Vous lisez : L'astrologie au service des décideurs. Ciel!

Ésotérisme, carte du ciel, tarot, numérologie : quelques mots depuis longtemps associés à la superstition et aux croyances populaires. Pourtant, la clientèle des voyants et astrologues ne cesse de croître. À un point tel que maintenant, même les dirigeants d'entreprise et les grands décideurs font appel à leurs services.

Ce n'est pas d'hier que les sciences occultes influencent les actions des décisionnaires. Déjà au temps de la Grèce antique, les pythonisses étaient très en vue. Ces femmes à qui l'on attribuait un don de prophétie et de clairvoyance avaient, disait-on, la possibilité de connaître les états d'âme des dieux. Utile, n'est-ce pas ?

Il y a plus de 2000 ans en Europe, les grands chefs de tribu ne prenaient pas de décisions majeures sans consulter un devin. Ce vaticinateur pouvait lire l'avenir dans n'importe quel élément : un phénomène aérien, le chant du coq et l'aspect de la coiffe d'un nouveau-né constituaient d'aussi bonnes lectures divinatoires que le sel, la rosée matinale et le blanc d'ouf.

Aujourd'hui, extralucides et astrologues font la pluie et le beau temps. Journaux, radio, télévision et même Internet n'échappent pas à leur emprise. Vous voulez connaître vos numéros chanceux ? Rien de plus simple; appelez un médium. Vous voulez dresser votre carte du ciel? Consultez les sites Internet à cet effet. Vous voulez savoir si vous allez rencontrer l'âme sour ? Écoutez Jacqueline Aubry à la radio. « Tout le monde veut savoir comment se déroulera la journée qui débute, soutient l'astrologue. Grâce aux Astres, je peux leur faire part de ce qui les attend. »

Depuis plus de 25 ans, Jacqueline Aubry étudie l'astrologie. Sa clientèle s'est fortement diversifiée depuis 1976. « Au départ, ma clientèle était constituée de monsieur et madame Tout-le-monde, se rappelle-t-elle. Après quelques années à répondre toujours aux questions du genre  : « Mon mari m'aime-t-il encore? » ou bien « Vais-je toucher une grosse somme d'argent bientôt? » j'ai délaissé la consultation pour écrire des livres. Aujourd'hui, je fais affaire avec les décisionnaires. Vous seriez surpris de constater combien de directeurs d'entreprise, de présidents, de gens de la Bourse et même de ministres font appel à mes services ! Mais naturellement, je ne vous donnerai pas de noms. » Dommage!

Actuellement, la tendance veut que l'on consulte avant de faire une action majeure ou banale. Allez, avouez  : combien de fois avez-vous ouvert le journal pour consulter votre horoscope avant de prendre une décision? Cette tendance se remarque également chez nos directeurs et présidents d'entreprise québécois. Les conseils d'administration se font de plus en plus abondants et les conseillers privés n'ont jamais été aussi nombreux. Les dirigeants s'entourent des meilleurs éléments pour pouvoir optimiser leurs décisions. Pourtant, il semble que cela ne soit pas suffisant puisque l'on dénombre de plus en plus de chefs d'entreprise disciples de l'ésotérisme. Comment comprendre que les grands décideurs aient besoin d'une astrologue pour définir leur avenir alors qu'ils commandent des états financiers et des rapports mensuels en abondance?

« Ils ont besoin de se faire rassurer, confie Jacqueline Aubry. Vous savez, les rapports financiers ne sont pas garants de bon rendement. Il est important de prendre en considération le positionnement des astres avant de prendre une décision majeure. Les astres influencent directement nos actions. Moi, je suis là pour faire la lecture de ce que les astres révèlent. »

Bon, d'accord. Quelques directeurs généraux consultent une astrologue avant de prendre une décision finale. En sont-ils gênés? « Il n'y a jamais de gêne. Pourquoi en serait-il autrement? Les hommes et les femmes d'affaires qui prennent le temps de m'appeler pour que je leur dresse une carte du ciel me font totalement confiance. Vous savez, l'astrologie est une science rationnelle et éprouvée au même titre que les mathématiques et la physique. Mes données viennent de la NASA elle-même. »

Au Québec, il existe plus de 3000 astrologues et voyantes. Selon madame Aubry, il faut être vigilant quant au choix du spécialiste. « Je dois admettre que quelques-uns de mes confrères ne sont pas des plus crédibles. C'est comme dans n'importe quel domaine; il y a des gens sérieux et d'autres non. Il faut faire attention à qui l'on consulte. Rien ne m'attriste plus que de voir un homme intelligent aller perdre son argent chez une voyante incompétente. Moi, je ne me fie pas seulement au sentiment du moment; je calcule, réfléchis et vérifie avant de donner mon avis. »

Il y a peut-être beaucoup de décisionnaires qui consultent une voyante ou une astrologue, mais on peut vous assurer qu'ils ne se manifestent guère! Néanmoins, sous le sceau de l'anonymat, certains ont bien voulu expliquer ce qui les pousse à faire appel au service d'une professionnelle.

« Il est évident que je ne crie pas sur les toits que je consulte une astrologue, confie Jean, 45 ans, propriétaire d'un gros magasin à Montréal. De quoi aurais-je l'air? Moi, un grand patron qui va consulter avant de prendre une décision. Par contre, je ne peux m'en passer. Mon astrologue vient me rassurer dans ma prise de décision. C'est très important pour moi. Et de toute façon, elle ne se trompe pas souvent ! »

Tout comme Jean, Mario, un directeur dans la région de Montréal, consulte une astrologue. « Moi, je consulte seulement par affaire. J'appelle mon astrologue et je ne lui pose qu'une seule question : devrais-je oui ou non prendre telle ou telle décision. Une fois que j'ai son opinion, il m'est beaucoup plus facile de passer aux actes. Par contre, je n'ai jamais consulté une voyante ou un autre médium pour ce qui est de ma vie privée. Je ne veux pas entraîner ma famille dans mes superstitions! »

La consultation professionnelle n'étonne pas vraiment Pierre Cloutier, administrateur et membre fondateur du Club des sceptiques. « La superstition n'est pas nouvelle au sein du milieu des affaires. Vous savez, l'économie n'est pas une science exacte; elle se compose en grande partie de chance et il est facile de s'imaginer qu'une astrologue ou une voyante pourra nous donner de judicieux conseils. Cela fait plus de 2000 ans que ces bons parleurs leurrent les décisionnaires. Par contre, ajoute Pierre Cloutier, je peux vous certifier que l'astrologie n'a aucun fondement scientifique. »

Depuis près de trente ans, ce club qui compte plus de 500 membres au Québec s'efforce de démystifier l'ésotérisme. Il offre d'ailleurs une somme de 500 000 dollars à quiconque fera la preuve irréfutable d'un fait de nature ésotérique. « L'offre est sur la table depuis 1989 et plusieurs dizaines de candidats ont tenté jusqu'ici l'expérience. Mais personne n'a encore réussi à prouver quoi que ce soit ! Sinon qu'il y avait peut-être de bonnes raisons au départ d'être sceptique », ironise Pierre Cloutier.

Malgré que l'astrologie soit bafouée par certains, il semble qu'elle vienne en aide à beaucoup de gens. Pour madame Chalifoux, astrologue réputée qui animait jusqu'à tout récemment une tribune téléphonique à la radio, la consultation des voyantes et asteologues par nos hommes d'affaires est une bonne chose, mais la prise en main est encore meilleure. « Les Québécois sont de nature passive. Ils nous appellent en pensant qu'il existe une loterie dans le ciel et que nous allons tirer leur numéro ! Il faut que les gens cessent de nous appeler en pensant que nous leur servirons du tout cuit dans le bec. Oui, il existe un destin, mais il faut savoir se prendre en main pour arriver à ses objectifs. » Voilà un conseil judicieux qui s'applique à tous!

Philippe Beauchemin est journaliste indépendant. Il fait parti de l'équipe de rédaction en chef du « Reporter », journal étudiant de l'Université de Montréal.

Source : Effectif, volume 3, numéro 4, septembre / octobre 2000

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