développement de main-d'œuvre | Valeurs attachées au niveau des compétences |
Rémunération | Iniquités sociales niveau et distribution du revenu | Lois sur le salaire minimum, politiques syndicales | Forces de motivation, valeurs sociétales |
Organisation du travail | Ségrégation dans les professions | Lois sur le maximum d'heures travaillées | Individualisme versus collectivisme |
Relation du travail | Structures d'autorité, taux d'inflation | Règlements d'entreprise, législation sur le travail, ententes préalables | Distribution du pouvoir, attitudes envers les syndicats |
Tania Saba, Ph. D.est professeur agrégée, à l'école de relation industrielles à l'université de Montréal.
Source : Effectif, volume 4, numéro 1, janvier / février / mars 2001