Vous lisez : Accommodements religieux en milieu de travail : jusqu’où?

L’employeur est-il tenu de fournir un local de prière à l’employé qui lui en fait la demande? L’employeur a-t-il le droit de congédier un salarié qui refuse de s’acquitter normalement de sa prestation de travail un jour de semaine pour motif religieux?

L’employeur a-t-il l’obligation de payer des jours de congé supplémentaires aux employés pratiquant une religion minoritaire? L’employeur peut-il refuser un code vestimentaire religieux s’il contrevient au règlement sur la sécurité dans l’entreprise? L’obligation d’accommodement comporte certaines règles en vue de concilier les exigences religieuses et professionnelles. Car la vigilance est de mise : il ne suffit plus de lire la convention collective pour répondre aux questions relatives aux relations du travail et au lien d’emploi.

Liberté de religion au travail
Soulignons que la liberté de religion est un droit fondamental consacré aux articles 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et aux articles 2 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. La liberté de religion englobe la liberté d’avoir des croyances et de les professer, la liberté de ne pas être obligé d’adhérer à une religion particulière ou d’agir contre ses croyances. De la sorte, elle impose à l’État et aux pouvoirs publics une obligation de neutralité religieuse et un devoir de tolérance collective envers l’ensemble des religions, dans un contexte de pluralisme religieux. Au travail, l’employé conserve ce droit et continue de bénéficier de la protection de la Charte. Du côté des entreprises, ce droit requiert donc de l’employeur qu’il veille à ce que les pratiques ou les normes de fonctionnement de l’entreprise n’obligent pas l’employé à agir à l’encontre de ses croyances. Il appartient à l’employeur de favoriser un milieu de travail inclusif, exempt de discriminations.

Discrimination fondée sur la religion
Le refus d’embaucher, d’accommoder ou de conserver une personne pour un motif lié à son adhésion religieuse est une cause de discrimination fondée sur la religion. Toutefois, le seul fait d’appartenir à un groupe protégé par la Charte (par exemple, une minorité religieuse) ne confère pas en soi le droit à un accommodement. Le demandeur doit démontrer qu’en raison de ses croyances et pratiques religieuses, une norme ou une pratique l’empêche d’observer sa religion ou lui impose des inconvénients significatifs. Les juges évalueront l’effet de la norme ou de la pratique contestée sur les croyances. Ainsi, dans l’affaire Chambly (Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin), la Cour a examiné si le calendrier ou l’horaire de travail des enseignants, établi en fonction du calendrier des fêtes religieuses catholiques, comportait une discrimination envers des enseignants d’autres religions. Bien que les jours fériés du Vendredi saint et de Noël soient considérés aujourd’hui comme étant davantage de nature civile, donc neutres et non discriminatoires à première vue, le tribunal a estimé que cette politique de congé avait un effet négatif sur les enseignants juifs en exigeant qu’ils travaillent le jour du Yom Kippour et constituait de la sorte une politique discriminatoire par suite d’un effet préjudiciable (ou discrimination indirecte). L’employeur a le fardeau de prouver qu’il a recherché tous les moyens de tenir compte des croyances religieuses de l’employé sans s’imposer de contrainte excessive.

« Je crois et j’exige »
Il ne suffit pas à l’employé de dire « je crois et j’exige » pour obtenir le bénéfice d’une mesure d’accommodement. Rappelons que, pour invoquer la liberté de religion et demander un accommodement, il faut préalablement faire la preuve que la personne a subi une distinction, une exclusion ou une préférence qui a eu pour effet de détruire ou de compromettre son droit, et ce, pour un motif protégé par la Charte. En principe, l’employé doit démontrer que le précepte religieux est bien réel au cœur de sa religion en plus de démontrer la sincérité de ses croyances. Toutefois, l’évolution de la jurisprudence tend à mettre de l’avant le critère subjectif de la croyance (sincérité de la foi) au détriment du critère objectif (conformité avec la doctrine). En effet, avec l’arrêt Amselem, la liberté de religion prend une nouvelle expansion avec pour principal critère de la foi, la sincérité de celui qui croit, quand bien même sa croyance proviendrait d’une interprétation toute personnelle de sa religion. Sur cette nouvelle base, l’appréciation de la sincérité du demandeur relève parfois davantage de la simple observation. Ainsi, dans l’affaire Sobey’s (Sobey’s Québec, 2002 R.J.D.T. 1725), une caissière catholique a refusé le nouvel horaire de travail l’obligeant à travailler le dimanche afin de préserver sa pratique religieuse. Or, la crédibilité du témoignage n’a pas résisté à l’examen de la bonne foi de la plaignante au moment de la demande, les faits ayant démontré que la plaignante n’allait à la messe qu’une semaine sur deux.

Congés pour observances religieuses
Autre est la question de s’entendre sur la mesure d’accommodement qui permettra à l’employé d’observer sa fête religieuse sans imposer à l’employeur un fardeau déraisonnable. Ainsi, l’employeur est-il tenu d’offrir un congé non payé ou de payer pour un congé supplémentaire? Dans l’affaire Chambly, il était entendu que les enseignants juifs perdaient une journée de salaire pour observer leur pratique religieuse alors que, pour la majorité de leurs collègues, les fêtes religieuses sont reconnues comme jours de congé. Devant l’absence de preuve que le paiement du salaire d’une journée de congé pour cette raison spéciale imposerait un préjudice financier excessif à la Commission scolaire, le tribunal a conclu que la Commission pouvait, conformément aux dispositions de la convention collective, payer les enseignants juifs. Par ailleurs, il a jugé insuffisante l’offre du conseil scolaire d’offrir un congé non payé. Dans d’autres circonstances, l’accommodement pourrait être excessif. Par exemple, si un employé devait s’absenter tous les vendredis dans un emploi comportant un service à la clientèle, le tribunal pourrait reconnaître l’impossibilité de l’accommodement en considération de l’impact de ces absences sur le fonctionnement de l’entreprise et l’entrave à son exploitation économique. En règle générale, le principe d’équité tend à accorder aux employés deux jours de congés payés pour l’observation de leur pratique religieuse à égalité avec le nombre de jours de congés chrétiens (Noël et le Vendredi saint). Une autre mesure consiste à donner un jour de congé mobile « pour fête religieuse » à tous ses employés sans distinction. Rappelons que l’accommodement est une obligation de moyens et non de résultats.

Dérogation au code vestimentaire
La Gendarmerie royale du Canada (RCMP) dispense les Sikhs de l’obligation de porter le chapeau traditionnel en leur permettant de conserver leur turban. Dans le domaine de la construction, la même revendication des sikhs heurterait un autre droit protégé par la Charte : le droit à la sécurité. Dans ce contexte, le port du casque de sécurité pourrait légitimer le code vestimentaire comme une exigence professionnelle justifiée (EPJ) et légitimer la restriction de la liberté de religion. Au bout du compte, les règles de sécurité ont généralement préséance sur les exigences religieuses (Bhinder c. CN, [1985] 2 R.C.S. 561). Les codes vestimentaires qui ne sont pas liés à un impératif sécuritaire devraient être adaptés. Pour restreindre la liberté de religion, il vaut donc mieux avoir des motifs sérieux et être à même de démontrer que le code vestimentaire a été appliqué dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause, en croyant sincèrement qu’il était nécessaire pour réaliser cet objectif légitime. À défaut de se conformer au code vestimentaire, plutôt que de mettre fin à l’emploi, l’employeur pourrait aussi envisager de proposer à l’employé un autre poste, vacant, au sein de l’entreprise.

Du cas par cas religieux…
Chaque cas doit faire l’objet d’un examen individualisé. Chaque situation doit être analysée dans son contexte factuel. L’employeur doit procéder à un examen de la demande en analysant toutes les possibilités d’aménagement ou d’adaptation du poste ou des conditions de travail, en s’enquérant de leur impact sur la convention collective, les tâches des autres salariés, leur moral, la sécurité, le fonctionnement et la santé financière de l’entreprise. L’accommodement a pour limite la contrainte excessive. Le seuil de la contrainte excessive est à évaluer relativement aux caractéristiques de l’entreprise et au contexte donné. L’employeur n’a donc pas à se plier inconditionnellement à tous les particularismes. Ainsi, le droit d’un salarié ne saurait faire échec aux droits des autres salariés. Par exemple, il serait déraisonnable qu’un employé change son emploi de jour pour un emploi de nuit ou augmente exagérément sa charge de travail afin d’accommoder son collègue indisponible pour pratique religieuse. La distribution équitable du travail doit être préservée autant que faire se peut. Une atteinte significative aux droits des autres employés pourrait constituer une contrainte excessive. En revanche, la simple crainte de représailles ou la menace de grief de la part des employés n’est pas un argument valable.

Collaboration attendue
La jurisprudence s’attend à la collaboration de l’employé dans la recherche d’une mesure d’accommodement. Ainsi, dans l’affaire Legault (Autobus Legault Inc. c. C.D.P.Q., D.T.E 98T1230, [1998] R.J.Q. 3022 (C.S.), l’employée chauffeuse d’autobus scolaire et adepte d’un groupe religieux, en démissionnant sur-le-champ, n’a démontré aucune volonté de s’entendre avec l’employeur pour lui permettre de trouver une solution mutuellement acceptable (modification des horaires, remplacement de personnel, etc.). Toutefois, l’employé ne doit pas être obligé de rechercher lui-même des solutions d’accommodement, bien que ses suggestions soient accueillies. Le syndicat a aussi l’obligation de collaborer de bonne foi avec l’employeur. Mais le fardeau initial appartient à l’employeur qui doit consulter le syndicat et le salarié.

Quand trop, c’est trop…
Rappelons qu’être trop accommodant n’est plus de l’accommodement. Cette mesure vise en premier lieu à corriger une situation discriminatoire et non à faire la promotion d’un idéal du « vivre ensemble ». Une entreprise qui décide de mettre à la disposition de ses employés une salle de prière en l’absence de toute demande exprimée en ce sens va au-delà de ce qu’exige l’accommodement. Un gestionnaire soucieux à l’extrême de « neutraliser » l’espace collectif de travail démontrerait plus de zèle que de jugement s’il lui prenait de retirer toutes les décorations de Noël. La saveur de l’accommodement a meilleur goût quand on en fait un usage judicieux.

Myriam Jézéquel, Ph. D., formatrice en accommodements raisonnables, et Lucie Houde, CRHA, M.A., présidente-directrice générale, Archétypes-Inter

Source : Effectif, volume 10, numéro 2, avril/mai 2007

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