Vous lisez : La dépression : Une pathologie mal connue

La dépression est une maladie fréquente, parfois difficile à reconnaître, qui constitue de nos jours une raison courante de consultation médicale et d'arrêt de travail. Bien qu'elle soit répandue, cette pathologie demeure mal connue, autant du professionnel de la santé, des gestionnaires que de la population en général. Et malheureusement, d'importants préjugés négatifs accompagnent encore cette maladie malgré le fait que cette pathologie a fait l'objet d'une multitude de recherches dans les dernières années. Ces recherches nous en ont donné une meilleure compréhension et ont permis le développement d'un arsenal thérapeutique efficace. Mieux connaître la dépression, c'est mieux la dépister et c'est mieux l'accepter.

Quelques chiffres.

Selon les données épidémiologiques, la dépression est l'une des maladies de la médecine les plus coûteuses pour nos sociétés. Une étude américaine récente évaluait ses coûts direct et indirect à plus de 43 milliards de dollars américains par année. Et ces chiffres sont probablement sous-évalués puisque la dépression demeure sous-diagnostiquée, sans compter tous les coûts reliés aux divers tests demandés pour éliminer chez les malades des causes physiques à leurs symptômes, de même que les coûts reliés à la morbidité médicale, puisque la dépression a tendance à nuire à certaines maladies physiques. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a placé la dépression en quatrième place sur sa liste prioritaire des dix problèmes de santé à l'échelle mondiale.

On estime qu'environ 20 % des femmes et 12 % des hommes sont prédisposés à développer un épisode dépressif durant leur vie. La dépression peut frapper à tout âge et se présenter sous diverses formes. La majorité des individus se rétablissent sans séquelles particulières après un traitement adéquat. Par contre, certaines études démontrent que jusqu'à trois personnes sur quatre vivront la récurrence d'un épisode dépressif au cours de leur vie et que 15 à 20 % des dépressions deviendront chroniques. De plus, on estime que 15 % des personnes déprimées se suicideront. Voilà autant de raisons qui militent en faveur d'un diagnostic précoce et d'une prise en charge rapide et adéquate pour limiter ces conséquences néfastes sur l'individu, la famille et la société.

Reconnaître la dépression. pas facile

Il n'est pas toujours facile de reconnaître la dépression. Plusieurs facteurs contribuent à la difficulté de cerner correctement la dépression majeure. D'abord en ce qui concerne l'individu : celui-ci a tendance à minimiser la symptomatologie, il évite d'en parler par peur ou par honte d'être «étiqueté négativement», de passer pour un «faible» ou un «malade mental» ou pour quelqu'un qui «se laisse aller», qui ne se force pas. Quant à la présentation clinique, la dépression peut se présenter de façon classique ou encore avec un tableau d'anxiété, quelquefois accompagné d'éléments psychotiques, ou avec des manifestations somatiques (plaintes physiques) qui masquent les symptômes de la dépression. On estime que de 50 à 70 % des gens qui se présentent chez leur médecin de famille pour des symptômes physiques non expliqués tel la céphalée ou la fatigue pourraient présenter un désordre psychiatrique non diagnostiqué.

Voici deux exemples de cas récents vus en clinique. D'abord, celui d'un homme dont l'état dépressif s'est manifesté initialement par un mal de tête. Lentement, le tableau s'est transformé en une présentation plus classique de dépression, avec tristesse, fatigue et trouble de concentration associé à une difficulté à accomplir ses tâches au travail. Malgré tout, au cours des six premiers mois, une multitude de consultations et d'examens pour éliminer une maladie physique avait été faite. L'autre exemple est celui d'un homme, éducateur en santé mentale, et qui était convaincu d'être atteint d'un cancer et qui a été dirigé vers le psychiatre après que son cas eût été investigué en profondeur pour un problème de diarrhée chronique. Tous les tests se sont avérés normaux. C'est alors que les spécialistes ont soupçonné une dépression sous-jacente : le malade a très bien répondu a un traitement antidépresseur.

Pour trop de gens, la dépression est synonyme d'une humeur dépressive, alors que, dans les faits, la dépression est un syndrome clinique décrivant un ensemble de symptômes (dont la tristesse) prolongés, intenses et persistants.

Tableau clinique

La dépression majeure se définit selon des critères beaucoup plus précis quant à son tableau clinique, son mode d'apparition et son évolution. Ainsi, la caractéristique essentielle de la dépression majeure est une humeur dépressive ou une perte d'intérêt (ou de plaisir) pour presque toutes les activités et persistant depuis au moins deux semaines. La personne doit de plus présenter au moins quatre symptômes supplémentaires compris dans la liste suivante : changement de l'appétit ou du poids, du sommeil ou de l'activité psychomotrice; réduction de l'énergie; idées de dévalorisation ou de culpabilité; difficulté à penser, à se concentrer ou à prendre des décisions; idées de mort récurrentes, idées suicidaires, plan ou tentatives suicidaires.

Les symptômes doivent être présents pratiquement toute la journée, presque tous les jours, pendant au moins deux semaines consécutives. L'épisode doit être accompagné d'une souffrance significative ou d'une altération du fonctionnement familial, social, professionnel ou autres domaines importants.

Soulignons que lors d'épisodes moins sévères de dépression majeure ou au début du cycle, le fonctionnement de certaines personnes peut paraître normal au prix d'efforts accrus.

L'humeur est souvent décrite comme triste, déprimée, sans espoir, sans courage, ou comme l'impression «d'être au fond du baril». Certains se plaignent d'un sentiment de vide, de ne rien ressentir ou de se sentir anxieux. Plusieurs rapportent un sentiment d'irritabilité ou d'agressivité intérieure difficile à contrôler. Il n'est pas rare que la famille ou les proches observent un retrait social ou une désaffection pour les activités et distractions agréables.

La dévalorisation ou la culpabilité reliée à la dépression peut comprendre une évaluation négative et non réaliste de l'utilité de la personne ou des sentiments de culpabilité ou des ruminations sur des erreurs du passé. La dévalorisation et la culpabilité peuvent atteindre des dimensions délirantes (par exemple, la personne qui est convaincue qu'elle est la cause de la pauvreté dans le monde).

Les idées de mort, les idéations suicidaires ou les tentatives de suicides ne sont pas rares. La fréquence, l'intensité et la létalité de ces pensées peuvent fluctuer dans le temps, souvent en fonction de l'intensité de la dépression. Lors de l'entretien avec la personne, le médecin évaluera les facteurs de risque suicidaire :

  • Le sexe : les femmes font plus de tentatives de suicide, alors que les hommes plus de suicides complétés.
  • L'âge : le risque croit avec l'âge, mais il y a un pic à l'adolescence et un vers la septième décennie.
  • Les maladies débilitantes et chroniques et les maladies douloureuses.
  • Les antécédents de tentatives antérieures, les personnes qui planifient le geste suicidaire et les personnes impulsives.
  • La notion de désespoir.
  • L'isolement social, le manque de réseau social, une séparation, une perte récente, un divorce.
  • Un manque de rôle social : chômage chronique.
  • L'abus d'alcool ou de drogue.
Diagnostics différentiels

Certaines problématiques peuvent présenter des similitudes avec la dépression majeure et être présentes concomitamment, ce qui rend complexe le diagnostic et éventuellement le traitement. Des maladies physiques comme les désordres de la glande thyroïde peuvent mimer en tous points une dépression majeure.

En psychiatrie, deux situations sont à souligner où un tableau dépressif peut être présent, mais où les approches peuvent varier pour soulager ces symptômes. D'abord, le trouble de l'adaptation qui se caractérise essentiellement par l'apparition soit d'une souffrance marquée, soit d'une altération significative du fonctionnement social ou professionnel en réaction à un ou plusieurs facteurs de stress identifiables. Les symptômes doivent apparaître au cours des trois mois suivant la survenue de ou des facteurs de stress. À partir du moment où le stresseur est disparu, normalement les symptômes devraient disparaître à l'intérieur de six mois. À noter que si la symptomatologie répond au critère de dépression majeure, c'est ce dernier que l'on retient même si l'on identifie un stresseur. Un traitement antidépresseur est alors recommandé. Dans les cas moins sévères de trouble de l'adaptation, la psychothérapie et un soulagement symptomatique de l'anxiété et/ou de l'insomnie, mais de brève durée, peuvent être bénéfiques.

Ensuite, les troubles de la personnalité. Dans certains cas de troubles de la personnalité, on retrouve beaucoup de plaintes dépressives et/ou une fragilité à l'égard de stresseurs psychosociaux. Voici quelques exemples : la personnalité dépendante vit très mal les pertes et les rejets et se sent incapable de se prendre en charge; ou bien la personnalité histrionique qui réagit énormément aux situations où elle ne peut se mettre en évidence ou n'est pas le point de mire; quant à la personnalité narcissique, elle réagit mal aux atteintes à son estime de soi, qui sont souvent vécues comme des humiliations et causent parfois des états dépressifs difficiles à traiter. Dans la plupart des cas, une approche psychothérapeutique est souvent préférable, mais rien n'empêche ces gens de développer une réelle dépression majeure; c'est l'intensité des symptômes qui guidera le clinicien et là, une intervention pharmacologique pourrait être indiquée. D'où l'importance d'une bonne évaluation, la recherche d'information collatérale (famille, employeur.) en respectant les règles de confidentialité, pour bien circonscrire la problématique et adapter le traitement.

Étiologie ou les causes de la maladie

Les causes de la dépression ne sont pas encore complètement élucidées. On sait cependant qu'elles sont multiples et que des facteurs d'ordre biologique, génétique et psychosocial ont été associés à la dépression. La recherche de facteurs étiologiques est compliquée par le fait d'une probable hétérogénéité du tableau de la dépression majeure.

Malgré tout, des éléments ont été isolés comme étant des facteurs de risque pour la dépression (facteurs qui augmentent la probabilité chez un individu de développer une dépression) : il s'agit des influences génétiques (par exemple des antécédents de maladie affective dans la famille), une perte parentale précoce, certains type de personnalité, une histoire de traumatismes psychologiques précoces, une histoire antérieure de dépression, un pauvre réseau social et des difficultés engendrant un stress.

Par contre, il n'existe pas de modèle étiologique intégré qui regrouperait tous ces facteurs en un modèle explicatif de la dépression.

Traitement

Un choix judicieux de traitement se fonde sur une compréhension globale de l'individu et des mécanismes sous-jacents qui expliquent la problématique que vit la personne. Plusieurs points sont à préciser. On doit tenir compte de la durée de la dépression, de la fréquence des récidives et de l'efficacité du traitement précédent. L'intensité de l'état dépressif déterminera l'urgence de prescrire une médication et la nécessité d'hospitaliser l'individu. Il faut déterminer l'état de santé général, mettre en évidence les stresseurs aigus et chroniques s'ils existent, évaluer les risques d'interaction avec d'autres substances, surtout si la personne abuse d'alcool, de drogues ou de médicaments.

Le choix du traitement s'effectue en fonction du diagnostic retenu et de l'intensité de la souffrance. Les dépressions plus légères requièrent d'habitude un traitement essentiellement psychothérapeutique (quoique les anti presseurs puissent être parfois utiles) et les dépressions plus sévères, un traitement combinant antidépresseur et psychothérapie, des études ayant démontrées une supériorité thérapeutique à combiner les deux. Soulignons que la prescription d'un traitement antidépresseur n'est pas tributaire d'un diagnostic, mais plutôt de l'intensité de la souffrance et de la symptomatologie. Plusieurs classes de médicaments sont utilisées pour traiter la dépression. Depuis 1990, une multitude d'antidépresseurs (Prozac, Paxil, Effexor, Celexa, Welbutrin.) ont vu le jour avec un profil d'effets secondaires nettement plus intéressant pour les personnes souffrant de dépression.

La première étape du traitement pharmacologique est axée sur la réduction, voire la rémission des symptômes (cette étape dure de 6 à 12 semaines). Pendant cette étape, la personne devrait être vue toutes les semaines par son médecin pendant le premier mois et toutes les deux semaines par la suite jusqu'à ce qu'elle soit stabilisée.

La deuxième étape est le traitement de stabilisation, qui se prolonge jusqu'à ce que son interruption ne risque pas d'entraîner une rechute. Lors d'un premier épisode dépressif, cette étape devrait durer de 9 à 12 mois avant qu'on envisage un retrait graduel de la médication. S'il s'agit d'un deuxième épisode, on suggère de 12 à 24 mois de traitement et, si c'est un troisième épisode, un traitement à vie.

Les erreurs les plus fréquentes dans le traitement pharmacologique sont un dosage insuffisant ou trop élevé, un changement prématuré de ce dosage, une transition trop rapide d'un médicament à un autre ou encore une absence de modification de traitement malgré une réponse insatisfaisante ou partielle.

Quant aux approches psychothérapeutiques, il en existe plusieurs. Les plus connues sont la thérapie de support, la thérapie cognitive, la thérapie interpersonnelle brève et la psychothérapie analytique. Le choix de l'approche se fera en fonction de l'individu et ses difficultés de même que de la disponibilité de ces approches.

Le docteur Jean Hébert est psychiatre, directeur de l'enseignement à l'Institut Philippe-Pinel de Montréal et président de la Formation médicale continue à l'Association des Médecins Psychiatres du Québec.

Source : Effectif, volume 3, numéro 4, septembre  / octobre 2000

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