Vous lisez : L'approche par compétences et l'évaluation du rendement

Entrevue avec Michael Lombardo

L'Ordre a récemment organisé, en collaboration avec la firme Raymond Chabot Ressources humaines, une activité de formation dont le conférencier invité était monsieur Michael Lombardo, créateur de l'outil intitulé Architecte de carrière. Effectif a tenu à faire profiter ses lecteurs de la réflexion de monsieur Lombardo sur l'approche par compétences, d'autant plus que ce sujet va de pair avec l'évaluation du rendement, thème principal de ce numéro. Nous remercions madame Brigitte Carrière, chef des ressources humaines chez ICN Canada ltée, qui a collaboré à l'élaboration des questions que nous avons posées à monsieur Lombardo. Voici cette entrevue.

D'abord, qu'est-ce qu'une compétence?

Une compétence est une caractéristique observable et mesurable liée à la performance au travail d'une personne. Les compétences sont de quatre types.

Les compétences liées à l'emploi, à la fonction ou à la technique ne sont pas transférables d'un emploi à l'autre.

Les compétences personnelles, comme la sociabilité, la gestion des émotions, sont communes à tous les emplois et niveaux de fonction dans une organisation.

Les compétences de gestion sont spécifiques aux personnes ayant à gérer des ressources : ce sont la planification, le développement des ressources, la motivation, etc.

Enfin, les compétences de leadership sont elles aussi communes aux personnes qui doivent gérer des ressources, on n'a qu'à penser à la vision et la pensée stratégique.

Quel est l'intérêt d'utiliser l'approche par compétences?

On entend beaucoup parler de cette approche depuis quelques années. Pour certains, elle constitue une panacée, pour d'autres c'est une mode. Pour moi, elle permet d'aborder les problèmes sous un angle neuf et d'apporter de nouvelles solutions. C'est que les compétences sont concrètes parce qu'elles sont liées à l'emploi; elles peuvent aussi être mesurées, ce qui les rend utilisables dans la gestion des ressources humaines. De plus, on peut facilement déterminer le niveau de compétences recherché pour un poste. Les compétences sont liées à la performance, ce qui augmente le rendement de l'investissement dans toute intervention visant à augmenter les compétences des employés. En effet la plupart des compétences peuvent être développées et améliorées ou dans l'action ou par de la formation. Enfin, elles sont de meilleurs prédicteurs en sélection que la personnalité, les valeurs ou les attitudes. 

D'après votre expérience, quelles sont les principales raisons d'échec dans la tentative d'intégrer le modèle de compétences dans un processus d'évaluation du rendement? Que devrait-on faire pour réussir cette intégration?

En fait, il y a plusieurs modèles de compétences. Chacun présente ses avantages et ses inconvénients. Par exemple, la liste d'épicerie qui comporte des compétences très générales, comme savoir communiquer ou faire preuve d'initiative, est peu pratique car ces compétences sont difficiles à mesurer et diffèrent très peu d'un poste à un autre. Elles ne permettent donc pas de faire la différence entre des personnes plus ou moins performantes. Un autre modèle est celui des compétences clés qui s'appliquent à tous et qui sont également très difficiles à évaluer, car elles restent très vagues et peu utiles. 

Pour faire la part des choses et choisir une démarche adaptée, il faut d'abord fixer les objectifs d'un système de compétences. Sa première qualité devrait être de permettre de distinguer la performance supérieure de la performance moyenne. Il devrait en outre servir de moteur à tous les systèmes de ressources humaines, notamment au développement. Finalement, il devrait être facile à implanter. 

Les modèles génériques qui comprennent un très grand nombre de compétences et sont très généraux ainsi que les modèles adaptés pour chaque emploi, très coûteux, respectent ces trois critères mais ne sont pas dénués d'inconvénients. 

La solution à privilégier est de construire son propre modèle en choisissant rationnellement des compétences issues d'un modèle générique. Cela permet de refléter la culture de l'entreprise, d'établir des facteurs clairs, de différencier les rôles, d'incorporer l'ensemble des aspects du poste et surtout de prendre des mesures valides du niveau de compétences et de proposer des activités de développement.

Mais comment faire la différence du point de vue de la performance? 

Il existe plusieurs façons de déterminer les compétences essentielles pour un emploi. L'expérience démontre qu'en général les experts ont tendance à choisir des compétences qui sont utilisées fréquemment, comme la planification pour un superviseur, ou d'autres qui ont une résonance positive, comme le respect de l'éthique. 

Cependant, la recherche montre que ces compétences sont rarement celles qui permettent de différencier réellement une ressource moyenne d'une ressource supérieure. Le meilleur exemple est sans doute la capacité intellectuelle qu'on retrouve dans bien des profils de compétences de professionnels. Comme pratiquement tous les professionnels ont fréquenté l'université et occupent des postes qui demandent cette compétence, il est peu probable qu'elle fasse une différence au point de vue de la performance. 

En résumé, il faut surtout se préoccuper des compétences qui sont cruciales en matière de performance.

Si on tient compte du fait que les entreprises visent des résultats, quels candidats doit-on sélectionner? 

Dans les profils établis par les entreprises, on retrouve souvent deux axes: les compétences humaines (compassion, délégation, équité, écoute, etc.) et les compétences axées sur les résultats (organisation, planification, prise de décision, etc.). Peu de personnes maîtrisent bien ces deux axes. Les recherches démontrent que le profil qui se dégage comme optimal pour la performance à long terme est celui d'un gestionnaire ayant une très forte orientation vers les résultats et modérément compétent au point de vue des relations humaines. En général, au lieu de viser la perfection, on devrait rechercher des personnes très compétentes dans les domaines critiques et moyennement dans les autres.

Pour évaluer la performance, combien de compétences sont nécessaires dans un profil? 

Si on veut évaluer la performance, de cinq à dix compétences devraient suffire pour distinguer les employés dont la prestation est supérieure. Par contre, pour évaluer le potentiel, on choisit des compétences différentes dans la mesure où l'on s'intéresse davantage à la capacité de s'adapter à de nouveaux défis qu'aux déterminants de la performance comme telle dans un poste donné. On choisira alors la capacité d'apprentissage, la créativité ou la capacité de faire face à l'incertitude. 

On le sait, le développement des compétences doit aller de pair avec l'évaluation du rendement. Quelles compétences sont prioritaires et comment peut-on les développer? 

Le monde des affaires est en changement et les compétences requises pour y participer changent aussi. Il est frappant de constater que les compétences qui sont appelées à devenir de plus en plus importantes sont aussi celles pour lesquelles les gestionnaires éprouvent le plus de difficulté. On parle entre autres de gestion du changement, d'amélioration continue, de développement d'équipes de travail et de pensée à long terme. Il est clair que ces compétences doivent devenir des priorités en matière de développement pour éviter que les organisations ne se retrouvent à court de gestionnaires pour les diriger.

Quels sont les principaux défis à relever pour intégrer le modèle de compétences dans un processus d'évaluation du rendement dans nos organisations? 

Je pense que le principal obstacle à l'intégration du modèle de compétences est la façon traditionnelle de faire. Il faut changer les mentalités, ne plus mesurer uniquement les résultats atteints, mais les façons de les atteindre.

Pour terminer, après l'intégration du modèle de compétences dans le processus d'évaluation du rendement, les entreprises ont-elles noté des résultats concrets? 

La gestion par compétences, une fois bien intégrée, a contribué à l'augmentation des profits des entreprises. Dans certains cas, on a noté une augmentation du rendement allant jusqu'à 10 %. On peut donc dire que ces entreprises ont tiré grand profit de leur investissement. Une chose est sûre, une fois la performance mesurée, les récompenses attribuées aux employés performants devraient être liées non pas aux résultats de l'entreprise, mais plutôt aux façons de faire qui, à long terme, contribueront sûrement à l'atteinte des objectifs fixés.

Source : Effectif, volume 3, numéro 1, janvier / février/ mars 2000

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