De plus en plus, les intervenants impliqués dans la gestion des ressources humaines et des relations du travail ont à intervenir à la suite d’incidents liés à la violence au travail. L'employeur, ayant l'obligation légale en vertu des dispositions du Code civil du Québec d'assurer le bien-être et la sécurité de ses employés, doit intervenir afin de faire cesser tout comportement susceptible de causer un préjudice à ses employés.
Cette violence en milieu de travail peut prendre plusieurs formes; il peut s'agir de violence physique (coups), de violence verbale (injures) ou encore de violence psychologique (menaces, filature, se présenter au domicile d’un collègue sans invitation). Ces comportements peuvent être dirigés contre des supérieurs, des collègues ou des tiers.
Une revue de la jurisprudence arbitrale nous permet de dégager un certain nombre d'éléments susceptibles d'être invoqués comme moyens de défense ou circonstances atténuantes afin d'annuler ou de réduire une sanction disciplinaire :
- la provocation;
- la maladie ou l'intoxication due à des médicaments ou à des matières tels alcool et drogues;
- une perte subite de contrôle;
- une culture organisationnelle où les gestes de violence sont banalisés.
De plus, certains critères sont retenus par les tribunaux dans l'évaluation de la sévérité de la sanction imposée :
- le respect de la progression des sanctions;
- l'existence d'une clause de convention collective prévoyant un congédiement automatique dès qu'un acte de violence est posé ou la mise en application d’une politique de tolérance zéro au sein de l'entreprise;
- l'ancienneté;
- la gravité des gestes posés et les conséquences pour la victime;
- l'identité de la victime;
- la préméditation du geste;
- le comportement postérieur du salarié tels des remords, regrets, excuses;
- les conséquences économiques de la mesure imposée pour le salarié;
- les chances de réhabilitation ou de récidive du salarié;
- l'aspect discriminatoire dans l'imposition de la sanction;
- l'exemplarité de la sanction.
La jurisprudence reconnaît de façon unanime que la violence, quelle qu'en soit la forme, n'a pas sa place en milieu de travail et qu'elle doit être sanctionnée sévèrement. À cet égard, on évaluera la sanction selon les circonstances de chaque cas. En général, les gestes de violence posés à l'égard d'un supérieur entraîneront le congédiement immédiat du fautif. Cela se justifie parce que, outre la violence, il y a un comportement d’insubordination. Aussi, le fait d’annuler le congédiement porte atteinte à la crédibilité de l’employeur et mine son autorité auprès des autres salariés. C'est pourquoi, sauf une preuve de provocation et de mauvaise foi évidente de la part du supérieur, le congédiement sera maintenu.
Par ailleurs, lorsque les incidents de violence impliquent deux salariés, les tribunaux vont analyser chacune des sanctions imposées. Lorsque celles-ci diffèrent, l’employeur devra le justifier en invoquant, par exemple, le geste de provocation du salarié à l’origine de l’altercation, ce qui justifiera évidemment une sanction plus sévère. D’autre part, dans l'éventualité où les deux salariés auraient contribué à l'altercation sans qu'on puisse identifier de provocation de la part de l'un ou de l'autre, les sanctions devront être similaires à défaut de quoi elles pourraient être révisées par un tribunal d'arbitrage. Finalement, l’employeur devra s’assurer, avant d’imposer une sanction, qu’il s’agit bel et bien d’une altercation entre deux salariés et non pas d’un cas de taquinerie entre collègues de travail. Dans ces situations, la culture organisationnelle sera prise en considération par l’arbitre et des comportements turbulents normalement tolérés par l’employeur ne pourraient être sanctionnés au motif qu’il s’agit d’actes de violence.
Une décision récente a particulièrement retenu notre attention. Il s'agit de l'affaire K.N. Distributions et Syndicat national de l'automobile (TCA) [D.T.E. 2001 T-533 (Requête en révision judiciaire actuellement pendante devant la Cour supérieure)], décision rendue par l'arbitre Me André Bergeron le 20 mars 2001. Il s’agit d’un grief contestant le congédiement d’un employé qui a frappé son supérieur. La convention collective prévoyait spécifiquement que se battre sur les lieux du travail constitue un motif valable de congédiement. S'appuyant sur cette disposition, l'employeur décida donc de mettre fin à l'emploi du plaignant sans autre avis. Il est à noter que les deux personnes impliquées dans l'altercation, à savoir le plaignant et son supérieur, travaillaient ensemble depuis plus de 21 ans et que le plaignant était le président du syndicat local. L'arbitre, ayant retenu la version de l'employeur quant aux faits reprochés au plaignant, devait se prononcer sur la validité de la sanction compte tenu de la disposition de la convention collective.
L'employeur a soumis à l'arbitre que le geste posé par le plaignant était assujetti à une sanction prédéterminée de la convention collective, l'arbitre n'ayant aucune juridiction pour modifier cette sanction. Le syndicat quant à lui prétendait que l’arbitre pouvait exercer une certaine juridiction pour évaluer la sévérité de la sanction.
Pour l’arbitre, le syndicat et l’employeur ont négocié une clause qui lui enlevait toute latitude pour revoir la sévérité d’une sanction imposée en cas de bagarre sur les lieux du travail. En s’appuyant, entre autres, sur les dispositions de l’article 100.12 f) du Code du travail du Québec, l’arbitre a rejeté les arguments du syndicat quant aux circonstances atténuantes pouvant permettre une réduction de sanction et rejeta le grief.
Dans l'affaire Volailles Marvid Canada Inc. et Syndicat des travailleuses et travailleurs de Marvid CSN (D.T.E. 2000 T-466), décision rendue le 1er mars 2000 par l'arbitre Richard Marcheterre, il s'agit d'un congédiement imposé à l'égard d'une employée qui a menacé sa contremaîtresse à l'aide d'un couteau. La convention collective prévoyait que l'employeur pouvait passer outre la gradation des sanctions lors de situations d'agressions ou d'actes criminels. L'arbitre a conclu que le fait de menacer la contremaîtresse avec un couteau était très clairement un cas d'agression, il a également reconnu que l'employeur avait l'obligation d'assurer la santé et la sécurité de ses employés et donc d'intervenir dans de telles situations. Par conséquent, le congédiement a été maintenu.
Dans l'affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de Astraltech CSN et Astraltech (2000 R.J.D.T. 1882), décision rendue par l'arbitre Gilles Corbeil, il s'agit d'un employé qui a été congédié à la suite d’une bagarre violente avec un collègue de travail. Dans le résumé des faits, l’arbitre note que le plaignant était l’instigateur de la bagarre, que la faute était grave, qu’il n’existait pas de circonstance atténuante susceptible d’en réduire la gravité, ni de justifier ou d’excuser le recours à la violence physique. Il souligne également qu'en l'espèce, le milieu de travail était tendu et que des incidents violents n'étaient pas rares de sorte que l'employeur se voyait dans l'obligation de sanctionner très sévèrement toute personne qui, même de façon isolée, posait des actes de violence. La preuve a également révélé l’existence d’une politique verbale largement diffusée dans l’entreprise, à l'effet que toute personne coupable d’acte de violence serait congédiée sur-le-champ. S'appuyant sur l’existence de cette politique, bien que non écrite, et sur le fait que la preuve a démontré de façon non équivoque qu’elle était connue de tous, l'arbitre a maintenu le congédiement. Cette décision va donc plus loin en reconnaissant que même une politique non prévue à la convention collective peut justifier l’employeur d’imposer un congédiement sans respect de la gradation des sanctions et en invoquant sa politique de tolérance zéro à l’égard des gestes de violence.
ConclusionPour l’employeur, l’objectif à atteindre est de dissuader tous les comportements de violence dans le milieu de travail, que ceux-ci soient dirigés à l’égard des supérieurs, des collègues ou des tiers. Pour ce faire, nous sommes d’avis que l’existence de dispositions claires et non équivoques soit dans une convention collective, soit dans une politique d’entreprise est un outil efficace permettant d’atteindre cet objectif.
En l'absence de telles dispositions, l’employeur aux prises avec une situation de violence au travail devra analyser tous les faits entourant l’incident afin d’imposer la sanction appropriée, et ce, à la lumière des éléments pouvant être retenus par les arbitres pour déterminer si la sanction est appropriée.
Micheline Bouchard, CRIA est avocate chez Robinson Sheppard Shapiro, avocats.
Source : Effectif, volume 4, numéro 4, septembre / octobre 2001