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Mesurer pour mieux recruter : l’expérience d’ACCEO Solutions

La mesure RH représente un enjeu complexe et de premier plan pour les organisations. Cependant, bien peu d’entreprises ont entrepris une réflexion en vue de mesurer adéquatement leur processus de recrutement, pourtant à la base de tous les efforts de la fonction ressources humaines.

17 avril 2015
Steven Lessard et Marie-Carmen Velasco, CRHA

Des mesures peu ancrées au sein des entreprises
Depuis le début des années 2000, le marché de l’emploi au Québec comme ailleurs a subi une profonde mutation. Bien que les secteurs d’activité ne soient pas tous affectés de la même manière, tous s’entendent pour dire que le recrutement s’avère plus difficile et que le temps de recrutement tend à s’allonger d’année en année. La situation est encore plus problématique s’il s’agit de postes exigeant la maîtrise de compétences spécifiques.

Les exigences des hautes directions quant à la quantification des investissements de la pratique RH justifient la pertinence de la mesure, notamment au niveau du recrutement. Parmi les indicateurs utilisés par une majorité d’entreprises, on retrouve le nombre de jours nécessaires pour recruter un candidat ainsi que les coûts directs et facilement calculables provenant du service du recrutement. Cependant, bien peu se livrent à un calcul plus poussé.

Dans la littérature, il n’existe pas de modèle ou de calcul universel pour définir le coût « économique » du recrutement d’une nouvelle ressource, c’est-à-dire l’estimation approximative de la perte pour l’entreprise lorsqu’un employé quitte l’organisation et le coût engendré jusqu’à ce qu’un nouveau collaborateur devienne pleinement productif. Difficilement mesurable, la perte d’un employé se traduit pourtant par une baisse de productivité et d’expertise pour l’entreprise.

Chez ACCEO Solutions…
Des finissants en nombre de moins en moins important et une augmentation de la demande de certaines expertises pointues caractérisent le domaine des technologies de l’information (TI) au Québec. En plus d’un taux de chômage à l’avantage des travailleurs, la guerre des talents suscite bien souvent une opération séduction et une surenchère des salaires entre les entreprises de ce secteur.

Important éditeur, concepteur, développeur et intégrateur de solutions de gestion et d’affaires électroniques au Canada, ACCEO Solutions compte près de mille employés et génère un chiffre d’affaires annuel de plus de 110 millions de dollars. Embauchant entre 200 et 250 employés permanents et contractuels par année, l’entreprise s’est rendue à l’évidence que son recrutement s’effectue moins rapidement qu’auparavant. L’entreprise a donc décidé de se doter d’outils pour devenir proactive dans la planification de ses besoins de main-d’œuvre.

Indices quantitatifs et qualitatifs : une combinaison gagnante
ACCEO Solutions a instauré un calcul du coût de recrutement dit global, qui tient compte de deux principales mesures : le coût de recrutement économique (indice quantitatif) et l’indice de qualité d’embauche (indice qualitatif). Le coût de recrutement économique permet de chiffrer les coûts engendrés par la perte d’un employé jusqu’à son remplacement par un nouveau collaborateur, tandis que l’indice de qualité d’embauche vient qualifier le recrutement effectué.

En étant capable de chiffrer son processus de recrutement, incluant non seulement les coûts opérationnels, mais aussi les coûts économiques de l’absence d’un collaborateur, l’entreprise est maintenant dans une position favorable pour optimiser son recrutement.

Le coût de recrutement économique : l’indice quantitatif
Chez ACCEO Solutions, l’addition de trois principaux coûts permet de calculer le coût de recrutement économique.

1) Coût économique lié à l’absence d’une ressource
Ce coût est obtenu en combinant le nombre de jours où le poste est vacant avec d’autres indices, dont la difficulté de recruter et le niveau critique pour l’entreprise.

Nombre de jours où le poste est vacant
Pour déterminer la perte économique liée au départ d’un employé, on doit considérer le nombre de jours où le poste est vacant. Par exemple, bien qu’une entreprise puisse être en recrutement pendant une période de 90 jours, il se peut que le poste ait été vacant pendant 60 jours seulement si des efforts de recrutement ont été déployés avant que l’employé quitte l’entreprise. Ce sont donc 60 jours qui doivent être retenus dans le calcul.

La difficulté de recrutement
Cet indicateur dépend de la quantité et de la qualité des candidats disponibles. Habituellement, plus un poste est difficile à pourvoir, plus les efforts déployés sont grands; une stratégie de recrutement plus élaborée doit être mise de l’avant. Une organisation peut déterminer une cote variant entre 1 et 3 selon la difficulté de recrutement de chaque poste.

Le niveau critique pour l’entreprise
Le départ d’un employé occupant un poste critique a un impact direct sur la productivité et les opérations de l’entreprise. Encore une fois, une organisation peut déterminer une cote variant entre 1 et 3 selon le niveau critique de chaque poste.

Temps de chevauchement de deux ressources
Dans certains cas, une entreprise réussit à embaucher une ressource avant le départ d’une autre : c’est souvent le cas lors d’un congé de maternité. Dans cette situation, l’entreprise paye deux salaires pour le même poste en même temps. Il est important que ce salaire supplémentaire soit considéré dans le coût économique lié à l’absence d’un employé.

2) Coût de formation
On doit également considérer le nombre de jours nécessaires avant que l’employé soit fonctionnel dans son poste et le coût de formation lors de son entrée de poste. Pour absorber la perte de productivité de l’employé en apprentissage et le soutien de la part de son gestionnaire et de son équipe, 100 % du salaire de l’employé est pris en compte lors des journées de formation.

3) Coût de montée en cadence
Dans le calcul de ce troisième coût, on considère le nombre de jours avant que l’employé devienne pleinement productif dans son travail. À ce nombre, on multiplie 50 % du salaire de l’employé, comme la perte de productivité de l’entreprise d’un employé qui n’est pas pleinement productif.

Un mot sur le coût opérationnel du recrutement
Tout en mesurant le coût de recrutement économique, on doit tenir compte du coût opérationnel du recrutement, qui tient compte des coûts externes et internes du processus. Les coûts externes incluent les frais technologiques (par exemple, le maintien de la plateforme de gestion des candidatures), les dépenses publicitaires ainsi que les forfaits sur les sites d’affichage. Les coûts internes sont les salaires des professionnels impliqués dans le processus de recrutement (recruteurs, responsables en ressources humaines ou gestionnaires requérants). Pour des entreprises comme ACCEO Solutions, qui font du recrutement autant à l’interne qu’à l’externe, il peut s’avérer préférable d’isoler le coût opérationnel du recrutement du coût économique.

L’indice de qualité d’embauche : l’indice qualitatif
L’indice de qualité d’embauche enrichit les données obtenues dans le coût de recrutement économique. À noter que cet indice s’appuie en partie sur les travaux de Sullivan et Burnett (2007). Même si ceux-ci traitaient déjà du coût par embauche dans leur indice, la dimension économique a été traitée séparément chez ACCEO Solutions, étant donné que l’aspect des coûts économiques n’était pas suffisamment couvert par le modèle. Cependant, Sullivan et Burnett mentionnaient que l’aspect économique est bien souvent celui qui impressionne le plus la haute direction, d’où la pertinence de lui accorder une importance particulière et de le traiter séparément.

Chez ACCEO Solutions, quatre indicateurs ont été retenus dans le calcul de l’indice de qualité d’embauche.

1) Le taux de roulement des nouveaux employés
Cette donnée considère les départs volontaires et involontaires des nouveaux employés dans la première année d’embauche. Il ne s’agit pas d’une donnée particulièrement difficile à mesurer.

2) La performance des nouveaux employés
Cette donnée est bien souvent obtenue lors de l’évaluation de fin d’année. On peut associer la cote d’une évaluation annuelle à un pourcentage pour faciliter le calcul de l’indice de qualité d’embauche. À titre d’exemple, un nouvel employé qui atteint les objectifs fixés aurait un pourcentage associé de 100 %.

3) La satisfaction des nouveaux employés
Souvent négligée par les entreprises, cette donnée représente pourtant l’aboutissement de la période d’intégration du nouvel employé. Tenir compte des perceptions, des attentes, des sources de satisfaction et d’insatisfaction des nouveaux employés permet d’éviter leur départ et de recommencer le processus de recrutement, engendrant d’autres coûts pour l’entreprise.

4) La satisfaction des gestionnaires
Cette donnée permet aux gestionnaires de s’exprimer sur la performance et la satisfaction du nouvel employé. Un questionnaire peut être élaboré, en tenant compte d’éléments en lien avec la satisfaction concernant le processus de recrutement, l’arrivée et l’intégration du nouvel employé ainsi que la relation avec le nouvel employé.

Des enjeux et des limites à considérer
Le modèle du coût de recrutement économique proposé permet d’obtenir une vision globale de la perte d’expertise et de connaissances pour l’entreprise. Cependant, il demeurera toujours difficile de mesurer précisément le remplacement de chaque employé et les pertes économiques qui y sont associées. Le modèle vise à outiller les entreprises afin qu’elles obtiennent un portrait de leur recrutement : il faut considérer qu’il s’agit ici de mesurer un aspect humain, que représentent le savoir-faire et le savoir-être des individus composant une entreprise.

La mesure RH étant en constante évolution, les professionnels RH doivent innover et user de créativité pour évaluer leurs efforts. La combinaison du coût de recrutement économique et de l’indice de qualité d’embauche peut permettre aux entreprises d’obtenir des données tant quantitatives que qualitatives sur leur processus de recrutement.

L’implantation de nouvelles mesures RH doit également s’arrimer avec les autres pratiques au sein de l’entreprise. Bien que les idées générales des modèles proposés puissent s’appliquer à toutes les organisations, il faut prendre en considération certains facteurs, dont le secteur d’activité ou bien le type de postes recrutés par une entreprise.

Bien que la mesure RH nécessite du temps et de l’énergie, elle a un impact positif sur les dépenses organisationnelles tout en permettant de maximiser les processus RH. En optimisant le processus de recrutement et de sélection, on favorise ultimement la rétention des employés en plus d’accroître leur mobilisation.

Steven Lessard, M. Sc., conseiller en développement organisationnel, ACCEO Solutions
Marie-Carmen Velasco, CRHA, RCC, vice-présidente exécutive et chef, capital humain et services partagés, ACCEO Solutions

Source : Effectif, volume 18, numéro 2, avril/mai 2015.


Steven Lessard et Marie-Carmen Velasco, CRHA