Vous lisez : Ne laissez pas partir vos meilleurs employés!*

Vous pourriez perdre vos meilleurs collaborateurs, l'un après l'autre. Certains partent petit à petit, par manque d'intérêt. D'autres claquent la porte soudainement et filent tout droit chez le concurrent.

Bientôt, si vous n'avez pas songé à une stratégie vous permettant de retenir vos employés de valeur, vous pourriez vous retrouver confronté à une dure réalité: vous n'avez plus les ressources humaines nécessaires pour faire rouler votre entreprise et vous n'avez pas d'espoir de trouver des remplaçants de qualité à court terme.

Plus que jamais, surtout compte tenu de la situation qui prévaut actuellement aux États-Unis, la meilleure stratégie de dotation consiste à retenir les bons éléments.

Avec un taux de chômage de 5 % (le taux le plus faible enregistré par le U.S. Bureau of Labor Statistics depuis huit ans) et une économie en plein essor, les États-Unis font actuellement face à un manque de main-d'ouvre dans plusieurs secteurs, de la haute technologie à l'alimentation, en passant par les ventes et le marketing. Voici quelques statistiques :

  • Les petites entreprises ont créé 1,5 million de nouveaux emplois en 1996 (Business Week, le 16 septembre 1996).
  • Un sondage mené auprès de 16 000 entreprises par Manpower Inc. révèle que 30 % d'entre elles engageront du nouveau personnel, tandis que le Bureau of National Affairs indique que les projections d'embauche ont augmenté de 18 % en 1996.
  • Selon une enquête visant 434 petites entreprises, 50 % considèrent que le manque de main-d'ouvre est le principal obstacle à leur développement.

Ce phénomène pourrait nous toucher de plus près qu'on le pense. Cette année, le Canada s'est classé parmi les pays du G-7 atteignant les taux de croissance les plus élevés et l'économie canadienne a créé près de 400 000 emplois. En outre, un nombre croissant de Canadiens parmi les plus instruits, notamment dans les domaines de la médecine, du génie et de la haute technologie, nous quittent chaque année pour aller travailler aux États-Unis.

Le retour du balancier. Vous souvenez-vous des années 80 et du début des années 90, alors que l'Amérique du Nord était atteinte d'une obsession presque anorexique de rationalisation et d'efficacité ? Les travailleurs se comptaient alors chanceux d'avoir un emploi. Mais ce faisant, les entreprises se sont noyautées. Les employés qui les composent aujourd'hui savent qu'ils sont devenus indispensables, qu'ils sont les survivants, ceux qu'on a choisis : le noyau de l'entreprise.

Selon Frederick F. Reichheld1, la plupart des entreprises perdent la moitié de leur personnel en trois à quatre ans et la moitié de leur clientèle en cinq. Il est évidemment plus facile de garder ses clients que d'en gagner de nouveaux. On peut dire la même chose à propos du personnel.

Les professionnels en ressources humaines s'aperçoivent que l'une des meilleures méthodes de dotation est de garder ses employés. Mais il ne suffit plus, de nos jours, de promettre un salaire et des avantages sociaux intéressants. Les professionnels en ressources humaines se doivent dorénavant de conjuguer créativité et stratégie.

Le prix à payer pour la rotation de personnel

Avez-vous les moyens de perdre un million de dollars? Peu d'entreprises peuvent se le permettre. Avez-vous réalisé qu'une entreprise se déleste en moyenne d'un million de dollars chaque fois que dix professionnels ou cadres la quittent? En supposant que l'entreprise dégage un bénéfice après impôts de 10 %, cela revient alors à couper 100 000$ dans son résultat net.

Des recherches menées au Saratoga Institute ont démontré que le départ d'un cadre se traduit par un coût interne se situant, en moyenne, entre un an et deux ans de salaire et d'avantages sociaux. Toutefois, pour brosser un tableau complet des coûts de la rotation de personnel, il faut aussi prendre en compte l'effet externe sur les ventes et la fidélité de la clientèle.

Les trois coûts de la rotation de personnel

La plupart des professionnels en ressources humaines connaissent le taux de rotation du personnel dans leur entreprise, mais ignorent souvent comment sont départagés les départs volontaires et involontaires. De plus, lorsqu'ils font rapport à la haute direction sur les taux annuels de rotation en regard du nombre total d'employés, ils omettent habituellement de recommander toute mesure corrective.

Le premier coût est lié à l'employé. Par exemple: la Société A emploie 1 000 personnes dont 50 % ne sont pas admissibles. Si l'employé moyen gagne un salaire et des avantages sociaux totalisant 60 000$ par année et que le taux de rotation volontaire est de 8 %, alors le coût minimal de rotation du personnel est de 2 400 000$ (1 000 x 0,50 = 500 x 0,08 = 40 x 60 000$ = 2 400 000$).

Le deuxième coût correspond à la perte de clientèle. La rotation du personnel des ventes et du service à la clientèle a des répercussions négatives sur la fidélité des clients. Selon Frederick F. Reichheld, il faut deux à trois ans dans certains secteurs d'activité avant qu'un nouveau représentant n'égale le niveau de ventes de son prédécesseur. En tant que consommateurs, il nous est tous arrivé d'être contrariés parce que nous étions servis par de nouveaux employés à la banque, au magasin, au garage ou d'autres entreprises de détail et de services. Pour le service des ventes, du marketing ou des finances, ce coût secondaire est facile à calculer. Si vous voulez connaître la valeur moyenne d'un client, divisez votre chiffre d'affaires annuel par le nombre moyen de clients actifs. Le résultat peut varier entre quelques centaines et quelques millions de dollars.

Le troisième coût équivaut aux dépenses de marketing et de vente nécessaires pour gagner un nouveau client. Vous devez remplacer les clients perdus, sinon votre entreprise perdra sa part de marché et tombera dans l'inertie des morts vivants ou se fera tout bonnement expulser du marché. Le service du marketing peut également vous renseigner sur la moyenne des dépenses engagées pour attirer et séduire un nouveau client.

C'est en additionnant ces trois coûts qu'on obtient le coût réel de la rotation du personnel dans une entreprise: 1) perte et remplacement du salarié, 2) perte de clients, jusqu'à ce que de nouveaux clients les remplacent et achètent autant que les premiers et 3) dépenses nécessaires pour gagner de nouveaux clients. Vous venez de calculer le coût potentiel total.

Si vous présentez le coût potentiel et le coût minimal à vos dirigeants, il se peut qu'ils se réveillent et réagissent. Pour demeurer prudent, reconnaissez que chaque départ d'employé ne cause pas la perte d'un client. Pour vous montrer extrêmement prudent, oubliez le deuxième et le troisième coût pour ne leur faire part que du coût interne; il est assez frappant en lui-même pour leur donner un choc.

Les quatre coûts de la séparation

Pour déterminer le coût de séparation, il faut prendre en considération le coût de quatre facteurs internes, soit la cessation d'emploi, l'embauche et la formation, la perte associée à un poste vacant et le niveau de productivité inférieur de la recrue.

Cessation d'emploi. Lorsqu'un employé part, il faut procéder à des entrevues et au traitement des données. En règle générale, cela coûte quelques centaines de dollars en heures travaillées et en matériel. Diverses fonctions de gestion des ressources humaines sont concernées par ce départ : relations avec les employés, mise à jour des dossiers, sécurité et paie. Il arrive parfois aussi que des hauts dirigeants consacrent un certain nombre d'heures à essayer de retenir la personne en lui présentant des contre-offres. Les coûts ne sont habituellement pas excessifs, mais pendant ce temps, ces dirigeants négligent du travail à valeur ajoutée.

Embauche et formation. En 1995, on évaluait, aux États-Unis, le coût moyen d'embauche d'un cadre2 à environ 8 300$ US. (Malheureusement, une simple application du taux de change ne permettrait pas de déterminer ce coût de manière satisfaisante pour le Canada.) Sans parler du prix de la formation pour la première année : pour en simplifier le calcul, on peut déterminer le pourcentage de la masse salariale consacré aux dépenses de formation et l'appliquer au salaire du nouvel employé. Comme ce pourcentage devrait maintenant s'établir au moins à 1 % pour les entreprises dont la masse salariale excède 250 000$, en vertu de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'ouvre, nous prendrons 1 % comme base de calcul. Pour une personne recevant une rémunération de 50 000$ par année, les dépenses de formation s'élèveront donc à 500$. Ainsi, il est facile de monter la facture d'embauche et de formation jusqu'à 10 000$ pour une seule personne.

Poste vacant. En 1975, le Saratoga Institute a enregistré une période d'environ 75 jours civils pour combler un poste, c'est-à-dire 53 jours ouvrables (après avoir soustrait 22 jours ou 11 week-ends). Divisez le revenu par employé (soit le chiffre d'affaires divisé par le nombre d'employés) par le nombre de journées travaillées. Pour ce faire, retranchez les week-ends et les journées chômées, mais non les vacances et les congés payés, et vous obtiendrez un résultat se situant aux alentours de 250 jours. En supposant que le revenu par employé représente 250 000$, chiffre prudent puisque le Saratoga Institute a obtenu une moyenne de 293 000$ US, voici le calcul:

Divisez le revenu par employé par 250 jours = 1 000$ par jour. Multipliez 1 000$ par le nombre de jours où le poste demeure vacant, c'est-à-dire 53, et vous arrivez à un total de 53 000 $. (Il ne faut surtout pas oublier de soustraire les charges salariales de 53 jours et d'additionner le salaire des employés temporaires éventuels.)

Certes, les postes vacants sont couverts d'une manière ou d'une autre, que ce soit en engageant des travailleurs temporaires, en payant du temps supplémentaire aux gens en place ou en les faisant travailler plus fort sans récompenser leurs efforts. Mais il y a toujours un coût; le fait qu'il demeure invisible à vos yeux ne le rend pas inexistant. Tôt ou tard, vous devrez payer.

Perte de productivité. La recrue aura besoin d'un certain temps avant de réussir à atteindre le niveau de productivité de son prédécesseur. Sans effectuer des calculs compliqués, évaluez le temps qu'il faudra au nouvel employé pour devenir pleinement productif. Supposons qu'il demande six mois. De plus, soyons généreux et prenons pour hypothèse qu'il donnera 75 % de productivité pendant ces six mois. Si le revenu par employé (un substitut de mesure de la productivité) s'établit à 250 000$ pour un an, il sera de 125 000$ pour six mois. Pour une perte de productivité de 25 %, on se retrouve avec un manque à gagner de 31 250$.

Ainsi, suivant ces hypothèses, le départ d'un employé coûte environ 94 250$ à l'entreprise. Compte tenu de la charge salariale de 60 000$, cela revient à payer 1,5 employé sans profiter de sa productivité. Perdre 10 employés équivaut alors à gaspiller un million de dollars. (La raison pour laquelle ce nombre semble élevé est que, selon l'étude initiale, l'employé moyen produit trois fois ce qu'il coûte.)

Il y a donc beaucoup à perdre, mais vous pouvez atténuer la vulnérabilité de votre entreprise en mettant au point une stratégie qui vous permettra de garder la situation bien en main.

Huit trucs pour garder ses meilleurs collaborateurs
La règle d'or en ce moment est de conserver ses employés de valeur. Plus facile à dire qu'à réussir, bien sûr. Voici huit lignes directrices qui vous aideront à articuler une stratégie afin d'atteindre cet objectif.
  1. Élaborez des processus qui permettront aux gens de développer leur employabilité en contribuant à leurs compétences, leurs habiletés et leur croissance intellectuelle.
  2. Utilisez les projets spéciaux comme des mesures incitatives ou des récompenses.
  3. Créez un milieu de travail positif et donnez fréquemment des récompenses en guise de remerciement. Il en existe toute une gamme allant des voyages jusqu'aux bonus. Les récompenses favorisent en plus le développement des employés.
  4. Souvenez-vous que c'est un processus à long terme qui permet de conserver les bons employés, pas les réactions instinctives.
  5. Concevez une culture d'entreprise cohérente et faites en sorte que les gestionnaires communiquent la vision et les valeurs de l'organisation aux employés de manière uniforme.
  6. Prévoyez dans votre stratégie des récompenses à l'intention des superviseurs et des gestionnaires qui réussissent à retenir leurs bons éléments.
  7. Utilisez les entrevues de départ pour recueillir des informations qui vous fourniront des indications importantes sur votre entreprise.
  8. Lancez des programmes de suggestions anonymes (auxquelles vous donnerez suite d'une façon qu'il vous appartient de déterminer) afin de faire comprendre aux travailleurs que leur point de vue vous importe.

Sources :
De 1 à 4 - Jerry McAdams, directeur national des systèmes de gratification et de reconnaissance, Watson Wyatt Worldwide à St-Louis (Missouri), auteur de The Reward Plan Advantage, Jossey-Bass, 1996.
De 5 à 8 - Naomi Brody, vice-présidente, Langer Associates Inc., New York (New York).

* Texte traduit et adapté pour Effectif. "Keep them! Don't Let Your Best People Get Away." par Charlene Marmer Solomon, copyright août 1997. Utilisé avec la permission de ACC Communications Inc./ Workforce, Costa Mesa, CA. Tous droits réservés. 1. Reichheld, Frederick F. The Loyalty Effect, Cambridge (Massachussetts): Harvard Business School Press. 1996. 2. Saratoga Institute. Human Resource Financial Report, Santa Clara (Californie). 1995.

Sophie Gosselin

Source : Effectif, volume 1, numéro 1, janvier / février 1998

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