Le changement dans les entreprises : un taux de succès faible !
Depuis quelques années, les professionnels de la gestion des ressources humaines crient haut et fort que gérer le changement est devenu une nécessité au sein des entreprises, et ce, que ce soit dans un contexte de fusion ou d'acquisition, de mise en œuvre de nouvelles technologies ou de tout autre changement organisationnel d'envergure. Pourtant, la très respectée Harvard Business Review (HRB) publiait récemment des statistiques plutôt alarmantes quant au taux de succès des initiatives de changement organisationnel : 70 % se traduiraient par un échec ! Parmi les causes d'échec, les auteurs Beer et Nohria déterminent entre autres les facteurs suivants :
- empressement des gestionnaires à mettre en place le changement;
- perte de vue des objectifs fondamentaux du changement.
Une meilleure compréhension de la nature et des processus de changement de la part des dirigeants augmenterait, selon les auteurs, les chances de succès. Aussi avons-nous décidé de relater une expérience réussie de gestion du changement chez Pfizer Canada (filiale d'une multinationale du secteur pharmaceutique). Qui plus est, cette expérience allie les défis de la mise en œuvre d'une nouvelle technologie avec les impacts générés par une fusion d'entreprise !
Après avoir décrit le projet et ses origines, nous présenterons l'effort initial de gestion du changement dans le contexte de la mise en œuvre du système de gestion électronique du territoire (S.G.E.T.) - Projet Force 1 destiné à la force de vente. Nous poursuivrons avec la deuxième phase de la gestion du changement qui était axée sur l'intégration des employés de Parke-Davis. Enfin, nous décrirons la mise en œuvre du système et parlerons des leçons à tirer de cette expérience.
Le projet SGET - Force 1Pfizer Canada (dont le siège social est à Montréal) a commencé en février 1999, en collaboration avec sa maison-mère de New York, le projet d'implantation du système SGET - Force 1. Remplaçant le système Merlin qui répondait moins bien aux nouveaux besoins d'affaires, le nouveau système permet d'améliorer le ciblage, les communications et l'administration pour la force de vente de Pfizer sur l'ensemble du territoire. Toutefois, alors que Merlin avait été conçu sur mesure dans l'entreprise, le SGET provient d'un fournisseur externe, ce qui engendre une complexité supplémentaire par l'augmentation du nombre d'intervenants impliqués dans le projet.
Un effort de préparation proactif !Étape 1 : confirmer et planifier le changement
Lorsque la décision d'implanter le SGET a été prise, une structure et une équipe de projet ont été mises en place (voir tableau). Considérant les impacts sur la force de vente canadienne ainsi que sur les fonctions connexes, il était essentiel de concevoir une structure de projet étendue. En haut de cette structure, un groupe de «parrains» composé de six membres avait pour mandat de lancer, de légitimer et d'approuver le projet, de même que d'assurer un soutien et de revoir les rapports de projet. Un comité de direction (steering committee) regroupant quatre membres avait pour mission d'établir la vision du projet, de fournir des informations sur les meilleurs processus d'affaires, de prendre des décisions et de faire rapport aux parrains. L'équipe de projet était quant à elle composée de cinq membres à temps plein, dont un chef de projet, un responsable du soutien, un responsable des données et deux représentants des processus d'affaires. L'un de ces derniers était responsable du volet formation alors que l'autre assumait les responsabilités liées à la gestion du changement et aux communications. La personne chargée de la gestion du changement et des communications effectuait aussi le lien entre le groupe de projet et les membres de la force de vente.
Les membres du groupe de projet étaient assistés par une consultante de Watson Wyatt experte en gestion du changement, par des équipes étendues leur fournissant les informations et rétroactions nécessaires à la poursuite des activités et par un comité d'utilisateurs impliqués dans la détermination des besoins et l'essai du système dans sa version bêta.
Afin de maximiser les chances de succès du projet, des actions clés ont été posées dès le départ :
- mise en place d'une équipe de gens reconnus pour leurs compétences dans leurs domaines respectifs;
- définition du projet avant de le lancer officiellement.
De plus, une analyse des impacts engendrés par le système a été réalisée, ce qui a permis :
- d'identifier les groupes affectés;
- d'évaluer la magnitude des impacts;
- de cibler les nouvelles compétences requises;
- d'anticiper les réactions probables au changement;
- de déterminer les actions de gestion du changement requises.
Finalement, un groupe d'usagers touchés par les impacts du projet a été impliqué, ce qui a permis de réaliser un projet pilote valable, tout en facilitant l'acceptation du nouveau système par les usagers et leur engagement à son égard.
Les impacts, les avantages et les inconvénients du projet ont été évalués pour plus d'une douzaine de groupes affectés par la mise en œuvre du projet : le groupe de soutien informatique, la force de vente incluant différents paliers de gestion, les responsables de la formation, etc. Ce type d'approche proactive à l'égard du changement facilite grandement les étapes subséquentes et permet de voir venir plutôt que de réagir.
Étape 2 : Lancement officiel du projetL'étape suivante a consisté à lancer le projet officiellement. Un événement de lancement rassemblant environ soixante- quinze personnes, incluant des membres du groupe de parrains, des membres du comité directeur, l'équipe de projet ainsi que le groupe des utilisateurs a eu lieu vers la fin mars 2000 pour annoncer le début du projet. Cet événement a permis de faire connaître clairement l'importance du projet et l'engagement de la haute direction.
Cette journée a aussi été l'occasion d'une première rencontre face à face des membres du comité des utilisateurs. Cette rencontre a eu entre autres comme conséquence de modifier les mécanismes de communication initialement suggérés par l'équipe de projet, afin de les adapter aux horaires différents des participants. Notons d'ailleurs que l'ouverture et la flexibilité démontrées en cette occasion par l'équipe de projet a d'ailleurs facilité l'engagement des utilisateurs.
Le projet était donc maintenant enclenché et pouvait suivre son cours, encadré et alimenté par des communications régulières entre les divers groupes impliqués. Du moins, c'est ce que l'on pensait alors…
Savoir s'adapter à un petit imprévu… la fusion de Pfizer et de Parke-Davis !
Alors que l'élaboration du système était presque complétée et que la mise en œuvre de SGET - Force 1 était sur le point de débuter dans l'ensemble du Canada, la fusion entre Pfizer et Parke-Davis a été annoncée. Un défi de taille se présentait, comme nous le rappelle Scott Wilks, responsable de la gestion du changement :
«En plein projet, nous avons appris que le système devrait être implanté non seulement auprès de la force de vente de Pfizer, mais également auprès de celle de Parke-Davis. On venait du coup d'augmenter le nombre des usagers de 50 %. Force 1 devenait l'outil par lequel les cultures de la nouvelle entreprise allaient se rencontrer. La gestion du changement prenait soudainement un nouveau sens ou, pourrions-nous dire, un double sens.»
Tenue de respecter un échéancier déjà ambitieux malgré la fusion des deux forces de vente, l'équipe de projet a dû relever des défis technologiques et humains accrus au cours de la période estivale. Un exercice de clarification des attentes à l'égard du fournisseur externe a été accompli, ce qui a entraîné des ajustements positifs pour l'équipe de projet et les utilisateurs.
Un deuxième effort d'analyse des impacts du SGET a été mené, cette fois pour la force de vente de Parke-Davis et les groupes connexes affectés (environ 185 personnes). Ceux-ci utilisaient un système appelé Mars. Le plan de gestion du changement a été revu, à la suite de cet exercice, de façon à couvrir tant les groupes de Pfizer que ceux de Parke-Davis. Un plan de communication global a été élaboré, mais les communications ont été conçues et livrées sur mesure pour chacun des groupes. Ces communications étaient généralement similaires en ce qui concernait l'objectif du message, mais différentes dans leur contenu afin de s'adapter aux particularités des groupes.
La mise en œuvre du changement
Au cours des mois de septembre, octobre et novembre 2000, plusieurs outils de communication ont été conçus afin d'assurer une bonne circulation de l'information à la veille du lancement de Force 1 dans l'ensemble de l'organisation. Par exemple, les directeurs des ventes recevaient hebdomadairement un compte rendu des activités de l'équipe de projet, incluant la planification des étapes subséquentes, les améliorations au système à la suite des commentaires des membres du comité des utilisateurs.
La mise en place du système, prévue à la fin novembre, a été précédée par une formation d'une durée de trois jours et demi à la mi-novembre. Chacun des représentants a reçu au préalable une trousse de préparation indiquant entre autres le calendrier des dates importantes, la manière de faire le transfert des fichiers, la tenue des dossiers, etc. Pour faire suite à la formation, l'équipe de Force 1 publie régulièrement un bulletin Express sur l'utilisation de cet outil. Ceci permet de faire le point sur la transition, d'informer les représentants des questions les plus fréquemment posées au groupe de soutien et de les aviser des étapes subséquentes.
Au cours des semaines précédant la mise en place du projet, des conférences téléphoniques quotidiennes entre l'équipe projet de Force 1 et celle du fournisseur externe ont assuré une mise à jour des principaux acteurs tout en accélérant la prise de décision sur certains éléments du système.
Gérer le changement ou gérer les crises : à vous de choisirL'équipe de projet de Pfizer a privilégié dès le départ une démarche axée sur la compréhension des impacts et des enjeux humains liés au changement. Cette approche structurée de par son processus, mais souple parce qu'elle permet de déterminer des actions de gestion du changement ciblées en fonction des caractéristiques du changement et des groupes touchés, a permis de faire face au nouveau contexte créé par la fusion.
Malgré tous ces efforts pour gérer les attentes des utilisateurs et les garder bien informés, il serait faux de prétendre que le changement se soit fait sans heurts. Comme dans tout projet de cette envergure, il était normal de rencontrer des difficultés et impossible de toutes les anticiper. À ce jour, l'équipe de projet de Pfizer s'affaire à répondre aux besoins des utilisateurs et les membres de l'équipe de vente continuent d'apprivoiser ce nouvel outil de travail. Cela va sans dire par ailleurs qu'en l'absence d'actions concrètes en matière de gestion du changement et de communication, les résultats de l'implantation auraient pu s'avérer fort différents.
En rétrospective, les membres de l'équipe de projet ont réalisé à quel point il est difficile d'évaluer de manière réaliste l'ampleur du travail associé à la gestion du changement et des communications. Comme l'indique monsieur Wilks :
«Bien que l'entreprise ait assigné la responsabilité de la gestion à une personne, je ne crois pas que nous étions conscients de l'ampleur de la tâche dès le point de départ et du fait que la gestion du changement, c'est l'affaire de tous !»
Il est certain qu'avec du recul, l'équipe de projet a réalisé que certaines choses auraient pu être faites différemment ou plus efficacement. L'expérience n'est toutefois pas perdue, puisque la mise en place du système ne signifie pas pour autant la fin de la gestion du changement qui se poursuit au quotidien. À ce titre, l'équipe de projet vous dirait probablement que la gestion du changement est non seulement l'affaire de tous, c'est aussi une affaire de tous les jours.
LA GESTION DU CHANGEMENT Au fil des étapes de réalisation d'un projet | ||||
Clés d'un changement réussi | Confirmer et planifier le changement | Préparer la mise en œuvre du changement | Mettre en œuvre le changement | Mise en œuvre complétée |
Établir le besoin d'affaires | Préciser pourquoi le changement est impératif Décrire le besoin en adoptant une perspective centrée sur les groupes concernés par le changement | Communiquer et renforcer le besoin d'affaires avec les groupes concernés | Communiquer et renforcer le besoin d'affaires avec les groupes concernés | Mesurer les résultats en fonction du besoin d'affaires initial et de vision Identifier les principaux apprentissages réalisés au fil de la réalisation du projet Capitaliser sur l'expérience acquise de faciliter la mise en œuvre d'autres changements Évaluer l'efficacité des pratiques RH pour assurer la continuité/permanence du changement Identifier et recueillir l'ensemble des outils et la documentation pertinente au projet, pour fins de réutilisation éventuelle |
Vision claire du futur | Établir une vision concrète de ce à quoi ressemblera l'organisation suite au changement Préciser les étapes de la mise en œuvre (carte routière) | Partager et renforcer la vision et la carte routière du changement | Mesurer le progrès par rapport à la vision initiale Ajuster/renforcer la vision et la carte routière si requis | |
Leadership | Définir et attribuer les rôles et responsabilités de leadership | Veiller à l'implication continue des leaders et mesurer leur performance | Veiller à l'implication continue des leaders et mesurer leur performance | |
Communiquer! | Préparer la stratégie et le plan de communication Lancer le projet auprès des groupes concernés | Lancer la communication «spécifique» destinée à des groupes ciblés | Évaluer et renforcer l'effort de communication au besoin | |
Outiller les gestionnaires | Préciser le rôle des gestionnaires dans le cadre du projet Développer les outils de gestion du changement requis | Former les gestionnaires à la gestion du changement et aux outils | Évaluer la performance des gestionnaires Offrir du coaching si requis | |
Anticiper et gérer les impacts et les résistances | Évaluer les impacts sur les groupes concernés et anticiper les résistances Développer une stratégie pour gérer les résistances | Mettre en œuvre la stratégie | Évaluer les réactions des gens et ajuster la stratégie si requis | |
Planifier le changement | Créer une équipe projet regroupant l'ensemble des connaissances requises (techniques, processus, GRH) Intégrer la gestion du changement au plan de projet | Évaluer l'efficacité de l'équipe et de la stratégie de gestion du changement | Apporter les ajustements à l'équipe et au plan si requis | |
Pratiques de GRH renforçant le changement | Identifier les ajustements requis aux pratiques de GRH afin de renforcer le changement | Préparer les ajustements requis aux pratiques de GRH | Mettre en place les ajustements requis aux pratiques de GRH |
Mary Lambert, Julie Blanchet, CRHA, et Normand Aubry, CRHA, Consultants, WatsonWyatt
Source : Effectif, volume 4, numéro 2, avril / mai 2001