Vous lisez : L'Union des artistes ou . Dans les coulisses de l'an 2000

Le 27 mars dernier, le comédien Pierre Curzi est devenu, à l'âge de 51 ans, président de l'Union des Artistes, un syndicat fort de 5 000 membres, qui regroupe les métiers de la chanson, de la comédie, de l'animation et de la danse au Québec. Dix ans après l'adoption de la Loi sur le statut professionnel de l'artiste, stimulé par une magnifique toile de Marcelle Ferron, cet ancien professeur dont le frère a été l'un des tout premiers diplômés en relations industrielles du Québec jette ici un regard chaleureux mais lucide sur l'état de la profession et les défis lancés au syndicat à l'orée du vingt-et-unième siècle.

Les artistes doutent toujours d'eux. Rétrospectivement, cette loi, passée il y a dix ans, qui a confirmé leur statut de travailleurs autonomes, a-t-elle apporté ce que la majorité en attendait?

Oui, et je peux d'autant mieux le dire qu'à l'époque des débats qu'on a eus à l'UDA au sujet de notre statut, j'étais contre : moi, comme jeune artiste animé d'une pensée de gauche, j'étais plutôt favorable au statut de salarié! C'est avec l'arrivée de mon prédécesseur Serge Turgeon et de son équipe, sous la bannière «La fierté de ce que nous sommes», qu'un énorme mouvement s'est opéré pour aboutir à la loi qu'on connaît aujourd'hui. Et rétrospectivement, je reconnais que ça a été une bonne chose. D'ailleurs ce statut est devenu aujourd'hui celui d'à peu près tout le monde: l'UDA était donc en avance et a échappé, je crois, à cette certaine pétrification qu'a pu connaître le syndicalisme.

Mais qu'est-ce que cette loi a vraiment changé?

Son principal mérite, c'est d'avoir organisé le travail dans la profession. Les producteurs, les métiers que nous exerçons, notre façon de les exercer : tout est devenu tellement mobile et la loi en rend bien compte. Mais si elle a confirmé le statut de travailleur autonome, elle oblige aussi les producteurs à se réunir en association, à négocier une entente avec les associations d'artistes reconnues et à s'entendre sous certains délais avec elles ! Cette organisation du travail était un de nos gros problèmes avant : il est réglé. Et cela veut dire aussi que, tôt ou tard, l'UDA occupera tous les champs de la juridiction où ses membres sont actifs.

Est-ce que cela fait partie de vos objectifs? Est-ce notamment par cela qu'après Serge Turgeon, vous avez l'intention de faire votre marque à la tête de l'UDA?

Oui, bien sûr, car il y a encore plein de juridictions qui nous échappent: par exemple, nos membres qui travaillent à la radio et qui n'ont aucun organisme qui défende leurs droits à des prestations minimums. Mais ça ne se fait pas comme ça, en criant peanut! C'est très coûteux d'obtenir de nouveaux secteurs de juridiction, de créer des ententes: cela exige beaucoup de temps, de ressources humaines et financières pour produire des documents, aller devant les tribunaux fédéraux et provinciaux.

Comment est-ce que vous qualifieriez la participation syndicale au sein de la profession?

Elle progresse tout le temps, parce qu'il y a beaucoup de gens qui aspirent aux métiers que nous couvrons et qu'il y a beaucoup d'écoles de formation. Mais il est évident que la participation active varie aussi selon l'intensité des problèmes, ce qui est normal! Quand tout suit son cours, que l'UDA signe des ententes, augmente les minima, les membres se contentent de payer pour les bons services qu'on leur rend et c'est logique. Mais si on touche à leur portefeuille - je pense par exemple à la loi sur le doublage qu'a demandée et obtenue l'UDA - c'est sûr que la participation est très grande. Là, on les entend nos membres et ça donne quelque chose de véhément et passionné comme une mobilisation de créateurs!

L'UDA a obtenu, au printemps dernier, la reconnaissance des droits voisins lors de la refonte de la vieille Loi sur le droit d'auteur. Qu'est-ce que ça va changer?

D'abord, cette reconnaissance montre bien que, comme créateurs, nous ne pouvons pas être que des travailleurs salariés: il y a une part de notre production qui nous appartient pour toujours, comme la part créatrice chez un artiste-interprète. Pourtant, même si les auteurs sont rémunérés depuis longtemps lorsque leurs tounes passent à la radio, des interprètes qui tournent depuis des années n'ont jamais touché un sou. C'est aberrant et c'est pour cela que l'UDA s'est beaucoup battue lors de la refonte de la loi. Et la loi C-32 est justement venue reconnaître pour la première fois que tous ceux qui ont participé à l'élaboration d'une chanson - les interprètes, les musiciens, les producteurs - ont un droit voisin qui doit être rémunéré.

Concrètement, qu'est-ce qui va se passer?

C'est un nouveau droit à la rémunération qui est extrêmement complexe, mais l'idée est que, chaque fois qu'une chanson passera en onde, l'ADISQ, l'UDA et le Syndicat des Musiciens du Québec se verront verser une petite rétribution. Nous, on a mis sur pied une société de gestion collective des droits, ArtistI, ce qui n'est pas simple. Car il a fallu s'entendre avec toutes sortes de gens - dont les producteurs anglophones, puisque c'est une loi fédérale. Avec l'ACTRA aussi, qui est notre alter ego anglophone et le syndicat avec lequel nous avons le plus de contacts. C'est un montage très compliqué, mais le jeu en vaut la chandelle : des sommes importantes sont en cause et beaucoup de gens ont à y gagner. Je sais même qu'en France, beaucoup d'interprètes vivent de cette rémunération!

Est-ce que c'est le genre de combats que vous prévoyez mener dans les années à venir?

C'est sûr que c'est le genre de combats qui marquent une institution: la Loi sur le statut de l'artiste hier, la société de gestion ArtistI aujourd'hui qui est un gros et long combat à mener, car avant de rapporter de l'argent, ça en coûte beaucoup! La justice distributive m'apparaît comme un devoir premier pour le président d'un organisme comme le nôtre. Mais si, depuis que je suis en fonction, j'ai découvert toute la «technicalité» qui peut se cacher derrière nos batailles, je suis par contre depuis longtemps convaincu que, pour défendre les conditions de créativité, de liberté d'expression, il faut qu'il y ait de fortes ententes collectives : une union solide, un mouvement syndical fort.

C'est pour cela que j'ai accepté d'être candidat à la présidence de l'UDA: parce que je trouve que les conditions d'exercice du métier périclitent. On en demande toujours plus en toujours moins de temps, avec des budgets de plus en plus faibles. Et si avant, il y avait un rapport assez direct entre les créateurs et le financement de l'art, on assiste depuis plusieurs années à la multiplication d'intermédiaires finalement très peu liés à la création, mais qui viennent gruger un gâteau qui, lui, n'a pas grossi. Ils s'accaparent une bonne partie des sommes qui allaient à l'artiste et je trouve ça scandaleux. Parce qu'il ne faut jamais l'oublier, toute la pyramide repose d'abord sur le travail de ceux qui produisent réellement l'ouvre. Et il faut rester combatif pour qu'ils continuent à avoir leur part.

L'UDA s'est toujours battue pour la qualité de la langue française aussi.

Oh oui, c'est un combat majeur pour l'UDA: la langue, c'est le fondement! D'ailleurs à lui seul, le combat que nous menons avec l'ADISQ pour les quotas de chansons francophones en témoigne bien: nous sommes évidemment actifs au sein du Groupe sur la chanson francophone qu'a créé la ministre Louise Beaudoin. Et ce n'est pas juste une préoccupation financière, loin de là. Parce que lorsqu'un pays ne s'écoute plus chanter. Ceci dit, je n'ai aucun préjugé: si j'étais un jeune acteur aujourd'hui, je m'exprimerais sûrement dans les deux langues. Mais j'ai un drôle d'attachement à la mienne!

Mais il y a un paradoxe : la culture crée de plus en plus d'emplois et en même temps, la condition de l'artiste est de plus en plus fragile. Comment le résoudre?

L'attitude de l'UDA a toujours été d'essayer de clarifier, d'organiser le milieu, donc d'avoir des interlocuteurs valables de part et d'autre. Et puis de définir les conditions minimales pour que la chose se passe. Après ça, c'est la liberté du travailleur autonome et son contrat peut définir, outre le salaire, mille et une choses ! On est donc à la fois un syndicat de travailleurs et un groupement de professionnels: c'est une union, qui porte bien son nom, et non une corporation même si elle a des aspects corporatistes. Si on respecte des conditions de base, on sera volontier les partenaires de tout le monde pour le bénéfice de l'industrie.

Et le travail au noir, comment songez-vous à le contrer?

D'abord ce qui est clair, c'est que lorsque les gens peuvent faire autrement, ils font autrement. Je ne parle évidemment pas de ceux qui travaillent au noir et le font de manière égoïste: ceux qui savent négocier de gros cachets et en cacher la provenance et les montants à tout le monde. Contre ceux-là, qu'est-ce qu'on peut faire? Par contre, lorsque les employeurs abusent du pouvoir qu'ils ont sur le pain et le beurre des gens pour leur imposer des conditions de travail indécentes, là c'est notre boulot. Et notre manière de le faire, c'est d'essayer d'établir des juridictions. Comme on le fait actuellement pour les annonces locales. Mais le travail au noir, c'est surtout le fait de milieux qui n'ont même pas les moyens de verser le minimum de l'UDA. Il faut donc établir une juridiction - c'est l'arme que nous donne la loi - qui leur permette de payer décemment les employés tout en évitant de tuer l'oeuf et la poule, d'être trop lourd et de menacer la survie de certains de nos membres. Et c'est un problème de plus en plus fréquent!

Par la commandite, le privé prend de plus en plus le relais de l'Etat dans la structure de production. Est-ce que cela vous inquiète?

Attention! Le financement reste encore majoritairement public: on a encore accès à des sommes d'argent qui ont été bien moins coupées qu'elles n'auraient pu l'être. Evidemment, le problème se pose beaucoup dans l'audiovisuel, avec l'invasion féroce des commanditaires à la télévision. Ceci dit, ils nous apportent beaucoup de revenus, donc en ce sens, nous sommes leurs partenaires car eux aussi, ils sont bien obligés de maintenir leurs parts de marché. Ce qui m'inquiète, c'est lorsque les annonces, les formes de commandite se lient intimement au contenu, qu'elles font partie intrinsèque de l'ouvre. Il ne faut quand même pas que les produits se mettent à faire partie de notre consommation de culture! Ce serait une perversion profonde de nos divertissements.

Sylvie Halpern

Source : Effectif, volume 1, numéro 1, janvier / février 1998

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