« Il manque trop de jugement pour comprendre les impondérables de mon travail. Il est trop égocentrique pour considérer un autre point de vue que le sien... »
Voilà des phrases qui illustrent bien la théorie de l’attribution. L’attribution, c’est cette propension inconsciente des gens à émettre des jugements souvent erronés sur le comportement des autres (biais fondamental d’attribution) et qui sert également à justifier leur propre implication dans un conflit. Dans les faits, les gens attribuent rapidement la cause d’un conflit à la personnalité de l’autre (attribution interne) sans égard aux contraintes objectives telles que le manque de ressources ou d’informations (attributions externes). La connaissance de cette dynamique procure certains repères importants pour l’action des gestionnaires et des médiateurs.
Nous proposons dans cet article quelques avenues d’intervention qui permettent généralement de composer avec les biais d’attribution et qui orientent les parties vers un dialogue plus constructif. Mais d’abord, voyons brièvement comment s’articule le biais fondamental d’attribution.
Le biais fondamental d’attribution
Prenons le cas d’un directeur des ventes qui a avec un représentant un conflit portant sur la répartition des nouvelles opportunités d’affaires dans l’équipe. Le représentant reproche au directeur de le défavoriser en lui donnant les occasions les moins attrayantes, à cause d’un manque d’impartialité flagrant et de favoritisme à l’endroit d’un représentant chouchou. Toutefois, lorsque vient le moment de qualifier sa propre incapacité à conclure plusieurs ventes dans les derniers mois, il dit que cette situation est due à des contraintes qui échappent à son contrôle.
Le directeur répond généralement au représentant avec le même biais d’attribution en refusant de considérer certaines circonstances atténuantes, en le blâmant pour son attitude égocentrique et irresponsable et en lui reprochant de ne pas assumer ses responsabilités concernant le maintien des chiffres de ventes.
Quand deux protagonistes commencent à se blâmer mutuellement en raison de leur personnalité et à se justifier par des circonstances atténuantes, le conflit s’engage dans un cercle vicieux. À ce stade, les parties se retranchent dans leurs positions et leur manque de confiance s’accroît. Le gestionnaire ou le médiateur se retrouve généralement dans une position où chacune des parties tente de le convaincre que sa position est la seule valable et ses efforts pour convaincre les protagonistes de voir l’autre point de vue sont souvent perdus d’avance. Cette phase de la médiation vient exacerber les positions et les émotions avec le résultat que les parties sont incapables d’écouter. Si le gestionnaire ou le médiateur a pris l’initiative d’une réunion conjointe, le processus risque d’avorter.
Comportements à privilégier par le gestionnaire ou le médiateur
D’abord, le responsable du dossier doit intervenir sur une base individuelle le plus tôt possible pour neutraliser la situation. Ce faisant, il doit avoir à l’esprit que les versions qu’il recueillera seront empreintes de certains biais d’attribution; il doit également comprendre que les protagonistes eux-mêmes ne reconnaissent généralement pas l’existence de tels biais. Le gestionnaire ou le médiateur ne doit pas tenter d’expliquer ce phénomène aux parties. Il doit surtout se garder de prendre position pour une partie en s’attribuant les arguments de l’autre. Souvent instinctivement employée, cette stratégie vient colorer la position de l’intervenant aux yeux de la partie concernée et il risque ainsi de voir sa crédibilité en prendre pour son rhume. Son action doit s’appuyer sur la nécessité de rester impartial. La stratégie que nous suggérons repose sur trois piliers...
1- Reconnaître qu’il y a toujours plusieurs versions possibles à un problème
Il faut se rappeler qu’il y a souvent plusieurs facettes à un conflit. Dans notre exemple, le manque de confiance du directeur peut possiblement être causé par une histoire personnelle qui a entaché leur relation ou par une incapacité à apporter le soutien nécessaire à la formation du représentant. Chez le représentant, il peut s’agir de jalousie, de la volonté d’obtenir le poste du directeur ou d’un manque de capacité et de préparation pour occuper le poste. Il importe ici d’explorer les situations, les positions et les intérêts de chacun derrière le conflit. Aller au-delà des versions préliminaires pour élargir le contexte du malentendu est fondamental.
2- Se centrer sur le problème
Chacune des parties aura tendance à forcer l’intervenant à considérer ses explications aux dépens de l’autre. Les parties voudront revenir sur des faits passés qui ne sont pas pertinents avec le sujet de la médiation. Dès lors, le médiateur ne doit pas tenir compte des propos hors sujet, et s’ils persistent, rappeler les parties à l’ordre; il doit insister sur le fait qu’il faut envisager le présent et le futur et qu’il est futile de se tourner constamment vers des situations passées dont l’appréciation est hautement discutable, puisqu’elles sont subjectivement attribuées à des problèmes de personnalité dans un contexte d’afrrontement.
3- Encourager les parties à coopérer
Une des règles de base de la médiation consiste à rappeler aux parties qu’elles ont tout avantage à coopérer plutôt que de continuer à se détruire. Il faut travailler sur les intérêts communs des parties, soulever leur interdépendance et les amener à comprendre qu’une bonne collaboration peut servir leurs intérêts plus que de persister dans une situation conflictuelle. Ce qu’il faut, c’est les amener à admettre leur interdépendance. Cette stratégie permet d’orienter les protagonistes vers des solutions concrètes et occasionne également un certain assouplissement des attributions.
Pour en savoir plus
- Daryl Landau. « L’attribution en contexte de conflit : Jeter le blâme autrement », Le journal canadien d’arbitrage et de médiation, vol. 19, n° 1, 2010.
- John Ng. Attributions Biases and their impact on mediation
André Garceau, CRHA, est spécialisé en gestion des invalidités et en médiation des problématiques conflictuelles au travail, il coordonne le travail d'un groupe multidisciplinaire de professionnels en gestion et prévention de l'absentéisme, du présentéisme et de la santé mieux-être. On peut le joindre par téléphone [514 953-2118] ou par courrier électronique [agarceau@videotron.ca].