Il y a quelques années, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a entrepris un virage significatif du système de cotisation des petits et moyens employeurs. Cette initiative, basée sur le volontariat, connaît un succès inespéré et annonce une nouvelle ère en matière de santé et de sécurité du travail au Québec.
L'origine
Depuis la première réforme de la tarification de la CSST en 1990, les employeurs sont divisés en trois catégories :
- les très gros employeurs (environ 500 au Québec en 1995) assujettis au régime rétrospectif, régime basé sur des principes d'auto-assurance;
- les employeurs «moyens» (environ 11 000 au Québec en 1995) assujettis au régime du taux personnalisé. Ce régime est basé sur le taux de l'unité de classification de l'employeur (moyenne de tous les employeurs exerçant la même activité) ajusté en fonction de la performance de l'employeur en santé et sécurité du travail; plus la masse salariale de l'employeur est substantielle, plus l'ajustement est important dans le calcul du taux de cotisation de l'employeur;
- les «petits» employeurs (environ 131 000 au Québec en 1995) assujettis au taux de leur unité de classification. Il s'agit d'un taux fixe déterminé à partir de la performance moyenne de tous les employeurs exerçant la même activité.
Ainsi, la très grande majorité des employeurs avaient un taux de cotisation fixe. Quelle que soit leur performance en santé et sécurité du travail, leur taux de cotisation demeurait le même. On comprend rapidement qu'un tel système n'encourage pas beaucoup la bonne perfomance.
C'est dans ce contexte qu'on a procédé à la deuxième phase de la réforme de la tarification qui allait amener, entre autres, les mutuelles de prévention. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles a donc été modifiée de façon à permettre à la CSST de conclure avec un groupe d'employeurs une entente touchant notamment les conditions d'assujettissement au régime du taux personnalisé, ces ententes étant régies par règlement. Les premières mutuelles de prévention ont donc vu le jour en 1998.
Qu'est-ce qu'une mutuelle de prévention ?La CSST en donne la définition suivante : «Une mutuelle de prévention est un regroupement d'employeurs qui choisissent de s'engager dans une démarche afin de favoriser la prévention des lésions professionnelles, la réadaptation et le retour en emploi des travailleurs accidentés en vue de bénéficier d'une tarification qui reflète leurs efforts. En effet, en constituant une mutuelle, les employeurs seront collectivement assurés selon le régime au taux personnalisé qui tient compte de leur performance en matière de santé et sécurité au travail.»
Le principe est fort simple : afin de déterminer la cotisation de chacun des employeurs membres de la mutuelle, la CSST tient compte de la masse salariale totale de tous les membres de la mutuelle et de l'ensemble des coûts reliés à toutes les lésions professionnelles survenues chez les membres de la mutuelle. La CSST substitue donc la performance globale de la mutuelle à celle spécifique de l'employeur.
Chacun des membres accède par conséquent au régime du taux personnalisé ou augmente son degré de personnalisation (plus la masse salariale globale est grande, plus le degré de personnalisation l'est aussi) et voit son taux de cotisation refléter davantage la performance en santé et sécurité du travail. On voit tout de suite comment un tel système encourage les employeurs à mieux performer, surtout par la prévention des lésions professionnelles. Les effets sur la cotisation en sont souvent spectaculaires.
Toutefois, lors du calcul du taux pour une année donnée, on se sert de l'expérience de l'employeur pendant les quatre ans avant l'année qui précède l'année de cotisation; c'est pourquoi l'effet de l'adhésion à une mutuelle est graduelle et peut être longue à se faire sentir.
Prenons l'exemple de l'employeur qui adhère à une mutuelle le 1er janvier 2001 (voir tableau 1).
Ainsi, notre employeur commencerait à voir un petit effet sur sa cotisation en 2003 tandis que le plein effet serait atteint en 2006.
L'ententeD'abord, mentionnons que seuls sont admissibles les employeurs qui ne sont pas assujettis au régime rétrospectif. De plus, pour être admissible, l'employeur doit être en règle avec la CSST pendant toute la durée de son adhésion. Pour être en règle, il suffit d'avoir payé à temps ses avis de cotisation et d'avoir respecté, le cas échéant, les avis d'infractions. Notons que la CSST est très stricte sur ce point et qu'elle n'hésite pas à refuser à l'employeur l'adhésion à une mutuelle pour ce motif.
Mentionnons également que le contrat utilisé par la CSST est un contrat «type» prévu par règlement. Ce contrat intervient entre la CSST d'une part et le groupe d'employeurs formant la mutuelle d'autre part.
Par ailleurs, la CSST exige de l'employeur membre d'une mutuelle qu'il s'engage à favoriser la prévention des lésions professionnelles ainsi que la réadaptation et le retour en emploi des travailleurs accidentés.
L'employeur qui ne respecte pas certaines exigences minimales en ces matières peut se voir expulser de la mutuelle par la CSST. En ce qui concerne la prévention, l'employeur doit élaborer un programme de prévention conforme, l'afficher, l'appliquer et le tenir à jour. Il doit également afficher l'avis indiquant qu'il est membre d'une mutuelle.
Sur le plan de la réadaptation et du retour en emploi, le document de présentation de la mutuelle fourni à la CSST devra convaincre cette dernière de l'importance qu'on accorde à ces questions.
De plus, lors du renouvellement de l'entente, la mutuelle doit produire un bilan décrivant les moyens pris et les résultats obtenus en prévention et en réadaptation.
Ajoutons que les membres désignent une personne qui agit comme intermédiaire entre eux et la CSST pour toute communication concernant la mutuelle.
Soulignons enfin que la CSST a fixé un échéancier strict et qu'elle le fait respecter. La date la plus importante à retenir est celle du 30 septembre, date limite qu'a la personne désignée pour présenter le projet initial ou, dans le cas de renouvellement, pour présenter le bilan et formuler la demande de renouvellement.
Le bilanLes premiers employeurs à adhérer à une mutuelle l'ont fait en 1998; toutefois, chaque employeur pouvait, exceptionnellement, demander à la CSST qu'on reconnaisse l'année 1997 comme s'il avait participé à ce moment, ce que la grande majorité des participants a fait.
Dès le début, la réponse des employeurs a largement dépassé les attentes de la CSST. En 1997-1998, 5 433 employeurs participants étaient répartis dans 107 mutuelles. Trois ans plus tard, en 2001, 14 686 employeurs participants sont répartis dans 164 mutuelles.
Le nombre d'employeurs par mutuelle varie énormément. Voici la répartition de ceux-ci en 2000 (voir tableau 2).
Les firmes de consultants ne sont certainement pas étrangères à la popularité du phénomène. Plusieurs de ces firmes ont mis sur pied une ou plusieurs mutuelles formées de leurs clients employeurs. Une fois la mutuelle formée, la firme peut avoir pour mandat, par exemple, de gérer les dossiers de lésions professionnelles, d'agir comme personne désignée, de préparer le programme de prévention, etc. On doit ajouter que ces firmes offrent souvent toute une gamme de produits et que leur mode de rémunération varie aussi beaucoup, allant du tarif horaire au pourcentage sur les économies réalisés.
L'importance de ces firmes sur le marché est indéniable, surtout quand on sait que trois d'entre elles gèrent à elles seules 46 mutuelles et que l'une de ces firmes compte dans ses mutuelles près de la moitié de tous les employeurs participants.
La popularité des mutuelles de prévention auprès des employeurs ne s'explique pas que par l'enthousiasme des firmes de consultants. Les effets de l'adhésion aux mutuelles sur la prévention des lésions et sur la cotisation sont en effet pour le moins convaincants.
En ce qui concerne la prévention, en plus de l'élaboration d'un programme de prévention obligatoire pour chacun des membres, mentionnons, à titre d'exemple, que la mutuelle la plus importante, sur le plan de la masse salariale, a connu entre 1997 et 2000 une baisse de 29 % du nombre de lésions professionnelles. Pour la même période, les membres de cette mutuelle ont connu une réduction moyenne de leur cotisation de 30 %.
Pour l'ensemble des employeurs membres de l'une ou de l'autre des mutuelles de prévention, l'économie moyenne, entre 1997 et 2000, est de 25 %. L'économie moyenne de certaines mutuelles s'élève même à 44 %.
Voyons un exemple bien concret, tiré d'un cas réel. Le tableau 3 illustre la comparaison des économies engendrées sur le taux de cotisation annuelle pour un employeur ayant une masse salariale d'environ 300 000 $.
Un couteau à double tranchantMalgré tous ces résultats spectaculaires, il ne faut tout de même pas se lancer dans l'aventure à la légère. S'il est vrai qu'on peut réduire considérablement son taux de cotisation en l'influençant sensiblement (degré de personnalisation) par sa performance en santé et sécurité du travail, il est également vrai qu'on peut aussi le faire augmenter par une performance médiocre. Pour les employeurs de quelques mutuelles, le réveil a été brutal. Certaines mutuelles ont d'ailleurs été dissoutes par leurs membres…
Avant de joindre les rangs d'une mutuelle, quelques précautions s'avèrent fondamentales :
- s'assurer que tous les membres de la mutuelle aient démontré qu'ils sont en mesure de bien performer en santé et sécurité du travail (on peut mesurer la performance en comparant l'indice d'expérience de l'employeur et celle de son unité);
- s'assurer, par un mécanisme quelconque ou par l'entremise d'un gestionnaire externe, que tous les autres membres respectent leurs engagements;
- aller au-delà des exigences minimales de la CSST en prévention et s'assurer de l'efficacité des démarches entreprises (enquêtes et analyses d'accident, formation, inspections, comité de santé et sécurité, etc.);
- assurer un suivi serré des dossiers de lésions professionnelles, notamment en instaurant une politique d'affectation temporaire systématique.
Nous devons tous, travailleurs et employeurs, saluer cette heureuse initiative de la CSST. Enfin, on fournit aux employeurs un réel incitatif financier (et volontaire) à prendre la prévention au sérieux. Les résultats et l'enthousiasme général le démontrent. On doit désormais considérer les mutuelles de prévention comme un phénomène incontournable et souhaitable. Nul expert en santé et sécurité du travail ne saurait aujourd'hui l'ignorer.
Tableau 1 | ||
Taux personnalisé de l'employeur en | Années prises en considération dans le calcul | Expérience prise en considération |
2003 | 1998-1999 2000-2001 | 1998-1999-2000 expérience de l'employeur 2001 expérience de la mutuelle |
2004 | 1999-2000 2001-2002 | 1999-2000 expérience de l'employeur 2001-2002 expérience de la mutuelle |
2005 | 2000-2001 2002-2003 | 2000 expérience de l'employeur 2001-2002-2003 expérience de la mutuelle |
2006 | 2001-2002 2003-2004 | Expérience de la mutuelle pour chacune des années |
Tableau 2 | ||
Nombre d'employeurs par mutuelle | Nombre de mutuelles | Proportion des mutuelles |
Moins de 10 10 à 19 20 à 49 50 à 99 100 à 199 200 à 499 500 et + | 45 30 28 24 10 13 3 | 29 % 20 % 18 % 16 % 7 % 8 % 2 % |
Total | 153 | 100 % |
Tableau 3 | |||||
1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | |
Employeur non membre d'une mutuelle | 6,96 $ | 7,75 $ | 7,41 $ | 6,97 $ | 5,69 $ |
Employeur membre de sa mutuelle depuis 1997 | 6,96 $ | 7,75 $ | 7,16 $ | 3,21 $ | 2,95 $ |
Réduction | 0,25 $ | 3,76 $ | 2,74 $ | ||
Économie annuelle (masse salariale 300 000 $) | 750,00 $ | 11 280,00 $ | 8 220,00 $ |
Sylvain Pelletier, avocat, en collaboration avec Valery Sandra Paré, CRIA, conseillère en santé et sécurité au travail, Groupe AST inc.
Source : Effectif, volume 4, numéro 2, avril / mai 2001