Vous lisez : Garderies en milieu de travail : nécessité ou privilège ?

Au Québec, dans le secteur privé, la première garderie en milieu de travail a vu le jour en 1980. Pourtant, 21 ans plus tard, les statistiques sont décevantes.

Selon Développement des ressources humaines Canada (DRHC), on retrouve actuellement environ 180 garderies en milieu de travail (désormais appelées Centres de la petite enfance depuis la réforme provinciale de 1997), ce qui ne représente qu'une infime partie des services de garde pour enfants disponibles dans la province, soit moins de 10 %. Par contre, depuis quelques années, les employeurs réalisent à quel point leurs employés doivent concilier responsabilités familiales et professionnelles. Et bonne nouvelle, le nombre d'installations en milieu de travail a plus que doublé dans les années 90 et cela ne semble être qu'un début.

Autre bonne nouvelle. Ces 180 garderies représentent plus de la moitié des services de garde en milieu de travail offerts au Canada, au nombre de 338. Les subventions accordées par le gouvernement dans le cadre de la politique des places à 5 $ par jour y sont certes pour beaucoup. Les entreprises qui se sont dotées d'un service de garde au cours des dernières années sont donc de plus en plus nombreuses. Des exemples? Le Casino de Montréal, qui offre un service de garde 24 heures par jour, les compagnies pharmaceutiques Pfizer et Merck Frosst, Bombardier, Clearnet, l'hôpital Sainte-Justine, pour ne nommer que ceux-là.

«Plusieurs employeurs ont compris qu'offrir à ses employés un tel service leur permet de recruter et de conserver plus facilement leur personnel», explique Marie Giard, conseillère senior, développement organisationnel chez Drakkar Services Conseils. Dans plusieurs secteurs de l'économie, dont ceux de l'informatique, de la haute technologie, de l'industrie pharmaceutique et des finances, les employés sont constamment sollicités pas d'autres compagnies ou par des chasseurs de tête. À défaut de pouvoir concurrencer le salaire d'une autre entreprise, l'employeur offre plus de services et d'avantages à ses employés. «Car les gens regardent de plus en plus les incitatifs autres que le salaire pour choisir une entreprise, ajoute Marie Giard. Ce qui sans aucun doute attire des candidatures, particulièrement des femmes, reconnues pour s'occuper du dossier garderie dans le couple !»

Un service de garde sur le lieu de travail diminue aussi les retards et l'absentéisme des employés et peut contribuer à réduire le stress et les problèmes de santé qui en découlent. Cela peut même augmenter la motivation et le moral des troupes.

Mais surtout, les entreprises qui offrent un tel service bénéficient d'un avantage très important, quoique moins évident de prime abord : elles renforcent leur image de marque auprès de leurs fournisseurs, clients, partenaires commerciaux, employés et auprès de la collectivité.

La Banque nationale du Canada a compris tous ces avantages depuis fort longtemps. C'est elle, dans le secteur privé, qui a été la première à implanter un service de garde en milieu de travail, au Québec, en 1980. Le Centre de la petite enfance (CPE) La voûte enchantée compte maintenant pas moins de cent soixante-quinze enfants ! «Le CPE comprend en fait trois installations, situées sur trois étages, explique France Laramée, directrice générale du CPE La voûte enchantée et consultante pour l'implantation de services de garde en milieu de travail. Et nous employons quelque quarante-cinq personnes.»

Le Centre de la petite enfance Studio 0-5, de la Société Radio-Canada, a quant à lui vu le jour tout récemment, en août 1998. «Sur papier, c'était le dixième projet de service de garde, explique Line Maisonneuve, présidente sortante du conseil d'administration du CPE Studio 0-5. Pour différentes raisons, dont un manque d'espace et de financement, tous les projets échouaient. Le dixième fut le bon !» Le CPE Studio 0-5 était un réel besoin pour les employés de la société d'État qui compte trois mille employés. La preuve ? «Le jour des premières inscriptions, il y a trois ans, des employés ont dormi sur place pour être certains d'obtenir une des quarante places offertes, dit Line Maisonneuve. Depuis, bon an mal an, deux cents noms se retrouvent sur la liste d'attente.»

Quarante places disponibles représente d'ailleurs une bonne moyenne pour un service de garde en milieu de travail au Québec. Selon un rapport du ministère de la Famille et de l'Enfance, intitulé Situation des centres de la petite enfance et des garderies au Québec en l'an 2000, 20 % des installations reçoivent entre 30 et 44 enfants, 28 % offrent entre 45 et 59 places et 26 % reçoivent 60 enfants.

Des employés heureux

Les avantages que retirent les employés sont aussi multiples. On n'a qu'à penser que les trajets allers et retours à la garderie se simplifient énormément ! «Lorsque l'on parle enfants, les éléments affectifs deviennent très importants, explique Marie Giard. Ainsi, le parent se sent proche de l'enfant et, en cas d'urgence, il est en mesure de réagir rapidement. De plus, le parent connaît tous les autres parents de la garderie et peut tout de suite faire connaître à l'employeur ses insatisfactions face au service de garde.»

De même, certaines garderies permettent aux parents de venir voir leurs enfants pendant les pauses, ce qui facilite la tâche des mères qui allaitent. Aussi, la plupart des employeurs adaptent les heures d'ouverture du service de garde aux horaires de l'entreprise. À Radio-Canada, plusieurs employés terminent leur journée de travail vers 19 heures, après le bulletin de nouvelles de 18 heures. Or, le CPE ouvre ses portes du lundi au vendredi, de 7 heures à 19 h 30. «On parle d'ouvrir le soir et les week-ends, entre autres pour les employés de RDI, mais rien n'est encore fait», précise Line Maisonneuve.

En période de R.E.E.R., le service de garde de la Banque Nationale, qui est habituellement ouvert de 7 heures à 18 heures, prolonge ses heures d'ouverture pour venir en aide aux parents qui travaillent tard le soir. «De même, une fois par mois, la garderie est ouverte jusqu'à minuit, pour permettre aux parents qui le désirent de s'offrir une petite soirée en tête-à-tête», dit France Laramée.

Comme beaucoup de grandes entreprises ont pignon sur rue dans la région de Montréal, c'est là que se concentre la majeure partie des services de garde en milieu de travail au Québec. Selon le rapport du ministère de la Famille et de l'Enfance, près de la moitié des installations en milieu de travail se trouvent dans la région de Montréal, soit 42 %. Une grande partie des autres installations est située dans la région de Québec (17 %). Les organismes publics ou parapublics (centres hospitaliers, cégeps, universités, ministères, etc.) comptent pour beaucoup dans l'implantation d'un tel service : plus de 72 % des services de garde en milieu de travail sont offerts dans ces organismes. Par contre, si 66 % des installations sont situées sur les lieux de travail, 34 % d'entre elles sont installées à proximité. «Pour des raisons d'espace disponible, tous les services de garde en milieu de travail ne sont pas logés à l'intérieur même de l'entreprise, explique France Laramée. Plusieurs sont situés à quelques coins de rue.»

Que des avantages ?

Comme toute bonne chose de la vie, il y a un autre côté de la médaille. Pour ouvrir un service de garde en milieu de travail, il faut avant tout une forte volonté de la part de l'employeur. Sans soutien de l'employeur, qu'il soit administratif, financier ou technique, il est très difficile, voire presque impossible de voir naître un projet d'une telle envergure. C'est ce qui explique que Radio-Canada ait déposé tant de projets avant que l'un d'entre eux ne se réalise finalement. «Pour tous les projets échoués, il n'y avait pas vraiment de volonté de la haute direction, dit Line Maisonneuve. Maintenant, nous avons son appui total. Entre autres, elle nous prête les locaux gratuitement pendant cinq ans. Il faut dire que, lorsque la grande patronne a elle-même cinq enfants, ça aide à accélérer les choses !» Même constat de la Banque Nationale. «Nous sommes appuyés à 100 % par la Banque qui nous branche à un service Internet, qui nous loue les locaux à un moindre prix, qui nous offre gratuitement le téléphone et les photocopies, etc.», poursuit France Laramée. Ce qui, il va sans dire, implique des coûts importants pour l'employeur.

Quant aux employés qui n'y voient que des avantages, attention ! Si les deux conjoints ne travaillent pas dans la même boîte, le même parent (souvent la mère) doit toujours reconduire et chercher l'enfant à la garderie. Si, un bon matin, le parent est malade, il doit tout de même se taper les ponts ou le trafic pour se rendre à la garderie. «Un autre désavantage minime, explique France Laramée, c'est que, lorsque l'enfant entre à la maternelle, il connaît moins bien les enfants de son quartier, contrairement à celui qui a fréquenté la garderie du coin pendant quatre ou cinq ans.»

Malgré tout cela, reste que le jeu en vaut la chandelle et que le Québec souhaite voir augmenter le nombre de garderies en milieu de travail au cours de la prochaine décennie. «D'ailleurs, jamais n'a-t-on reçu de la part des entreprises autant de demandes d'informations sur la création d'un service de garde à l'intérieur de leurs murs, explique France Laramée. On travaille très fort, de concert avec le Conseil du patronat, à instaurer et à promouvoir les services de garde en milieu de travail», ajoute-t-elle.

Même son de cloche du côté du bureau de la ministre de la Famille et de l'Enfance, madame Linda Goupil. «Le gouvernement veut mettre l'emphase sur la conciliation travail / famille, explique Patrick Gilbert, attaché de presse de la ministre. On veut instaurer davantage de services de garde en milieu de travail avec une implication de l'employeur. C'est une priorité du gouvernement, même si le Québec est la province canadienne où l'on retrouve le plus haut taux d'installations en milieu de travail», ajoute-t-il.

Le boom des garderies en milieu de travail ne se fait pas sentir qu'au Québec. Aux États-Unis, l'entreprise Children's Choice Learning Centers (qui a depuis peu un bureau à Toronto) implante des garderies dans les entreprises où les heures de travail sont non traditionnelles, tels les casinos, les hôpitaux, etc. D'ailleurs, chez nos voisins du sud, la loi de plusieurs États oblige les entreprises à offrir une garderie en milieu de travail à leurs employés. Verrons-nous un jour une telle législation au Québec ?

Croissance des services de garde en milieu de travail

1980 : Établissement de la première garderie en milieu de travail au Québec.

2001 : Il y a 338 services de garde en milieu de travail au Canada dont plus de 50 % sont au Québec.

Ces 180 garderies en milieu de travail représentent moins de 10 % des services de garde disponibles dans la province.

42 % des installations en milieu de travail sont situées dans la région de Montréal et 17 % à Québec.

72 % des services de garde sont offerts par les entreprises publiques et parapubliques.

Caroline Gay est journaliste indépendante. Elle est recherchiste pour la télévision et écrit dans différents magazines.

Source : Effectif, volume 4, numéro 4, septembre / octobre 2001

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