L'ergonomie est à la mode. Qui n'a pas vu une publicité concernant une chaise ergonomique ou une auto dont on vante le confort et son «ergonomie». En milieu de travail, l'ergonomie a été souvent associée à la prévention des maux de dos et plus récemment à la problématique des troubles musculo-squelettiques aux membres supérieurs.
Toutefois, il faut reconnaître que les possibilités et les bénéfices associés à une intervention ergonomique sont largement méconnus des décideurs.
Il est utile de rappeler que l'ergonomie (du grec ergon, travail et nomos, loi) est l'application de connaissances scientifiques sur l'être humain en vue d'améliorer le confort, le bien-être et l'efficacité des travailleurs. Les professionnels des ressources humaines sont donc directement concernés par l'ergonomie. L'intervention ergonomique dans l'entreprise peut être un outil précieux tant pour l'évaluation des situations de travail que pour l'élaboration de solutions.
Les objectifs de l'intervention ergonomique en milieu de travail
L'approche ergonomique en milieu de travail est une méthode orientée vers la résolution des problèmes associés aux activités de travail. Elle vise une meilleure adaptation du milieu de travail aux individus. Les objectifs poursuivis peuvent donc être nombreux et concernent des aspects variés de la situation de travail. Le tableau 1 présente différentes problématiques pouvant être abordées lors d'une intervention ergonomique.
Les étapes de l'intervention ergonomique
Quelle que soit l'ampleur du projet, l'intervention nécessite la planification de plusieurs étapes allant de l'analyse de la demande jusqu'à l'implantation des solutions et au suivi.
1) Analyse de la demande
C'est par l'analyse de la demande que s'amorce l'intervention. Il s'agit d'une étape cruciale. Il arrive fréquemment que les intervenants de l'entreprise ne connaissent pas la nature exacte des problèmes et leur ampleur. Dans un tel cas, il est donc important de réunir les principaux intervenants potentiellement concernés afin de faire une analyse globale de la situation.
Cette étape permet de définir les objectifs et de nommer les responsables du projet de même que les employés qui seront touchés par l'étude. Par exemple, une étude visant à favoriser le retour au travail d'un travailleur accidenté aura moins d'ampleur qu'une étude visant à modifier une chaîne de production impliquant des dizaines d'employés. La délimitation du cadre d'intervention permettra également de préciser le budget qui devra être alloué et l'échéancier.
2) Analyse de la situation de travail
Avant d'aborder l'analyse des activités de travail, il faut comprendre dans quel contexte s'effectue le travail et quels sont les moyens mis à la disposition des employés pour réaliser leurs tâches. En fonction des objectifs de l'étude, les éléments suivants pourront être analysés : poste(s) de travail, organisation du travail, éclairage, outils et équipements, etc.
Ces informations sont connues de l'entreprise, mais elles sont souvent détenues par plusieurs intervenants. Ainsi, c'est le responsable de l'aménagement qui connaît le mieux les caractéristiques des postes de travail. Par ailleurs, le contremaître connaît les difficultés vécues par les opérateurs au poste alors que le service des ressources humaines possède toutes les données concernant les accidents de travail et l'apparition de lésions professionnelles.
En rassemblant toutes les données concernant la situation de travail, il se dégagera une vision plus précise des problèmes vécus, ce qui permettra d'orienter l'étape suivante.
3) Analyse des activités de travail
L'analyse des activités de travail consiste à recueillir des données sur la façon dont les employés réalisent les tâches. Plusieurs approches peuvent être utilisées : entrevues avec des employés, observations des gestes et postures en situation réelle de travail, étude des déplacements et des prises d'informations, etc. Il est évident que le choix des activités de travail faisant l'objet de mesures sera en fonction des objectifs de l'étude.
4) Diagnostic ergonomique
Le diagnostic ergonomique permet de préciser la nature des problèmes. En effet, il est alors possible de faire le lien entre les problèmes vécus dans l'entreprise et les éléments de la situation de travail responsables de ces problèmes. Le diagnostic permet d'élaborer des critères ergonomiques et/ou des recommandations qui porteront sur l'ensemble de la situation de travail.
5) Élaboration de solutions
Les recommandations portent souvent sur les aspects techniques du travail (postes de travail, espaces, outils, etc.), mais elles peuvent également s'orienter vers d'autres éléments de la situation de travail tels que l'organisation du travail, les horaires, l'aménagement, la formation, l'entretien du matériel, etc.
C'est l'étape la plus critique du projet. À partir des critères et des recommandations formulés, les acteurs concernés (gestionnaires impliqués, travailleurs, syndicats, etc.) devront mettre ensemble leur connaissance de l'entreprise et fournir un effort de créativité afin de traduire les données ergonomiques en solutions acceptables et réalisables.
Une implication de l'ensemble des acteurs concernés par les changements a pour effet d'obtenir une vision globale des problèmes vécus, mais également une vision très large des solutions. Cette approche permet de vérifier toutes les implications de changements à venir: aspects budgétaires, techniques, organisationnels, etc.
Une telle approche donne souvent des résultats surprenants. La collaboration des différents acteurs fait en sorte que les solutions qui émergent sont plus facilement acceptées. Il se dégage également une «fierté» des résultats accomplis. Dans certains cas, les effets de l'étude ergonomique se font sentir avant même la mise en place des solutions.
6) Mise en place des solutions
La mise en place des solutions est l'aboutissement de l'intervention ergonomique. Il est important de faire un suivi pour s'assurer que les recommandations formulées soient implantées correctement. Il est fréquent que l'on doive faire des compromis pour des raisons budgétaires, administratives, techniques, etc. Ces compromis devront donc être apportés en ayant toujours à l'esprit les critères ergonomiques.
À la fin du projet, il est important d'effectuer une validation de l'intervention en évaluant les résultats obtenus et de vérifier s'ils sont conformes aux objectifs formulés au début du projet.
Le démarrage d'une intervention ergonomique
Il est souvent laborieux de procéder au démarrage d'une étude ergonomique. Plusieurs questions se posent auxquelles il est difficile de répondre. Quels sont les problèmes à solutionner? Quels intervenants doivent être impliqués? Quel budget doit être alloué au projet? Quelles seront les implications sur la production? Doit-on faire appel à des ressources professionnelles externes à l'entreprise?
Dans le contexte économique actuel, c'est souvent l'aspect budgétaire qui est abordé en premier. On croit souvent à tort qu'une étude ergonomique coûte «cher». En fait, les coûts de l'étude seront en rapport avec son ampleur et les objectifs fixés. D'ailleurs, dans bien des cas, il en coûte plus cher pour l'entreprise de ne pas faire d'intervention ergonomique. En effet, des problèmes vécus par l'entreprise risquent de prendre de l'ampleur et d'avoir des conséquences imprévisibles à plus long terme.
Une étude de quelques jours peut parfois être suffisante lorsque la problématique est simple et bien ciblée. Toutefois, des projets plus ambitieux pourront s'échelonner sur plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Conclusion
Toutes les entreprises sont présentement confrontées à une évolution technologique rapide. Elles évoluent dans un milieu en perpétuel changement et doivent s'y adapter rapidement. Cette situation crée une pression constante et les oblige à modifier, souvent rapidement, l'organisation du travail, les technologies utilisées et leur production.
Dans un tel contexte, l'intervention ergonomique peut constituer un outil, non seulement pour solutionner les problèmes actuels, mais également pour planifier les changements à venir. Parmi ces changements, il faut considérer le vieillissement de la population active. Les changements démographiques que nous vivons présentement auront des répercussions importantes sur les systèmes de production.
Il revient aux professionnels des ressources humaines de s'assurer que les travailleurs de leur entreprise puissent ouvrer dans un milieu adapté à leur condition. L'ergonomie peut constituer un outil privilégié pour faire face à ce défi.
Objectifs de l'intervention ergonomique et problématiques abordés | |
Domaine d'intervention | Objectifs |
Santé au travail | Intégrité physique et mentale des travailleurs (troubles musculosquelettiques, maux de dos, stress, etc.) |
Sécurité du travail | Prévention des accidents de travail |
Réadaptation professionnelle | Retour au travail de travailleurs présentant des limitations fonctionnelles |
Achats | Définition de critères ergonomiques en vue de l'achat de mobilier et d'équipements adaptés aux utilisateurs en fonction des tâches réalisées |
Correction/conception . Postes de travail . Aménagement . Équipements, logiciels, etc. | Évaluation de la situation de travail, diagnostic ergonomique et proposition d'améliorations |
Systèmes de production | Augmentation de l'efficacité Augmentation de la qualité de la production Évaluation et prévention des effets du vieillissement de la population sur les systèmes de production |
Formation au travail | Introduction de nouvelles technologies Utilisation optimale du matériel et des technologies de l'entreprise |
Aménagement de comptoirs-caisse avec terminaux |
Cette étude ergonomique a été réalisée dans le cadre d'un projet de réaménagement de cinq comptoirs-caisses pour une entreprise de télécommunications. Le travail des caissières consistait principalement à accueillir la clientèle et percevoir les sommes payées. Le poste était conçu pour travailler debout. Toutefois, considérant la fatigue associée à cette position, la plupart des caissières utilisaient un tabouret. Dès le départ, les responsables de ces postes de travail ont décelé chez les caissières des troubles musculo-squelettiques aux épaules nécessitant des absences fréquentes. Par la suite, des entrevues avec les employées ont révélé plusieurs contraintes associées aux postes de travail. L'ensemble tabouret/poste de travail était à l'origine de nombreux problèmes : difficultés pour accéder au siège et en descendre, inconfort postural, difficultés pour positionner le siège, manque d'espace pour les jambes, blessures sur le tiroir-caisse, etc. De plus, plusieurs équipements étaient utilisés : clavier, écran, caisse, imprimantes, etc. L'analyse dimensionnelle du poste de travail a révélé que certains équipements difficilement accessibles étaient à l'origine de contraintes posturales et biomécaniques importantes. Parmi ces éléments, il faut mentionner les difficultés associées à l'accès au tiroir-caisse, à la manipulation de l'argent et à l'utilisation de l'ordinateur. Le diagnostic ergonomique a donc permis d'établir clairement les contraintes des postes de travail et les conséquences sur les activités de travail. Par la suite, des critères de design ont été formulés afin de préciser les caractéristiques des nouveaux postes de travail et d'orienter le designer mandaté pour concevoir le nouvel environnement de travail. Cette collaboration étroite entre les intervenants et les employés a permis de concevoir des postes de travail beaucoup mieux adaptés aux exigences du travail. Parmi les solutions retenues, mentionnons le redesign complet des postes et l'abandon des tabourets en surélevant le niveau du plancher. Un suivi du projet réalisé après la construction des nouveaux locaux a révélé une augmentation de la satisfaction des caissières, une diminution des troubles musculo-squelettiques et une plus grande facilité pour réaliser les transactions. |
Pour en savoir plus long
Association canadienne d'ergonomie, Bottin des ressources en ergonomie (1996-1997). Tél.: (514) 990-1533 Adresse électronique: aceq@irsst.qc.ca Site Internet: http://www.hfac-ace.ca
de Montmollin, M., L'ergonomie, Éditions La Découverte, collection Repères, Paris, 1986.
Guérin F., Laville, A., Daniellou, F, Duraffourg, J., Kerguélen, A., Comprendre le travail pour le transformer ; la pratique de l'ergonomie, ANACT, 1991.
Ronald Landry, est consultant en ergonomie, chez Architecte
Source : Effectif, volume 1, numéro 3, juin / juillet / août 1998