Certains litiges liés aux évaluations du rendement sont fréquents. Mieux les comprendre permet de les éviter.
Dans un monde parfait, l'évaluation du rendement ne poserait aucun problème. À personne. Un charmant employé entrerait dans le bureau d'un patron, tout aussi charmant. Ce dernier procéderait à une évaluation impartiale: les bons aspects seraient relevés, tout comme les points à améliorer. Notre employé partirait satisfait, sourire aux lèvres et promotion en poche.
Exit ce scénario de rêve. On le sait, les choses ne se déroulent pas aussi simplement. Et on peut le comprendre: une évaluation de rendement est, pour un employé, une estimation de sa propre personne par autrui. En fait, il s'agit d'un individu se retrouvant devant un ou des juges: pas facile. Surtout lorsqu'on prend en considération que le résultat de cette évaluation aura des répercussions sur ses possibilités d'avancement et éventuellement sur son plan de carrière tout entier.
Pour l'employeur, l'évaluation du rendement prend la mesure de ce qui se passe dans l'entreprise, certes, mais c'est aussi un moyen de transmettre un message à son employé: nous vous apprécions ou nous ne vous apprécions pas. Et l'employé d'interpréter: «Nous vous aimons ou nous ne vous aimons pas». Devant un tel scénario, on peut comprendre que l'évaluation du rendement puisse faire l'objet de quelques litiges.
Lorsque l'évaluation repose sur des critères objectifs (résultats quantitatifs vérifiables), il n'y a généralement pas de problème. Les résultats sont probants ou non. Si un employé doit, par exemple, atteindre certains objectifs de vente, l'évaluateur n'a qu'à comparer les résultats avec les attentes. Par contre, les litiges sont plus nombreux lorsqu'il s'agit d'une évaluation basée sur des critères subjectifs, comme c'est souvent le cas.
On peut répertorier trois types de problèmes reliés à l'évaluation du rendement:
- la contestation de l'évaluation;
- la contestation de la résultante de l'évaluation;
- la contestation d'une évaluation négative.
Premièrement, l'entrevue ou les moyens d'évaluation en tant que tels peuvent être contestés. Si l'employé croit qu'il a été lésé par la façon dont on l'a jugé, il peut mettre en doute la validité de son évaluation. Une erreur flagrante dans un processus d'évaluation de rendement peut toujours être contestable. Cependant, une telle démarche est plus difficile dans un contexte non syndiqué où l'employé a bien peu de voies de recours légales. Si celui-ci se croit brimé, il devra revoir les clauses de son contrat de travail, en espérant qu'elles comportent des dispositions spécifiques à ce sujet.
L'employeur jouit d'une grande libertéCar en ce qui concerne l'évaluation du rendement, l'employeur jouit d'une grande liberté : à lui de choisir la manière dont il entend sonder les performances de ses employés. Tant que l'évaluation est conduite d'une façon rigoureuse et sans faille, selon des barèmes d'évaluation préétablis qui ne comportent aucun motif discriminatoire, comme la race, la langue ou les convictions religieuses. Une évaluation dans laquelle entrent en considération des critères discriminatoires pourra faire l'objet d'une plainte auprès de la Commission des droits de la personne qui ouvrira une enquête sur la façon de faire de l'employeur.
Pour le reste, l'employé devrait contester la façon dont a été menée son évaluation seulement s'il croit que les méthodes utilisées sont inadéquates ou la façon de faire défavorable à son égard. L'employeur avait-il préalablement annoncé la tenue du test? A-t-il rapidement et clairement communiqué les résultats à son employé? A-t-il évalué tous ses employés d'une façon comparable? Autant de questions pertinentes.
Ensuite la résultante, c'est-à-dire la conséquence de la séance d'évaluation. Les résultats d'une évaluation auront un impact majeur sur la carrière de l'employé. Personne ne peut bénéficier d'une évaluation qui n'est pas flatteuse. Par exemple, un employé qui sera classé B aura moins de chances d'avancement qu'un employé qui aura été classé A. Il est alors possible qu'il demande des comptes: pourquoi seulement un B?
Voici un cas inspiré d'un fait réel survenu dans une firme où, à la suite du résultat d'une évaluation, le plaignant a contesté une promotion attribuée à un pair qui avait pourtant une dizaine d'années d'ancienneté de moins. Le promu avait mieux réussi un test d'évaluation de rendement.
Dans cette firme, un poste est devenu vacant et un employé, que nous appellerons Robert pour les besoins de la cause, l'a occupé durant six mois, jusqu'à ce que le poste soit octroyé de façon permanente. à un collègue! La convention collective stipule pourtant que l'employeur doit «accorder la préférence aux employés permanents selon les qualifications, la compétence et l'ancienneté». Robert étant le plus ancien, et de beaucoup, a donc demandé qu'on lui rende justice. Mais y avait-il injustice?
Dans un cas comme celui-là, on se trouve devant une clause hybride, c'est-à-dire que trois critères doivent être pris en considération pour choisir la personne qui occupera le poste; mais on ne précise pas l'importance que doit avoir chacun de ces facteurs dans la prise de décision finale. Robert avait certes plus d'ancienneté, mais son évaluation de rendement lui était défavorable. L'employeur avait donc le choix entre le plus ancien ou le plus compétent. Ici, la partie patronale dispose d'une grande liberté d'action, du moment qu'elle n'ignore pas systématiquement l'un ou l'autre de ces facteurs et qu'elle ne fait pas preuve de discrimination. En conséquence, Robert n'a pas eu le poste.
Dans son grief, Robert a contesté la résultante et aussi l'évaluation, prétendant que son employeur n'avait justement pas les qualités requises pour apprécier son travail, un travail qui demande un talent artistique spécifique. Or, l'employeur avait spécialement fait appel à un tiers, neutre, pour évaluer le rendement des candidats. Il fut démontré que les tests ont été réalisés d'une manière juste et équitable et qu'ils furent analysés par une personne tout à fait qualifiée dans le domaine concerné. La bonne foi de l'employeur a été prouvée et Robert a perdu son grief.
Est-ce à dire que toute évaluation faite rigoureusement est à l'abri des contestations? Ce serait trop simple.
Dans une évaluation du rendement, on vérifiera si l'employé a atteint des objectifs préalablement définis par l'employeur en vertu de son droit de gérance. On ne peut pas inventer un nouveau but à atteindre en cours de route et évaluer un employé sur sa performance par rapport à ce nouvel objectif.
Les évaluations menées d'une manière vicieuse sont donc contestables. Par exemple, si l'évaluation du rendement a été faite spécialement pour discréditer un employé en particulier. Ou dans le cas où on prend soudainement en considération un critère d'évaluation inconnu de la personne évaluée et qui vient favoriser un employé nouvellement arrivé dans la boîte. Il faudra alors établir une preuve circonstancielle qui démontrera hors de tout doute que l'évaluation a été manipulée pour favoriser ou défavoriser un candidat. N'a-t-on pas dit que l'évaluation du rendement était l'outil idéal pour permettre à l'employeur de faire passer son message?
Reste qu'une évaluation du rendement conduite de façon rigoureuse est difficilement contestable.
Quant à l'évaluation négative, c'est la plus lourde de conséquences pour un employé: rétrogradation, congédiement. Car on le sait maintenant, lors de l'évaluation du rendement, l'employeur juge la qualité de son personnel. S'il se trouve devant un résultat d'entrevue qui affirme qu'un employé est totalement inefficace, on peut s'attendre à ce qu'il pose des gestes pour pallier la situation.
Le cas suivant fait une bonne démonstration d'une évaluation négative entraînant de graves répercussions. L'employée a d'abord fait l'objet d'une rétrogradation, puis d'une suspension administrative avant d'être enfin congédiée. Le scénario est tout simple.
Myriam était employée d'une entreprise depuis quelques années à titre temporaire. Lorsqu'elle devint permanente, elle hérita d'un poste pour lequel elle reçut toute la formation nécessaire. Un peu plus tard, son évaluation de rendement conclut qu'elle n'était pas du tout apte à occuper le poste. Une preuve étoffée démontra sans trop de difficulté qu'effectivement Myriam non seulement n'était pas performante, mais qu'elle faisait également preuve de mauvaise volonté face à son travail. L'employeur lui avait fourni tout le soutien dont elle pouvait avoir besoin: période d'entraînement prolongée, expertises d'employés compétents, changement d'horaire. Et elle avait été avertie à maintes reprises que son rendement ne satisfaisait ni son employeur, ni ses collègues.
De plus, à la suite d'une première évaluation de rendement négative, Myriam avait déjà été rétrogradée. Son évaluation de rendement étant tout aussi négative, l'employeur appliqua d'abord une mesure administrative - une suspension -, le temps de bien étudier le dossier, et finalement la congédia. Myriam a tenté de récupérer son travail sans succès: l'évaluation de son rendement prouvait indubitablement que sa performance était nettement en deçà des attentes préétablies.
Dans les trois cas, contestation de l'évaluation, de la résultante ou d'une évaluation négative, la rectitude des moyens justifie la fin!
Mesure administrative ou disciplinaire? |
Une mauvaise évaluation du rendement peut donc avoir des effets négatifs. L'entrevue ne fera pas qu'établir si oui ou non l'employé est performant: s'il ne l'est pas, on devrait aussi savoir pourquoi et pouvoir ainsi poser les gestes appropriés, qu'il s'agisse d'une mesure administrative ou disciplinaire. Quelle est la différence entre une mesure administrative et une mesure disciplinaire? La première a pour but de sanctionner un employé incompétent parce qu'il ne possède pas les qualifications nécessaires pour bien remplir ses fonctions; la seconde vise à punir un employé qui a les compétences mais qui, pour une raison quelconque, ne les utilise pas à bon escient. Une mesure disciplinaire touchera donc quelqu'un qui commet des actions volontaires; une mesure administrative, quelqu'un qui est inapte à remplir une fonction donnée. |
L'évaluation du rendement est-elle confidentielle? |
Oui. Les informations révélées de part et d'autre lors d'une entrevue d'évaluation sont protégées par la loi sur la protection des renseignements personnels. Ainsi, la personne qui est évaluée a accès à son dossier. Tout autre individu qui souhaite avoir accès à des résultats d'évaluation du rendement doit prouver la pertinence de sa requête. Un nouveau patron pourra, par exemple, consulter les évaluations antérieures pour observer la progression d'un employé; un collègue curieux qui voudrait comparer cette évaluation à la sienne n'y aura pas accès. À moins d'un cas de litige devant les tribunaux où l'évaluation devient un élément de preuve. |
Stéphanie Bérubé est journaliste. Elle collabore régulièrement au quotidien La Presse, notamment à la section Arts et spectacles.
Source : Effectif, volume 3, numéro 1, janvier / février / mars 2000