Vous lisez : L'embauche et l'intégration de ressources qualifiées
Effectif présente dans ce numéro deux analyses du même cas, celui de la division Canadair de Bombardier Aéronautique. L'une d'entre elles est faite par les trois étudiantes de l'École des Hautes Études Commerciales de Montréal qui ont remporté le premier prix du Concours d'excellence interuniversitaire canadien 1999. Celles-ci ont pris connaissance du cas une heure avant de présenter leurs solutions. Le texte reflète fidèlement les arguments de leur exposé oral. Pour sa part, un professeur de l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal apporte, dans son analyse, le point de vue d'un expert.

Chapeauté par l'Ordre des conseillers en relations industrielles du Québec, le Concours d'excellence est ouvert depuis cette année à toutes les universités canadiennes et constitue une bonne occasion de faire connaître la qualité de leur programme d'enseignement.

Bombardier Aéronautique est un groupe de Bombardier Inc., chef de file mondial dans les domaines des produits de consommation motorisés, du matériel de transport et de l'aéronautique. Bombardier Aéronautique se spécialise dans la conception, la fabrication, la vente et le service après-vente des avions de transport régional et des biréacteurs d'affaires, ainsi que des composants de cellule. Il compte quatre avionneurs importants : Canadair et de Havilland au Canada, Learjet aux Etats-Unis et Shorts au Royaume-Uni. 

Les revenus de Bombardier Aéronautique ont atteint 4,6 milliards de dollars en 1997-1998, une hausse de 15 % par rapport à 1996-1997 provenant principalement de l'augmentation des livraisons. Reflétant cette croissance des revenus et l'amélioration de la productivité, le bénéfice avant impôts est en hausse de 71 % sur celui réalisé en 1996-1997, augmentant ainsi la marge bénéficiaire de 6,7 % à 10 %. Au 31 janvier 1998, le carnet de commandes de Bombardier Aéronautique totalisait 10,1 milliards de dollars, comparativement à 6,2 milliards au 31 janvier 1997. Comme le démontrent ces chiffres, la croissance de Bombardier Aéronautique est très rapide. Aussi, avec une base aussi solide, les membres de la direction de Bombardier Inc. sont confiants d'atteindre les objectifs de croissance élevés qu'ils se sont fixés, soit doubler les revenus sur une période de cinq ans et porter la marge bénéficiaire avant impôts à 9 %. 

Neuf fabricants se font concurrence dans l'industrie des avions d'affaires à réaction. Bombardier continuera de renforcer sa position dans ce marché grâce aux premières livraisons du Learjet 46 et du Global Express. Cependant, dans un contexte de consolidation de l'industrie, le marché des avions régionaux reste hautement compétitif. Quatre fabricants se font actuellement concurrence dans le créneau des avions régionaux de 20 à 70 places. Bombardier Aéronautique y occupe une solide position avec la moitié des commandes depuis le lancement du Regional Jet de Canadair. L'introduction des modèles de série 700 (70 places) lui permettra de mettre à la disposition des transporteurs régionaux la seule famille de biréacteurs de transport régional de 50 à 70 places. Avec l'ajout de l'appareil Dash 8 de série 400 et la fin de la production des Saab 340, Saab 2000 et J41 de Bae, Bombardier se trouve en position idéale sur le marché, étant le seul fabricant d'une gamme complète d'appareils de 37 à 70 places. 

Dans un contexte d'amélioration continue et à la faveur des exigences de la norme ISO 14001 sur la protection de l'environnement, Bombardier a mis à jour sa politique environnementale. Elle vise aussi à fournir à ses employés la formation nécessaire à la mise en vigueur et au respect des dispositions de cette nouvelle norme. Plusieurs des centres d'exploitation de Bombardier sont détenteurs d'un certificat de conformité aux exigences de la norme de qualité ISO 9001; ils n'ont donc pas tardé à reconnaître les avantages offerts par cette norme et, de ce fait, ils se sont engagés dans un processus de certification ISO 14001. 

De plus, afin de s'assurer que son rythme d'amélioration surpasse celui de ses concurrents, Bombardier entreprend l'implantation du programme Six Sigma, qui a pour but l'élimination des défectuosités dans les produits et dans les procédés utilisés pour les fabriquer. Le principe de base de ce programme veut que la meilleure façon de réduire les coûts, d'améliorer la durée des cycles de fabrication et d'accroître la satisfaction des clients soit de réduire et éventuellement d'éliminer les défectuosités dans les systèmes d'ingénierie, d'approvisionnement, de production et d'administration. Au niveau de qualité de Six Sigma, on ne décèle plus que 3,4 défectuosités par million d'occasions. Mis en ouvre l'an dernier chez Bombardier Aéronautique, le programme donne déjà des résultats concrets, dégageant des économies annuelles de plusieurs millions de dollars. 

Sur les 9 200 employés de Canadair, 5 500 environ sont syndiqués. On pourrait qualifier la nature des relations du travail comme étant collaboratrice, Canadair ayant toujours adopté une politique de gestion de porte ouverte et ce, à tous les niveaux hiérarchiques de l'entreprise. À titre d'exemple, seulement 125 griefs ont été déposés durant toute l'année 1998. Notons aussi que 67 % des employés ont accepté le dernier contrat négocié, contrat d'une durée de cinq ans. 

En 1998, Canadair a embauché environ 800 employés syndiqués et prévoit en embaucher un nombre aussi important en 1999. Cependant, l'embauche de personnel qualifié dans le domaine de l'aéronautique est de plus en plus ardue et complexe, tandis que l'importance du nombre rend difficile et encore plus importante l'intégration de ces nouveaux employés à la culture de Canadair. Notons aussi qu'environ 40 % des contremaîtres de l'usine d'assemblage et environ la même proportion dans l'usine de fabrication possèdent moins d'une année d'expérience chez Canadair. 

Aussi, le développement de nouveaux modèles requiert un personnel d'ingénieurs compétents et nombreux, soit environ 1 500 actuellement chez Canadair. De plus, comme Canadair est reconnue pour la qualité de sa main-d'ouvre, elle attire la concurrence. Enfin, afin de mieux gérer l'ensemble des compétences disponibles chez Bombardier Aéronautique, l'implantation d'un SIRH (système d'information ressources humaines) est prévue pour l'ensemble des quatre avionneurs de Bombardier Aéronautique.

Concours d'excellence interuniversitaire canadien 

Les gagnants :
1er prix : Claire Charland, Geneviève Cloutier et Christine Potvin École des Hautes Études Commerciales 
2e prix : Isabelle Doucet, Annie Vigneault et Hugues Moniz Université du Québec à Hull 
3e prix : Émily Sharp, Julie Mayne et Jessica Doiron Université Bishop

L'analyse des étudiants 

Chef de file mondial dans son domaine, Bombardier Aéronautique connaît une croissance très rapide. La problématique du cas de Canadair est d'autant plus intéressante que l'on se retrouve en phénomène de croissance, donc d'amélioration financière. Dans un marché hautement compétitif, Bombardier Aéronautique est en excellente position sur le marché, étant donné qu'elle fabrique une gamme complète d'appareils de 37 à 90 places. En excellente santé financière avec son carnet de commandes fort bien rempli, elle applique un programme d'amélioration de la productivité et une politique qualité qui lui permettent des économies annuelles de plusieurs millions de dollars. De plus, l'entreprise semble avoir de bonnes relations du travail, si l'on considère le peu de griefs déposés et le contrat de cinq ans qui vient d'être signé.

Par contre, Bombardier Aéronautique doit faire face à une concurrence féroce: neuf concurrents dans l'industrie des avions d'affaires à réaction obligent l'entreprise à performer et à constamment s'adapter. Aussi, dans un contexte de consolidation dans le domaine des avions régionaux, quatre grands fabricants se font actuellement concurrence. 

L'embauche massive, dans ces conditions de croissance, constitue une autre contrainte pour Bombardier Aéronautique; c'est ainsi que huit cents embauches sont à prévoir pour l'année à venir, au rythme d'une trentaine de personnes par quinzaine. Cela implique qu'il faut d'abord trouver ces personnes et ensuite bien les intégrer de façon à ce qu'elles s'épanouissent et apportent une valeur ajoutée à l'organisation. Difficulté supplémentaire, de nombreux nouveaux contremaîtres dans les usines d'assemblage et de fabrication ont peu d'expérience chez Canadair. 

Dans cette situation, Bombardier Aéronautique désire doubler ses revenus d'ici cinq ans et augmenter de 9 % son bénéfice avant impôts. Pour ce faire, Canadair doit mettre en ouvre un plan d'action, tout particulièrement en ce qui a trait aux ressources humaines. Nous avons déterminé trois enjeux stratégiques qui serviront de base au plan d'action proposé. Nous avons également tenu compte, dans l'élaboration de ce plan, de deux paramètres importants: la croissance de l'organisation et le niveau de haute technologie dans lequel elle évolue. 

Le premier enjeu stratégique est d'attirer, de maintenir et de retenir les meilleurs employés. Canadair projette une embauche massive de cols bleus et d'ingénieurs. Mais, sur le marché, on entrevoit une pénurie de ressources qualifiées. Donc, il faut prévoir des pratiques qui permettront de faire face à cette pénurie. Par exemple, en ce qui concerne les cols bleus, il faut établir une stratégie auprès des écoles et des commissions scolaires. Pour ce qui est des ingénieurs, on envisage une légère pénurie au Québec; il faudra donc mettre au point une politique d'embauche internationale et sans doute faire appel à des chasseurs de têtes. Fait intéressant, Bombardier Aéronautique est déjà installée dans plusieurs pays, ce qui lui permettra de rechercher ces ressources qualifiées plus facilement. 

Le plan d'intégration de la main-d'ouvre constitue le second enjeu du plan d'action et suit logiquement le premier point. Car, une fois embauchée cette main-d'ouvre qualifiée, il faut trouver des moyens de bien l'intégrer à l'organisation. Il faut créer un encadrement plus serré, élaborer un plan de communication important de façon à inculquer la culture de Canadair à cette masse de nouveaux employés. Le plan d'intégration doit aussi s'adresser aux employés étrangers qui auront des besoins particuliers en raison des différences culturelles entre autres. 

Le troisième enjeu stratégique, et non le moindre, c'est le développement des compétences. Généralement, on a tendance, dans une entreprise en croissance, à ne prévoir qu'à court terme. Cependant, il est important de bien situer l'entreprise et de prévoir l'avenir au moins à moyen terme, pour assurer un bon développement des compétences à moyen et à long termes. On pourrait comparer les compétences au stock de matières premières d'une entreprise: il faut continuellement penser à leur renouvellement sans quoi l'entreprise va en souffrir énormément et sans doute perdre sa place de leader. Il en va de même pour les compétences. Tout particulièrement, trois types principaux de compétences doivent être inculqués aux employés : la politique environnementale, la certification ISO 14001 et le programme Six Sigma. Finalement, comme 40 % des contremaîtres sont récemment embauchés, il est primordial de s'assurer de leur bonne formation en vue de l'arrivée massive de nouveaux employés. 

Pour Canadair, il ne s'agit pas de simplement croître, mais surtout de bien croître. Le plan d'action doit permettre d'atteindre les objectifs fixés en fonction de ces trois grands enjeux stratégiques. 

D'abord, en ce qui concerne le premier enjeu, soit pour attirer, maintenir et retenir une main-d'ouvre compétente, certains a priori sont à respecter, c'est-à-dire la définition des besoins et des compétences à rechercher et ensuite l'établissement des critères de sélection. Ces éléments feront partie de la tâche du comité de recrutement qu'il faudra mettre sur pied très rapidement au sein de l'entreprise. Il nous semble en effet primordial de former un tel comité et non pas de simplement confier l'ensemble de la tâche du recrutement en sous-traitance, étant donné le nombre d'employés à embaucher. En effet, créer un comité favorise la responsabilisation du recrutement car, sachant qu'ils ont des engagements envers la haute direction, les membres sont nécessairement plus proactifs et s'assurent mieux de la qualité des candidats. Autre avantage de la formation d'un comité interne de recrutement, c'est que ses membres connaissent la culture de l'organisation et sont mieux à même de juger si les candidats sont aptes à s'intégrer au sein de cette culture. 

Pour attirer ces nouveaux employés, l'organisation doit offrir des conditions alléchantes, comme des plans de carrière intéressants, des conditions de travail motivantes où règne un esprit d'équipe, une formation continue, etc. Il sera aussi nécessaire d'établir une politique salariale attrayante. Canadair bénéficie d'une belle visibilité nationale, ce qui fait qu'il y a déjà une grande fierté à être engagé dans l'entreprise. Cependant, cette fierté ne suffit pas à elle seule quand on veut attirer des gens; le salaire et les avantages sociaux jouent aussi un rôle important. Il faut sur ce point que Canadair se positionne comme leader du marché. Entre autres, au moyen des avantages sociaux qui constituent une partie importante de la rémunération et qui permettent à une entreprise de se distinguer de ses concurrents. Ainsi, Canadair pourrait offrir des avantages sociaux de type cafétéria qui conviennent et s'adaptent aux besoins individuels. 

L'entreprise doit aussi déterminer les bassins de recrutement. Ici, il s'agit de recruter d'un côté des cols bleus syndiqués et de l'autre des ingénieurs. Donc, les marchés de référence, en ce qui a trait aux salaires entre autres, vont être différents. C'est ainsi que, si Canadair recrute les ingénieurs sur le marché international, elle va devoir se comparer à ce marché, et non se restreindre au marché de Montréal et des environs. Toutefois, pour les employés de production, elle ciblera le marché montréalais à la fois comme bassin de recrutement et comme marché de référence. Après avoir embauché les employés, il faudra continuer de travailler, au niveau de la gestion des ressources humaines, à garder ces personnes, après quelques années. C'est là que les politiques d'intéressement deviennent très attrayantes, à long terme, car elles développent un fort sentiment d'appartenance. Par exemple, les options d'achat ou des formes d'actionnariat sont des pratiques courantes au niveau des cadres supérieurs. On pourrait également adapter le plan d'actionnariat pour l'offrir aux employés de production, comme cela se fait déjà dans d'autres organisations. 

Souligner la loyauté des employés qui collaborent aux projets de l'entreprise constitue aussi un facteur de rétention non négligeable. Peu coûteuse pour l'entreprise, la célébration des années d'ancienneté, par exemple, est souvent oubliée en ressources humaines et elle pourtant très appréciée par les employés. 

Le plan d'intégration de la main-d'ouvre est une partie très importante du plan d'action, car un bon recrutement exige un bon processus d'intégration. Il faudra mettre sur pied le plus vite possible un comité d'intégration, qui sera responsable de toutes les activités d'accueil suivant l'embauche des employés. D'abord, une semaine d'accueil pendant laquelle les gens se rencontrent, prennent connaissance de l'organisation du travail, des directives générales. Et, au milieu de ces activités d'accueil, il ne faudra pas oublier ceux qu'on peut appeler les vétérans, ceux qui vont voir arriver huit cents nouveaux dans leur milieu et qui pourraient se sentir lésés. On pourra les motiver en les faisant intervenir en tant que tuteurs qui s'occuperont de l'intégration des nouveaux employés. En ce sens, le plan de mobilisation à concevoir les concerne aussi au plus haut point. Car, pour mobiliser les employés, il faut les informer du projet en cours et leur permettre de se l'approprier, de telle sorte qu'ils aient un sentiment d'appartenance. 

Le plan de communication joue aussi un rôle essentiel dans l'intégration des nouveaux embauchés. On pourrait par exemple publier les nouvelles orientations de l'entreprise et souligner ses bons coups dans une capsule hebdomadaire sous forme de «napperon» informatif installé dans la cafétéria. 

En ce qui a trait au développement des compétences qui constitue le troisième enjeu stratégique, Canadair pourra songer à un partenariat avec les institutions scolaires, comme nous l'avons déjà mentionné. Par exemple, un employé nouvellement embauché pourrait suivre, après l'accueil, six semaines de formation dans un établissement d'enseignement bien au courant des besoins de Canadair, avant d'être intégré au travail comme tel. Il faudra aussi prévoir donner une formation aux superviseurs, étant donné qu'ils devront apprendre à gérer de plus grandes équipes. 

Venons-en enfin au tableau de bord. Ce plan d'action ne serait pas stratégique, si on n'y prévoyait pas un processus d'évaluation de la qualité et du cheminement des interventions. La haute direction sera toujours responsable de mesurer la satisfaction de ses clients et de veiller à la bonne santé de l'organisation. Pour leur part, les gestionnaires en ressources humaines devront mettre l'accent sur les outils de mesure, entre autres la vérification du transfert des connaissances, dont il faut s'assurer qu'il contribue à l'augmentation du rendement. Il faudra aussi mesurer ce rendement tout comme le taux de roulement, qui en dira long sur la capacité de rétention de l'entreprise d'ici deux ou trois ans. Enfin, il faudra régulièrement faire des comparaisons avec le marché, en matière de rémunération, par des enquêtes salariales. 

En résumé, les recommandations de cette étude de cas visent à permettre à l'organisation d'atteindre ses objectifs de croissance au cours des prochaines années. C'est pourquoi le plan d'action, facilement réalisable, est conçu dans une perspective à long terme, ce qui est important dans un contexte de grande croissance. Il est aussi stratégique, car il compte sur la profonde implication du service des ressources humaines dans la réussite de l'organisation. Enfin, ce plan tient compte de la cohérence de tous les autres programmes de Canadair, en veillant à ne pas déstabiliser l'ensemble. En un mot, il s'agit d'attirer et d'embaucher les bonnes personnes, de bien les intégrer dans l'organisation et de leur donner les compétences nécessaires à l'accomplissement de leur travail. Ainsi, l'entreprise disposera des ressources qui lui permettront de poursuivre avec succès sa croissance.

Claire Charland, Geneviève Cloutier et Christine Potvin, de l'École des Hautes Études Commerciales.


L'analyse du professeur

Ayant eu le bénéfice de consulter les recommandations proposées par l'équipe gagnante du Concours d'excellence interuniversitaire canadien de 1999, je ne reprendrai pas les éléments de la définition du problème qui ont déjà été traités avec compétence par cette équipe. La situation financière chez Canadair et les gains de productivité réalisés réjouissent certainement et ses gestionnaires et ses actionnaires. De plus, la compagnie semble bien positionnée pour saisir les occasions futures et renforcer sa place sur le marché. Une des conditions importantes pour y arriver est certes de répondre à la demande avec des produits de qualité fournis dans les délais prévus. Ce sont les défis que cela pose à la gestion des ressources humaines que je commenterai. En effet, l'entreprise éprouve des difficultés à recruter et à embaucher des travailleurs qualifiés et, dans une moindre mesure semble-t-il, des ingénieurs.

Il faut noter que ce type de problèmes n'est pas nouveau au Canada et au Québec et particulièrement dans le secteur de l'aéronautique. Des études commandées dans le cadre de commissions d'enquête sur le développement du marché du travail en 1957 par le ministère du Travail fédéral du temps faisaient état de pénuries de travailleurs qualifiés. Durant les années '80, le rapport Dodge sur L'évolution du marché du travail dans les années '80 produit pour le ministère de l'Emploi et de l'Immigration examinait les mêmes problèmes. Un groupe de travail parlementaire publia Du travail pour demain: perspectives d'emploi pour les années 1980 et la problématique entourant les pénuries de travailleurs qualifiés avait retenu son attention. Finalement, un sondage de Gordon Betcherman pour le Conseil économique du Canada, Meeting Skill Requirements, fournissait des données sur l'incidence et le degré de sévérité de pénuries dans certaines professions et industries. On notait alors les fluctuations cycliques qui affectaient le secteur de l'aéronautique et qui amènent des niveaux instables d'emploi: passant de pénuries à surplus. Cette situation rend la planification des ressources humaines plus difficile. De plus, la compétition pour cette main-d'ouvre est serrée, puisque l'activité chez Canadair doit générer aussi une demande chez ses sous-traitants et fournisseurs qui utilisent une main-d'ouvre similaire. 

À court terme, l'entreprise, et plus particulièrement la gestion des ressources humaines, doit donc recruter et embaucher les nombres requis de travailleurs qualifiés et d'ingénieurs ayant les qualifications nécessaires pour pourvoir adéquatement les postes vacants, ou fournir des palliatifs. L'entreprise doit aussi concevoir et mettre à exécution des moyens pour les intégrer aux équipes déjà existantes en fournissant l'encadrement nécessaire. Le cas semble indiquer qu'il y a peut-être aussi un problème de rétention des ingénieurs dont la qualité, nous dit-on, «attire la concurrence». D'ailleurs, les nombreuses possibilités d'emploi aux États-Unis, où les besoins de main-d'ouvre de certaines entreprises comme Boeing ont sans doute attiré plusieurs ingénieurs et travailleurs qualifiés et parmi les plus expérimentés, ont probablement contribué à resserrer le marché du travail pour ces travailleurs ici. À plus long terme, l'entreprise doit se donner des pratiques de planification de la main-d'ouvre qui permettent une certaine veille pour prévoir les besoins de main-d'ouvre et mettre en place les mécanismes qui assurent sa disponibilité. Le système d'information ressources humaines (SIRH) devrait pouvoir fournir des inventaires de compétences qui faciliteraient le déploiement de la main-d'ouvre et la planification d'une formation adéquate. 

Innover face à une pénurie 

Examinons les solutions possibles. Celles-ci tiendront compte des caractéristiques des pénuries et des catégories d'employés en demande. En effet, si l'on fait face à une pénurie généralisée, c'est-à-dire si le marché ne peut fournir ni des travailleurs d'expérience, ni de nouveaux entrants et que les établissements d'éducation produisent un nombre beaucoup trop faible de travailleurs, il faudra recourir à des mesures plus draconiennes incluant des possibilités de substitution pour cette main-d'ouvre. Cependant, si les pénuries se définissent comme des problèmes de recrutement qui se traduisent en des délais plus longs pour obtenir la main-d'ouvre ou encore en une difficulté de recruter du personnel ayant une expérience donnée, les solutions sont plus immédiates. Les spécialistes des ressources humaines doivent vérifier la nature de ces pénuries et leur impact sur les opérations de production et ensuite se donner une stratégie adéquate. 

On recommanderait un programme de recrutement et d'embauche énergique. Ce programme comprend plusieurs volets. En ce qui a trait au recrutement, une campagne de publicité si ce n'est déjà fait, qui pourrait cibler de nouveaux médias : la presse ethnique par exemple; en effet, de nombreux travailleurs qualifiés proviennent d'autres pays. L'entreprise peut aussi bénéficier des réseaux qui lient les membres de certains groupes occupationnels. Des boni peuvent être prévus pour les employés qui recommandent une personne qualifiée qui est ensuite embauchée pour occuper un poste où il y a pénurie de candidats. 

Dans une situation comme celle qui est décrite dans le cas, les travailleurs expérimentés sont particulièrement importants. Ils peuvent travailler avec moins de supervision et plus rapidement. Si les possibilités du marché du travail pour ce groupe de travailleurs sont épuisées, on pourrait considérer aussi des réarrangements dans leurs tâches. Ainsi, certaines des tâches les plus complexes pourraient être regroupées et confiées en priorité à ces travailleurs. Les tâches moins complexes seraient assignées aux autres travailleurs. Bien sûr, ceci semble mener vers une spécialisation des tâches alors que, dans la plupart des entreprises, on se dirige plutôt vers la polyvalence, mais il s'agirait d'une solution temporaire et qui nécessite probablement des discussions avec les syndicats concernés. Mais si d'autre part on peut mettre sur pied (si elle n'existent pas déjà) des équipes de travail qui regrouperaient des personnes de divers niveaux de compétence, on peut, théoriquement du moins, penser qu'une telle organisation pourrait favoriser le transfert de connaissances. Des consultations avec les directeurs et superviseurs de production détermineront si une telle solution est possible. Les employés qui sont des retraités récents peuvent être encouragés à revenir pour quelque temps, si des conditions de travail intéressantes leur sont offertes. 

Les procédures qui entourent l'embauche peuvent être examinées afin de rechercher des moyens d'accélérer le processus. Les candidats potentiels doivent être rencontrés, évalués et mis en poste rapidement pour éviter de les perdre au profit de concurrents. Ceci demande une collaboration avec les superviseurs qui sont impliqués dans le choix afin de s'assurer de leur disponibilité au moment voulu. 

À moyen terme, comme le proposent mes collègues étudiantes, une stratégie impliquant des liens plus serrés avec les écoles ou cégeps dans les programmes susceptibles de fournir de jeunes travailleurs peut s'avérer fructueuse. Bien sûr, les diplômés de ces programmes n'ont pas d'expérience, mais des programmes de stages d'été peuvent leur fournir une certaine expérience et du métier et de l'environnement. De l'information fournie aux conseillers en orientation sur les possibilités de carrière dans ces métiers chez Bombardier pourrait s'avérer un outil utile pour intéresser de futurs travailleurs. Ce serait l'occasion de faire de Canadair l'employeur de choix pour ces futurs travailleurs. De même, la mise en place d'un système d'information des ressources humaines permet d'identifier les personnes qui disposent de compétences transférables dans les postes en pénurie. Il faut évaluer l'écart entre le niveau de compétence actuel et celui qui est requis et déterminer quels types de formation peuvent les «mettre à niveau» rapidement. 

Un défi : l'intégration 

L'intégration de nouveaux travailleurs demeure toujours un défi. Il s'agit de leur faire connaître et partager les valeurs et normes de l'organisation (la culture), tâche d'autant plus ardue qu'une proportion importante de superviseurs (40 %) ont moins d'une année d'expérience dans la firme. Un plan d'accueil bien structuré me semble ici important. Il fournit un soutien au superviseur tout en étant une première activité d'intégration des nouveaux. Les activités d'accueil dans beaucoup d'entreprises sont souvent concentrées dans les premiers jours ou la première semaine de travail et visent surtout à faire connaître les politiques et pratiques de l'organisation. Dans ce cas, il peut être utile de penser à un programme d'accueil qui serait étalé dans le temps et qui aurait des composantes axées sur l'environnement de travail immédiat. Ce programme pourrait s'appliquer quelques heures par semaine et serait l'occasion à la fois de donner des formations courtes mais pertinentes sur certains aspects du travail (sécurité, procédures) et de permettre une rétroaction de la part des nouveaux employés qui peuvent poser des questions. On a en général plus de questions après un certain temps dans l'entreprise. 

Ce genre de programme permet aussi aux superviseurs et aux personnes des ressources humaines de mieux comprendre le processus d'intégration et d'en tirer des leçons pour les cohortes futures. Si des membres de l'équipe de travail participent activement à ces sessions (selon un modèle de partenaire ou de mentor par exemple), il y a là un moyen de renforcer les équipes. L'adhésion à une culture d'entreprise passe par le partage d'activités orientées vers des objectifs communs qui façonnent les comportements et assurent la transmission de normes et valeurs communes. 

J'ai suggéré une certaine spécialisation des tâches pour répondre aux besoins les plus urgents. Mais, dans une perspective à long terme, la polyvalence des employés est en partie une garantie de pouvoir faire face à des situations similaires à l'avenir. Donc, des programmes de formation qui assurent l'acquisition de cette polyvalence sont certes appropriés, mais on doit donner l'occasion d'utiliser ces nouvelles compétences. 

Le recrutement des ingénieurs 

Le marché du travail pour les travailleurs qualifiés est surtout local, ce qui n'est pas le cas des ingénieurs. La recherche est donc plus étendue. Le service des ressources humaines a certainement déterminé les marchés de travail les plus prometteurs pour recruter des ingénieurs. Il s'agit peut-être d'intensifier les efforts en adoptant une perspective marketing de l'entreprise auprès de ces personnes. 

À plus long terme, la possibilité de stages pour des étudiants finissants soit au Canada, soit ailleurs peut fournir des candidatures intéressantes pour l'avenir. La rémunération offerte est importante pour attirer et retenir ces employés, mais une flexibilité relativement aux avantages sociaux fournis permet d'offrir des conditions de travail qui sont plus sur mesure et susceptibles d'attirer certains professionnels. 

La rétention et la reconnaissance 

Ayant consenti un effort important d'embauche, il devient important de retenir les meilleurs employés. La possibilité d'améliorer ses compétences et de poursuivre son développement professionnel est un facteur important dans la décision de demeurer dans une organisation. Ces occasions existent probablement, il s'agit souvent de les faire connaître. Une revue en profondeur des récompenses possibles pour reconnaître les efforts et les réalisations pourraient déceler ceux qui sont les plus susceptibles de s'avérer efficaces pour renforcer les liens des employés avec l'entreprise. 

Le supérieur immédiat dans tout environnement de travail joue un rôle de premier plan, il fournit un soutien direct, informe, encourage les initiatives et est l'agent de développement. Ses actions ont un impact direct sur la qualité de vie au travail de ses employés. Ce rôle devrait être mieux reconnu et, le cas échéant, récompensé. Des mesures d'évaluation de sa performance qui tiennent compte de sa capacité à intégrer et retenir les employés, transmettent un message clair et motivent des actions qui soutiennent les stratégies d'emploi d'une organisation.

Irène Lépine est professeure,département Organisations et ressources humaines, à l'École des sciences de la gestion, de Université du Québec à Montréal. 

Source: Effectif, volume 2, numéro 4, septembre /octobre 1999 

 

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