Plusieurs employeurs réclament, de candidats à l'emploi ou de leurs employés, qu'ils se soumettent à des tests de dépistage d'alcool et de drogues. Ces pratiques existent parfois depuis un certain temps et n'ont pas nécessairement été remises en question par les personnes qui ont dû s'y soumettre.
Or, une revue de la jurisprudence démontre que les circonstances dans lesquelles de pareils tests peuvent se justifier, demeurent très limitées. Tout individu à qui l'on impose un tel «dépistage» pourra trouver dans les différentes législations ayant pour objet la protection des droits et libertés(1), des bases solides lui permettant de remettre en question la légalité de ces tests, de refuser éventuellement de s'y soumettre et parfois même, en cas de résultats positifs, de requérir l'aide de celui qui le soumet à cet exercice.
Rappelons que, de par sa nature, un test de dépistage lèse certains des plus importants droits fondamentaux d'un individu. Les prélèvements nécessaires, qu'il s'agisse d'un échantillon d'haleine, d'urine, de sang, peuvent être perçus par plusieurs comme une atteinte à leur intégrité physique, à leur dignité et à leur honneur(2). De plus, les renseignements ainsi recueillis peuvent révéler des habitudes de consommation, ce qui porte atteinte au droit à la vie privée du sujet. Ces tests, s'ils s'avèrent positifs, risquent d'entraîner un refus d'embauche, l'imposition de mesures disciplinaires ou même la perte d'un emploi. Or, ce type de mesures, visant un individu souffrant de dépendance à l'alcool ou à la drogue, constituera une violation du droit de ce dernier à être traité sans discrimination fondée sur son handicap, puisque la notion de handicap englobe de tels dépendances.
La primauté accordée à la protection des droits fondamentaux n'élimine cependant pas l'obligation de tout employeur de s'assurer que ses employés sont en mesure d'exécuter leur travail d'une manière efficace et sécuritaire.
C'est la recherche de l'équilibre entre ces divers droits et obligations qui caractérise le corpus jurisprudentiel entourant les tests de dépistage(3).
Nous tenterons, dans les quelques lignes qui suivent, de répertorier les diverses catégories de situations où des tests de dépistage d'alcool et de drogues ont été jugés à ce jour acceptables par les décideurs. Nous traiterons ensuite des conséquences pour un employé et pour son employeur de résultats positifs à ces tests.
Mais que révèlent donc ces tests ?Il est d'abord important de préciser quelles sont les informations qui peuvent être recueillies par ces tests. À ce chapitre, un alcootest donne des indications substantiellement différentes de celles que procure un test de dépistage de drogues. Le test de dépistage d'alcool permet de mesurer, par l'établissement du taux d'alcoolémie, l'affaissement des facultés du sujet alors que le test de dépistage de drogues ne fournit aucune donnée à cet égard.
Les plus récentes décisions sur la question permettent d'établir qu'un taux d'alcoolémie supérieur à 0,04mg(4) entraîne des signes identifiables d'altération des facultés.
Le test de dépistage de drogues ne permet, pour sa part, que de déterminer la présence de drogue dans l'organisme. Aucune autre information quant à la nature ponctuelle ou occasionnelle de l'usage et quant au moment précis de l'ingestion ne sera par ailleurs livrée, rendant ainsi impossible toute conclusion quant au degré d'altération des facultés du sujet.
C'est cette distinction fondamentale quant à son potentiel informatif qui explique pourquoi le test de dépistage de drogues pratiqué au hasard (random drug testing) a systématiquement été déclaré illégal par les tribunaux, alors que la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire Entrop v. Imperial Oil Ltd.(5), a récemment sanctionné la validité de tests de dépistage d'alcool au hasard (random alcohol testing) pour les titulaires de postes où la sécurité est essentielle.
Ainsi, sous réserve de cette exception, le dépistage au hasard ou aléatoire semble proscrit. Seuls les tests ciblés, c'est-à-dire ceux qui sont requis pour une cause particulière et visant spécifiquement un individu ou un groupe identifié sont autorisés.
Une notion importante, celle du poste où la sécurité est essentielleL'on retient d'emblée de la jurisprudence que pratiquement seuls les employés occupant des postes où la sécurité est essentielle pourront faire légalement l'objet de pareils tests, et ce, à certaines conditions seulement.
Bien qu'il n'existe pas de définition précise de cette notion, l'évaluation d'un poste à cette fin consiste principalement à apprécier les impacts négatifs que pourrait engendrer une erreur du titulaire de ce poste. Un poste sera ainsi à risques élevés si l'erreur d'un employé peut notamment :
- menacer la santé ou la sécurité de l'employé, d'autres employés ou du public;
- causer des dommages sérieux à l'environnement ou aux biens de l'employeur;
- attaquer la qualité du produit ou compromettre l'image de l'entreprise.
Par ailleurs, l'absence de supervision est un facteur qui rehaussera le niveau de risque que comporte un poste.
Quand et à quelles conditions peut-on imposer de pareils tests ?L'employeur devra établir l'existence d'une cause raisonnable pour être justifié de procéder au dépistage obligatoire dans un cas donné. Nous pouvons dégager de la jurisprudence quatre catégories de circonstances dans lesquelles cette «cause raisonnable» a été reconnue(6) .
1) Un soupçon raisonnable qu'un des employés exécutera les fonctions d'un poste où la sécurité est essentielle, sous l'influence de l'alcool ou de la drogue. Ce principe a été établi dès 1987 dans une affaire où un conducteur de train fut suspendu et ensuite congédié après avoir refusé de se soumettre à un test de dépistage de drogues(7). La suspension faisait suite à des accusations, portées contre ce dernier, de s'être adonné à la culture de la marijuana. Saisi du grief contestant le congédiement, l'arbitre Picher a confirmé le congédiement au motif qu'un employeur qui est un transporteur public peut exiger de l'un de ses employés occupant un emploi où la sécurité est essentielle de subir un tel test de dépistage lorsqu'il a, comme c'était le cas dans cette affaire, des motifs raisonnables de soupçonner que cet employé exécutera des fonctions à haut risque sous l'influence de l'alcool ou de la drogue.
Les soupçons permettant d'exiger un pareil test et de congédier finalement un employé qui refuserait de s'y soumettre doivent être objectivement sérieux. Il fut ainsi décidé que la simple odeur de marijuana sans autre preuve corroborative, tels des signes extérieurs d'affaiblissement évident des facultés, ne constituait pas un soupçon raisonnable(8). Il fut de même décidé que des problèmes d'absentéisme ou de retards fréquents, bien que parfois symptomatiques de l'abus d'alcool ou de drogues, résultent aussi souvent de plusieurs autres causes et ne peuvent donc, en conséquence, fonder à eux seuls un doute raisonnable permettant de justifier l'imposition d'un test de dépistage(9).
2) En cas d'accident ou d'incident
De pareils tests seront aussi permis dans le cadre d'une enquête faisant suite à un accident ou à un incident dans la mesure où la conduite de l'individu testé est objectivement en relation avec les causes de l'accident(10).
3) Pour se qualifier et conserver un poste à haut risque
Des tests de dépistage pourront aussi être requis dans le cadre d'un examen médical mandatoire pour accéder à un poste où la sécurité est essentielle(11).
4) Dans le cadre d'une réintégration suite à une absence reliée à un problème d'alcool ou de drogues.
Il est admis, dans les cas de postes où la sécurité est essentielle, que des tests obligatoires de dépistage de drogues à l'improviste devraient faire partie des mesures de contrôle post-réadaptation prévues dans le cadre du programme de suivi.
Les ententes de dernière chance conclues entre employeur, employé et syndicat, avant ou après l'imposition d'un congédiement pour une cause liée à l'alcool ou à la drogue, prévoient souvent comme condition du maintien de l'emploi que l'employé accepte de se soumettre à des tests de dépistage à l'improviste pour une période déterminée. De la même manière, les arbitres assortissent souvent la réintégration des salariés dont ils cassent le congédiement pour des manquements associés à l'alcool ou à la drogue, à diverses conditions incluant la soumission à de tels tests de dépistage pour une période n'excédant généralement pas deux à trois ans.
Quelles sont les conséquences d'un test positif pour un employé et pour son employeur ?Comme nous l'avons vu, un refus de subir un test peut, dans certaines circonstances, entraîner le retrait d'un employé de son poste et, en dernier lieu, son congédiement(12).
Si l'employé accepte de subir le test et que celui-ci s'avère positif, l'approche à emprunter et les mesures que l'employeur pourra prendre ne seront pas les mêmes suivant que l'employé aura ou non un problème d'abus ou de dépendance à l'égard de l'alcool ou de la drogue.
Il reviendra à l'employeur d'aborder directement la question d'un possible problème de toxicomanie à la suite d'un test positif. En effet, si un tel problème existe, l'employeur aura finalement à y faire face et il est tout à son avantage d'être mis au fait le plus tôt possible.
En l'absence de problèmes de dépendance, l'employeur devrait alors pouvoir traiter le dossier sur un plan strictement disciplinaire en respectant les critères habituels en ces matières.
Dès qu'on conclura ou que l'on percevra(13) par ailleurs que l'employé a un problème d'abus ou de dépendance, l'employeur devra fournir certaines mesures d'accommodement.
En effet, un tel problème d'abus ou de dépendance est aujourd'hui considéré comme un handicap, une déficience, au sens des différentes chartes des droits et libertés applicables. Un test de dépistage positif pourra, en conséquence, entraîner une violation du droit à l'égalité sans discrimination fondée sur le handicap (ou la déficience) s'il a pour effet d'écarter cet individu de son occupation en raison de sa déficience, de son handicap.
Ainsi l'employeur aura l'obligation de fournir des mesures d'accommodement tant que cela n'entraîne pas pour lui de contrainte excessive(14). Ce sera à l'employeur de rechercher des accommodements convenables et de les proposer à l'employé. Le syndicat devra collaborer à cette démarche. L'employé aura une obligation correspondante d'accepter un compromis raisonnable et d'en faciliter la mise en œuvre.
De façon générale, en offrant un programme adéquat de réadaptation, l'employeur devrait satisfaire à son obligation d'accommodement. Si l'employé ayant bénéficié d'un ou de plusieurs traitements, selon le cas, ne peut se réadapter, on pourra alors raisonnablement prétendre que de requérir plus d'un employeur constitue une contrainte excessive.
ConclusionL'on peut donc retenir à la lumière de ce qui précède que bien que l'information fournie par les tests de dépistage d'alcool et de drogues puisse être utile, il semble évident que ceux-ci ne se justifient aujourd'hui que dans bien peu de situations. Cela ne signifie pas pour autant que les employeurs soient, à l'extérieur de ces situations particulières, incapables d'agir. En effet, plusieurs méthodes de remplacement, tels une supervision accrue, des tests de performance ou encore des programmes d'aide aux employés, pourront aussi permettre de dépister un problème relié à la consommation d'alcool ou de drogues et d'enclencher la recherche d'une solution afin d'éviter que des erreurs aux conséquences parfois importantes ne soient commises.
Il ressort aussi de ce qui précède qu'une fois un tel problème identifié, il ne pourra être ignoré ou rapidement traité par un processus disciplinaire standardisé. De par sa complexité, un problème de consommation de drogues ou d'alcool au travail nécessitera plutôt de la part de l'employeur une attention sérieuse et des solutions taillées sur mesure pouvant aller, en cas de dépendance, jusqu'aux mesures d'accommodement.
François Côté
1 - Voir Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c-12, art. 10, 16, 18.1, 20 et Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6, art. 3, 7, 10, 15, 25.
2 - Supra, note 1.
3 - À ce chapitre, nous vous envoyons au texte de Me Anouk Violette, Les tests de dépistage d'alcool et de drogues en milieu de travail : une question d'équilibre, (2000) 60 R. du B., p. 81 à 128, pour un exposé complet sur ces questions, texte dont l'auteur s'est largement inspiré pour la rédaction de cet article.
4 - Canadian National Railway Co. c. C.A.W.- Canada et autres Re : The Company's Drug and Alcohol Policy, 18 juillet 2000, non rapportée, pp. 139-140, 152; Entrop c. Imperial Oil Ltd (2000), 50 O R (2d) 18.
5 - Supra, note 4.
6 - Les tests de dépistage pré-embauche sans égard au poste convoité, donc pour tous, ont été annulés dans Canada c. Banque Toronto-Dominion [1998] 4 C.F. 205 et Entrop. précité à la note 5.
7 - Re : Canadian Pacific Limited and United Transportation Union (1987), 31 L.A.C. (3d) 179.
8 - Re National Gypsum Canada Ltée et I.U.O.E., Locs. 721 & 721B (1997), 67 L.A.C. (4th) 360 (MacKeigan) (Nova Scotia).
9 - Esso Petroleum, McAlpine, arbitre, 24 mai 1994, non rapportée, conf. par B.C.L.R.B. no 257-96, 2 août 1996, p. 66.
10 - Esso Petroleum, précité, note 9, pp. 63-65. Voir également : Canadian National Railway Co. c. C.A.W.- Canada et autres. Re : The Company's Drug and Alcohol Policy, 18 juillet 2000, non rapportée.
11 - Supra, note 5.
12 - Voir note 7.
13 - Voir l'affaire Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665 où la Cour suprême précise que le motif de discrimination fondé sur le « handicap » ne doit pas être limité à l'existence d'une condition biomédicale tout court, l'emphase devant plutôt être mise sur la dignité humaine de tel sorte qu'une simple perception de handicap peut être considérée comme un handicap en soi.
14 - Voir l'affaire Colombie-Britannique c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 où l'on met fin à la distinction qui existait entre la discrimination directe et indirecte et rappelle les obligations d'un employeur en matière d'accommodement.
Source : Effectif, volume 4, numéro 3, juin / juillet / août 2001