Vous lisez : Compétence et rémunération dans un marché du travail en évolution

Au cours de l'histoire, le salaire d'un travailleur a changé en fonction du climat économique. Dans l'économie du Moyen-Âge basée sur le troc, les travailleurs étaient payés en grande partie en biens et services pour leur labeur, mais le «salaire» était systématiquement contrôlé afin de garder chaque classe à sa place. Dans l'économie ouverte de l'ère industrielle, les forces du marché sont devenues prédominantes et les travailleurs étaient payés en fonction de leur production; le salaire était égal à la production et les biens et services étaient assortis d'argent comptant. Après la Deuxième Guerre mondiale, le travail est devenu plus complexe. La technologie a influencé les processus de production et le travail est devenu hautement structuré. Les travailleurs étaient payés selon les fonctions de leur poste et leur niveau dans la hiérarchie de l'organisation. Les bénéfices octroyés aux employés ont été introduits dans le système de rémunération, qui était alors principalement en argent comptant. Les États-Unis sont devenus une «société d'organisations».

Au cours de la dernière décennie du XXe siècle, une autre transition importante s'est produite et elle représente un bond similaire, au niveau de la créativité et de la productivité, à celui observé lors de la Révolution industrielle. Au fur et à mesure que l'économie fondée sur le travail de l'ère postindustrielle évolue en une économie basée sur l'information, les organisations deviennent plus fluides et moins hiérarchisées, et les employés sont de plus en plus payés selon leur rendement et leur contribution. Le nouvel «Âge de l'information» est caractérisé par une économie globale axée sur la technologie et basée sur l'information, dans laquelle chaque organisation se doit de maximiser son capital intellectuel afin d'assurer des contributions spécifiques au résultat financier. 

L'économie du nouvel Âge de l'information reposera encore moins sur les deux structures primaires de l'économie postindustrielle : l'organisation et l'emploi. Plutôt, la façon dont les compétences et les connaissances sont utilisées fera la différence entre la réussite et l'échec d'une organisation. Les systèmes de rémunération basés sur les compétences représentent un outil important pour les organisations afin d'utiliser les capacités et les connaissances nécessaires à l'exécution des principales stratégies et à la réussite de l'entreprise. 

L'organisation du futur

Avec l'arrivée de l'Âge de l'information, les organisations doivent changer leurs structures. Plusieurs entreprises américaines ont déjà effectué des exercices de déstratification et de rationalisation pour se débarrasser des modèles hiérarchiques des années 1950 et 1960. Les prédictions concernant la forme future des entreprises varient : de la société virtuelle aux organisations «traditionnelles» structurées autour d'un groupe cadre de professionnels dont la rémunération est liée au rendement de l'organisation. Ce groupe cadre de professionnels sera complété par des groupes de : 

  • travailleurs contractuels externes qui sont payés en fonction des résultats; 
  • des travailleurs occasionnels qui sont payés en fonction de la durée de leur travail. 

Dans certains milieux de travail, les consommateurs qui se servent eux-mêmes compléteront le milieu de travail. 

Les employés de la société virtuelle seront embauchés et congédiés selon les besoins du marché. Si la main-d'ouvre virtuelle continue son apparition - aujourd'hui, plus du quart de la main-d'ouvre américaine est occasionnelle -, la dépendance actuelle envers les points d'évaluation du travail et les taux de rémunération du marché sera encore moins utile. De nombreux travailleurs seront tout simplement payés à un taux horaire ou à un taux forfaitaire. Dans «l'entente d'emploi» conclue avec chaque personne, il y aura cependant davantage en jeu que de l'argent. 

Au fur et à mesure que les organisations changent et conservent un groupe cadre plus petit, il sera de plus en plus nécessaire de redéfinir l'ancienne entente d'emploi, qui était de fournir un emploi à vie avec des augmentations régulières de salaire et des avantages sociaux en échange de la loyauté et du dur labeur. Bien que la «nouvelle entente» de l'emploi n'ait pas encore été articulée par de nombreuses entreprises, les employeurs qui ont défini cette nouvelle entente sont souvent prêts à échanger de la formation pour obtenir une plus grande employabilité, pour qu'un travailleur utilise une aptitude particulière et produise un résultat désiré; ce qui est un autre facteur que les travailleurs de l'Âge de l'information peuvent vouloir (c'est-à-dire que différents travailleurs peuvent vouloir différentes «ententes»). 

Bien que ce changement fondamental de la philosophie et de la pratique de la rémunération puisse être déprimant pour certaines organisations et certains employés, plusieurs autres considèrent cela comme une occasion sans précédent. Les organisations n'achèteront que les compétences nécessaires à leur survie et les personnes auront le choix de vendre leurs compétences à une ou à plusieurs organisations. Dans cette nouvelle ère de liberté et d'occasions, les systèmes des ressources humaines devront s'ajuster : non plus payer pour un travail, mais payer pour le travailleur et, dans certaines organisations, pour les compétences du travailleur. 

Émergence des compétences 

Durant l'Âge de l'information, les compétences - capacités, connaissances et comportements de travail qui sont importants tant pour le succès de l'entreprise que pour le rendement personnel du travailleur et qui améliorent la contribution à l'organisation - vont probablement devenir les nouvelles unités de mesure et de récompense. Les compétences peuvent être utilisées pour appuyer toute la plate-forme des ressources humaines, de la sélection au perfectionnement aux primes. Les travailleurs «possèdent» leurs compétences et, par conséquent, peuvent les transporter d'un projet à l'autre et, si nécessaire, d'un employeur à l'autre. Les compétences peuvent inclure les connaissances d'un sujet spécifique, comme le génie, les ressources humaines, le marketing ou un sens des affaires en général. Elles peuvent également inclure des aptitudes pour la communication et la résolution de problèmes ainsi que des comportements comme le travail en équipe, le leadership ou le service à la clientèle (Voir «Déterminer les compétences»). 

L'utilisation de systèmes de rémunération basés sur les compétences est en réponse au besoin d'encourager le travailleur à agir moins comme le titulaire d'un poste et plus comme le «propriétaire» des moyens primaires de production : lui-même. Au cours de l'Âge de l'information, le travailleur ne pensera plus nécessairement à lui-même comme à un comptable ou à un avocat, mais comme à une personne qui a des connaissances techniques spécifiques, qui peut coordonner le travail, résoudre des problèmes et fonctionner de façon efficace au sein d'une équipe. Le concept des compétences appuie une variation importante de la nouvelle entente de l'emploi : «Si vous développez les compétences dont nous avons besoin, que vous les appliquez de façon à aider l'organisation à réussir et que vous vous comportez selon les valeurs de l'organisation, l'organisation vous offrira un environnement de travail motivant, appuiera votre perfectionnement et récompensera votre contribution.» 

Construire un cadre de compétences 

La détermination des compétences des employés débute par une analyse des stratégies de l'entreprise. 

  • Qu'est-ce que l'entreprise veut faire? 
  • Qui sont ses clients et à quoi s'attendent-ils? 
  • Quels sont les principaux facteurs de réussite pour l'organisation? 

À partir de cette analyse, les capacités de l'organisation peuvent être établies. Ces capacités représentent les attributs et les facteurs collectifs rendant possible l'exécution des composantes de la stratégie de l'entreprise relatives aux finances, aux opérations et au service à la clientèle. Celles-ci incluent: 

  • biens 
  • capital 
  • personnes 
  • culture 

La clé du développement des compétences est de répondre à la question suivante : «Quelles compétences doivent avoir nos employés et quelle culture est la plus appropriée pour appuyer ou encourager l'obtention des capacités de l'organisation?» Les compétences se concentrent sur l'application, non sur le potentiel. Seules les compétences permettant l'obtention des capacités de l'organisation - celles qui sont nécessaires maintenant ou dans un proche avenir - devraient être incluses dans les modèles de ressources humaines. 

Lorsque l'organisation a déterminé les compétences requises, elle peut les utiliser pour de nombreuses applications de ressources humaines, notamment: 

  • l'évaluation des candidats à un emploi en fonction des compétences requises; 
  • l'examen du rendement en utilisant les compétences comme normes; 
  • l'établissement de plan de développement de carrière en fonction des compétences. 

Si une organisation désire récompenser les travailleurs différemment selon la démonstration de leurs compétences, elle doit définir les compétences à des niveaux multiples. Pour ce faire, elle doit avoir un modèle de compétences. L'application d'un modèle de compétences fusionne deux applications importantes de gestion des ressources humaines: l'évaluation du poste et la gestion du rendement. Trois modèles de compétences distincts sont utilisés aujourd'hui: basé sur le poste, basé sur le rôle et basé sur les contributions. Chacun de ces modèles inclut tant les compétences définies pour un domaine spécifique que les compétences de validation. Habituellement, une organisation choisit l'un de ces modèles selon la façon dont elle structure le travail. Il s'agit de la première étape du processus de développement des compétences. 

Modèle basé sur le poste 

Lorsqu'on a commencé à parler de compétences dans les années 1970, elles étaient presque uniquement utilisées dans le cadre du processus de sélection, utilisant des critères de travail spécifiques. Elles se concentraient sur les traits, les motifs et les attitudes, de même que sur les aptitudes et les connaissances. Les modèles basés sur le poste étaient appropriés, étant donné les structures hiérarchiques en place à ce moment et leur principale application; mais leur usage était limité à ce qu'on appelle les fonctions de travail critiques, parce qu'un différent modèle était nécessaire pour chaque poste. 

Au cours des années 1980, les modèles de compétences basés sur le poste ont été utilisés pour les processus d'évaluation du rendement. Les modèles basés sur le poste existent encore de nos jours, mais plusieurs organisations les trouvent restrictifs, parce qu'attribuer le travail à un poste particulier est difficile. Même si les postes existeront certainement dans certaines organisations, même ces organisations ne voudront pas que les employés soient limités à la réalisation de tâches. De plus en plus, les organisations se concentrent sur les résultats. L'expertise dans un domaine qui distingue un comptable d'un vendeur demeurera importante, mais ce sera aussi le cas pour d'autres compétences et comportements de travail. C'est pourquoi, les distinctions traditionnelles entre les postes s'estomperont. Modèle basé sur le rôle Les modèles de compétences basés sur le rôle établissent des profils de compétences pour chaque rôle dans l'organisation en fonction des compétences nécessaires à l'atteinte des capacités de l'organisation. Cette approche ressemble le plus au modèle basé sur le poste, mais elle comporte beaucoup moins de niveaux. 

Les modèles basés sur le rôle fonctionnent mieux dans une culture organisationnelle qui: 

  • maintient des procédures de travail structurées avec une certaine hiérarchie; 
  • accorde de la valeur à la définition des rôles et des responsabilités; 
  • considère le développement comme l'acquisition de nouvelles compétences associées au rôle actuel. 

Des profils cibles sont mis au point pour chaque rôle organisationnel suivant la définition des compétences. Les travailleurs sont alors évalués en fonction des profils cibles appropriés. Lors de cette évaluation, les écarts et les surplus peuvent être établis en vue de la formation et du perfectionnement de même que pour les récompenses. 

Modèle basé sur la contribution 

Pour les organisations structurées en équipes ou pour les organisations virtuelles, la contribution à la stratégie de l'entreprise est ce qui ajoute le plus de valeur. Ces organisations choisiront probablement un modèle de compétences basé sur la contribution, qui est le résultat des recherches de théoriciens de développement organisationnel bien connus. Cette approche, qui appuie tant le développement des carrières que de l'organisation, n'utilisent ni les postes ni les rôles, mais identifie plutôt les compétences à l'un des quatre niveaux de contribution. Ces niveaux sont: 

  • apprendre à contribuer; 
  • appliquer les compétences; 
  • guider les contributions; 
  • contribuer à la forme et à la direction de l'organisation. 

En vertu de ce modèle, la capacité d'un travailleur n'est pas limitée par son poste ou son rôle. Bien qu'il soit plus facile pour un travailleur dans un poste de leadership de guider les contributions des autres ou de contribuer à la forme de l'organisation, il existe des exceptions à cette règle. Les contributeurs individuels peuvent également être des mentors efficaces ou être reconnus pour guider les autres. 

Selon cette approche, chaque travailleur est évalué en fonction des compétences définies pour chaque niveau de contribution et il est récompensé pour la croissance de compétences qui lui permettent de contribuer davantage. Les organisations qui choisissent le modèle basé sur la contribution: 

  • désirent une plus grande responsabilité de chacun; 
  • considèrent le développement comme l'acquisition de nouvelles compétences permettant une contribution accrue à l'organisation; 
  • appuient des procédures de travail axées sur l'employé ou sur une équipe de travail; 
  • désirent maximiser la contribution plutôt que le rendement des tâches. 
La rémunération dans l'avenir 

Qu'importe le modèle de compétences choisi par une organisation, l'objectif est une stratégie de récompenses qui permette la réalisation de la stratégie de l'entreprise et la rémunération des travailleurs pour leurs connaissances, leurs habiletés et leur contribution. Bien que personne ne connaisse l'avenir, une chose est certaine dans le domaine de la rémunération. Il sera nécessaire de payer les travailleurs pour leurs connaissances et leurs habiletés de même que pour les résultats qu'ils produisent, qu'importe l'organisation qui les emploie et à quel degré ils «possèdent» les moyens de production. 

En plus du fait que les travailleurs deviendront plus indépendants et que les organisations dépendront davantage des compétences démontrées par les travailleurs, les futuristes prédisent que les travailleurs de l'Âge de l'information devront prendre de plus en plus de décisions et participeront davantage à la réussite ou à l'échec d'une organisation. Les organisations devront partager l'information de façon plus ouverte et enseigner aux travailleurs les principes des pertes et profits et de la gestion financière au fur et à mesure que de plus en plus d'entre eux devront prendre des décisions affectant les finances. 

Les systèmes de rémunération de demain devront reconnaître les besoins des travailleurs sur le plan du contrôle, de l'information, de l'appui et des objectifs. Si un nombre important d'employés travaillent comme contractuels externes ou travailleurs occasionnels, les systèmes de rémunération devront être basés sur les connaissances et axés sur les résultats. Si les personnes sont les «moyens de production», le système de rémunération doit reconnaître ce rôle. 

Un processus évident, et simple à administrer, pour rémunérer ces travailleurs spécialisés est de les payer un montant fixe pour un ensemble de services - une variation du concept actuel du salaire basé sur le marché - et c'est le choix que feront bon nombre d'entreprises. D'autres verront un avantage stratégique à payer pour des aptitudes, des comportements et des connaissances spécifiques et pour la capacité des travailleurs à les appliquer. Ces organisations se verront de plus en plus forcées à payer pour les compétences. 

Source : ACA Journal, automne 1995, vol. 4, no 3.

Déterminer les compétences
Les connaissances, les aptitudes et les comportements peuvent être assignés à l'une des deux catégories de base de compétences. Les compétences de validation sont essentielles pour que l'entreprise puisse réaliser sa stratégie; elles sont habituellement de nature comportementale et sont généralement pertinentes pour tous les employés. Elles peuvent inclure, par exemple, le travail d'équipe, la gestion des ressources et les interactions personnelles. Les compétences spécifiques à un domaine sont requises pour la réussite dans un secteur particulier d'expertise et concernent habituellement la démonstration de connaissances techniques ou pratiques dans une profession, une occupation, une vocation, un domaine d'études ou un secteur de production. Elles peuvent inclure, par exemple, la programmation informatique, la gestion de projet, la rédaction ou la révision. Les compétences peuvent être déterminées de nombreuses façons. Elles peuvent être basées sur les meilleures pratiques, choisies à partir de recherches ou évaluées à partir de celles qui sont disponibles sur le marché. Parce que les compétences de chaque organisation sont uniques à sa situation, les compétences sont les plus utiles lorsqu'elles sont établies à la suite d'un examen de la stratégie, de la mission et des valeurs de l'entreprise. Par exemple, les compétences requises par un assureur, qui désire offrir un meilleur service à la clientèle dans un domaine de soins hospitaliers hautement concurrentiel, peuvent être:
  • le service à la clientèle;
  • l'analyse de l'information;
  • les communications;
  • l'initiative;
  • le leadership;
  • les connaissances expertes.

Les compétences requises par une entreprise manufacturière, dont l'un des principaux aspects de la stratégie est de vouloir fabriquer de nouveaux produits, peuvent être: 

  • les aptitudes techniques;
  • l'engagement aux résultats;
  • la pensée critique et prise de décisions;
  • la faculté d'adaptation;
  • la contribution de l'équipe;
  • le sens des affaires.

Tout comme la mission et les stratégies des organisations peuvent varier, il en va de même pour les compétences requises pour réussir.

Sandra O'Neal, CCP, est chef de pratique national pour la rémunération des employés chez Towers Perrin

Source : Effectif, volume 3, numéro 2, avril  / mai 2000

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