Le diplômé universitaire vit une transition souvent douloureuse entre le milieu universitaire et le marché du travail dans la mesure qu'une entreprise perd en moyenne la moitié de ses recrues universitaires au cours des cinq années suivant leur embauche. Particulièrement difficiles sont les premiers mois suivant le recrutement, le nouvel employé ayant parfois des difficultés à affronter les réalités organisationnelles, ce qui mène à l'augmentation de son niveau de stress, à son insatisfaction et éventuellement à sa démobilisation.
Puisque ceux qui quitteront l'organisation le feront habituellement au cours des douze mois suivant leur embauche, il est devenu important d'étudier les causes du phénomène et d'y apporter des solutions. Puisqu'il est maintenant reconnu que la santé des organisations dans la nouvelle économie de la connaissance sera basée en grande partie sur ce qu'on appelle les actifs intangibles que sont les personnes qui composent ces organisations, les employés sont devenus la principale source de l'avantage compétitif. La plupart de ces employés hautement éduqués sont en constante demande et les organisations, en plus de se faire concurrence sur le plan des produits et des marchés, doivent compétitionner pour l'acquisition et la rétention d'une ressource humaine en pénurie.
Le blues du jeune professionnel peut être causé par des facteurs individuels (personnalité, attentes trop élevées, etc.) et par des facteurs organisationnels (nature des affectations, conditions de travail, etc.). Toutefois, la relation entre le diplômé universitaire récemment recruté et son supérieur immédiat se situe souvent au cour du malaise. Néanmoins, les supérieurs peuvent également jouer un rôle important en facilitant l'adaptation du nouvel employé au milieu organisationnel. L'objectif de cet article est d'apporter quelques suggestions qui pourront faciliter l'encadrement des diplômés et améliorer les relations parfois difficiles entre le nouvel employé et son supérieur immédiat. Puisque l'influence du premier supérieur peut se faire sentir tout au long d'une carrière, un tel exercice s'avère très utile (voir tableau 1). Les suggestions relatives à l'encadrement ont le potentiel d'améliorer la position concurrentielle d'une organisation sur le plan du recrutement et de la rétention des travailleurs de la connaissance, de réduire le stress chez les jeunes ainsi que d'améliorer leur satisfaction au travail et leur mobilisation.
Un supérieur immédiat compétent.L'importance de l'encadrement par un supérieur compétent est fréquemment citée dans la littérature. Néanmoins, un supérieur qui manque de compétence et qui se croit menacé par son subordonné (à cause de problèmes de plafonnement de carrière, de l'absence de recyclage de compétences, etc.) peut nuire à sa visibilité et l'empêcher d'accéder aux réseaux d'information de l'entreprise. Intimidés par le talent et les connaissances des professionnels nouvellement embauchés, certains supérieurs pourront aller jusqu'à bloquer l'accès de leurs jeunes subordonnés aux paliers hiérarchiques plus élevés et même jusqu'à s'approprier les idées de leurs subordonnés. Il semble que certains supérieurs ressentent parfois des frustrations à l'égard des jeunes professionnels, se croyant même menacés par les aptitudes techniques supérieures des nouveaux arrivants. Enfin, les supérieurs hiérarchiques sont parfois craintifs par rapport à la propension qu'ont ces employés de réclamer des changements. Il devient donc important que les jeunes soient encadrés par les supérieurs les plus compétents de l'organisation. Il revient aux dirigeants d'entreprise de créer un environnement organisationnel où l'encadrement des nouveaux arrivants devient un privilège (pour lequel on est récompensé si on réussit!) plutôt qu'un fardeau (une charge de travail supplémentaire).
.qui a une attitude positive à l'égard des jeunes.La vision négative des cadres à l'égard des jeunes professionnels est un facteur culturel important. Certains dirigeants et cadres s'en tiennent fréquemment à des représentations stéréotypées des jeunes arrivants sur le marché du travail. En entretenant des préjugés et en refusant de leur accorder des responsabilités, l'attitude de tels gestionnaires peut constituer une source importante d'insatisfaction chez les jeunes professionnels.
Il y a plus de vingt-cinq ans, Schein (1964) a avancé que les attitudes négatives des supérieurs immédiats pouvaient causer des ennuis aux jeunes professionnels. Certains supérieurs hiérarchiques croiraient toujours que les jeunes professionnels coûtent plus cher qu'ils ne rapportent et qu'ils manquent de connaissances et d'expérience pour accomplir des tâches importantes.
Évidemment, le blues du diplômé universitaire se gère plus facilement par un supérieur immédiat qui n'entretient pas de tels stéréotypes et qui va même jusqu'à faire confiance au jeune professionnel et accepte ainsi de lui accorder des responsabilités. Un supérieur qui ne se croit pas menacé par les compétences de son subordonné ne nuira pas à sa visibilité et lui facilitera l'accès au réseau d'information de l'entreprise. Une pratique courante consiste donc à confier la supervision des nouveaux employés uniquement aux cadres les plus performants de l'organisation, éliminant ainsi une cause majeure du problème.
. qui agit à titre de mentor.On suggère que le supérieur immédiat accepte de jouer le rôle de mentor en tenant compte des différences individuelles des jeunes diplômés afin de les encadrer selon leur personnalité, leurs besoins, leur éducation et même leurs inquiétudes. D'ailleurs, le succès de l'implantation de certaines pratiques relatives à la gestion de carrière dépend de ce type d'encadrement. Le mentor doit non seulement être en mesure de transmettre une vision claire des objectifs à atteindre et de donner une rétroaction, mais aussi de conseiller et d'aider son protégé à résoudre des problèmes de carrière. Le malaise des jeunes peut être évité par cette forme individualisée de gestion, particulièrement lorsque les informations sur les possibilités de carrière sont communiquées par le supérieur. Dans le contexte actuel où le concept de carrière est très variable, le supérieur doit tenir compte de la conception de l'individu concernant son travail et l'avenir de sa vie professionnelle. Bref, le counselling de carrière ne doit pas seulement toucher aux promotions, à la formation et à la mobilité, mais comprendre l'ensemble des situations d'une vie de travail (par exemple, les couples à double carrière) et assurer la continuité ainsi que la cohérence. La pertinence des informations communiquées a autant d'importance que la source de provenance des renseignements. Plus précisément, c'est le mentor qui a le pouvoir de mobiliser par ce moyen; connaissant mieux le potentiel et les résultats du subordonné, il est en mesure de l'évaluer et de lui donner des conseils réalistes, ce qui peut s'avérer très satisfaisant pour le jeune professionnel.
.qui privilégie l'enrichissement progressif, tout en tolérant les erreurs.L'importance de l'enrichissement est incontestable dans la gestion quotidienne du diplômé universitaire. Il faut éviter de donner à son poste un contenu précisément défini de telle sorte qu'il soit susceptible d'être continuellement enrichi. Le supérieur immédiat doit donc accorder énormément d'importance à l'intérêt du travail afin de continuellement enrichir son contenu ; bien sûr, cet intérêt dépend de la perception de l'individu de ce qui l'intéresse. Cette subjectivité ne simplifie pas l'établissement d'une telle politique de gestion, qui est individualisée et donc pertinente uniquement aux préférences de chaque jeune professionnel. Par contre, ceci ne devrait pas nuire à sa mise en ouvre puisque la gestion individualisée, qui se concrétise par la transformation des pratiques de gestion pour satisfaire les besoins des individus (l'opposé de la gestion «universelle» traditionnellement préconisée), se trouve parmi les tendances clés de la gestion renouvelée des ressources humaines.
Bien sûr, l'enrichissement ne peut s'accomplir que dans un environnement de travail agréable dans lequel les erreurs sont tolérées par le supérieur (pour favoriser l'apprentissage). Malgré tout, le milieu organisationnel est parfois caractérisé par un climat austère qui ne tolère pas les erreurs ou qui les punit, nuisant d'autant au processus d'apprentissage. Néanmoins, il ne devrait pas être si difficile pour les supérieurs de déterminer des tâches enrichissantes pour les jeunes qui entraîneront toutefois peu de conséquences négatives pour l'organisation si les recrues ne réussissent pas à les exécuter correctement du premier coup.
.qui travaille en équipe avec la recrue et privilégie la formation sur le tas.Le travail en équipe avec son supérieur (qui a plus d'expérience) augmente non seulement la visibilité du nouvel employé, mais également le potentiel formateur de son travail. Contrairement au courant de pensée populaire, la formation périodique à long terme peut parfois s'avérer démobilisante chez les jeunes professionnels. Spécifiquement, les participants à ce type de formation trouvent très peu de satisfaction dans des situations artificielles et hors du contexte réel de l'entreprise. Selon ce point de vue, il est inefficace d'offrir périodiquement au jeune professionnel des activités de formation de grande envergure et des programmes de formation basés sur la rotation d'emplois où il n'établit que des relations superficielles. D'ailleurs, cette stratégie est dénoncée dans la littérature par les auteurs qui encouragent les employeurs à offrir la formation aux nouveaux venus tout en travaillant en équipe avec leurs collègues et supérieurs. Puisque le nouvel arrivé sort d'un cycle de formation universitaire prolongé et est désireux de passer à l'action, de longues périodes de formation ne peuvent que favoriser son insatisfaction et sa démobilisation.
ConclusionLa mise en ouvre des politiques et pratiques de gestion discutées dans ce texte a le potentiel d'avoir des répercussions importantes non seulement pour le jeune professionnel (réduction du stress, amélioration significative de la satisfaction au travail et de la mobilisation), mais également pour son employeur. Dans le contexte actuel de compétition féroce pour l'attraction et la rétention des travailleurs de la connaissance, une gestion plus intelligente de ces employés clés influencera certainement l'efficacité et la création de l'avantage concurrentiel d'une organisation.
Tableau 1 |
Pour faciliter l'encadrement du diplômé universitaire récemment embauché, il faut s'assurer que son supérieur immédiat : |
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Méthodologie |
Un questionnaire a été distribué au cours de l'hiver 1996 à 2500 professionnels ayant obtenu leur diplôme au cours de l'année 1993 dans les départements à caractère professionnel de l'Université de Montréal (y compris l'École Polytechnique et l'École des Hautes Études Commerciales). Pour être admissible à répondre au questionnaire, les professionnels devaient avoir au moins six mois d'expérience sur le marché du travail. Cinq cent vingt questionnaires (taux de réponse de 21,6 %) ont été retournés, mais seulement 441 ont été jugés exploitables (soit 17,6 % de l'échantillon sélectionné). Les points de discussion présentés dans cet article sont le résultat d'analyses corrélationnelles et d'analyses de régression hiérarchique. |
Jules Carrière, Ph.D., est professeur adjoint, à Université d'Ottawa, Gilles Guérin, est professeur titulaire, à École des relations industrielles, de Université de Montréal.
Source : Effectif, volume 3, numéro 3, juin / juillet / août 2000