Vous lisez : Faire analyser l'écriture de ses candidats : est-ce sérieux?

Faites parvenir votre curriculum vitæ accompagné d'une lettre de présentation écrite à la main résumant les raisons pour lesquelles vous croyez être la personne recherchée.»

Il s'agit là d'une formule habituellement utilisée par les recruteurs qui, lors de l'étude des dossiers de mise en candidature, recourent aux services d'un graphologue. Cette démarche consiste en fait à mettre en relief les traits de la personnalité de leurs candidats afin de savoir si oui ou non leur profil convient au poste convoité. De plus, la graphologie appliquée au recrutement est plus souvent réservée aux postes de cadres et doit être combinée aux tests classiques de sélection.

En France, plus qu'ailleurs en Europe, l'analyse graphologique est considérée par les recruteurs comme un outil quasi incontournable d'aide à la décision. Près de 80 % des entreprises françaises l'utiliseraient.

Dans l'univers des ressources humaines nord-américaines, cette pratique, à en juger par l'absence de statistiques pour le vérifier, ne susciterait pas un enthousiasme aussi remarquable. C'est qu'elle n'est tout simplement pas implantée dans nos moeurs.

«Le marché n'est pas très mûr ici», reconnaît Geoffroy Tiberghien, directeur de Grapholab, cabinet d'experts en écriture et graphologie, et membre du conseil d'administration de l'Association des graphologues du Québec (AGQ). «Beaucoup de personnes sont sceptiques par rapport à la graphologie. Elles associent cela avec les sciences occultes. Elles sont plus habituées à entendre parler de tests à caractère psychologique. Aussi, au Canada comme aux États-Unis, on préfère utiliser des tests de sélection qui sont valides et faire appel à des psychologues industriels.»

L'analyse graphologique ne se fait pas à l'insu des candidats. En fait, si l'entreprise ne mentionne pas dans son annonce qu'elle s'en servira, elle le fera au moment de faire passer ses tests de présélection. Le recruteur ou le graphologue demandera alors aux finalistes d'écrire un texte ou, pour faire d'une pierre deux coups, de répondre à un questionnaire construit à partir de questions du genre : Pourquoi vous voyez-vous à ce poste ? Comment agiriez-vous dans telle situation? Le tout au stylo bille.

Par la suite, le graphologue commence son travail d'analyse. Celui-ci peut prendre jusqu'à deux jours incluant la rédaction d'un rapport synthèse de sept à dix pages. En principe, l'analyse graphologique tient compte de l'écriture du candidat en fonction des exigences du poste à pourvoir et de la culture de l'entreprise. À noter que plus le poste est important, plus l'analyse se fait en profondeur.

La décision finale d'embauche n'appartient pas au graphologue. «Je ne joue pas un rôle déterminant dans l'embauche d'un candidat, explique Yolande Gervais, graphologue depuis une vingtaine d'années. Lorsque je soumets mon rapport au recruteur, il a bien souvent déjà arrêté son choix. Mes conclusions l'éclairent plutôt en ce qui concerne les points faibles du candidat potentiel pour éventuellement en discuter lui.»

Il existerait autant de méthodes d'analyse que de graphologues. «Chaque graphologue met au point ses outils et cela dépend de sa formation et de son expérience, dit Mme Gervais, qui a été directrice des services graphologiques dans un bureau de consultants pendant dix ans. J'ai déjà vu des rapports d'analyse beaucoup plus simples et moins exhaustifs que les miens.»

Par exemple, Mme Gervais retient dans sa grille d'analyse, pour la fonction organisation, les critères suivants : capacité de vision, esprit de décision, réalisme, pragmatisme, intérêts, persévérance, ambition, rigueur, sens de l'économie, de la perspective, imagination créatrice, autocritique, courage d'innover, capacité d'assimiler et curiosité; un autre graphologue, pour sa part, peut n'en retenir que la moitié ou en utiliser d'autres.

Quant à la façon de présenter au recruteur le rapport synthèse de l'analyse graphologique d'un candidat, il existe aussi moult manières de le présenter sinon de le rédiger. Par contre, si une entreprise a l'habitude de recourir aux services d'un psychologue industriel, elle s'attend à recevoir des grilles de critères et des notes pondérées qui ont mené aux conclusions sur les forces et faiblesses du candidat.

Au Québec, contrairement à ce qui prévaut en France, il n'y a pas d'ordre professionnel pour chapeauter les graphologues. Et si les graphologues français ont l'obligation de se soumettre à un code de déontologie strict, ici il en va différemment.

En fait, l'AGQ, qui existe depuis 1972, tient un rôle comparable à celui d'un ordre professionnel. Elle possède des règlements et a même adopté, en 1988, un code de déontologie basé sur celui des psychologues. Mais le problème est qu'elle ne compte que 130 membres alors qu'il lui en faudrait plus de 500 pour être éventuellement reconnue comme un ordre. Sur 130 membres, l'AGQ compte près de 50 graphologues agréés ou issus d'écoles agréées ou qu'elle reconnaît (écoles françaises) et des graphologues qui sont reconnus sur le plan international de par leurs écrits (publications); une quinzaine de membres associés, soit des autodidactes et des personnes morales; les autres sont des membres réguliers, c'est-à-dire des graphologues professionnels (qui vivent de leur travail) ainsi que des élèves en graphologie.

Les graphologues non membres ne seraient donc pas tenus de respecter ce code qui prône, entre autres, le secret professionnel et le respect de la vie privée notamment en ce qui concerne le dévoilement des renseignements destinés aux recruteurs - lesquels doivent répondre aux exigences du poste seulement.

Pour ce qui est des coûts d'une analyse graphologique, il faut savoir qu'aucun barème n'existe. Habituellement, ces coûts varient en fonction de certains éléments telle l'importance relative du poste soumis à l'étude; ils fluctuent aussi. d'un graphologue à l'autre. Il peut donc arriver que des graphologues abusent de la capacité de payer des entreprises en haussant leurs honoraires. De façon générale, le coût moyen d'un tel investissement se situerait entre 200$ et 1 000$ par dossier.

Qu'est-ce que la graphologie?

Depuis environ 400 ans, la graphologie n'a cessé de se perfectionner et est devenue une science humaine. Selon M. Tiberghien, elle est classée comme test psychologique dans les tests de la projection globale de la personnalité, elle va jusqu'à faire ressortir les aspects du subconscient et de l'inconscient. Sa technique vise à décrire la personnalité des individus à partir de leur écriture.

Insérée dans un processus de sélection du personnel, l'analyse graphologique consiste à mettre en relief, entre autres, l'intellect de la personne, sa capacité à fournir du rendement ou à être efficace et sa sociabilité, soit comment elle se comporte en général et avec les autres. Jusqu'à vingt critères peuvent être retenus pour circonscrire chacun de ces aspects. Par exemple, pour l'intellect, l'on peut considérer le raisonnement, l'esprit analytique, investigateur, le jugement, l'objectivité, etc. 

Pour ce faire, le graphologue reçoit du recruteur la description du poste à pourvoir, le curriculum vitæ du candidat ainsi qu'un échantillon de son écriture, qu'il s'agisse de sa lettre de motivation ou des réponses manuscrites à un questionnaire distribué au cours de la présélection. À la suite de cela, le graphologue base son analyse sur les éléments graphiques de l'écriture du candidat tels la forme, le mouvement, le trait et l'espace (rapidité par rapport à lenteur; juxtaposition, taille, simplification ou enrichissement des lettres; trait léger, appuyé, régulier, anguleux, étalé, incliné).


La formation

À l'heure actuelle, au Québec, sur moins de dix écoles de graphologie, deux sont pour l'instant agréées par l'AGQ puisqu'elles présentent une structure de cours bien établie. Il s'agit de l'Institut de psychographologie de Montréal et de l'Institut graphologique de Chicoutimi. Les cours de graphologie québécois ont une durée minimale de trois années pendant lesquelles les étudiants reçoivent 900 heures d'enseignement théorique et font autant d'heures, sinon plus, de travaux pratiques d'analyse ainsi que des examens ponctuels. Les diplômés reçoivent une attestation d'études. 

À titre comparatif, la durée des cours de graphologie français tourne autour de quatre ans et l'examen final mesure, en plus des connaissances graphologiques, celles acquises dans d'autres domaines comme la psychologie. D'ailleurs, avant de suivre un cours de graphologie en France, un étudiant doit parfois posséder une formation de psychologie ou de médecine. Au Québec, si la formation de base d'un aspirant graphologue n'est pas jugée suffisante, on peut lui suggérer de suivre, en parallèle, des cours de psychologie ou de français. 

«Des tas de gens s'intéressent à la graphologie, mais peu ont les aptitudes ou les qualifications et ensuite la persévérance pour aller de l'avant, constate Geoffroy Tiberghien. Nombre d'apprentis sont passés dans mon cabinet et pourtant il m'a été extrêmement difficile d'en avoir de niveau suffisant pour répondre aux exigences très sévères des entreprises.» 

À ce propos, M. Tiberghien souligne la complexité du travail d'un graphologue d'entreprise dont l'efficience ne s'acquiert pas du jour au lendemain, mais au bout d'une dizaine d'années pendant lesquelles se sont combinés formation et apprentissage surveillé. «Il faut très bien connaître les besoins des entreprises, les types de profils qui leur sont nécessaires et savoir rédiger des rapports, explique-t-il. Aussi, une étude graphologique doit non seulement mesurer la personnalité d'un candidat, mais également la compatibilité avec laquelle il pourra fonctionner avec les personnes déjà en place dans l'organisation.»


Trouver un bon graphologue

Trouver un bon graphologue d'entreprise serait beaucoup plus difficile que de trouver un bon médecin ou un bon avocat. D'abord parce qu'ils sont peu nombreux au Québec, puis parce qu'ils ne font pas partie d'un ordre professionnel qui attesterait leur compétence. L'AGQ ne nie d'ailleurs pas la présence d'imposteurs dans le métier. Peu formés, ils n'hésiteraient pas à s'improviser avec assurance professionnels auprès des directions de ressources humaines. C'est pourquoi les recruteurs doivent demeurer vigilants. 

À cet effet, voici des points importants avant de retenir les services d'un graphologue :

  • s'assurer de sa compétence et de sa réputation auprès de l'AGQ s'il en est membre; 

  • vérifier ses formations de base (diplôme d'une école québécoise ou européenne reconnue) et complémentaire (ex. : psychologie industrielle);

  • vérifier le nombre d'années d'expérience dans un contexte de sélection de personnel;

  • demander sans frais une analyse d'un échantillon de sa propre écriture relativement au poste occupé;

  • demander d'évaluer des personnes qui sont déjà en poste dans l'entreprise;

  • demander des exemples de travaux réalisés antérieurement pour le compte d'autres entreprises (considérer si c'était pour le compte de ABC inc. qui emploie trois employés et qui n'a jamais pris de l'expansion ou pour une entreprise dynamique;

  • s'assurer que ses conclusions sont probantes;

  • contrôler sa méthodologie : autrement dit, l'analyse se fait-elle de manière absolue ou en interaction avec l'entreprise;

  • demander les éléments ou les critères dont se compose son rapport d'analyse.


Validité et risque

Aux employeurs qui seraient tentés de recourir aux services d'un graphologue, le professeur titulaire en psychologie industrielle et organisationnelle de l'Université de Montréal, Robert Haccoun, suggère de prendre en considération la validité d'une telle démarche et le risque qui peut y être associé. 

«Si un employeur veut utiliser la graphologie, il devrait premièrement se demander : "Comment est-ce que je sais, et quelles sont les preuves qui peuvent m'être données, qu'effectivement cette méthode va vraiment répondre à mon besoin, c'est-à-dire augmenter la qualité de mes employés?". Deuxièmement : "Si je fais cela, est-ce que je ne m'expose pas à des problèmes potentiels en terme de discrimination par exemple et comment est-ce que je sais que je peux défendre cette procédure devant les tribunaux?"»

Relativement au premier point, M. Haccoun explique que des études américaines réalisées dans le but de connaître le lien qui existe entre les conclusions graphologiques et la performance au travail ne démontrent qu'un faible lien de validité. Ce qui n'est pas le cas de bien d'autres tests de sélection du personnel qui présentent des études de validité. 

Quant à savoir si l'analyse graphologique capte de façon adéquate les dimensions de la personnalité des candidats, M. Haccoun mise sur la prudence. «Lorsque je dis être en train de mesurer certaines caractéristiques comme la persévérance, le sens de l'organisation, dit-il, suis-je vraiment en train de les mesurer? Quelle est la qualité de ce processus?»

Reste maintenant à savoir si l'analyse graphologique ou les décisions prises à la lumière de ses conclusions violeraient les droits et libertés de la personne ou divulgueraient des renseignements personnels : le débat s'impose.


Vrai ou faux?

Quelques mythes et réalités au sujet de l'analyse graphologique dans un contexte de sélection du personnel. 

Il n'y a aucune différence entre une analyse graphologique personnelle et une analyse graphologique effectuée dans le cadre du recrutement. 

FAUX. L'objectif n'est pas le même. En fait, les détails du contenu de l'analyse graphologique diffèrent s'ils doivent être livrés au scripteur même ou au recruteur. Ainsi, le scripteur aura accès à plus de détails sur le plan de sa personnalité tandis que le recruteur n'apprendra que ce qui est pertinent pour le profil du poste qu'il cherche à pourvoir. 

Le candidat n'a aucun droit de regard ni même d'information sur son analyse graphologique. 

FAUX. Que l'on ait retenu ou non sa candidature à la suite du processus de sélection, le candidat peut demander les résultats de son analyse graphologique au recruteur qui lui fera un compte rendu du rapport. Jusqu'ici, aucun candidat n'aurait intenté un procès à une entreprise qui aurait rejeté sa candidature à cause des conclusions de son analyse graphologique. Mais toute personne à qui cela arriverait pourrait légitimement s'opposer à un tel verdict. Par ailleurs, si le candidat désire obtenir plus de renseignements sur ses traits de personnalité, il peut demander un entretien personnel avec le graphologue. 

Le diagnostic du graphologue peut être compromis après un recrutement par la réalité de faits. 

VRAI. Malgré l'avis défavorable du graphologue, il peut très bien s'avérer que le candidat se distingue une fois en place dans ses nouvelles fonctions. L'inverse est aussi vrai. 

Le graphologue ne prend pas de décision en matière de recrutement. 

VRAI. C'est son rapport d'analyse graphologique, combiné aux résultats des tests de sélection classiques, qui est utilisé par le recruteur pour confirmer son choix d'embaucher ou non un candidat.

ceux qui sont...  Pour

Charles Dufresne est vice-président aux ressources humaines chez Empire, une entreprise québécoise de services d'entretien d'édifices. Il s'intéresse à la graphologie depuis ses premières années au collège.

Avant son arrivée, en 1991, les responsables des ressources humaines de l'endroit n'avaient jamais fait appel aux services d'un graphologue. C'est donc lui qui a amené l'idée.

Son initiative a toutefois suscité l'opposition de certains. La haute direction se demandait si l'analyse graphologique était nécessaire, le contrôleur considérait l'exercice comme un gaspillage d'argent et de temps. «Pour eux, cette méthode représentait l'inconnu, se rappelle-t-il. Elle ne leur apparaissait pas aussi claire qu'un test informatisé et ne consistait pas en une science exacte. J'ai dû maintenir que la politique d'Empire était d'utiliser tous les outils nécessaires pour connaître les traits de personnalité des candidats et leur affinité avec les postes à pourvoir.»

C'est finalement par l'exemple que M. Dufresne a réussi à convaincre ses adversaires. De fil en aiguille, les résultats d'analyse d'échantillons d'écriture de personnes déjà en place et un premier recrutement ont su impressionner favorablement ses patrons.

Depuis, en plus de se soumettre aux tests classiques d'embauche, les candidats retenus en sélection finale pour les postes administratifs (secrétaire, commis de bureau, adjoint administratif, directeur général) de chez Empire, voient leur écriture analysée.

Puissant outil de gestion

«Plus j'avance dans le domaine des ressources humaines et du recrutement, plus je considère l'analyse graphologique comme un puissant outil de gestion», témoigne Charles Dufresne qui a aussi ouvré dans les secteurs de la construction, de la câblodistribution et des pâtes et papiers. «Bien entendu, la graphologie ne fait pas le choix du bon candidat, mais elle est un moyen additionnel de le trouver en mettant en relief les divers éléments qui font qu'une personne est exceptionnelle pour telles fonctions et moins pour d'autres.»

M. Dufresne soutient également que le rapport graphologique - auquel il attribue une fiabilité de plus de 85 % - lui permet de «voir la face cachée de la lune». «Même pour un très bon recruteur, il n'est pas évident de percer la personnalité des candidats qui sont habitués à se vendre, explique-t-il. Ils peuvent cacher des choses importantes. La graphologie peut aller chercher ces points.»

Aussi, en plus d'apporter des nuances aux renseignements qu'il a recueillis pendant l'entrevue et de confirmer la sélection d'un candidat, les conclusions d'un tel rapport lui permettent d'être proactif. «Au lieu d'attendre six mois avant de connaître un nouvel employé, je peux commencer dès le premier jour à discuter avec lui, s'il y a lieu, des points de sa personnalité à améliorer pour faciliter son insertion dans l'équipe.»

«Je veux rendre un service aux personnes quand je recrute, c'est-à-dire faire un mariage réussi entre elles et le poste, souligne M. Dufresne. Je préfère leur dire qu'elles sont surqualifiées et qu'elles sont rendues trop loin dans leur pensée pour la culture de l'entreprise. Aussi, je ne tiens pas à ce qu'une personne déjà en place dans l'entreprise pense à s'en aller parce qu'elle a, avec le nouveau collaborateur, un problème au niveau du leadership par exemple.»

Les limites

Même adepte de l'analyse graphologique, Charles Dufresne convient que cette méthode de recrutement a parfois ses limites. «Il y a quelques années, nous devions embaucher un contrôleur, relate-t-il. Même si le rapport de l'analyse graphologique du candidat qui se qualifiait le mieux pour le poste était positif, que la haute direction était satisfaite des résultats de son entrevue, je m'opposais à son embauche. J'étais persuadé qu'il ne supporterait pas la pression. Malgré cela, il fut embauché. Mais au bout de six mois, il donnait sa démission justement parce qu'il n'arrivait pas a composer avec le stress.»


ceux qui sont... contre

Directeur de la rémunération et du développement organisationnel chez Métro-Richelieu, Michel Turner émet des réserves sur l'utilisation de la graphologie comme méthode de sélection du personnel. Cela même s'il convient que son expérience est après tout sommaire. Deux graphologues l'ont déjà rencontré pour lui proposer leurs services et leurs méthodes de travail étaient très dissemblables. «Il existe aujourd'hui nombre d'excellents outils de recrutement reconnus, testés empiriquement et surtout légalement, pour me fournir suffisamment renseignements pour effectuer une sélection de qualité. Entre des tests psychométriques, des entrevues, des mises en situation et une analyse graphologique pour confirmer ma décision, mon choix est clair.»

Ainsi, tant et aussi longtemps que l'analyse graphologique ne sera pas validée ou qu'il n'y aura pas des cas de jurisprudence à ce sujet, M. Turner préfère demeurer prudent. «Tant que ça n'aura pas été éprouvé, que je ne lirai pas des études empiriques québécoises, canadiennes, américaines ou que je ne parlerai pas à des collègues qui l'ont utilisée avec un succès fou pour améliorer leur processus de sélection et éviter des erreurs, j'hésiterais à l'utiliser, déclare-t-il. Sans compter le fait que les graphologues n'ont pas d'ordre professionnel : qui pourrait recevoir mes plaintes, le cas échéant ?»

Alors qu'il était vice-président aux ressources humaines chez Quebecor, au cours de la décennie 1980, Jean-Guy Duchaine a eu, à quelques reprises, recours aux services d'un graphologue. Même si, comparativement aux résultats des tests psychométriques, la qualité de ceux des analyses graphologiques l'avait satisfait, M. Duchaine n'a pas tenu à faire de cette pratique une tradition. Il énumère à cet effet trois raisons : 

«D'abord, en Amérique, les gestionnaires et les candidats ont une résistance naturelle face à ce genre de "science". Ils associent la graphologie à de l'ésotérisme», explique M. Duchaine, maintenant vice-président principal aux ressources humaines et aux communications, chez Provigo. «Il y a aussi une question de rapidité. Actuellement, on peut obtenir en quelques heures, voire quelques minutes, les résultats d'un test psychométrique. Ce qui n'est pas le cas pour l'analyse graphologique où il faut compter les jours. Enfin, aucune assise professionnelle ne permet de s'assurer que l'on ne sera pas victime de charlatanisme.»

En matière de compétence professionnelle, M. Duchaine sait de quoi il retourne. Voulant à nouveau utiliser l'analyse graphologique quelques années plus tard, il s'est retrouvé face à l'incompétence d'une graphologue. «La marge entre les résultats des méthodes traditionnelles et les siennes était si importante, se remémore-t-il, que l'on pouvait croire que non pas un mais deux candidats avaient été évalués. Après avoir discuté avec la graphologue, je me suis bien rendu compte qu'elle ne connaissait pas son métier.»

Marie-Claude Petit

Source : Effectif, volume 2, numéro 1, janvier / février / mars 199

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