- Ouvrant la porte à deux approches opposées et qui ont fait l’objet d’une sérieuse controverse jurisprudentielle, l’article 242 de la LATMP a fait couler beaucoup d’encre et soulevé plusieurs débats devant les instances administratives.
- Mais cette controverse tend à se dissiper en faveur d’une lecture plus réaliste de l’article 242 de la loi.
La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) (L.R.Q., c. A-3.001) prévoit à l’article 242 qu’un travailleur qui réintègre son emploi après une lésion professionnelle a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence. Cet article a fait couler beaucoup d’encre et soulevé plusieurs débats devant les instances administratives de la Commission de la santé et de la sécurité du travail au cours des dernières années. En effet, certains décideurs prétendent que cet article crée en quelque sorte une fiction juridique voulant que le travailleur ait réellement travaillé durant son absence, non pas pour lui verser un salaire pour cette période, mais de façon à ce que celui-ci ne soit pas pénalisé du fait de cette absence. Le travailleur peut alors, par exemple, bénéficier de l’octroi de bonis reliés à la présence au travail, car il est réputé fictivement être au travail pendant son absence. Cette approche est toutefois vivement contestée par plusieurs personnes qui, beaucoup plus réalistes, sont d’opinion que, lorsque le travailleur réintègre son travail, ses conditions de travail ne sont pas nécessairement celles applicables avant le début de son absence, mais bien celles dont il bénéficierait s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence. Il n’est toutefois pas réputé fictivement avoir été au travail pendant son absence. Le travailleur bénéficie donc par exemple d’une augmentation salariale accordée aux travailleurs pendant son absence, mais ne peut bénéficier du paiement d’avantages reliés à la présence au travail.
Au cours des dix dernières années, les deux approches ont été réitérées à maintes reprises et ont fait l’objet d’une sérieuse controverse jurisprudentielle. Pour vous permettre de mieux saisir la problématique reliée à l’application de cet article, nous vous proposons un bref survol des courants jurisprudentiels divergents et de la tendance qui se développe suite à un cheminement tortueux.
Approche s’appuyant sur une réalité fictive
Le courant jurisprudentiel qui institue une fiction voulant que l’on doive considérer le travailleur comme étant demeuré au travail pendant son absence semble devenir minoritaire et se dissiper quelque peu. Selon cette interprétation, il faut considérer comme du temps travaillé le temps passé en convalescence.
La décision de principe à l’appui de ce courant est l’affaire Marin c. Société canadienne de métaux Reynolds ltée ([1996] C.A.L.P. 1339 [C.A.]) où le travailleur constate que sa paie de vacances a diminué considérablement, son employeur n’ayant pas inclus la période d’absence dans le calcul. Le travailleur dépose une plainte, laquelle est accueillie par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles. Celle-ci est d’avis que le travailleur est réputé avoir fictivement travaillé pendant son absence. Ce faisant, il a accumulé des heures travaillées au cours des jours où il a été absent à cause de son accident, lesquelles devaient être compilées dans le calcul de l’indemnité de vacances. En révision judiciaire, la Cour supérieure a estimé que cette conclusion était manifestement déraisonnable, et ce, malgré son devoir de réserve à l’égard des tribunaux administratifs. Cependant, la Cour d’appel a décidé que la Cour supérieure aurait dû faire preuve davantage de réserve à l’égard des conclusions de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles. La Cour n’a toutefois pas affirmé que le raisonnement de cette dernière était l’interprétation adéquate. Au contraire, la Cour indique uniquement que la simple existence d’une controverse jurisprudentielle n’est pas suffisante pour justifier l’intervention de la Cour supérieure et déclarer que cette approche est manifestement déraisonnable. Or, nombreux sont ceux qui y ont vu une consécration de l’interprétation retenue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles. À notre avis, il faut plutôt y voir une expression de la réserve des tribunaux supérieurs envers les tribunaux administratifs.
Sans vouloir faire une étude exhaustive de la jurisprudence, mentionnons que les tenants de cette approche ont déjà obligé un employeur à cumuler au crédit d’un travailleur absent les journées de maladie normalement accordées par une convention collective sur la base des mois normalement travaillés. Des bonis reliés à l’assiduité ont également dû parfois être versés à un travailleur absent pour lésion professionnelle. Les jours fériés et les indemnités de vacances doivent également être payés au travailleur présumant que celui-ci est fictivement au travail pendant son absence pour lésion professionnelle.
Avec égards, nous ne croyons pas que le législateur a voulu, par l’entremise de l’article 242 de la LATMP, créer une telle fiction. D’ailleurs, pour illustrer l’illogisme de cette approche, prenons l’exemple du travailleur absent pour lésion professionnelle qui, selon cette approche, doit être payé pour les jours fériés. Le paiement des jours fériés à un travailleur absent pour lésion professionnelle a pour effet de lui verser 190 % de son salaire. En effet, ce dernier reçoit déjà pendant son absence 90 % de son salaire net à titre d’indemnité de remplacement du revenu, auquel s’ajoute le paiement des jours fériés au taux régulier. Ainsi, si l’on fait la comparaison entre le travailleur absent qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu et celui qui travaille, on constate que le premier reçoit 190 % de son salaire, alors que le deuxième ne reçoit que 100 % du sien, sauf évidemment s’il fait des heures supplémentaires. Il devient alors plus rentable d’être absent pour lésion professionnelle que d’être présent au travail. Nous ne croyons pas que le régime d’indemnisation en matière d’accident du travail ait pour objet d’enrichir les travailleurs victimes d’une lésion professionnelle, mais bien de leur donner une compensation et de les aider dans leur réhabilitation !
Approche s’appuyant sur la réalité
Ce courant, opposé au précédent, veut plutôt que l’on ne tienne pas compte du temps passé à l’extérieur du travail pour se remettre d’une lésion professionnelle. Les décisions qui appliquent cette notion étant assez nombreuses, il convient de faire un résumé des principaux arguments.
D’une part, aucune disposition législative ne permet d'assimiler la période d'absence à des heures travaillées, d'autant plus qu'une interprétation contraire a pour effet de conférer une rétroactivité au texte de loi, laquelle ne peut se présumer, mais doit plutôt faire l'objet d'un texte clair de la part du législateur. L'article 242 de la LATMP ne stipule aucunement que la période d'absence équivaut à du temps travaillé et que le travailleur a droit à ses avantages pendant cette absence.
D’autre part, l'article 235 de la LATMP énonce explicitement les avantages dévolus au travailleur lors de son absence en raison d’une lésion professionnelle, soit l'accumulation de son ancienneté et sa participation aux régimes de retraite et d'assurance. Il n’est aucunement prévu que l’employeur doit considérer le travailleur fictivement au travail pendant son absence.
À ce sujet, dans l’affaire Giroux et Filochrome inc.([1989] C.A.L.P. 1127), le travailleur est victime d’un accident du travail. Pendant sa période d’incapacité au travail, il reçoit une indemnité de remplacement du revenu. L’employeur refuse de lui verser le salaire correspondant à une journée fériée qui, en vertu de la convention collective, devrait lui être payée. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles estime que le travailleur ne peut cumuler son salaire et l’indemnité de remplacement du revenu qu’il reçoit. Le versement de l’indemnité de remplacement du revenu suspend en quelque sorte l’obligation de l’employeur de lui verser une rémunération.
De même, dans l’affaire Baker et Coopérative fédérée du Québec ([1990] C.A.L.P. 300), la travailleuse soutient que l'employeur n'a pas tenu compte, dans le calcul de sa paie de vacances, du salaire qu'elle aurait gagné si elle n'avait pas dû s'absenter en raison de sa lésion professionnelle. La commissaire rejette la plainte et indique que pendant sa convalescence, le travailleur bénéficie uniquement d’une protection à l’égard de son ancienneté, du service continu et de son droit de participer aux régimes de retraite et d’assurance. Cependant, un travailleur ne peut réclamer la période de vacances qui s’est écoulée pendant sa période d’incapacité.
Enfin, dans une récente décision impliquant la Société Lucas Aérospace (Société Lucas Aérospace et Hemmingsen, C.L.P.E., 99LP-234), l'employeur accorde une prime de performance à ses employés, calculée sur le nombre d'heures travaillées en horaire normal par chaque employé. Un travailleur allègue que les heures d'absence dues à sa lésion professionnelle doivent être considérées comme étant travaillées et compilées dans le calcul de la prime en vertu de l'article 242 de la LATMP. Le commissaire rejette la plainte du travailleur. Il est d’avis que cet article encadre les taux et conditions du salaire et des avantages d'un travailleur au moment de sa réintégration au travail et non pendant son absence, évoquant la possibilité qu'ils puissent être différents de ceux du début de son absence. Cet article ne stipule aucunement que la période d'absence équivaut à du temps travaillé et que le travailleur aurait droit à ses avantages pendant cette absence. Conclure autrement serait donc ajouter à la législation ce qui n’y apparaît pas.
Conclusion
Il nous semble que la controverse qui existait à la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles tend à se dissiper. En effet, une étude exhaustive de la jurisprudence récente illustre que l’approche voulant que l’on ne tienne pas compte du temps passé à l’extérieur du travail pour se remettre d’une lésion professionnelle prédomine depuis quelque temps. Cette solution qui prône à une lecture réelle de l’article 242 de la LATMP nous semble la seule logiquement applicable. On ne saurait instituer une fiction juridique que le législateur n’a pas lui-même prévue. Lorsque le travailleur reçoit son indemnité de remplacement du revenu, il est, à même cette indemnité, indemnisé notamment pour la perte de ses vacances et de ses jours fériés. L’indemnité de remplacement du revenu, comme son nom l’indique, vise à remplacer le revenu. On ne peut bénéficier à la fois de l’indemnité de remplacement du revenu et obtenir une partie de son revenu initial.
Avec égards, conclure autrement a pour effet d’introduire dans la loi une panoplie de bénéfices que les employeurs devraient accorder aux travailleurs absents pour lésion professionnelle, sans que ces bénéfices soient prévus par le législateur. Le travailleur absent pour lésion professionnelle bénéficierait alors de conditions nettement plus avantageuses que celui qui est absent pour d’autres raisons ou celui qui travaille. Néanmoins, même si la rhétorique et la logique semblent favoriser inévitablement l’approche ne tenant pas compte du temps passé à l’extérieur du travail pour se remettre d’une lésion professionnelle, il restera toujours des décisions qui iront en sens inverse. Il nous semble que cela est inhérent à une saine justice administrative…
Par Rhéaume Perreault, CRIA, avocat,
Heenan Blaikie*
L’auteur tient à remercier M. Olivier Tardif pour sa précieuse collaboration. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et n’engagent aucunement la firme Heenan Blaikie.
Source : Effectif, volume 4, numéro 4, septembre / octobre 2001