Dix longs mois après l’imposition des premières mesures d’urgence sanitaire au Canada, la pandémie de COVID-19 perdure. Des vaccins sont enfin au point, mais ils sont pour le moment réservés aux personnes les plus vulnérables – une situation qui constitue tout un casse-tête pour les employeurs. Quelles stratégies ceux-ci devraient-ils déployer? Nous avons demandé l’avis de deux expertes.
Faut-il rendre la vaccination obligatoire? Pour le moment, les autorités gouvernementales ne semblent pas avoir l’intention d’imposer une vaccination générale contre la COVID-19. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ne recommande même pas la vaccination obligatoire du personnel de la santé. Dans ce contexte, Me Marianne Plamondon, CRHA et associée au cabinet Langlois Avocats, conseille la prudence aux employeurs qui seraient tentés d’adopter eux-mêmes des mesures coercitives.
« Avant d’imposer la vaccination, estime-t-elle, il faudrait démontrer qu’il s’agit d’une exigence professionnelle justifiée, par exemple en raison de contacts fréquents avec une clientèle vulnérable. Selon moi, le seul contexte qui se qualifierait serait celui des CHSLD. »
Pour justifier une telle exigence professionnelle dans un autre domaine, il faudrait que les données démontrent des risques réels de décès ou d’absences à long terme pour le personnel. « Cette exigence serait certainement portée en cour, précise Marianne Plamondon. Et bien sûr, avant d’imposer quoi que ce soit, il faudra disposer des doses nécessaires pour vacciner tout le monde. »
Vaccination et charte des droits
Le processus juridique dont parle Marianne Plamondon fait référence à la Charte des droits et libertés de la personne. « Il y a un conflit potentiel entre le droit de l’employeur de protéger le milieu de travail et le droit des employés à la vie privée et à l’intégrité physique, estime Me Karine Fournier, CRIA et avocate associée au cabinet Fasken. L’obligation de se faire vacciner constituerait une intrusion à laquelle certains employés pourraient s’opposer, pour des motifs religieux ou autres. »
Pour la même raison, un employeur pourrait difficilement exiger qu’une personne se fasse vacciner avant de l’embaucher ou lui demander en entrevue si elle a reçu ou souhaite recevoir le vaccin. Aborder ce sujet relèverait, selon Karine Fournier, de l’ingérence dans une décision médicale personnelle. L’employeur pourrait alors être accusé d’avoir refusé un emploi à un candidat à cause d’un choix protégé par la Charte; il s’expose ainsi à des recours devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Une décision arbitrale a néanmoins donné raison à un employeur qui avait exclu une personne de son milieu de travail, sans salaire, parce qu’elle avait refusé le vaccin contre la grippe A (H1N1), en 2009. La situation pourrait-elle se reproduire dans le cas de la COVID-19? Selon Karine Fournier, il faudrait que le danger soit évident, compte tenu du type d’entreprise et du taux de transmission du virus dans la région où elle a ses activités. « L’été dernier, alors que le Québec dénombrait une centaine de nouveaux cas par jour, ça n’aurait sûrement pas été accepté », dit-elle.
Promouvoir la vaccination sans l’imposer?
Promouvoir la vaccination en rappelant à son personnel que le risque de subir des symptômes graves diminue avec la vaccination est légitime. Mais, selon Marianne Plamondon, les employeurs qui promeuvent la vaccination doivent aussi donner l’heure juste quant à ses limites, notamment en mentionnant le fait que la protection obtenue demeure imparfaite. « Un employeur qui ne communiquerait que les côtés positifs se mettrait en danger », avance-t-elle.
Quel genre de danger? Karine Fournier donne l’exemple d’un employé qui ressentirait une pression de la part de son employeur pour se faire vacciner et qui, après avoir obtempéré, subirait des effets secondaires graves du vaccin sans avoir été mis au courant des risques. Cet employeur pourrait se retrouver dans l’eau chaude.
Karine Fournier recommande aussi de résister à la tentation d’offrir une prime salariale ou un congé supplémentaire aux employés qui acceptent de se faire vacciner. « Ce genre de programme pourrait être considéré comme discriminatoire envers les employés qui refusent la vaccination pour des raisons protégées par la Charte », dit-elle. Mieux vaut se limiter à des campagnes de sensibilisation, auxquelles on pourra associer les syndicats ou les clubs sociaux d’employés, et à l’organisation de cliniques de vaccination sur les lieux de travail lorsque la disponibilité des doses le permettra.
Vaccination et télétravail
Un employeur pourrait-il invoquer la protection de son milieu de travail pour exiger qu’une personne non vaccinée télétravaille indéfiniment, même si cette personne souhaite retrouver son milieu de travail habituel? Marianne Plamondon estime que ce ne serait pas nécessaire. « Le droit de gérance permet déjà à un employeur de décider qu’une tâche doit être accomplie à distance, fait-elle valoir. Tous les outils sont là. »
Karine Fournier croit cependant qu’une telle politique sera difficile à maintenir après la levée des mesures d’urgence. Elle croit aussi que cette approche pourrait se retourner contre ceux qui l’utilisent. « Des employés qui préfèrent télétravailler pourraient bien refuser le vaccin pour être tenus de rester à la maison alors que l’employeur voudrait les ramener au bureau », dit-elle.
L’épineuse question des voyages
Les voyageurs qui ont quitté le Canada à destination des Caraïbes, faisant fi des recommandations de la Santé publique, ont fait les manchettes pendant la période des Fêtes. Un employeur pourrait-il interdire à son personnel de passer ses vacances à l’étranger?
« Non, affirme Karine Fournier. Un employeur ne peut pas s’ingérer dans les choix de vacances de ses employés. Mais si ceux-ci n’ont pas prévu la durée de la quarantaine imposée à leur retour, ils pourraient commettre une faute d’absence non autorisée et se voir imposer une mesure disciplinaire. »
Par exemple, un travailleur qui obtient un congé de deux semaines et qui passe celles-ci à Cuba devrait, à son retour, s’isoler pendant deux semaines supplémentaires. S’il n’est pas en mesure d’effectuer son travail à distance pendant sa quarantaine, il pourrait s’exposer à des sanctions.
« Les employeurs ont besoin de savoir s’ils courent un risque parce qu’un employé pourrait ne pas être disponible, ajoute Marianne Plamondon. Tandis que les employés, eux, ont l’obligation de se rendre disponibles aux périodes de travail prévues. »
Qu’en est-il d’un employé qui, en temps normal, doit voyager à l’étranger dans le cadre de ses fonctions? « Après la levée des restrictions sanitaires, l’employé qui refuse à la fois d’être vacciné et de reprendre ses tâches normales, incluant des voyages, s’expose aussi à des mesures disciplinaires, estime Karine Fournier. En revanche, un employeur serait bien malvenu d’imposer à quelqu’un de voyager avant d’avoir pu recevoir un vaccin, s’il le désire. »
Vers la fin de la crise?
Selon les prévisions du gouvernement fédéral, il faudra attendre jusqu’en septembre pour que tous les adultes canadiens qui le souhaitent puissent être vaccinés. D’ici là, Marianne Plamondon recommande aux employeurs de communiquer ouvertement à ce sujet avec leur personnel, au fur et à mesure de l’évolution des connaissances.
« Il s’est dit beaucoup de choses à propos des vaccins contre la COVID-19, et nous en apprendrons de plus en plus à leur sujet au cours des prochains mois. Un employeur qui veut protéger son personnel disposera de données supplémentaires pour bien le faire. L’important sera de donner l’heure juste en toute circonstance », conclut-elle.
Source : VigieRT, janvier 2021.